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blas de roblès

  • Brésil de Roblès

    Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil, prix Goncourt 2001. Jean-Marie Blas de Roblès, Là où les tigres sont chez eux, prix Médicis 2008. Le Brésil inspire aux romanciers français des briques de papier qui demandent aux lecteurs souffle et persévérance. Blas de Roblès, autour de la figure du père jésuite Athanase Kircher (1601-1680), développe une somme baroque où s’entrecroisent des personnages contemporains : Eléazard von Wogau, un correspondant de presse français installé dans le Nordeste à qui l’on a confié l’examen d’un manuscrit inédit, la vie de Kircher relatée par Caspar Schott ; Elaine, la « professora » von Wogau, son épouse qui vient de demander le divorce et part en expédition dans le Mato Grosso avec des collègues paléontologues à la recherche de fossiles précambriens ; Moéma, leur fille, en rupture avec l’un et l’autre, réfugiée dans l’amour de son amie Thaïs et dans la cocaïne ; Nelson, le mendiant de Fortaleza qui a perdu ses jambes. 

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    Chaque chapitre s’ouvre sur une étape de la vie du brillant Kircher doté « d’incroyables dons de mémoire en sus d’un génie inventif & d’une habileté mécanique hors du commun ». A son bagage philosophique s'ajoute l’étude des sciences et de tout ce qui s’offre à son esprit d’une curiosité universelle. Tout au long de ses recherches, il publiera des ouvrages majeurs, une quarantaine en tout. Un tel génie à la gloire de Dieu ne pouvait se fixer qu’à Rome, ce qui ne l’a pas empêché de voyager. Eléazard, la quarantaine, installé depuis deux ans sur la presqu’île d’Alcântara, n’a jamais ternminé la thèse qu’il projetait de lui consacrer. Le voilà très surpris quand une Italienne, Loredana, échouée là pour des raisons obscures, lui dit connaître cette « espèce de polygraphe qui a écrit absolument sur tout, et en prétendant à chaque fois et sur chaque sujet au summum de la connaissance ». Sinologue, elle a lu les travaux de Kircher sur la Chine. Les Carnets d’Eléazard, des notes brèves sur son sujet d’étude, ses lectures, ses observations, ponctuent régulièrement la marche des chapitres.

     

    Blas de Roblès, à l’instar du Jésuite encyclopédiste dont la devise est « Omnia in omnibus », brasse dans ce récit foisonnant une formidable collection d’informations et de situations en tous genres. Voyageur et archéologue, érudit, l’auteur prend plaisir à détailler les plus extravagantes aventures de ses personnages : Kircher au bord d’un volcan, Nelson mêlé aux pillards d’un Boeing abîmé dans la jungle, les plongées de Moéma, Thaïs et Roetgen, un jeune professeur assistant, dans les excès de l’alcool, de la drogue et du sexe, sous le prétexte de remonter aux origines indiennes du Brésil. L’expédition universitaire sur le fleuve Paraguay, quant à elle, tourne au cauchemar en empiétant sur le territoire de trafiquants de peaux de crocodiles. Seul Eléazard échappe à cette frénésie du mouvement physique, requis par une autre quête – « La VERITE n’est ni un chemin de traverse ni même cette clairière où la lumière se confond avec l’obscurité. Elle est la jungle même et son foisonnement trouble, son impénétrabilité. » (Carnets d’Eléazard)

     

    Loredana tombe amoureuse de lui, mais repousse ses avances. « Je porte le deuil de mon amour, de ma jeunesse, d’un monde inadéquat », pense de son côté Eléazard, qui vit en seule compagnie de son perroquet Heidegger et de Soledade, sa cuisinière. Son ami le Dr Euclides les emmène tous les deux à une grande réception chez le gouverneur Moreira. Celui-ci ne supporte son épouse Carlotta de Souza qu’à cause de sa fortune dont il se sert pour acheter clandestinement presque toute la presqu’île d’Alcântara en vue d’une gigantesque opération immobilière. Exaspéré, Eléazard met fin aux mondanités de deux invités américains envoyés par le Pentagone qui feignent ne rien savoir du projet de base militaire : « Je crois que la misère n’est pas une fatalité, mais un phénomène entretenu, géré rationnellement, une abjection indispensable à la seule prospérité d’un petit groupe sans scrupules… » Quant à Loredana, qui attire la sympathie de Carlotta et les égards machistes de son époux, elle prendra sa revanche sur l’arrogant colonel Moreira à sa manière.

    « Ce n’est pas impunément qu’on erre sous les palmiers, et les idées changent nécessairement dans un pays où les éléphants et les tigres sont chez eux » : la phrase des Affinités électives de Goethe, placée en épigraphe, avertit des dangers
    qui guettent tous les protagonistes de ce roman quasi feuilletonesque et délibérément orgiaque. Les dix-septième et vingtième siècles s’y renvoient leurs préoccupations, de même les terres d’ailleurs et l’Europe, les mythes indiens et les religions monothéistes. Violence, questionnement, métamorphoses, quête de l’origine, voilà quelques thèmes de Là où les tigres sont chez eux, où se joue aussi la bataille du vrai et du faux. Blas de Roblès a mis dix ans à l’écrire, dix ans de plus à le faire accepter par un éditeur. Trop gros, trop riche, – il a fallu couper – le roman de presque huit cents pages n’a pas obtenu le Goncourt, mais a trouvé ses lecteurs.