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Textes & prétextes - Page 33

  • Antiques & Art

    Wavre Fine Art Fair, c’est la dénomination officielle de la foire d’art de Wavre (chef-lieu du Brabant wallon, entre Bruxelles et Namur) que j’ai visitée pour la première fois. Après avoir manqué la Brafa cette année, j’étais heureuse d’y découvrir les stands d’une cinquantaine d’exposants belges et de pays voisins rassemblés pour sa deuxième édition.

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    « La foire est petite mais dense. “Allez-y, seulement”, comme on dit à Bruxelles », avait écrit Philippe Farcy dans La Libre Belgique, après avoir signalé de façon très amusante la présence de quelqu’un que vous connaissez si vous suivez l’émission télévisée Affaire conclue, celle d’« Aurore Morisse, citoyenne d’honneur de la Ville de Liège, qui est au marché liégeois par sa jeunesse ce que Gabriel Attal est à la France. » J’ai éclaté de rire en lisant ça ! Près de l’entrée, la souriante antiquaire y présentait entre autres de belles toiles d’Auguste Mambour.

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    En face, bien éclairés dans une vitrine, de grands vases art nouveau attiraient les regards : Daum, Gallé, Le Verre français… Entre deux pièces en cristal du Val-Saint-Lambert, j’ai aimé aussi un grand vase en céramique avec un bel arbre (un pin ?) dressé à l’avant d’un paysage aux couleurs très douces sous un ciel laiteux – je n’en ai pas noté la provenance. (Marco Boes Antiques)

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    Les prix sont plus abordables dans une telle foire où sont exposés des objets de toutes sortes et de toutes tailles. J’aurais volontiers acheté, par exemple, cette assiette italienne chez Eclectix, avec son petit âne bleu vif et son figuier de Barbarie auréolés de couleurs douces. Accrochez-vous encore des assiettes au mur chez vous, comme cela se faisait dans le temps ?

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    J’ai photographié beaucoup de vases, comme cette paire de vases japonais d’époque Meiji, selon le galeriste qui nous les a montrés de près. Leur décor de fleurs de printemps sur fond rouge était réjouissant. J’ai l’impression que le bleu domine dans la plupart des vases en émaux cloisonnés, ici j’ai été séduite par ce beau rouge dont la photo rend très imparfaitement la nuance.

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    Toute à ma flânerie, je n’ai pas pris le temps de noter les noms des galeristes, qu’ils m’en excusent. J’ai aimé l’agencement du stand où des sculptures modernes, noires, d’inspiration art Déco, cohabitaient avec un très beau meuble de marqueterie Boulle. Si je ne me trompe, c’est là aussi que cette table basse design aux fleurs de métal était posée sur un petit tapis assorti – la classe ! (photo 1)

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    © Marie Vandermeulen, Deux filles à la mare aux canards, huile sur toile, 100 x 80 cm

    Voici tout de même une peinture qui m’a attirée dans un grand stand aux meubles de taille impressionnante, chez Egbert Eibel, une maison allemande d’art et d’antiquités. Cette scène charmante est d’une inconnue, Marie Vandermeulen (°1954, Afrique du Sud). La lumière sur l’eau, sur les robes claires, les canards familiers, les plantes exotiques au-dessus des nénuphars, j’ai trouvé cette toile décorative apaisante. 

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    Grande statue d’un ange, chêne sculpté, début XVIIIe, région d’Aix-la-Chapelle et Liège

    Quant à mon coup de cœur du jour, un bronze contemporain, je vous le présenterai bientôt. Sans transition, comme dans cette foire où les exposants se côtoient, chacun avec sa spécialité, je termine avec ce magnifique ange en chêne sculpté vu chez De Groot Antiques. Début XVIIIe, de la région d’Aix-la-Chapelle et Liège. Une pièce maîtresse que Nelleke de Groot a choisie pour se présenter sur son site. Qui ne voudrait d’un tel ange gardien ?  

  • Un skieur

    « Un peintre suisse du monde d’hier, Cunio Amiet, avait représenté, au début du XXe siècle, un skieur dans un paysage de neige : un point dans une nappe blanche, jaune plus exactement, enfin couleur de chair puisque la neige est la peau du ciel équarrie sur la Terre.

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    Cunio Amiet, Paysage de neige, 1904, huile sur toile, 178,5 x 236,2 cm, Paris, Musée d’Orsay.

    Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. Ce serait l’action pure, parfaitement réduite à son seul accomplissement. Il y aurait la sueur, le silence et la trace. Les portes s’ouvriraient. J’entrerais dans le vierge, dilué. »

    Sylvain Tesson, Blanc (Le cinquième jour)

  • De Menton à Trieste

    « A ski, nous poursuivions un rêve d’enfant : l’école buissonnière géante. » « Nous », ce sont Sylvain Tesson, l’auteur, et Daniel du Lac, un grimpeur et un guide sûr en haute montagne. Blanc raconte leur traversée des Alpes en quatre hivers, de 2018 à 2021 (vers mars-avril). Une carte au début du livre retrace leur périple, de Menton à Trieste.

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    Photo Skibylletour

    Départ le 8 mars 2018 : « De Menton à Olivetta par le col du Berceau, 13 kilomètres et 1300 mètres de montée. » En tête du récit de chaque journée (85 au total), le chemin parcouru est ainsi délimité, puis commenté en peu de pages. Le rendez-vous avec la neige a lieu le deuxième jour, à 1600 mètres. Le troisième, Tesson laisse tomber son bâton « dans les rochers, 100 mètres en contrebas » ; du Lac le lui ramène – « quinze ans que nous courions les montagnes ensemble ». Ils pratiquent l’escalade comme « meilleure échappée à l’ennui. » – « Le mouvement résout tout. »

    Le septième jour, le duo de départ rencontre un skieur de haute taille dans un refuge. Philippe Rémoville, parti de Nice une semaine plus tôt, se présente. Il  traverse les Alpes, seul, et ajoute : « J’ai appelé mon voyage « Sur les chemins blancs » en hommage à un type qui a traversé la France à pied et écrit un récit : Sur les chemins noirs.
    – C’est moi, dis-je.
    – C’est drôle, dit du Lac.
    – C’est fou, dit Rémoville. » Ils seront désormais trois « dans le Blanc ».

    Pour Sylvain Tesson, le Blanc est une « substance », leur traversée « le voyage absolu, une flottaison dans une idée de paysage. » Cela demande des ressources intérieures : réciter des poèmes, se rappeler des visages, des peintures, chanter… Et de l’humilité mêlée à la persévérance : il connaît ses limites physiques et ses douleurs. Depuis son accident à Chamonix, il ne boit plus d’alcool, il a moins d’équilibre. « Le Blanc unifiait le monde, désagrégeait le moi, anesthésiait l’angoisse, augmentait l’espace, évanouissait les heures. » Au refuge, prendre le soleil, se réchauffer de thé noir, fumer un cigare Toscano, ouvrir un livre dont quelqu’un s’est délesté, se reconstituer après l’effort – ce sera leur rituel.

    « Les skis coupaient la soie. » En général, c’est du Lac qui « trace », d’instinct, tandis que Rémoville, ingénieur, « calcule ». Ils se complètent. Montées, descentes, le rythme exerce une sorte d’hypnose. Quand ils apprennent la mort du Dr Cauchy, urgentiste emporté par une avalanche, ils s’octroient un jour de repos, vu l’accumulation de neige trop dangereuse. Il leur faudrait composer davantage avec les aléas de la météo – le vent, le brouillard, le froid, la tempête même –, mais ce sont des obstinés et rares sont les renoncements, quitte à faire demi-tour.

    Repartis de Val d’Isère en 2019, ils retrouvent les épreuves et les beautés de la piste, « par les pentes et par les crêtes ». Dans son carnet, Tesson s’invente un blason en quatre mots : « substance, patience, tempérance, alternance. » A Chamonix, ils s’équipent de couteaux, de crampons pour la glace. Un jour, il leur faut descendre 200 mètres en rappel, avec une corde de 60 mètres. Sentiment de gratitude ensuite : « La montagne nous avait laissés vivre. »

    Certaines rencontres sont fortes : l’humilité du chanoine Raphaël qui sert la soupe à l’hospice du Grand-Saint-Bernard interpelle Tesson. Au refuge Nacamuli, quelqu’un se mêle à leur conversation sur la montagne dans la peinture : Pierre Starobinski, fils de Jean Starobinski, guide de haute montagne et galeriste, publie aussi des livres d’art. « Ainsi réalisait-il ce mariage auquel j’aspirais tant entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit. »

    A maintes reprises, Sylvain Tesson décrit comment « la neige sert de réflecteur à l’Imaginaire », véritable « réservoir hypnotique ». Il « voit », par exemple, le visage d’une fille « blanche blonde et bleue » (celle à qui il dédie le livre). Le jour où, au dernier col, il aperçoit le Cervin, il admire sa perfection avant de descendre à Zermatt. Là ils vont s’incliner sur la tombe de Whymper, « le plus grand alpiniste du XIXe siècle » puis, à l’auberge, chercher des réponses à la grande question qui les habite : « Pourquoi grimper sur les montagnes ? »

    En 2020 et 2021, les revoilà – « les mêmes, au même endroit, un peu plus tard », une didascalie de Feydeau – avec la pandémie en trouble-fête. Lutte quotidienne contre la douleur, l’angoisse, la fatigue. Joie de les surmonter, de découvrir les Alpes d’en haut, par-dessus les frontières, et enfin, d’arriver au but, à Trieste (la ville de Paolo Rumiz, qui a traversé l’Europe à la verticale et, en zigzag, les Alpes et les Apennins).

    Les familiers de la haute montagne se régaleront des aléas sportifs de l’entreprise. De jour en jour, même si le paysage change, Blanc suit un schéma forcément répétitif, dans l’action comme dans la réflexion. Tout en me sentant très éloignée de ce goût de l’effort à tout prix et de jugements de Sylvain Tesson parfois aussi raides que certaines pentes, j’ai lu ce récit, moins inspiré dans l’ensemble, avec curiosité et goûté ses observations et ses digressions.

  • Vibrer

    nabokov,littératures,envoi,lecture,livres,étude,vie,cultureCertains d’entre vous continueront à lire de grands livres, d’autres cesseront de lire de grands livres une fois leur diplôme obtenu ; et si quelqu’un pense qu’il n’arrivera jamais à éprouver de véritable plaisir à la lecture des grands écrivains, alors ce quelqu’un ne doit pas les lire du tout. Après tout, on peut rencontrer la même jubilation dans d’autres domaines ; la jubilation de la science pure est tout aussi agréable que le plaisir de l’art pur. L’essentiel est de faire l’expérience de ce petit frisson dans quelque région de la pensée ou de l’émotion. On court le risque de rater ce qu’il y a de meilleur dans la vie si l’on ne sait pas trouver l’occasion de vibrer, si l’on n’apprend pas à se hisser un peu au-dessus de là où l’on se situe ordinairement, afin de goûter les fruits les plus beaux et les plus rares que peut nous offrir la pensée humaine.

    Vladimir Nabokov, L’Envoi (Littératures I)

    Jean Brusselmans, La lectrice, 1914

  • Envoi de Nabokov

    Un billet d’Adrienne sur le temps consacré à la lecture de livres en Europe m’a fait reprendre Littératures I de Vladimir Nabokov : ce sont ses cours sur Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka et Joyce (traduction de l’anglais par Hélène Pasquier). Ces essais se basent sur des notes rédigées par Nabokov pour ses cours à Wellesley et à Cornell dans les années 1940 et 1950, des notes manuscrites ou dactylographiées par son épouse Vera. A l’oral, le professeur y ajoutait bien sûr des remarques et des variantes.

    Nabokov Littératures I Poche 1987.jpg
    En couverture du Livre de Poche 1987 :
    Arp, La planche à œufs

    Le second tome de Littératures porte sur la littérature russe. A la fin du premier tome consacré aux « maîtres du roman et de la nouvelle européens » figure un texte intitulé « L’Envoi ». J’aimais le lire à mes élèves de rhétorique en fin d’année scolaire. Aujourd’hui, pour le plaisir de le relire et de le partager avec vous, en voici les deux premiers paragraphes et, dans le prochain billet, un paragraphe de conclusion. 

    * * *

    Face à la somme de problèmes irritants que pose l’actuelle situation mondiale, certains d’entre vous peuvent avoir le sentiment qu’étudier la littérature – et particulièrement la composition et le style – est une forme de gaspillage d’énergie. Je crois que pour un certain type de tempéraments – et nous avons tous des tempéraments différents – l’étude du style peut toujours apparaître comme un gaspillage d’énergie dans n’importe quelles circonstances. Mais cela mis à part, il me semble que dans tout esprit, qu’il penche du côté artistique ou du côté pratique, il y a toujours une cellule réceptive pour ce qui transcende les terribles soucis de la vie quotidienne.

    Les romans dont nous nous sommes imprégnés ne vous apprendront rien que vous puissiez appliquer aux bons gros problèmes de l’existence. Ils ne vous aideront ni au bureau, ni à la caserne, ni dans la cuisine, ni dans la chambre des enfants. En fait, les connaissances que j’ai essayé de partager avec vous ne sont que luxe pur et simple. Elles ne vous aideront pas à comprendre l’économie française, ni les secrets du cœur d’une jeune femme, ou du cœur d’un jeune homme. Mais elles peuvent vous aider, si vous avez suivi mes recommandations, à éprouver la pure satisfaction que donne une œuvre d’art inspirée et précise ; et ce sentiment de satisfaction va, à son tour, donner naissance à un sentiment de confort mental plus authentique, le type de confort que l’on ressent lorsqu’on prend conscience du fait qu’en dépit de toutes ses bourdes, de toutes ses bévues, la texture profonde de la vie est aussi une affaire d’inspiration et de précision.

    Vladimir Nabokov, L'Envoi (Littératures I)