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Le bal de Grannec

Quel roman foisonnant que Le bal mécanique de Yannick Grannec ! Il s’ouvre sur une équipe de télé-réalité américaine au travail, il se ferme sur la contemplation d’un paysage et entre-temps, sur plus de cinq cents pages, relate des séquences de vies. De Josh Schors, animateur de télévision à Chicago, à son père Carl, peintre à Saint-Paul-de-Vence, pour le présent. De Théodor Grenzberg, marchand d’art entre Allemagne et Suisse, à l’effervescence dune étudiante au Bauhaus, pour le passé. Qu’est-ce qui relie véritablement ces trois hommes ? C’est le fil conducteur du roman, où apparaissent de beaux personnages de femmes.

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Tisserandes, Dessau, Ecole du Bauhaus, 1927 | Photographe Lux Feininger

« Un siècle, une famille, l’art et le temps », annonce la quatrième de couverture. Le récit affiche sa mécanique romanesque : chaque séquence porte en titre trois éléments (prénom, lieu, année) et en épigraphe la légende d’une œuvre d’art (titre, artiste, année, technique). Tantôt à la première personne, tantôt à la troisième. Narration, dialogue, correspondance. Voilà pour le cadrage.

L’émission « Oh my Josh ! » propose à une famille candidate de vider sa maison et de la rénover en une semaine. Durant les travaux, ses habitants sont logés dans un hangar aménagé et interrogés sur leurs attentes : « Une famille qui postule à OMJ ! demande à être sauvée d’elle-même. » Cela fait huit ans que Josh fabrique ce programme avec sa femme Vikkie et son équipe, chaque émission est un défi : il faut préserver l’effet de surprise, prévoir et maîtriser les réactions des candidats, en tirer deux séquences télégéniques de trois quarts d’heure.

A Saint-Paul-de-Vence, Carl Schors, 85 ans, son père, vit dans une maison au décor minimaliste, où chaque objet est choisi. De la terrasse, il contemple la vue sur les collines et le cap d’Antibes. Il rouspète quand Aline, sa gouvernante, ne replace pas les pieds de son fauteuil exactement sur les marques au sol. Un article de magazine retient son attention : « Cornelius Gurlitt et le trésor nazi ». Dans la liste des œuvres spoliées pas encore restituées figure un portrait d’homme par Otto Dix, celui de Theodore Grenzberg : « Grenzberg », un nom qu’il n’a plus prononcé depuis longtemps, un nom qui « fut le sien ». Il va contacter son avocat à Chicago.

Considéré par son père comme « un opportuniste », voire « un escroc », Josh s’est inspiré pour son émission du catalogue Ikea. La maison des Carter où ils filment la première étape, « la Purge », révèle un intérieur vieillot, à part la chambre de Jane, leur fille, impatiente de « se tirer de cette baraque ». Vikkie est uniquement « la Voix » de l’émission, elle n’y apparaît pas. Psychologue de formation, elle a mis au point un schéma de psychogénéalogie qu’ils appellent le « Diagramme de Dickens » pour cerner les personnalités des candidats et les liens entre eux.

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Paul Klee, Blanc polyphoniquement serti, 1930,
plume et aquarelle
© Centre Paul Klee, Berne 

Josh Schors ne s’est guère intéressé à ses propres origines : son père Carl a été adopté par David et Ethel Schorsmann en 1940, à qui ses parents l’avaient confié « la mort dans l’âme ». Mais Vikkie est enceinte de trois mois et quand sa belle-mère Mina, toujours soucieuse de Carl malgré leur divorce, les appelle pour dire son inquiétude – Carl lui a téléphoné en pleine nuit, bouleversé –, elle désire en savoir davantage sur les ancêtres du futur bébé qu’ils appellent entre eux « la Chose ». Les recherches de l’avocat sur les Grenzberg font apparaître un nouveau nom : Magdalena Grenzberg. Qui est-elle ?

En studio, les Carter déçoivent, peu réactifs. L’équipe décide de déclencher une crise pour faire avancer les choses et Vikkie découvre que la mère a menti sur leurs motivations. En réalité, c’est leur fille qui voulait être sélectionnée, devenir célèbre grâce à l’émission et gagner assez d’argent pour se refaire le nez. Ce tournage compliqué leur donne du fil à retordre.

Dans ses moments libres, Vikkie cherche sur internet des traces de Magdalena et finit par trouver une « Magda Grenz » étudiante au Bauhaus, photographiée avec d’autres étudiantes, « les Tisserandes » : elle a les mêmes yeux clairs que Josh. Magda devient son obsession, tandis que Josh prépare le retour des Carter dans leur « nouveau foyer » : « Ils feindront d’être surpris. Je feindrai d’être triomphant. La lumière sera belle. » Le triomphe de Vikkie, ce sera de découvrir que Grenzberg et Klee étaient amis, Klee était même le parrain de Magda. « Le bal mécanique », une toile qu’il a offerte à Théo, reste introuvable.

En seconde partie, Grannec remonte jusqu’en 1901, quand Théodore Grenzberg décide d’abandonner ses études de médecine pour l’histoire de l’art, quitte Munich pour Paris, et travaille pour Vollard. On découvre alors la destinée de ce marchand d’art, son mariage avec Luise, une riche héritière excentrique, sa rencontre avec Paul Klee, la naissance de Magdalena. Années 1910, 1920, 1930… Les années du Bauhaus se terminent avec la montée du nazisme et c’est à travers l’histoire de Magda Grenz que Yannick Grannec les raconte. Magda veut être libre, créer, être heureuse, y arrivera-t-elle ?

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Paul Klee et son chat Bimbo (source)

Le bal mécanique mêle si bien personnages réels et fictifs qu’on a l’impression qu’ils ont tous existé. Le découpage du récit en séquences semble parfois forcé, les deux parties sont très différentes, d'ailleurs intitulées Livre I (Un coeur imparfait, Karl et Josh) et Livre II (La matrice de métal, Théo et Magda). Quand il revient au présent, tous les liens entre les personnages auront été retissés, la romancière pourra conclure. On sort de ce roman avec le sentiment d’avoir participé à un grand jeu de construction où l’art, plus qu’un contexte pour des personnages en quête d’accomplissement, est en réalité son sujet principal.

Commentaires

  • J'ai préféré la partie 1 et ses personnages fictifs, pour la partie 2 je me suis ennuyée même si en apprendre sur le Bauhaus était intéressant (mais boaf, pour l'histoire elle-même, on savait déjà presque tout)

  • Il m'a aussi semblé que cette structure en deux parties était bancale. En revanche, la vie de Magda au Bauhaus et sa complicité avec Klee m'ont tout de même intéressée. Pour info, j'ajoute le lien vers ton billet : http://enlisantenvoyageant.blogspot.be/2016/10/le-bal-mecanique.html

  • j'ai bien aimé son premier roman mais les critiques de celui ci étaient moins bonnes du coup j'ai hésité

  • J'ai beaucoup aimé ce roman lu il y a quelques mois déjà. Le découpage en deux parties est, je trouve, particulièrement intéressant dans la construction du récit car cela fait réfléchir sur ce qu'est la fiction, le roman, les personnages.... J'avais lu passionnément le premier, la déesse des petites victoires et je suis sûre que je lirai dès sa parution le troisième roman de cette auteure.
    Bonne journée. A très vite.

  • J'hésite beaucoup parce que j'ai été un peu déçue par son premier roman "La déesse des petites victoires". La construction en deux parties m'a paru inégale et là elle reprend le même principe.

  • ça a l'air intéressant, même la deuxième partie puisque moi je ne connais pas grand-chose au Bauhaus ;-)

  • @ Dominique : A toi de voir. Ce roman m'a beaucoup plu dans l'ensemble.

    @ Bonheur du Jour : Oui, la structure en deux volets est intéressante, la première dominée par le présent, la seconde par le passé. Ce qui m'a gênée plus précisément dans la seconde partie, c'est d'y retrouver le même découpage en séquences même quand celles-ci se suivaient et concernaient le même personnage (je n'ai plus le livre pour en donner un exemple) et de ne voir réapparaître les protagonistes du début que tout à la fin (troublante à certains égards). Mais c'est secondaire par rapport aux thématiques du roman, les relations intrafamiliales, y compris la recherche des origines, et la création artistique, l'histoire du XXe siècle. Je vais aller relire votre billet. A très bientôt.
    http://bonheurdujour.blogspirit.com/tag/le+bal+m%C3%A9canique

    @ Aifelle : Comme j'ai répondu ci-dessus, les deux parties sont d'un intérêt égal, c'est le rythme du récit par séquences qui m'a parfois semblé forcé. Sinon il est passionnant, plus sans doute pour qui s'intéresse à l'art et au Bauhaus.

    @ Adrienne : N'hésite pas, ce roman est très riche et vaut la peine d'être lu.

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