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  • Du logement pour tous

    Une nouveauté au programme des estivales 2021 : « 150 ans de logement ouvrier et social en 1000 mètres : de la Cité de Linthout aux réalisations contemporaines des anciennes casernes Dailly en passant par un complexe Art nouveau ». Le dimanche 25 juillet, le rendez-vous était donné avenue de Roodebeek (en face de la salle de ventes Horta). A l’entrée de la Cité ouvrière de Linthout, Bénédicte Verschaeren, notre guide du jour, distribuait récepteurs et oreillettes – selon le protocole sanitaire.

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    Je n’étais jamais entrée dans cette cité dont les pavillons construits en 1869 ne sont pas visibles de l’avenue où les deux grands immeubles Art Déco de cinq niveaux à l’entrée de l’impasse datent de 1937 et 1939 (dates en haut des angles arrondis, ci-dessus). Avec les deux arbres, ils marquent bien l’entrée actuelle. A l’origine, la Société anonyme des Habitations ouvrières dans l’Agglomération bruxelloise a fait construire ici douze des dix-huit maisons prévues, chacune comprenant quatre logements et un jardin privatif. Il n’en reste que six, les autres ont été détruites pour ériger des immeubles à appartements.

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    C’est à Mulhouse, vers 1850, que le patron d’une usine textile fait édifier des maisonnettes pour quatre familles, un modèle qui sera imité jusqu’en Finlande ! Les pavillons de Linthout sont bâtis en briques de part et d’autre de ruelles piétonnes de trois mètres de large, bordées de murets, en intérieur d’îlot. Du côté de la rue Général Gratry, parallèle à l’avenue de Roodebeek, d’autres immeubles ont été érigés dans les années 1930.

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    Nous faisons le tour de la Cité, dans une agréable atmosphère campagnarde inattendue en ville, avec toute cette verdure autour des maisons de briques peintes en blanc et rénovées. Certaines comportent deux niveaux et demi. Appentis, potager… Quel grand progrès dans les conditions de vie des ouvriers ! La Cité de Linthout, avec citernes d’eau et égoûts, n’a plus rien à voir avec les taudis des impasses surpeuplées du XIXe siècle,

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    Notre guide trace à la craie sur le trottoir un rectangle de 2 m 18 sur 4 m puis, à l’intérieur, un autre de 2 m sur 1 m 50 pour le lit, puis une table, deux chaises, un poêle en biais dans un angle, une armoire. C’était l’espace, avec plafond en pente mansardée dans le grenier, où vivait une famille de 5 enfants ! Voilà ce que révélait une enquête de 1930 (si j’ai bien noté). Pas d’accès à l’eau, des lits pliables pour les enfants, deux WC pour cinquante personnes – la misère et une absence d’hygiène propice aux épidémies et aux révoltes.

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    Quelques dates repères : 1866, choléra ; 1885, naissance du Parti Ouvrier belge devenue le Parti Socialiste ; 1886, révolte ouvrière à Roux ; 1893, passage du vote censitaire au vote plural ; 1919, naissance de la Société Nationale des logements sociaux. Il était de l’intérêt de tous d’améliorer la santé des ouvriers en leur permettant de vivre dans des logements décents.

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    Avenue de Roodebeek, nous passons devant deux belles façades Art nouveau dessinées par l’architecte Henri Jacobs, celles de l’école n° 13 et de l’athénée Fernand Blum (ci-dessus), sans nous attarder. Juste en face, nous empruntons la longue rue Victor Hugo. « En 1899, le Foyer Schaerbeekois [fondé au début de cette année-là] acquiert une bande de terrain de 240 mètres de long du côté impair de la rue, s'étirant approximativement du n° 53-55 au n° 119 » (Inventaire du Patrimoine architectural rebaptisé « monument.heritage.brussels »)

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    Bénédicte Verschaeren rappelle la loi du 9 août 1889 en vue d’assainir les habitations ouvrières existantes et d’en créer de nouvelles, de promouvoir l’accès à la propriété pour les travailleurs. A l’époque, l’accès au logement social est associé à une morale familiale – comme l’obligation d’épargner (des taux d’emprunt très bas leur sont proposés par la CGER) ou l’incitation à éviter les cafés et les cabarets.

    Devant une enfilade de maisons mitoyennes datant de 1902, nous observons les petites différences entre elles : portes, fenêtres, jeux de briquettes, tours de fenêtres, corniches, caches des trous de boulin (de petits carrés de fonte bouchent ces orifices sous les corniches, destinés au placement de traverses pour des échafaudages). Ces maisons accueillaient un, deux ou trois ménages.

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    Plus loin, des slogans en sgraffite de style Art nouveau, en français et en néerlandais, attirent l’attention sur ce que l’on attend des occupants : « Sois actif », « Sois propre », « Sois économe », « Pour tous ». On fait appel à la responsabilité de l’ouvrier pour maintenir l’ordre et la propreté. A nouveau, on peut remarquer les différences en façade, quatre couleurs de briques et des décors variés. A côté, une porte plus récente porte un monogramme en fer forgé du Foyer Schaerbeekois.

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    En prenant à gauche la rue du Radium, nous voilà près du dernier site de ce parcours, derrière l’ancienne et toujours imposante caserne Prince Baudouin construite en 1894 (plus couramment caserne Dailly, d’après le nom de la place), que la Défense a quittée en 1970. Elle a été rachetée par un Fonds de Logement et son sort, longuement discuté. Finalement, un compromis a été trouvé. Seul le bâtiment principal est conservé, les ailes et l’arrière sont détruits. Le théâtre de la Balsamine qui s’y était installé est doté d’un nouvel espace recouvert de bois : « Un théâtre, c'est une boîte fermée un peu magique et qui fait rêver. » (Site des architectes MA2)

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    Dans les nouvelles rues Mariën et Scutenaire (deux surréalistes belges) créées en 2000 sur le terrain libéré à l’arrière, on construit des logements sociaux modernes et du logement privé.

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    On aménage un petit parc avec un espace de jeux. Ses grilles en acier galvanisé sont dues au sculpteur-ferronnier Jean-Marie Mathot.

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    Quand on regarde les façades des nouveaux logements de la rue Scutenaire, certains claustras donnent l’impression d’enfermer, surtout à l’angle de l’avenue Charbo où des rondins en bois passent même devant des fenêtres ! « Des logements sociaux dans une cabane en bois », une « architecture originale inspirée par un petit parc du quartier Dailly rue Scutenaire » (IEB).

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    Bénédicte Verschaeren en connaît un rayon sur le sujet. Après cette promenade à la découverte de l’histoire des logements sociaux à Schaerbeek très réussie (la pluie a même attendu la dispersion des participants), j’ai trouvé deux articles intéressants de cette guide bruxelloise en ligne : « Vivre un quartier et comprendre d’où il vient » (Bruxelles-Environnement) et « Le cimetière, un lieu culturel qui peut aussi ouvrir à la rencontre interculturelle » (Collectif Alpha de Molenbeek).

  • Mystérieusement

    zweig,le joueur d'échecs,roman,nouvelle,littérature allemande,jeu,échecs,psychologie,société,cultureM. B. : « On dirait que dans notre cerveau agissent des forces mystérieusement régulatrices, qui savent neutraliser ce qui pourrait accabler et menacer notre âme, car à chaque fois que je voulais repenser à l’époque de ma cellule, mon esprit s’obscurcissait en quelque sorte ; ce ne fut qu’après plusieurs semaines, en fait seulement ici, sur ce bateau, que je retrouvai le courage de me remémorer ce qui m’était arrivé. »

    Stefan Zweig, Le Joueur d’échecs

  • Le joueur de Zweig

    La lecture du Joueur d’échecs de Stefan Zweig (Schachnovelle, traduit de l’allemand par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent), m’a été maintes fois conseillée. Ne jouant pas aux échecs, je pensais à tort que ce serait un handicap. Cette longue nouvelle (une centaine de pages) est la dernière œuvre de l’écrivain, publiée après son suicide en 1942. Du Brésil où il s’était installé, Zweig avait écrit à son ex-femme en septembre 1941 : « J'ai commencé une petite nouvelle sur les échecs, inspirée par un manuel que j'ai acheté pour meubler ma solitude, et je rejoue quotidiennement les parties des grands maîtres. »

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    © Elke Rehder : une des six gravures sur bois pour Le joueur d’échecs de Stefan Zweig
    (Trele / Wikimedia commons)

    On embarque dès la première page sur un paquebot « qui à minuit devait quitter New York à destination de Buenos Aires ». Un ami en train de causer sur le pont-promenade avec le narrateur lui apprend que la célébrité qui attire les reporters juste avant le départ est un « oiseau rare », Mirko Czentovic, champion du monde des échecs, et il lui raconte sa vie.

    Ce fils d’un pauvre batelier yougoslave confié après sa mort au curé de son village, rétif aux apprentissages scolaires, ne manifestait de bonne volonté que pour les tâches manuelles. Un soir où, en plein milieu d’une partie d’échecs avec le brigadier de gendarmerie, le prêtre avait été appelé chez un paysan pour donner l’extrême-onction à sa mère, le brigadier avait remarqué le regard concentré de Mirko sur l’échiquier et proposé « en blaguant » de terminer la partie. Mirko l’avait battu.

    Le curé aussi est battu par le « blondinet de quinze ans » qui fait sensation partout. Un vieux comte passionné d’échecs débourse des fonds pour que Mirko développe sa technique – Czentovic était lancé et battait tous ses adversaires. Curieux d’en apprendre plus sur la psychologie du champion, le narrateur cherche à entrer en contact. Mais « dissimulé derrière son insondable étroitesse d’esprit, ce paysan roublard a la grande intelligence de ne pas montrer ses faiblesses ». Il évite les gens cultivés, reste dans sa cabine.

    Pour attirer son attention, le narrateur qui joue à l’occasion aux échecs, s’installe devant un échiquier avec sa femme dans le « smoking room » ; bientôt, un ingénieur écossais, McConnor, enrichi grâce à des forages pétroliers en Californie, se propose comme partenaire. Le « self-made-man » ne supporte pas la défaite, il lui faut chaque fois une revanche. Le troisième jour, Czentovic les observe à distance, puis s’éloigne. Informé alors de la présence d’un « Maître » à bord, McConnor veut absolument jouer contre lui.

    Quand il lui propose une partie, le champion d’échecs invoque son contrat : il ne peut jouer durant sa tournée sans demander des honoraires, au moins deux cent cinquante dollars la partie. McConnor est prêt à payer, le rendez-vous fixé. McConnor et tous les autres seront battus, comme on pouvait s’y attendre, jusqu’à ce qu’un nouveau personnage, un « monsieur d’environ quarante-cinq ans », au visage « en lame de couteau » et au teint très pâle, intervienne de façon inattendue.

    Alors que le champion d’échecs était au centre de l’attention  jusqu’au milieu du récit, cet autre homme attire à présent toute la curiosité du narrateur. C’est son histoire, celle que lui raconte cet avocat autrichien arrêté par des hommes de la SS en 1938, que Stefan Zweig déroule ensuite dans Le joueur d’échecs, donnant au titre une nouvelle résonance, et à sa dernière œuvre, une portée beaucoup plus profonde.