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langue française

  • Voilà comment

    dalembert,avant que les ombres s'effacent,roman,littérature française,pologne,allemagne,france,haïti,nazisme,exil,réfugiés,juifs,langue française,famille,culture« Voilà comment, trois mois après son arrivée, le Dr Schwarzberg brûla son dossier de demande de résidence aux Etats-Unis, sans en toucher mot à la famille, oncle Joe excepté. Cela le concernait lui, et lui seul. L’envie l’avait pris un jour en début de soirée. Il était rentré de l’hôpital, fourbu, mais heureux d’une journée de travail débutée sur le coup de sept heures du matin. Il en avait ramené la sensation d’être plus utile qu’il ne l’aurait jamais été à Berlin, même sans la folie nazie. Il s’était installé sur la terrasse, dans un de ces fauteuils à bascule que les Haïtiens appellent dodine, un accessoire nouveau pour lui, qui lui permettait de décompresser après les longues journées de consultation. dalembert,avant que les ombres s'effacent,roman,littérature française,pologne,allemagne,france,haïti,nazisme,exil,réfugiés,juifs,langue française,famille,cultureLa baie de Port-au-Prince s’étendait à ses pieds, à demi noyée par le bref crépuscule en fin de parcours. Il s’était versé un verre de rhum vieux, en avait avalé une bonne rasade, comme maintenant face à Deborah, avait craqué une allumette et mis le feu au dossier de plusieurs pages qu’il avait regardé se consumer, puis se réduire en cendres. Le papier avait cramé très vite, avant même qu’il n’ait eu le temps de siroter une troisième gorgée du nectar de canne. Il avait ressenti un énorme soulagement, comme après s’être débarrassé d’un fardeau. Le lendemain, il s’était réveillé dans la peau d’un homme nouveau : celle d’un Haïtien, pas tout à fait un natif-natal, puisqu’il n’avait pas vu le jour dans le pays, mais pas loin. »

    Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s’effacent

  • De Pologne en Haïti

    Louis-Philippe Dalembert raconte, dans Avant que les ombres s’effacent, l’étonnante destinée du Dr Ruben Schwarzberg. Cette histoire attachante emmène le lecteur avec lui de Pologne à Berlin puis Haïti, en passant par Paris. Le roman illustre un fait d’histoire méconnu : en 1939, l’Etat haïtien a décidé d’octroyer la naturalisation immédiate à tous les Juifs qui le souhaitaient ; en 1941, il a déclaré la guerre au IIIe Reich et au Royaume d’Italie.

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    Lettre de naturalisation délivrée en 1940 suite au décret-loi du 29 mai 1939
    octroyant la nationalité aux réfugiés juifs d’Haïti 
    (Source : la maison d'Haïti)

    Ruben naît en 1913 à Lödz, « ville polonaise sous administration russe » où la communauté juive comptait pour un tiers de la population, dans une famille de fourreurs. C’est Salomé, sa sœur aînée, qui a choisi son prénom, d’après le mot « rubis » dont elle aimait la consonance, pêché dans un livre où elle apprivoisait le français : De l’égalité des races humaines, « écrit par le médecin et intellectuel haïtien Anténor Firmin ».

    A son tour, Ruben apprend à lire le français dans ce livre, aidé par sa sœur et « petite mère ». « Elle fut la première à lui apprendre que des Polonais « comme [eux] » avaient aidé le pays d’origine de l’auteur à devenir indépendant. » Mais au vieux docteur installé en Haïti, les souvenirs de Lödz sont vagues, à part l’odeur de la maison venant de l’atelier du père. Quand il a cinq ans, après qu’une quarantaine de Juifs « avaient trouvé la mort sous les balles des soldats de leur propre pays » à Pinsk, toute la famille, poussée par tante Ruth, prend la direction de Berlin et s’établit à Charlottenbourg.

    Très vite, les affaires prospèrent. A l’école publique – « une école confessionnelle aurait constitué un repli sur soi » –, Ruben se montre excellent élève, encouragé par sa sœur. Il termine sa deuxième ou troisième année à l’école de médecine de Berlin l’année où « le petit caporal accéda au pouvoir ». La famille vient de fêter les quarante ans de tante Ruth, le 9 novembre 1938, quand Ruben et son père découvrent des graffiti antisémites sur le rideau métallique de l’atelier. Comme ils décident d’aller porter plainte au commissariat, ils découvrent les saccages et les violences de la Nuit de Cristal. Des voyous ont vu la kippa du père, ils leur échappent grâce à une portière qui s’ouvre : « Montez. » Une voiture de la légation d’Haïti.

    Une fois le mariage de Salomé célébré, sobrement, c’est à nouveau tante Ruth qui les pousse à partir. Pour elle-même, c’est clair, il faut aller vivre en Palestine, y fonder un Etat. Les autres ne sont pas emballés à l’idée de refaire leurs valises. Le père de Ruben préférerait le soleil de Haïti ; sa mère, Paris. Tante Ruth juge imprudent de rester en Europe et conseille un exil aux Etats-Unis où Salomé va de toute façon suivre son mari professeur. Tous y obtiennent l’asile, sauf oncle Joe et Ruben, « majeurs et célibataires », sans recevoir d’explication. Près de la gare de Hambourg, l’oncle et le neveu seront pris dans une rafle, jetés dans un train qui les emmène à Buchenwald.

    « Longtemps, le Dr Schwarzberg choisirait de taire cet endroit sur lequel tant de choses seraient racontées, filmées, écrites, peintes, chantées, sculptées, sans épuiser l’étendue des abominations qui y furent perpétrées […] ». Un certain « Johnny l’Américain », enfermé là pour la couleur de sa peau, travaille comme aide-soignant à l’hôpital des détenus où Ruben est bientôt affecté. Quand l’oncle Joe apprend que deux camarades ont été libérés grâce à des contacts, Ruben écrit à un ancien professeur de Berlin ; il est libéré avec son oncle à l’occasion du cinquantième anniversaire du Führer. A Berlin, son professeur propose alors de les aider à émigrer à La Havane.

    Mais à Cuba, tous ceux qui ont embarqué sur le Saint Louis le 13 mai 1939 ne sont pas autorisés à débarquer et l’errance des réfugiés renvoyés chez eux émeut l’opinion publique. Ruben demande l’asile en France pour un séjour provisoire, dans l’idée de rejoindre sa famille aux Etats-Unis. La suite de son histoire viendra après un bond dans le temps : en 2010, le vieux Dr Schwarzberg accueille à Haïti la petite-fille de sa défunte tante Ruth, Deborah, et c’est sur son insistance qu’il revient sur son passé.

    A côté de la famille de Ruben, Dalembert campe de beaux personnages secondaires, notamment celui d’Ida Faubert, grande dame et femme de lettres haïtienne du XVe arrondissement que Johnny avait recommandée à Ruben s’il arrivait un jour à Paris. L’amour de la langue française et l’hospitalité haïtienne sont des constantes dans Avant que les ombres s’effacent, où l’histoire de Ruben s’enracine dans les relations fortes qui le soutiennent tout au long de sa vie.

    Dalembert est un vrai conteur, son style narratif à la fois précis et familier rend les vicissitudes des Schwarzberg sans lourdeur – ni légèreté pour autant. La tendresse, l’humour s’infiltrent jusque dans les épisodes les plus dramatiques. Plusieurs fois primée, cette fiction – faut-il le dire – renvoie à l’actualité d’un monde où les réfugiés ne trouvent pas toujours un accueil à hauteur de la dignité humaine.

  • Ordiphone

    Français Portable.png« La Commission d’enrichissement de la langue française qui fait autorité en France, recommande d’utiliser les expressions ordiphone ou terminal de poche ; l’Office québécois de la langue française, qui fait autorité de l’autre côté de l’océan, recommande pour sa part l’usage de l’expression téléphone intelligent, voire des termes téléphone-ordinateur ou téléphone-assistant personnel (...). Ces deux offices proposent de renoncer au mot smartphone, parce qu’il s’agit d’un anglicisme (il est en effet formé à partir des mots smart : « intelligent, malin » et phone : « téléphone »). »

    Mathieu Avanzi, Ce que les Suisses, les Belges et les Québécois ne disent pas comme les Français : le cas du téléphone, Français de nos régions, 25/4/2017

    Pourquoi ne pas dire « ordiphone »,
    comme nous avons appris à dire et à écrire « courriel » ?
    Qu’en pensez-vous ?

    Carte © Mathieu Avanzi, Français de nos régions

     

  • Un simple crayon

    Un crayon, juste un crayon – c’est ce que souhaitait Jean d’Ormesson sur son cercueil et j’ai trouvé cela émouvant, ce simple crayon déposé par le président français sur le drapeau couvrant son cercueil, dans la cour des Invalides. Au cours du bel hommage que lui a rendu La Grande Librairie la semaine dernière, on a rappelé que le doyen de l’Académie française écrivait tous ses livres à la main.

    Crayon sur le cercueil.jpg

    Un crayon, beau symbole de l’écriture et aussi de la lecture. J’ai l’habitude, en lisant, de souligner et d’annoter au crayon ou avec un porte-mine, d'où sa présence sur le logo de Textes & prétextes.

    L’UCL (Université catholique de Louvain) attire l’attention ces jours-ci sur une nouvelle sorte d’atlas : Mathieu Avanzi, chargé de recherche FNRS, a publié un Atlas du français de nos régions. Ce chercheur s’intéresse « à la variété de la langue française dans les régions francophones de Belgique, de Suisse et en France. »

    Tous les francophones savent qu’on n’emploie pas forcément les mêmes mots pour désigner les mêmes choses, ne fût-ce que « septante » (en Belgique) et « huitante » (en Suisse). Je me souviens des enquêtes que menait régulièrement André Goosse, au cours de lexicologie, sur l’emploi de termes différents d’une région à l’autre. Avant le voyage des rhétos à Paris, j’attirais leur attention là-dessus : les élèves trouveraient des « serviettes » et non des « essuies » dans la salle de bain de l’hôtel, elles auraient un temps libre à midi pour le « déjeuner » et non pour le « dîner », etc.

    Français d’origine, Mathieu Avanzi a emménagé en Suisse « pour effectuer une thèse sur l’intonation du français avant de rejoindre la Belgique pour poursuivre ses recherches dans la cadre d’un post-doctorat à l’UCL », il a eu l’occasion d’observer les différentes façons de parler. Son Atlas du français de nos régions propose les résultats de ses enquêtes dans ces trois pays sous la forme de cartes.

    Français Crayon.png
    Carte extraite de l'Atlas du français de nos régions :
    https://francaisdenosregions.com/2016/11/25/crayon-de-bois-ou-crayon-dea-papier/

    Non seulement le vocabulaire diffère, mais aussi l’intonation, l’accent : toutes ces pistes sont explorées sur le blog Français de nos régions. Allez-y faire un tour, vous verrez, il y a de quoi s’amuser si vous aimez cette sorte de jeu des différences – et vous aurez plus d’une occasion de hausser les sourcils : [suʀsil] ou suʀsi], comment dites-vous ?

  • Bona l'académicienne

    Double page dans La Libre de ce week-end pour un entretien avec Dominique Bona – l’excellente biographe lue à plusieurs reprises, avec bonheur : Cécile Daumas l’a interrogée à propos du débat sur « la place du féminin à l’Académie française », un article paru dans Libération il y a peu. Il paraît ici sous la rubrique « Le franc-tireur », que l’on aurait pu mettre au féminin en s’inspirant du Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre d’application en Belgique.

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    Dominique Bona, auteur et membre de l'académie française. (DAMIEN MEYER / AFP) Francetvinfo (sic)
     

    Bona l’académicienne, une franc-tireuse ? Le décret qui impose, depuis 1993, d’employer « systématiquement le genre féminin dans les actes émanant du secteur public » dans la Communauté française de Belgique, n’a pas suscité de débat comparable à celui qui agite la France régulièrement à ce sujet. Il me semble que la plupart ont adopté ici ce nouvel usage, sans problème particulier, et aussi qu’il entre peu à peu dans les mœurs françaises, en tout cas à l’oral.

    Hélène Carrère d’Encausse, « secrétaire perpétuel » de l’Académie française, tient à l’universalité du masculin pour valoriser la conquête récente de certaines fonctions jadis réservées aux hommes. Martine Aubry signait à Lille « Madame le maire », alors qu’Anne Hidalgo opte à Paris pour « Madame la maire ». « A titre personnel, je suis pour une réouverture du débat à l’Académie française sur la place du féminin dans la langue française », précise Dominique Bona.

    Y compris sur le système des accords en genre : la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin « n’a pas toujours existé, elle est même assez neuve », dit-elle encore. Pourquoi ne pas revenir à la règle de l’accord en genre avec le substantif le plus proche ? Ecrire « des hommes et des femmes sont allées voter » passerait plus facilement, selon certains, que « les hommes et les femmes sont égales ». Serait-ce plus acceptable si rien ne change à l’oreille, autrement dit si le féminin ne s’entend pas ?

    L’adoption dans certains textes de l’écriture avec « point du milieu » (« des acteur.rice.s du développement durable » plutôt que « des acteurs du… » ) irrite, comme l’a montré la réaction du premier ministre Philippe appelant à respecter les règles « notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme ». Sur ce point, je suis d’accord : il faut rester compréhensible et ne pas jouer les précieux ridicules (c’est moi qui choisis le masculin) sous prétexte de favoriser l’égalité des genres.

    Dominique Bona est née en 1953 à Perpignan dans une famille catalane. Elue à l’Académie française en 2013, elle est une des quatre femmes qui y siègent actuellement, sur quarante membres (37 fauteuils occupés), depuis la disparition d’Assia Djebar et de Simone Veil. « Il y a des fauteuils vacants. Je rappelle qu’à l’Académie, il faut faire acte de candidature devant la compagnie. La voie est ouverte…. »