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Culture - Page 622

  • Voix

    « Ce soir-là, dans la salle de bains de lumière, Mina m’a lu l’histoire de la boîte d’allumettes avec l’ange qui recousait ses ailes. (…) Il y a peut-être des gens qui disent n’avoir jamais reçu de message d’un ange, mais ils ne doivent pas s’inquiéter. C’est seulement qu’ils ne s’en sont pas rendu compte, car tout le monde en reçoit équitablement. Il arrive qu’on les entende par la voix de quelqu’un d’autre, ou encore qu’ils se fassent entendre par notre propre voix à l’intérieur de notre cœur. »

     

    Yoko Ogawa, La marche de Mina 

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  • Conte d'enfance

    Tomoko se souvient d’Ashiya, d’une maison occidentale de style hispanique dans la montagne, où elle a vécu quand elle avait douze ans. La marche de Mina (2006), de la romancière japonaise Yoko Agawa, a l’allure d’un conte d’enfance. Trente ans plus tard, Tomoko raconte comment elle est devenue la plus proche amie de sa cousine Mina, une petite fille asthmatique qui avait toujours un livre dans les mains. Après la mort de son père, Tomoko est confiée à sa tante pour un an, le temps que sa mère étudie à Tokyo. Dans le fameux Shinkansen tout neuf, elle fait seule le voyage jusqu’à la gare de Shin-Kobe, où son oncle, l’homme le plus élégant qu’elle ait jamais vu, vient la chercher en Mercedes.

     

    La « lointaine Allemagne » s’est déjà glissée dans la vie modeste de Tomoko : à sa naissance, un joli landau leur a été envoyé par cet oncle de mère allemande qui dirige une société de boissons. Dans la luxueuse maison d’Ashiya, Tomoko fait la connaissance de Grand-mère Rosa, de l’employée qui dirige la maisonnée, Mme Yoneda, âgée elle aussi de plus de quatre-vingts ans, du jardinier, et surtout de Mina, une fillette au visage ravissant et de constitution fragile sur laquelle tout le monde veille avec beaucoup d’attention. Tomoko dispose de la chambre du grand frère, étudiant en Suisse. 

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    D'emblée transportée par la beauté de la maison qui l’accueille, Tomoko n’est pas au bout de ses surprises. Le plus inattendu des habitants réside dans le jardin, un ancien parc zoologique dont il est le dernier témoin. C’est Pochiko, l’hippopotame nain, « un corps rond auquel on aurait ajouté une queue, des pattes et un visage », qui
    porte la petite Mina sur son dos, conduit par le jardinier, sur le chemin de l’école. Cet univers – un conte de fée pour Tomoko – connaît des imperfections. Le père de Mina est le plus souvent absent, la fillette est sujette aux crises d’asthme qui l’obligent à se rendre à l’hôpital et, chez elle, à prendre des « bains de lumière » sous une lampe spéciale.

     

    Par les yeux de Tomoko, nous découvrons la vie particulière que mènent Mina et sa famille. La grand-mère adore les cosmétiques de la série « des beautés jumelles » qu’elle range dans sa coiffeuse – le thème de la gémellité traverse tout le roman. La mère boit du whisky en cachette. Sur le bureau du père, on dépose les choses cassées, qu’il répare à son retour dans cette pièce où il passe aussi la nuit, sur un sofa. Quant à Mina, elle finit par montrer à sa cousine son secret : sous son lit, plein de boîtes qui contiennent chacune une boîte d’allumettes. A partir de leur image, Mina invente une histoire et l’écrit dans une boîte écrin. De temps en temps, elle en raconte une à Tomoko, révélant les coulisses de son imagination.

     

    Tout le monde se réjouit de la présence de la collégienne auprès de sa petite cousine dont elle devient la confidente et la compagne la plus dévouée qui soit. Bien que Mina vive dans une maison où l’on trouve des livres dans chaque pièce, elle charge Tomoko de lui emprunter d’autres ouvrages à la bibliothèque, ce qui lui donne bientôt une réputation flatteuse de la part du bibliothécaire à qui elle fait part des commentaires de Nina comme si c’étaient les siens. Un autre don de Mina, c’est l’art de « frotter joliment les allumettes », on lui confie l’allumage des bougies lors des repas aux chandelles. A chacun de ses passages, le garçon livreur du Freezy, la boisson rafraîchissante qui assure la prospérité de l’entreprise familiale, glisse discrètement dans la main de Mina une nouvelle boîte d’allumettes au dessin inédit.

     

    Après un séjour à l’hôpital, Mina rentre chez elle avec une passion soudaine pour le volley-ball. Tous les dimanches dorénavant, en cet été ’72, elle suit avec Tomoko l’émission « Le chemin vers Munich » et s’entiche du passeur de l’équipe japonaise. La saison des jeux olympiques, ternis par la prise d’otages israéliens, ouvre les yeux de Tomoko sur des réalités ignorées d’elle : les tensions internationales ; le peu de cas que fait de Mina son grand frère, décidé à passer l’été avec ses propres amis ; le passé de Grand-mère Rosa, dont la famille est morte à Auschwitz ; le pourquoi des absences prolongées de son oncle.

     

    La marche de Mina, dans un style très simple – trop lisse même – privilégie un point de vue poétique sur l’enfance. On a l’impression en lisant ce conte japonais de marcher sur un fil – un faux pas et ce serait la chute – tant la matière est délicate. Dans ce monde aux couleurs sans doute trop pastel, Yoko Ogawa, comme dans La formule préférée du professeur mais très loin de l'univers troublant d'Hôtel Iris, se révèle avant tout une observatrice des liens humains, qu’elle évoque avec tendresse.

  • Photographie

        Ton sourire m'attire comme
        Pourrait m'attirer une fleur
     

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    Photographie tu es le champignon brun
        De la forêt
        Qu'est sa beauté
        Les blancs y sont
        Un clair de lune
        Dans un jardin pacifique
        Plein d'eaux vives et de jardiniers endiablés

    Photographie tu es la fumée de l'ardeur
        Qu'est sa beauté
        Et il y a en toi
        Photographie
        Des tons alanguis
        On y entend
        Une mélopée
        Photographie tu es l'ombre
        Du Soleil
        Qu'est sa beauté

     

     

    Guillaume Apollinaire, Calligrammes

     

  • Bruit blanc, à voir

    Au hasard d’une flânerie dans les Galeries Royales Saint-Hubert, en sortant de la librairie Tropismes (à deux pas de la Grand-Place), j’ai poussé pour la première fois la porte de Photo Gallery, intriguée par un bel oxymore, Bruit blanc, près de la photo d’un tigre au bord de l’eau. Roland Lebrun, un jeune photographe, présente au 10, Galerie de la Reine, sa première exposition personnelle, jusqu’au 24 mai.

     

    C’est aussi par curiosité, je le reconnais, que je suis entrée là, mue par le désir de découvrir l’intérieur d’une des maisons de ce passage, le plus beau de Bruxelles, qui me fait toujours rêver. Dans l’escalier qui mène aux étages, je me réjouissais déjà de découvrir sous un angle inédit la verrière, les façades, les vitrines, et le va-et-vient permanent dans ces galeries. A mi-hauteur, les fenêtres offraient bien la vue espérée, mais très vite, les photographies de Roland Lebrun ont capté mon attention, dans leur format carré de taille moyenne qui invite à s’approcher.  

    Roland Lebrun Bruit blanc Image-1.jpg

     

    « Ces images sont tirées de ce qu’on appellerait un journal intime. Pourtant, à chaque photo, je sors du moment que je vis. Je me retourne et je le cadre. J’exclus, j’inclus. » Bruit blanc nous laisse entrevoir des paysages entre l’ici et l’ailleurs. Les plus spectaculaires : ce tigre du Bengale au zoo d’Anvers, avec son reflet, et cette forêt plongeant dans un lac, qu’on croirait d’Asie, photographiée en France, deux clichés superbes.

     

    Les autres sont plus intimes, comme la dentelle du givre sur la vitre d’une porte entrouverte ou bien ce coin d’un étang à l’ombre d’un bois. Le photographe semble fasciné par les angles qui dessinent l’espace. Plus loin, il a rapproché trois variations sur le triangle : la niche d’une Vierge au-dessus d’un buisson, le pignon gris d’une maison, une statue encore bâchée de blanc sur son socle. 

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    Notre regard suit le mur qui longe une voie de chemin de fer désaffectée dans une forêt. Roland Lebrun semble l’homme des « sylves évanescentes » (Valéry) et des sous-bois qu’architecturent troncs et branches. Mais il y a aussi la mer, son rectangle de houle grise sous un ciel blanc, presque abstraite, ou encore sous les nuages flous d’une lumière changeante. Entre ces scènes naturelles, quelques intérieurs, une lampe près d’un lit, le désordre d’un bureau sous un mur animé de cartes postales, des scènes familières.

     

    Bruit blanc invite à regarder la texture du quotidien. Dans l’avant-propos de son travail sur La mort de Paule, visible sur son site, Roland Lebrun écrit : « Quand je
    ne suis pas dans un paysage familier, je me perds, je ne sais plus quoi voir. (…) La lumière, la texture, l’ordre des choses, tout me rappelait que je n’étais pas chez moi. Je n’ai trouvé que du vide, des silences. »
    Les quelques portraits, dans cette exposition, m’ont paru aussi secrets que les paysages. Le dehors couvre le dedans, le bruit des êtres ne s’entend pas. Les visages sur les photographies ne sourient pas, comme dans la série des Faux-Semblants découverte en ligne, qui mêle figures de chair et de plâtre.

    « L’image ne me renvoie plus au moment, elle devient une phrase. Elle me permet de recréer une histoire. C’est mon journal public. » (Roland Lebrun)
    Dans le silence d’une pièce claire, au-dessus d’une galerie du dix-neuvième siècle où circulent les passants du jour, des carrés de vie, sans tapage, suspendent le temps.

    Phographies : par courtoisie de Roland Lebrun & Photo Gallery.

    http://www.rolandlebrun.be/      http://www.pgav.be/fr_home.php