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Culture - Page 486

  • Circuler

    « Les idées et les images sont faites pour circuler, être empruntées, revenir et disparaître. Elles n’appartiennent qu’à ceux qui un moment les chevauchent. »

    Joëlle Busca, Miquel Barceló – Le triomphe de la nature morte 

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    Détail de la couverture (incipit)


  • Un texte sur Barceló

    Lorsqu’après avoir visité une exposition, on en découvre le catalogue, aller de ses souvenirs aux mots, puis des mots aux images, donne souvent envie de retourner devant les œuvres, pour mieux les regarder. Lire Miquel Barceló – Le triomphe de la nature morte, un texte d’une trentaine de pages (suivi de quelques illustrations) de Joëlle Busca (La lettre volée, 2000), c’est entrer par le discours, de biais, dans lunivers dun artiste que je connais peu – dessins, peintures, sculptures – et qui est surtout matière. Je pense à la fameuse chapelle décorée par le peintre catalan dans la cathédrale de Palma de Majorque.

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    Chapelle Sant Père (cathédrale de Palma de Majorque) 

    « Il serait l’un des artistes les plus importants de la scène contemporaine »« il arrive avec la vague néo-expressionniste dans les années quatre-vingts », écrit la critique d’art pour le situer d’abord. Né aux Baléares en 1957, Barceló, nomade, se partage entre plusieurs ateliers à Paris, New York, Majorque, quand il n’est pas ailleurs, en Europe ou en Afrique, au Mali en particulier. L’artiste se veut « sous le joug de la nature », affronte les éléments naturels, pour lui-même comme pour ses œuvres.

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    Miquel Barceló devant une œuvre (2010) © CaixaForum Madrid

    Un thème permanent : la mort, « muette ou proclamée, toujours présente ». Busca décèle dans ses peintures « de piété mélancolique, de désolation paysagère, de ruine dévote »  des « in situ de natures mortes ». Barceló aime inclure l’objet dans l’œuvre, incorporé ou moulé, travailler la surface où il intègre « carcasses, branchages, poissons séchés piqués au formol, choux, papayes… » Si les caractéristiques classiques de la nature morte sont absentes de sa peinture, elle se relie pourtant aux maîtres espagnols de la vanité par « la précision inouïe des détails », « l’isolement spectaculaire des objets et des fruits », « la rigueur de la spatialisation ».

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    Livre sur Il Cristo della Vucciria

    Les plus grands peintres ont illustré le genre de la nature morte, considéré comme mineur : Chardin, Cézanne, Picasso, ou encore Warhol et ses Peach Halves en boîte. « Rien n’est plus trompeur que ces épithètes de mort (nature morte) ou de tranquille (still life), le genre est au contraire bavard et remuant : il y demeure un souffle de vie qui se débat pour être encore et que sauve la peinture. » Barceló peint l’instant, fasciné par le « spectacle de la désintégration toujours triomphante ». Peindre la vie « jusqu’à la mort et au-delà, jusqu’à la décomposition », comme il l’a fait dans une église abandonnée de Palerme avec Il Cristo della Vucciria.

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    Vers 1987, Barceló choisit l’Afrique pour se régénérer, renouveler son imaginaire, se mettre en danger. C’est l’expérience du désert, de la sécheresse, du vide, de l’inconfort. « Il montre tout de ses périodes africaines, les lieux communs, les brouillons d’esquisses, les petits croquis, les aquarelles noyées, il entend ne rien jeter, à la manière africaine. » Il en ressort « une sorte de maniérisme qui se superpose à un matiérisme ». Depuis l’Afrique, Joëlle Busca voit dans le travail de l’artiste « un aspect d’inachevé, d’esquisse qui domine toute autre considération. »

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    Sous le plafond de la salle des Droits de l’homme (Palais des Nations, Genève, 2009)

    Si comme dans toute œuvre, il y a dans celle de Barceló des hauts et des bas, Joëlle Busca constate que l’artiste catalan ne cesse de mettre le spectateur « dans une position instable » et s’interroge : « Où cela va-t-il s’arrêter ? » Miquel Barceló – Le triomphe de la nature morte donne à penser sur l’art contemporain et l’engagement de l’artiste, dans son corps à corps avec la matière, avec le temps.

  • Méconnaissable

    « Je rentrai chez moi au beau milieu de l’après-midi : l’endroit était méconnaissable. De toute évidence, Carlotta avait fait un excellent travail si tant est que vous souhaitez un changement de look radical, et que vous affectionnez les tons pastel, les rideaux de mousseline et les coussins aux couleurs criardes. Cela n’était tout simplement pas moi. Ce n’était plus ma maison. Et jusqu’à mon fauteuil qui, recouvert de toile gris taupe, était devenu un étranger. »

    Angela Huth, De toutes les couleurs 

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  • Sans y toucher

    Loin de la vie de bohème, les personnages d’Angela Huth, dans De toutes les couleurs (Colouring in, 2004), tiennent à leurs habitudes. Isabel et Dan Grant forment un « couple sympa » sans histoire aux yeux de leur fille, Sylvie, comme de Gwen, leur femme de ménage. Isabel vient d’avoir quarante ans et n’aime pas qu’on perturbe son « train-train quotidien ». Sylvie et Dan partis, elle monte à son atelier sans parler à qui que ce soit, elle n’y a pas de téléphone, pendant que Gwen commence à passer l’aspirateur en bas. 

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    http://orlane.artblog.fr/737392/masque-venitien/

    Dans le grenier, toute la matinée, Isabel confectionne des masques, les commandes ne manquent pas. Il suffit d’un message sur le répondeur pour l’agacer : Dan a invité Bert Bailey à dîner et ils tombent d’accord pour proposer à Carlotta, une amie d’enfance, trente-six ans et célibataire, de se joindre à eux. Dan se réjouit de revoir son vieil ami qui a travaillé à l’étranger, d’abord pour l’armée, puis pour une compagnie pétrolière, sans jamais se marier. Il vient de rentrer de New York pour se réinstaller à Londres. S’il gagne bien sa vie dans l’import-export, Dan cultive une autre passion dont il aime parler avec Bert : le théâtre. Sa première pièce a remporté un succès inattendu, mais depuis, il en a écrit plein d’autres dont personne ne veut.

    Pour faire entendre le point de vue de ces six personnages, Angela Huth leur donne la parole tour à tour, comme si chacun tenait une sorte de journal. Les impressions de Gwen, qui adore travailler chez les Grant – elle ne se sent nulle part ailleurs aussi bien que dans leur maison où elle travaille depuis neuf ans – donnent un aperçu extérieur de cette famille bourgeoise : une femme posée, aimable, parfois un peu dans la lune ; un homme digne et charmant, courtois ; une fille « bonne fille, mais lunatique et têtue comme une mule ».

    La mise en situation est assez lente, le temps de présenter les uns et les autres. Le bonheur serait-il de trouver une place, un endroit où l’on se sente bien ? Pour Isabel, c’est très clairement son atelier – « mes plumes, les perles, tous ces bouts de tissus sont toute la couleur qu’il me faut. » Pour Bert, heureux de retrouver l’Angleterre, ce n’est sans doute plus sa maison londonienne qui a grand besoin d’être rafraîchie. Carlotta lui propose ses services, elle a été décoratrice d’intérieur avant de se lancer dans le marketing. Elle l’agace, mais il n’ose refuser.

    Carlotta va-t-elle réussir à séduire Bert ? Cette question récurrente dans la première partie du roman va peu à peu s’insinuer dans les rapports entre les quatre amis. Carlotta sent qu’Isabel la discrète, la fidèle épouse, la femme secrète, ne lui dit pas tout à propos de ses contacts avec Bert. Quant à Dan, il n’est pas tout à fait insensible aux provocations de la tapageuse amie de son épouse bien-aimée.

    De toutes les couleurs suit surtout cette trame sentimentale. A l’opposé des ambiances feutrées, on découvre aussi les problèmes de Gwen, harcelée par un homme avec qui elle s’est liée un certain temps, et qu’elle craint à tout moment de retrouver sur ses pas. Il  l’espionne partout, se campe même parfois en face de la maison des Grant. Elle n’ose en parler à personne.

    « C’est une chose de vivre seul quand vous êtes dévoré par une passion telle que la peinture, l’écriture, la musique ou autre – mais c’est tout autre chose quand vous n’avez rien de particulier à faire », remarque Rosie, une vieille et sympathique artiste-peintre qui habite une « petite maison de silex et de briques » près des marais à Norfolk ; enfant, Bert jouait dans son jardin, qu’elle a considérablement embelli.

    Est-ce la structure fragmentée du roman ? la manière dont l’auteur aborde les émotions, sans y toucher vraiment ? Je suis restée à distance de ces chassés croisés amoureux, mêlés ici aux tournants de l’âge. A relire quelques-uns de ses titres – L’invitation à la vie conjugale (1991), Une folle passion (1994), Tendres silences (1999) –, on comprend qu’Angela Huth a choisi les affaires de cœur comme thème de prédilection.

    Mais voici le résumé de Pierre Maury, plus enthousiaste : « Cachotteries : le titre d'une pièce que Dan commence à écrire. Inspiré, pour une fois, par sa vie réelle. Car les six personnages du roman ont tous quelque chose à cacher aux autres. Alors qu'ils ne sont pas coupables. Autour de petites tentations sans importance, Angela Huth déstabilise des existences tranquilles. Les questions que chacun se pose prennent des dimensions inattendues. Et on observe cette danse du désir avec un sourire au coin des lèvres tant elle est plaisante. » (Le Soir, 27/10/2006)

  • Tambouille générale

    « Aux murs, des toiles : Chagall, Léger, Modigliani. Au sol, quelques tapis effrangés. Sur les étagères, les poupées-portraits en feutre que Marie Vassilieff fabriquait puis vendait au couturier Poiret ou aux bourgeois de la rive droite qui les empilaient dans les angles droits de leurs cosy-corners. Partout, des chaises dépareillées, des poufs décousus, des centaines d’objets glanés aux Puces. 

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    Figures-sculptures de Marie Vassilieff (Photo Rouillac)

    Derrière le bar, à la vaisselle, haute comme une demi-pomme et plus vivace encore qu’un ludion, officiait le phénix des hôtes de l’endroit. Sur deux réchauds, Marie et une cuisinière préparaient la tambouille générale. Il en coûtait à chacun quelques dizaines de centimes pour un bol de bouillon, des légumes, parfois un dessert. Les plus riches avaient droit à un verre de vin et trois cigarettes de Caporal bleu. »

     

    Dan Franck, Bohèmes