Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

De Pologne en Haïti

Louis-Philippe Dalembert raconte, dans Avant que les ombres s’effacent, l’étonnante destinée du Dr Ruben Schwarzberg. Cette histoire attachante emmène le lecteur avec lui de Pologne à Berlin puis Haïti, en passant par Paris. Le roman illustre un fait d’histoire méconnu : en 1939, l’Etat haïtien a décidé d’octroyer la naturalisation immédiate à tous les Juifs qui le souhaitaient ; en 1941, il a déclaré la guerre au IIIe Reich et au Royaume d’Italie.

dalembert,avant que les ombres s'effacent,roman,littérature française,pologne,allemagne,france,haïti,nazisme,exil,réfugiés,juifs,langue française,famille,culture

Lettre de naturalisation délivrée en 1940 suite au décret-loi du 29 mai 1939
octroyant la nationalité aux réfugiés juifs d’Haïti 
(Source : la maison d'Haïti)

Ruben naît en 1913 à Lödz, « ville polonaise sous administration russe » où la communauté juive comptait pour un tiers de la population, dans une famille de fourreurs. C’est Salomé, sa sœur aînée, qui a choisi son prénom, d’après le mot « rubis » dont elle aimait la consonance, pêché dans un livre où elle apprivoisait le français : De l’égalité des races humaines, « écrit par le médecin et intellectuel haïtien Anténor Firmin ».

A son tour, Ruben apprend à lire le français dans ce livre, aidé par sa sœur et « petite mère ». « Elle fut la première à lui apprendre que des Polonais « comme [eux] » avaient aidé le pays d’origine de l’auteur à devenir indépendant. » Mais au vieux docteur installé en Haïti, les souvenirs de Lödz sont vagues, à part l’odeur de la maison venant de l’atelier du père. Quand il a cinq ans, après qu’une quarantaine de Juifs « avaient trouvé la mort sous les balles des soldats de leur propre pays » à Pinsk, toute la famille, poussée par tante Ruth, prend la direction de Berlin et s’établit à Charlottenbourg.

Très vite, les affaires prospèrent. A l’école publique – « une école confessionnelle aurait constitué un repli sur soi » –, Ruben se montre excellent élève, encouragé par sa sœur. Il termine sa deuxième ou troisième année à l’école de médecine de Berlin l’année où « le petit caporal accéda au pouvoir ». La famille vient de fêter les quarante ans de tante Ruth, le 9 novembre 1938, quand Ruben et son père découvrent des graffiti antisémites sur le rideau métallique de l’atelier. Comme ils décident d’aller porter plainte au commissariat, ils découvrent les saccages et les violences de la Nuit de Cristal. Des voyous ont vu la kippa du père, ils leur échappent grâce à une portière qui s’ouvre : « Montez. » Une voiture de la légation d’Haïti.

Une fois le mariage de Salomé célébré, sobrement, c’est à nouveau tante Ruth qui les pousse à partir. Pour elle-même, c’est clair, il faut aller vivre en Palestine, y fonder un Etat. Les autres ne sont pas emballés à l’idée de refaire leurs valises. Le père de Ruben préférerait le soleil de Haïti ; sa mère, Paris. Tante Ruth juge imprudent de rester en Europe et conseille un exil aux Etats-Unis où Salomé va de toute façon suivre son mari professeur. Tous y obtiennent l’asile, sauf oncle Joe et Ruben, « majeurs et célibataires », sans recevoir d’explication. Près de la gare de Hambourg, l’oncle et le neveu seront pris dans une rafle, jetés dans un train qui les emmène à Buchenwald.

« Longtemps, le Dr Schwarzberg choisirait de taire cet endroit sur lequel tant de choses seraient racontées, filmées, écrites, peintes, chantées, sculptées, sans épuiser l’étendue des abominations qui y furent perpétrées […] ». Un certain « Johnny l’Américain », enfermé là pour la couleur de sa peau, travaille comme aide-soignant à l’hôpital des détenus où Ruben est bientôt affecté. Quand l’oncle Joe apprend que deux camarades ont été libérés grâce à des contacts, Ruben écrit à un ancien professeur de Berlin ; il est libéré avec son oncle à l’occasion du cinquantième anniversaire du Führer. A Berlin, son professeur propose alors de les aider à émigrer à La Havane.

Mais à Cuba, tous ceux qui ont embarqué sur le Saint Louis le 13 mai 1939 ne sont pas autorisés à débarquer et l’errance des réfugiés renvoyés chez eux émeut l’opinion publique. Ruben demande l’asile en France pour un séjour provisoire, dans l’idée de rejoindre sa famille aux Etats-Unis. La suite de son histoire viendra après un bond dans le temps : en 2010, le vieux Dr Schwarzberg accueille à Haïti la petite-fille de sa défunte tante Ruth, Deborah, et c’est sur son insistance qu’il revient sur son passé.

A côté de la famille de Ruben, Dalembert campe de beaux personnages secondaires, notamment celui d’Ida Faubert, grande dame et femme de lettres haïtienne du XVe arrondissement que Johnny avait recommandée à Ruben s’il arrivait un jour à Paris. L’amour de la langue française et l’hospitalité haïtienne sont des constantes dans Avant que les ombres s’effacent, où l’histoire de Ruben s’enracine dans les relations fortes qui le soutiennent tout au long de sa vie.

Dalembert est un vrai conteur, son style narratif à la fois précis et familier rend les vicissitudes des Schwarzberg sans lourdeur – ni légèreté pour autant. La tendresse, l’humour s’infiltrent jusque dans les épisodes les plus dramatiques. Plusieurs fois primée, cette fiction – faut-il le dire – renvoie à l’actualité d’un monde où les réfugiés ne trouvent pas toujours un accueil à hauteur de la dignité humaine.

Commentaires

  • C'est beau, ta conclusion; ça nous touche.
    Toutes ces histoires font la Grande. .Bonne nouvelle semaine!

  • Merci, Anne, à toi aussi.

  • Errances, désespoirs...
    Quelques vers d'Ida Faubert, extraits de "Soir Tropical".
    On pourrait imaginer qu'ils lui sont destinés...un moment privilégié.

    "Là-bas, sur le chemin, pas un chant, pas un bruit.
    Rien ne trouble la paix d’un bonheur qu’on écoute…
    Viens sentir les parfums sur le bord de la route.
    Et respirer mon âme éparse dans la nuit."

  • Beaux vers de ce beau "personnage" du roman. Bonne journée, Colo.

  • Et on se réjouit d'en voir certains bien accueillis, comme ce jeune migrant camerounais, Ulrich Cabrel, invité récemment à "On n'est pas couché" pour "Boza!", le récit de son terrible parcours, co-écrit avec Etienne Longueville, son hébergeur breton.

  • Merci pour la piqûre de rappel, appuyée par ta conclusion, hélas toujours d'actualité.

  • Avec plaisir, Anne.

  • Je me souviens de la parution de ce roman, noté, puis je l'ai laissé passer. Il n'est jamais trop tard.

  • Les livres attendent leur heure pour passer entre nos mains, tu as raison. Bonne lecture si tu ouvres celui-ci.

  • Lu l'an dernier, Si le style m'avait semblé convenu j'avais beaucoup aimé le souffle de vie qui traverse ce livre.

  • Merci de partager ici votre lecture, Nicole.

  • J'ai beaucoup aimé cette lecture, dont je garde un souvenir assez vif. J'ai l'intention de lire son dernier roman, toujours sur les réfugiés. http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2017/04/29/35225854.html

  • Merci pour le lien vers ton billet très enthousiaste, que j'avais lu et qui m'avait donné envie de lire ce roman. Bonne après-midi, je suis rentrée juste avant la grêle, ouf.

  • J'ai découvert l'auteur avec ce roman qui m'en a beaucoup appris, et ensuite son dernier, pas mal lui aussi

  • J'ai noté son dernier titre, "Mur Méditerranée". Et j'ajoute les liens vers tes deux billets : http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2017/07/avant-que-les-ombres-seffacent.html
    https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2019/10/mur-mediterranee.html

  • Ravie de te les faire découvrir, Marie. Bonne journée.

Écrire un commentaire

Optionnel