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Culture - Page 385

  • Rassenfosse à la W.

    La Bibliotheca Wittockiana, près du parc de Woluwe, attire les amoureux des beaux livres. L’exposition « Rassenfosse ou l’Esthétique du Livre », offre une excellente occasion de pousser la porte du Musée de la Reliure et des Arts du livre (l’histoire de ce musée unique en son genre est racontée sur son site). La Fondation Roi Baudouin, qui gère le Fonds Armand Rassenfosse, met ici en valeur le travail du graveur et peintre liégeois dans le domaine de l’édition (jusqu’au 31 janvier 2016, entrée libre). 

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    Les parents d’Armand Rassenfosse (1862 – 1934) tenaient une boutique d’objets d’art et espéraient que leur fils unique poursuive leur activité, mais très tôt celui-ci se passionne surtout pour le dessin et la gravure. A Liège d’abord, puis auprès de Félicien Rops qui le conseille et l’encourage. Rassenfosse se fait peu à peu connaître, en Belgique et en France : affiches publicitaires, estampes pour des revues, illustrations littéraires, ex-libris... Au XXe siècle, il se montrera en peinture aussi un chantre de la femme, son sujet de prédilection. 

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    Le coin de l’aquafortiste : Armand Rassenfosse dans son atelier en 1910, manipulant la presse sur laquelle travaillèrent également
    Adrien de Witte, François Maréchal, Auguste Donnay et James Ensor. Photographie anonyme, Liège, 1910 (coll. privée).

    Dans ce musée moderne où l’amour du beau livre se décline sous toutes les formes – aux collections permanentes s’ajoutent un atelier de reliure, une bibliothèque –, on est véritablement accueilli, cela mérite d’être souligné. Une belle photographie de Rassenfosse à la presse dans son atelier précède les premières vitrines consacrées aux illustrations de jeunesse, comme cette couverture de Rassenfosse pour Nos plages, Guide du littoral (imprimé chez Bénard, son premier employeur), des gravures pour Albert Mockel, dont il dessine l’ex-libris, entre autres.  

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    La brochure du visiteur contient les légendes de toutes les pièces exposées (en petits caractères). Pour les non-initiés, le vocabulaire est parfois mystérieux : le « chagrin » bordeaux, par exemple, est une « peau de chèvre tannée à grain assez petit » (on trouve quelques définitions affichées près de l’atelier). Quant au « frontispice » souvent mis à l’honneur, c’est l’« illustration placée au début d’un livre, généralement sur la fausse page (verso) qui fait face à la page de titre (recto) », explique le glossaire à la fin de la publication très bien illustrée de la Fondation Roi Baudouin (prix modique). 

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    Armand Rassenfosse, Lettres ornées, parues dans Le Courrier français des 12 et 26 juillet 1896, encre de Chine,
    Coll. Fonds Armand Rassenfosse, Fondation Roi Baudouin, © Studio Philippe de Formanoir

    L’exposition stimule avant tout le plaisir de l’œil à se poser sur ces images que les éditeurs d’antan commandaient aux artistes pour accompagner les textes littéraires. En comparaison, la plupart des livres que nous lisons aujourd’hui sont très standardisés. La littérature est devenue plus accessible, mais quand on a sous les yeux, ou entre les mains, un de ces beaux ouvrages anciens, il y a de quoi comprendre comment naît une passion de bibliophile. 

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    Armand Rassenfosse, Illustration pour Les yeux de Berthe in Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Les Cent Bibliophiles, 1899,
    gravure à la pointe sèche et à l’aquatinte, Coll. Fonds Armand Rassenfosse, Fondation Roi Baudouin, © Studio Philippe de Formanoir

    Comme illustrateur, Rassenfosse atteint un sommet avec la fameuse édition de 1899 des Fleurs du Mal de Baudelaire, au cœur de l’exposition. La Société des « Cent Bibliophiles » lui demande d’illustrer en couleurs chacun des textes du recueil, un travail énorme (158 poèmes, le frontispice, les titres de chapitres, plus 160 culs-de-lampe lithographiques !) On peut voir des dessins originaux de Rassenfosse sur une édition courante de Baudelaire, où il essaie des figures, et puis de très belles pages sous verre, ainsi qu’un magnifique exemplaire privé aux « contreplats ornés de deux gouaches originales de Rassenfosse, La Sagesse et La Folie ». 

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    Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Paris, Les Cent Bibliophiles, 1899, illustrations d'Armand Rassenfosse.
    Exemplaire n°81/115 d'Arthur Monnereau relié par A. Cuzin en plein marocain bordeaux mosaïqué et enrichi de deux gouaches originales de Rassenfosse, La Sagesse et La Folie, intégrées dans les plats de la reliure (coll. privée) 
    (Désolée pour la piètre qualité de la photo.)

    Dans tous les livres exposés, ce sont les raffinements des dessins, des vignettes, de la mise en page qui captivent. Par exemple, cette tête de femme pour la collection « To the Happy few » (Anna de Noailles, De la rive d’Europe à la rive d’Asie ; Le dernier amour de Ronsard signé P. de Nolhac ; Au courant de la Vie, par Camille Saint-Saens). Ou la légèreté de ces figures dansantes pour La maison de la petite Livia (Pierre de Querlon). 

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    Vitrine consacrée à La maison de la petite Livia de Pierre de Querlon, Paris La connaissance, 1924.
    En feuillets sous couverture cartonnée d'éditeur. Ouvrage illustré de 15 dessins hors-texte (...)

    Cà et là, quelques huiles sur carton : L’amateur d’estampes, Les jeunes sorcières (un chat noir, une goutte de peinture en guise de boucle d’oreille), des portraits de Baudelaire, de Rops. Rassenfosse a illustré des auteurs comme Claude Farrère, son ami (différentes étapes pour illustrer Shahrâ sultane), des écrivains belges et français : Colette, Lemonnier, Eekhoud, Debussy, Barbey d’Aurevilly (Les Diaboliques)...

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    Devant une couverture réalisée par Rassenfosse pour Claudine à Paris, un portrait de Colette à l'encre de Chine (coll. privée)

    Quelques ouvrages de la bibliothèque personnelle de Rassenfosse, évidemment amateur de beaux livres, offrent à voir gravures et dédicaces. Un de mes coups de cœur, c’est la trentaine d’ex-libris exposés (il en a dessiné une centaine), dont celui-ci de Marie Rassenfosse, son épouse.  

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    Ex-libris de Marie Rassenfosse

    Le service pédagogique (dossier ici) propose un atelier aux groupes scolaires : « Qu’est-ce qu’un ex-libris ? À quoi sert-il ? (…) Viens le découvrir tout au long de cet atelier : amène ton livre préféré à la Wittockiana et apposes-y ton propre ex-libris ! » Tentant, non ? 

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    Armand Rassenfosse,  Imprimerie Bénard S. A. Liège, 1908, lithographie,
    Coll. Fonds Armand Rassenfosse, Fondation Roi Baudouin, © Ville de Liège – photo Marc Verpoorten

    Ne manquez surtout pas les affiches de Rassenfosse à l’étage : un inattendu « Salon anti-boche » (1929), des affiches publicitaires (« Huile russe », « Soleil » (bec à gaz), « Calorifère Bijou »), à côté d’affiches pour diverses expositions. La belle bibliothèque du musée est juste à côté. La Bibliotheca Wittockiana conserve des collections permanentes riches et variées : reliures anciennes et modernes, livres-objets, almanachs de Gotha, sculptures, et même des hochets. Pour info, elle participera le 22 octobre aux Nocturnes des musées bruxellois.

  • Icône surréaliste

    Muse Kiki Man Ray Violon d'Ingres.jpg« Comme le souligne Herbert Lottman*, Kiki ne pose plus pour les autres. Elle est son modèle préféré. Elle l’inspire ; il improvise des poses, la photographie avec des objets, organise des mises en scène. C’est avec Kiki comme modèle qu’il invente le surréalisme en photographie. Elle devient une icône surréaliste. Il la modèle à sa guise, elle le regarde avec amour. »

     

    Bertrand Meyer-Stabley, 12 muses qui ont fait l’Histoire

     

    * (dans Man Ray à Montparnasse)

     

     Man Ray, Violon d’Ingres © Man Ray Trust / Adagp

     

     

     

     

    Pour information, Anna Puig Rosado expose ses photographies de Tel-Aviv

    à Dieulefit du 17 octobre au 29 novembre 2015 : http://www.annapuigrosado.net/fr/page_1030.html

  • Muses modernes

    12 muses qui ont changé l’Histoire : Bertrand Meyer-Stabley présente sous ce titre douze femmes qui « ont été au cœur de la création du XXe siècle ». Entendez donc « qui ont changé l’Histoire de l’art ». Muses ou égéries, elles ont fasciné leurs contemporains et inscrit leur destin dans le sillage d’un ou de plusieurs artistes. 

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    Misia Sert par Toulouse-Lautrec / Gala par Dalí

    Misia Sert, Gala Dalí, Kiki de Montparnasse, Youki, les premières évoquées sont des modèles ou des amies d’artistes, Dan Franck a décrit ce milieu dans Bohèmes. Misia était aussi pianiste, Youki fut la « Neige rose » de Foujita avant de devenir la « sirène » de Desnos. En une trentaine de pages pour chacune, l’auteur raconte leurs débuts dans la vie, et surtout leurs rencontres avec des artistes qui vont changer leur vie. Dans ce registre biographique, l’auteur porte autant d’attention à la petite histoire qu’à leur rôle artistique. 

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    Nu couché à la toile de Jouy (Kiki) et Youki au chat par Foujita

    Peggy Guggenheim, grande collectionneuse d’art, et Lee Miller, photographe un temps aux côtés de Man Ray, se font aussi un nom dans le milieu de l’art par elles-mêmes, à travers une galerie à Londres puis à New York pour la première, par son travail pour Vogue et ses reportages pour la seconde – Lee Miller a notamment montré la libération des camps de concentration. 

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    Peggy Guggenheim par Alfred Courmes / Lee Miller par Man Ray

    Deux des femmes qui ont partagé la vie de Picasso figurent dans cet essai : Dora Maar et Jacqueline Picasso. Celui que Françoise Gilot traite de « monstre d’indifférence » dans ses mémoires voulait qu’elles se vouent entièrement à lui et le libèrent de tout souci d’intendance, lui laissant la liberté de créer et d’inventer sans cesse.

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    Dora Maar et Jacqueline aux mains croisées par Pablo Picasso

    Matisse, qui engage Lydia Delectorskaya comme assistante quand il est déjà un vieux monsieur, fidèle à son épouse, est en comparaison un modèle de respect et de générosité envers ses employés. Mais Lydia devient si indispensable et omniprésente à Cimiez que Mme Matisse, dont elle a aussi été la garde-malade, exige son renvoi. Elle lui reviendra. 

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    Lydia Delectorskaya par Matisse /  L'été (détail) de Maillol (Dina)

    Dina Vierny, qui a posé pour plusieurs peintres, voit son nom associé surtout à celui du sculpteur Maillol, à qui elle a inspiré tant de chefs-d’œuvre. C’est elle qui a convaincu Malraux de placer les statues offertes à l’Etat aux Tuileries. Elle s’est dévouée corps et âme à la création du musée Maillol à Paris. 

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    Les deux dernières muses évoquées dans cet essai me semblent moins connues : Annabel Buffet, que Bertrand Meyer-Stabley présente après avoir résumé la carrière de Bernard Buffet, et Ultra Violet, « la reine de l’underground » qui a su se faire une place dans la Factory d’Andy Warhol, et aussi plaire à Dalí. 

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    Une vingtaine de photos N/B sont encartées au milieu du livre. Chacune de ces femmes mérite une biographie à part entière, il en existe d’ailleurs. Cet essai grand public donne envie de chercher leurs portraits peints, sculptés, photographiques, et d’en apprendre davantage sur certains de ces destins romanesques.  

    Et si on inversait les rôles, quels seraient les « 12 hommes qui ont changé l’Histoire » dans l’ombre ou la lumière de femmes artistes ? Avez-vous des noms à suggérer ? Il semble que « muse » n’ait pas de masculin, ni « pygmalion » (titre de la collection) de féminin.

  • Fortune

    Vert Livre de la mutation de Fortune.jpg

    « Inconstante, versatile, imprévisible, la déesse Fortune porte dans les images de la fin du Moyen Age une robe rayée ou mi-partie. On la voit ici entourée de ses deux frères, tels que les décrit Christine de Pisan dans son célèbre Livre de la mutation de Fortune (1400-1403). A gauche, Heur est un jeune homme vêtu de vert et couronné de feuillage. A droite, Meseur (Malheur) est un paysan rustaud et court vêtu dont la massue prête à frapper est quelque peu inquiétante. » 

    Michel Pastoureau, Vert. Histoire d’une couleur 

    Miniature d’un manuscrit du Livre de la mutation de Fortune de Christine de Pisan
    (vers 1420-1430). Chantilly, Musée Condé.

     

  • Les aléas du vert

    Michel Pastoureau, après Bleu et Noir, a consacré un album à la couleur verte, qui n’a pas toujours eu bonne réputation sa couleur préférée. Vert. Histoire d’une couleur (2013) déroule sa chronologie en cinq phases : une couleur incertaine, une couleur courtoise, une couleur dangereuse, une couleur secondaire, une couleur apaisante. Comme pour les essais précédents, l’édition originale est merveilleusement illustrée (je lui emprunte les illustrations et légendes ci-dessous). 

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    L’auteur s’interroge d’abord sur la place très discrète réservée au vert « du néolithique jusqu’au début du Moyen Âge », au point qu’on s’est demandé si les Grecs voyaient cette couleur, pour laquelle aucun mot précis n’existe en grec ancien. Nietzsche écrit même que leur œil « était aveugle au bleu et au vert ». C’est l’occasion pour Pastoureau de rappeler que pour l’historien, « c’est d’abord la société qui « fait » la couleur, pas la nature, ni le couple œil-cerveau. »

     

    « Viridis » a donné « vert » et « verde » aux langues romanes, le latin dispose d’un vocabulaire des couleurs précis. Mais pas plus qu’en Grèce, le vert ne colore les objets ni le vêtement des Romains de l’antiquité – teindre dans un vert « solide » n’était pas aisé, le mélange du jaune et du bleu était alors inconnu. Seule la verrerie offre alors de beaux verts (et bleus).

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    Sir Lawrence Alma-Tadema, A Coign of Vantage (1895) Collection particulière.

    Sous un titre amusant, « L’émeraude et le poireau », Pastoureau décrit la plus forte présence du vert sous l’Empire romain, notamment dans les peintures murales et les mosaïques. C’était la couleur préférée de Néron : « Il aime s’habiller de vert, collectionne les émeraudes, soutient l’écurie verte dans les courses de chars et, en matière de cuisine, se délecte des poireaux. »

     

    Dans la liturgie chrétienne, le vert est une couleur « moyenne » portée par le célébrant pour les jours ordinaires, moins solennelle que le blanc, le rouge et le noir. Bien que Pastoureau se limite à l’histoire des couleurs en Occident, il ne peut passer sous silence l’élection du vert comme couleur de l’islam : couleur toujours positive dans le Coran, le vert est aussi celle du turban de Mahomet et par la suite celle de ses descendants. A partir du XIIe siècle, il prend une valeur politique en réunissant tous les peuples arabes de l’islam. Et peut-être son absence dans les emblèmes des croisés a-t-elle contribué à sa promotion dans le camp adverse. 

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    "Al-Khidr", figure du Coran, miniature mongole (XVIIIe siècle), détail. Rampur, collection particulière.

    Le vert, couleur de la nature, est depuis longtemps associé au jardin, au verger, au printemps. Et en particulier le premier mai, jour où il faut « s’esmayer », « c’est-à-dire planter le mai pour fêter l’arrivée du plus beau mois de l’année ». C’est donc au Moyen Age la couleur de la jeunesse, de l’amour et de l’espérance, mais aussi de l’inconstance et de la frivolité. Frau Minne, déesse de l’amour dans la poésie lyrique de langue allemande, porte souvent une robe verte. Dans ce monde courtois germanique, le tilleul est l’arbre de l’amour, avec ses feuilles en forme de cœur, et offrir un perroquet vert, un geste amoureux.

     

    Les jeunes filles à marier portent du « vert, j’espère » ; une fois mariées, les femmes portent souvent du vert pour signaler l’attente d’un heureux événement, comme dans la célèbre toile de Van Eyck, Le Mariage Arnolfini. Saviez-vous que le vert est la couleur de Tristan ?  Son destin tragique fait la transition vers le côté maléfique de la couleur de plus en plus ambivalente : « d’un côté, le bon vert, celui de la gaîté, de la beauté, de l’espérance, (…) de l’autre, le mauvais vert, celui du Diable et de ses créatures, des sorcières, du poison ». 

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    Jean Van Eyck, Le Mariage Arnolfini (1434). Londres, The National Gallery.

    Au XVIe siècle, le règlement interdit aux teinturiers de mélanger le jaune et le bleu, leur spécialisation selon les couleurs et selon les matières textiles est stricte. Les mélanges sont jugés démoniaques et les « tricheurs » sont mal vus. En français, on rapproche « teindre » et « feindre » ; en anglais, « to dye » (teindre) et « to lye » (mentir).  Les teintures produisent soit du « vert gai » (joyeux, vif) soit du « vert perdu » (pâle, fané). Le vert, chimiquement instable, ne tient pas bien.

     

    Vert. Histoire d’une couleur étudie les usages, les codes, les procédés de teinture et bien sûr la symbolique. Dès la fin du Moyen Age, le vert est la couleur de l’argent, de l’avarice. Les tables de jeux se couvrent d’un tapis vert, « couleur qui symbolise tout ensemble le hasard, l’enjeu, la mise et l’argent que l’on va gagner ou perdre. » Il fait par ailleurs son entrée dans le blason où on le nomme « sinople ». 

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    Le prophète Osée. Verrière haute de la nef de la cathédrale d'Augsbourg, vers 1110-1120.

    Michel Pastoureau parle du « chromoclasme protestant » (rejet des couleurs voyantes) ; du vert des peintres, d’abord issu de matières naturelles puis du mélange de jaune et de bleu ; d’Alceste que Molière appelle « l’homme aux rubans verts »… La diversité des entrées entretient l’intérêt tout au long de cette étude riche en anecdotes. La couleur verte y est abordée dans son ambivalence – toxique ou protectrice – et aussi en rapport avec les autres couleurs, notamment comme la complémentaire du rouge (les feux de circulation ne sont pas oubliés).

     

    Le vert était la couleur préférée de Goethe, de Napoléon, mais il a fallu attendre le XXe siècle pour qu’on le considère en général comme une couleur apaisante et associée à la santé (blouse du chirurgien, croix des pharmacies…). Si presque une personne sur deux, en Occident, préfère le bleu, le vert a tout de même la faveur d’une personne sur cinq ou sur six (c’est davantage que pour les autres couleurs). Moins de dix pour cent des personnes le détestent, certaines continuent à lui attribuer un côté « vénéneux, funeste, maléfique ». 

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    Félix Vallotton, Le Ballon (1899). Paris, musée d'Orsay.

    A notre époque, la défense des espaces verts et de l’environnement a sans doute contribué à en faire une couleur sage, le plus souvent positive : le vert est « sain, tonique, vigoureux », « libre et naturel », « riche de multiples espérances, tant pour l’individu que pour la société ».