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Art - Page 111

  • Flora au Civa

    « Le « new Civa » évoque fleurs et Art nouveau » : l’article de Guy Duplat dans La Libre Belgique m’a conduite à la rue de l’Ermitage (Ixelles) admirer « Flora’s Feast, le motif floral dans l’Art nouveau », un titre anglais emprunté à Walter Crane, grand illustrateur du mouvement Arts and Crafts. La nouvelle Fondation Civa (qui réunit à présent les Archives d’Architecture Moderne, la Bibliothèque René Pechère, le Fonds pour l’architecture, le Centre Paul Duvigneaud) y offre une jolie exposition (entrée libre) à ne pas manquer pour les amoureux de l’art et du patrimoine bruxellois, ou des fleurs, tout simplement.

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    On est accueilli par les superbes photos grand format du photographe liégeois Matthieu Litt (présentées en 2015 aux Halles Saint-Géry) : pivoine, anémone, pavot et autres vedettes des jardins posent sur un fond blanc, sous leur nom latin. Au mur, près d’une série de chromolithographies pour la Revue de l’Horticulture belge et étrangère (années 1880), un bel ensemble permet de comparer des dessins botaniques et la stylisation raffinée des mêmes fleurs dans les décors Art nouveau.

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    A travers les estampes, les éventails peints, les bibelots, la mode du japonisme a aussi contribué à renouveler les sources d’inspiration dans les arts décoratifs européens. La nature et les fleurs occupent une place privilégiée dans l’esthétique japonaise. Nature et culture s’y nourrissent l’une de l’autre, loin des conventions académiques, et les artistes de l’Art nouveau y trouvent « un champ d’exploration formel » (Guy Conde-Reis, La fleur au Japon, catalogue).

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    Une photographie d’une aiguière « Pivoines » en argent (de l’orfèvre Philippe Wolfers) voisine avec la présentation sur tréteaux de différents documents iconographiques : chaque table est consacrée à un seul type de fleur et à ses déclinaisons sur les façades de bâtiments bruxellois Art nouveau. Juste en face du Civa, à travers les baies vitrées, on aperçoit de très beaux sgraffites « magnolia » au-dessus des fenêtres d’une maison particulière, fraîchement restaurés.

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    Panneaux, cimaises, tréteaux, vitrines, rien d’uniforme dans cet espace d’exposition. Ça et là des objets : un fauteuil de Victor Horta, exposé à Turin en 1902, se trouvait dans sa véranda, tourné vers le jardin. Le plus célèbre des architectes belges de l’Art nouveau dessinait aussi des meubles, luminaires, vitraux, et tous les détails d’un intérieur. Ici, le fauteuil est présenté devant des croquis de fleurs dont les courbes et les formes déliées stimulaient sa créativité. Sur la photo de lui dans ce fauteuil, on retrouve les lignes végétales jusque sur le sol.

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    Le musée Horta a prêté aussi un grand vase en cristal monté sur bronze « à décor de feuilles de marronnier gravées ». J’ignorais que les premières graines de marronnier d’Inde ne sont arrivées en Europe qu’au XVIe siècle. Le roi Léopold II aimait particulièrement les marronniers et leurs fleurs pyramidales, il en a fait planter sur les grands axes de la capitale belge. Leurs feuilles palmées serviront souvent de motif dans la ferronnerie Art nouveau ou encore en arrière-plan dans les sgraffites de Privat-Livemont.

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    Soliflores du Val-Saint-Lambert, affiches publicitaires, couvertures de revues, dessins préparatoires (pour des façades, plafonds, balcons, mosaïques, tapis…), l’exposition montre à quel point le motif floral a inspiré toute une génération de créateurs : les architectes Paul Hankar, Henry van de Velde, Ernest Blérot, les décorateurs Adolphe Crespin et Privat-Livemont, entre autres.

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    Même les cinéastes de la Belle Epoque s’en inspiraient pour de petits films muets « délicieux », comme l’écrit Guy Duplat, prêtés par la Cinematek : de jeunes femmes y composent des tableaux vivants et fantaisistes où les fleurs surabondent, la danseuse Loïe Fuller dessine avec ses voiles d’éphémères corolles sur scène.

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    Une citation de Maeterlinck invite à monter l’escalier vers le « cabinet des orchidées » : on peut y admirer de beaux dessins d’Alphonse Goossens accrochés sous une citation empruntée à Proust (vous vous souvenez des catleyas dans Un amour de Swann) et des objets inspirés par ces fleurs précieuses, « manifestations les plus parfaites et les plus harmonieuses de l’intelligence végétale » (Maeterlinck, L’intelligence des fleurs, 1910).

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    Une fenêtre intérieure y donne une belle vue d’ensemble sur l’exposition, visible à la Fondation Civa jusqu’en octobre prochain. Un très beau catalogue, avec une orchidée blanche en couverture, permet de prolonger chez soi cette promenade chatoyante au royaume de Flora, « Flora’s Feast », de fleur en fleur.

  • Voyager

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    « Voyager, c’est travailler l’être, c’est le soumettre volontairement à l’épreuve de la remise en question permanente, c’est se condamner à élargir sans cesse ses limites. « C’est indispensable de voyager pour ouvrir les idées », écrit-il avec un reste de juvénilité à ses parents adoptifs. Et en effet, on ne peut imaginer l’œuvre de Staël sans ses déplacements qui ont dessiné assez nettement les contours de son évolution picturale. »

    Stéphane Lambert, Nicolas de Staël. Le vertige et la foi

     

     

  • Au vertige de Staël

    Entre récit et essai, Stéphane Lambert propose dans Nicolas de Staël. Le Vertige et la Foi (2015) une réflexion pénétrante sur la création, la peinture, le suicide. Avertissement : « Ce texte ne saurait être considéré comme une biographie, mais comme une évocation subjective de la vie et de l’œuvre de l’artiste Nicolas de Staël, un trait d’union entre l’essai et la fiction. »

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    Dans « Tableau 1 : la nuit désaccordée », l’auteur  nous fait entrer sans préambule dans une pensée en cours (ni majuscule en début de paragraphe, ni point à la fin) : « combien de temps cela allait-il encore durer, il se le demandait, chaque matin, ce rocher à gravir, pour espérer revoir la lumière. Espérer. Chaque jour, espérer. » Cherche ce qui taraude Nicolas de Staël sur la route du retour à Antibes, qui se reproche peut-être cet aller-retour à Paris où il a assisté à un concert : « Schönberg. Webern. Ou l’inverse. Il ne savait plus dans quel ordre il les avait entendus. » Quelques jours plus tard, il se suicide, le 16 mars 1955.

    Revoir Jeanne, un grand rectangle à peindre tandis que La Cathédrale sèche, voilà ce qui le fait tenir encore debout. « Et toute création qui tienne est le fruit de l’équilibre trouvé entre la foi et le vertige. Ou plutôt – entre le vertige et la foi. L’ordre des mots était important. Car le vertige, ce me semble, est mon plus vieux compagnon. » Stéphane Lambert reviendra plus loin sur le sens de ces deux mots clés choisis pour le titre.

    Environ soixante ans après sa mort, l’auteur se tient au plus près du peintre à l’atelier dans une ancienne batterie du cap d’Antibes. « Peindre avait toujours été une manière de vaincre son instinct destructeur, de détourner vers l’œuvre cette énergie sauvage, la rage qu’il avait en lui. » Imaginant son état d’esprit : « Plus on devient soi et plus on devient seul. »

    Solitude et insatisfaction, désir de renouvellement continu, telle est la voie de Nicolas de Staël, peu fait pour la vie ordinaire. Conquérant, il a séduit au Maroc une femme mariée, peintre, Jeannine Guillou, en une semaine (elle est morte dix ans avant lui). Jeanne, dont il est amoureux, l’a fui à Grasse. L’argent que lui procure le succès, obtenu de haute lutte, le gêne, mais lui permet d’acheter en 1953 le castelet de Ménerbes « pour les enfants » (dont Anne, fille de Jeannine, qui signe la préface de ce livre, « Une pensée en archipel »).

    Stéphane Lambert évoque la jeunesse du peintre à Bruxelles : né à Saint-Pétersbourg en 1914, il a perdu ses parents peu après leur fuite hors d’URSS en 1919, orphelin à six ans. Ses sœurs et lui sont accueillis chez les Fricero, à Uccle, qui s’opposeront à son ambition artistique. Mais Géo de Vlaminck, son professeur à l’académie, le soutient et l’encourage. (Je vous rappelle la belle biographie de Laurent Greilsamer, Le Prince foudroyé – La vie de Nicolas de Staël.)

    « Tableau 2 : la nuit transfigurée » s’ouvre sur la dernière toile (dite inachevée) peinte avant de se jeter dans le vide : Le Concert, trois mètres cinquante sur six mètres, un « océan de rouge ». L’atelier au sol rouge, l’enfermement, les meurtrières – la mort est proche, qui le conduira à 41 ans au cimetière de Montrouge (Paris) près de Jeannine décédée à 36 ans d’un avortement thérapeutique. Lambert s’interroge sur le « mais » de la notice du cimetière : « Coloriste raffiné mais plasticien audacieux ».

    L’auteur a commencé par aller sur la tombe de Nicolas de Staël, par mettre ses pas dans les siens rue Stanley à Uccle, pas loin de chez lui, attiré par cet artiste tourmenté par des questions existentielles. Attentif à ses voyages (Espagne, Maroc, Sicile), il interroge les photographies et visite les lieux qui ont compté pour cet homme qui écrivait à 23 ans déjà dans une lettre : « Ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine. »

    Publié sans illustrations, le texte de Stéphane Lambert est une plongée au cœur de deux mystères : l’art et la mort. La foi – « force qui anime », « certitude de devoir créer » – sera ici vaincue par le vertige « perte de confiance », doute, « appel de la mort ». L’équilibre entre les deux est la « clef de voûte » de la création.

    S’il vient de faire paraître un livre sur Beckett, Stephane Lambert a déjà écrit sur deux autres peintres : L’adieu au paysage : les nymphéas de Claude Monet (2008) et Mark Rothko. Rêver de ne pas être (2011). Il rapproche même Rothko et Staël, si dissemblables. Fasciné par ces grands artistes, il confie : « Dans ce monde gouverné par la croissante agitation et la valorisation de la médiocrité, il me restait la compagnie des grands morts, et les mots pour m’y relier. »

  • Varda d'Ixelles

    Les plages d’Agnès et un film sur Agnès Varda vu à la télévision m’ont conduite à son exposition en cours au musée d’Ixelles : « Patates et compagnie ». Que cache ce titre saugrenu ? Une installation, Patatutopia : sur la scène au fond de la grande salle, le sol est couvert de pommes de terre sous trois grands écrans où défilent des images de patates qui roulent, qui germent, qui prennent la pose – en particulier celles qui se dédoublent en forme de cœur. La prédilection de l’artiste pour celles-ci se confirme sur des photographies à l’étage. Elle va même jusqu’à se représenter en costume de patate !

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    A 87 ans, la cinéaste est revenue à Bruxelles où elle est née et a passé son enfance pour célébrer sa mère, la terre, la mer et les étangs d’Ixelles. « La terre nous offre des pommes de terre... qui sont devenues thèmes de mon travail, surtout quand elles ont des formes de cœur. Elles ont vieilli, se sont ratatinées et pourtant poussent encore en germes et radicelles. Patatutopia célèbre leur résistance. C’est utopie de penser que, parmi les légumes et les fruits, elles sont modestes et pourtant les plus belles et les plus vivantes du monde. »

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    A l’entrée, trois montages photos en guise d’autoportraits, puis tout de suite un hommage à sa mère dont elle a réuni divers objets, des jouets, des meubles dans une sorte de petit salon de la mémoire, avec un grand paravent couvert de photos personnelles et d’images anciennes. Sous une vitrine, des gants, un collier, des papiers – autel maternel. Le plus drôle, c’est le tricotin retrouvé, ici présenté sous une cloche de verre ; elle l’a fait agrandir en préservant ses formes et ses couleurs en Tricotine de plus de deux mètres (fabriquée par Christophe Vallaux) d’où sort un long rouleau de laine colorée qui serpente.

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    Au milieu de la salle, une installation sous plastique mime en réduction les étangs d’Ixelles et les petits bassins du jardin de son enfance avec feuilles mortes, pont et pigeonnier. D’un côté de la salle, de grandes photographies noir et blanc de personnes qui marchent (Chine, France, Portugal…) ; de l’autre, en couleurs, des piquets sur une plage et la plus surprenante de ses photos : Cinq rêveurs, des hommes nus (elle aime les photographier dans la nature) debout sur ces piquets de plage et contemplant l’horizon.

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    A l’étage, des « photogrammes » tirés d’un extrait de Sans toit ni loi, avec Sandrine Bonnaire, qu’on peut visionner. Sur le palier, je me suis assise pour prendre les écouteurs et regarder Ulysse : la photographie noir et blanc d’un enfant, d’un homme de dos, tous les deux nus, et d’une chèvre morte sur les cailloux au pied d’une falaise à Saint Aubin sur mer (« un sujet en or », dit-elle) lui a inspiré un film qui revient sur cette photo. Elle explique où elle l’a prise, les circonstances, elle interroge l’homme et l’enfant, bien des années après, sur le souvenir qu’ils en ont. (En ligne sur Vimeo.)

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    La voix d’Agnès Varda traverse l’espace (le film sur sa visite dans leur ancienne maison à Ixelles passe sur un écran), et des chants d’oiseaux, de temps à autre. Son univers singulier s’expose ici de manière plutôt anecdotique, c’est celui d’une terrienne attentive à l’histoire et aux choses ordinaires, une femme imaginative qui aime intervenir dans un paysage, dans un décor banal pour y capter ou y faire surgir quelque chose d’inattendu.

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    A l’autre bout du musée, une exposition très différente : « AB.ad. » de Jean-Marie Bytebier. Cet artiste belge (né en 1963) montre ici des peintures à trois composantes : à première vue, des paysages (du ciel bleu au-dessus de la verdure, une ligne d’horizon), mais de plus près, en examinant la surface parfois bordée de bois apparent, on a l’impression d’espaces abstraits inspirés de lieux déserts, inhabités, la nature sans les hommes. J’ai cru apercevoir un profil d’homme dans une toile tournée à 45°.

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    Dans cette peinture contemplative, la lumière joue le premier rôle : celle du soleil – une atmosphère de beau temps – et aussi celle des spots, qui découpent sur l’une ou l’autre œuvre un rectangle fortement éclairé, comme pour appeler à s’en rapprocher, à suivre sur le grain de la toile ce que les pinceaux y ont déposé. L’impression d’ensemble est sereine, mais respire aussi la solitude, le silence, voire l’inquiétude. 

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    Pas de texte dans le catalogue ni sur le site du peintre, mais l’entretien vidéo qu’on peut suivre à l’entrée de « AB.ad. » permet de se familiariser un peu avec lui (les réponses de l’artiste gantois sont sous-titrées en français). Deux phrases notées au vol : « Le paysage offre une voie vers l’abstraction. » « Je recherche des lieux pour les couleurs. »

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    Vous pouvez visiter ces expositions jusqu’au 29 mai au musée d’Ixelles .