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Textes & prétextes - Page 264

  • Vie d'une voisine

    Dans Vie de ma voisine, Geneviève Brisac fait place au récit d’une femme qui l’a abordée dans l’immeuble où en deuil, fuyant le passé, elle vient d’emménager. Cette voisine voudrait lui parler de Charlotte Delbo : « Je vous ai entendue l’évoquer à l’occasion de son centenaire, et je la connaissais. »

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    Quelques jours plus tard, Geneviève Brisac monte chez sa voisine, elles discutent de Charlotte Delbo, « de sa passion de vivre, de son exigence, de son engagement politique aussi ». Jenny, née en 1925, ne veut pas y ajouter l’histoire de sa propre vie ni « écrire le énième Tartempionne à Auschwitz », plus tard peut-être ; c’est de Charlotte Delbo, leur amie commune, qu’elles parlent.

    Puis Jenny dépose une lettre dans sa boîte, où elle a copié ces mots de Scholastique Mukasonga : « Qu’on ne vienne pas me parler de deuil si ce mot signifie que les tiens s’éloignent. Au contraire, ils sont à tes côtés, pour te donner le courage de vivre et de triompher des épreuves. Ils sont à tes côtés, tu peux compter sur eux. » – « Ces phrases me coupent le souffle, à moi aussi. »

    Quand elles se revoient, elles boivent du thé noir. Jenny lui montre une photo de Rivka et Nuchim Plocki, ses parents morts en août 1942, tous deux « polonais, juifs et athées ». Rivka avait quitté son village en 1918 ; dans la deuxième république de Pologne, elle avait adhéré au Bund, une « organisation marxiste juive révolutionnaire et mythique » des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie. Cette militante qui se revendique de Rosa Luxemburg aspirait à « vivre vraiment et vivre libre ».

    En 1924, elle a rejoint Nuchim Plocki à Joinville – le professeur de russe et de polonais, polyglotte, ne trouvait pas de travail en Pologne et ne s’était pas senti bien en Palestine. Leur fille est née l’année suivante, Jenny a reçu la nationalité française. Les parents travaillaient à l’usine de chocolat Menier, puis ils ont ouvert un petit commerce de chaussettes et de bas de laine. En 1928 est né le petit frère, Maurice.

    Les deux femmes retournent sur les lieux où ils ont vécu. D’abord inquiète, Jenny voit affluer des souvenirs : les mouchoirs en tissu rebrodés, les odeurs d’antan, les confitures et les gâteaux de sa mère, experte en rangement. « Tout, dans le minuscule logement, est rangé avec une précision de matelot. » Jenny aussi sait ranger, c’était obligé quand on vivait à quatre dans vingt mètres carrés. « Cela donne à son appartement d’aujourd’hui la clarté d’une pensée. »

    Jour après jour, la voisine raconte sa famille, l’enthousiasme de l’engagement politique, la déception d’une visite à sa grand-mère en Pologne. En France, à l’école élémentaire, elle s’est fait une « copine » pour la vie, Monique, une fille intelligente, qu’elle retrouve à la rentrée de 1939 à l’Ecole Primaire Supérieure. Jenny lit beaucoup, fait la lecture à voix haute à son père. A présent, sa bibliothèque compte des milliers de livres – « Si mon père avait pu voir ça, il aurait été heureux. Elle rayonne devant les livres parfaitement rangés. Et moi j’ai honte de ma bibliothèque trouée, des abandons successifs que j’ai faits des livres de ma bibliothèque au fil du temps, à chaque déménagement. »

    Eté 1936 : congés payés, colonie de vacances à l’île de Ré, éducation populaire, gymnastique pour tous, y compris les filles ! En 1939, conscient du péril nazi, son père voudrait aller en Angleterre, mais sa mère ne parle pas anglais et ne veut pas encore recommencer sa vie. Jenny est de son côté, elle aime vivre en France. La guerre est déclarée, et bientôt les premières mesures antijuives ; une des tantes Plocki veut absolument « se faire ficher », alors ils se déclarent tous, « la décision la plus catastrophique » de leur vie.

    En quelque cent cinquante pages, dans le dialogue entre la narratrice et sa voisine, sont racontées les difficultés de l’exil, l’éveil intellectuel, puis la tragédie de la guerre – bien qu’un temps, Jenny aille beaucoup au théâtre ou à l’opéra –, du port de l’étoile jaune aux rafles. Grâce à la loi « qui stipule tout simplement que tout enfant né en France est français » et à la lucidité de leurs parents qui décident de ne pas garder leurs enfants avec eux quand ils ont été arrêtés, ce qui choque certains, Jenny et son frère vont survivre.

    De ses archives, elle tire une carte-lettre où son père leur a écrit : « On part demain, ne nous envoyez plus rien. Nous sommes en bonne santé pour partir travailler ». Un mois plus tard leur est parvenu un bout de papier ramassé par un cheminot, un message en yiddish que Jenny n’a fait traduire que presque quarante ans plus tard et qui se termine sur ces mots : « Vivez et espérez. »

    Après la Libération, des rencontres, le travail d’enseignante, le combat politique, les manifestations. Au milieu des années cinquante, à un dîner, Jenny rencontre Charlotte Delbo, elles deviennent amies. Pour échapper à la tristesse – les absents leur manquent –, Jenny et Geneviève parlent de Mai 68. « Certains disent que Mai 68 vit le triomphe du cynisme. Pas nous, qui continuons à croire à la force de l’intelligence, aux idées, et aux gens. »

    Vie de ma voisine, à petites touches, sans pathos, est le récit d’une rencontre entre deux femmes. Les petits détails d’hier ou d’aujourd’hui y ont un sens. Les mots, les livres, les poèmes y ont de l’importance. La vie d’une voisine est un témoignage. Laisser le passé nourrir et éclairer le présent, en parler, se souvenir, c’est continuer à aimer la vie en regardant le monde en face.

  • Inquisition

    roth,philip,exit le fantôme,roman,littérature anglaise,etats-unis,vieillesse,désir,culture« C’est incroyable, quand on y pense, que tout ce qu’on a pu réussir, accomplir dans la vie, quelle qu’en soit la valeur, s’achève par le châtiment d’une inquisition menée par votre biographe. De l’homme qui maîtrisait les mots, de l’homme qui a passé sa vie à raconter des histoires, on retiendra, après sa mort – si on se souvient encore de lui –, une histoire sur son compte qui exposera sa vilenie cachée et la décrira avec une franchise, une clarté, une assurance sans faille, une attention consciencieuse aux exigences les plus subtiles de la morale, et une indéniable délectation.

    Voilà, j’étais le suivant. Pourquoi m’avait-il fallu attendre jusqu’à maintenant pour me rendre à l’évidence ? Sauf si je le savais depuis le début. »

    Philip Roth, Exit le fantôme

  • Retour à New York

    « Je n’étais pas retourné à New York depuis onze ans. » Ainsi s’ouvre Exit le fantôme de Philip Roth (2007, traduit de l’anglais, Etats-Unis, par Marie-Claire Pasquier). Nathan Zuckerman, son double fictif, n’a quitté son coin perdu des Berkshires, à deux cents kilomètres au nord, que pour un séjour à Boston (ablation de la prostate). A présent, un urologue l’a persuadé de tenter un traitement contre l’incontinence par injection de collagène.

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    Seul dans la petite maison achetée à la campagne, il vivait seul avec ses livres et sa machine à écrire, sans télévision ni ordinateur. Des courses en ville une fois par semaine, un dîner hebdomadaire chez un voisin bien décidé à casser sa vie de solitaire radical – au point de lui amener deux chatons roux adorables, qu’il lui a rendus après avoir joué avec eux quelques jours, pour ne pas se retrouver « métamorphosé en un autre homme par deux petits chats ».

    A l’hôpital, il reconnaît la voix d’une petite dame âgée montée dans l’ascenseur et la suit jusque dans un snack. Amy Bellette, dont il se souvient même s’il ne l’a rencontrée qu’une seule fois, porte une drôle de robe fabriquée dans une chemise d’hôpital ; quand elle enlève son chapeau, Nathan voit le côté rasé de son crâne et une cicatrice sinueuse. Il n’ose pas l’aborder.

    L’optimisme du médecin a suscité un regain d’espoir : « à nouveau la vie semblait sans limites ». Zuckerman se voit déjà fréquenter la piscine publique sans crainte de laisser derrière lui le sillon d’une fuite urinaire. D’avoir revu Amy lui donne envie de relire E. I. Lonoff dont il rachète les six recueils de nouvelles dans une librairie d’occasion, même s’ils sont dans sa bibliothèque à la maison. « Il était aussi bon écrivain que dans mon souvenir. Meilleur, même. »

    Lonoff, cet « écrivain américain du XXe siècle qui ne ressemblait à aucun autre », était malheureusement tombé dans l’oubli, faute d’avoir pu achever le roman qu’il avait commencé. Comment s’étaient passées les cinq dernières années de sa vie, « avec la fin brutale de son mariage avec Hope et la nouvelle vie engagée aux côtés d’Amy Bellette » ? Celle-ci, l’étudiante de Lonoff et sa dernière compagne, pourrait sans doute lui répondre.

    A la veille de rentrer chez lui, Zuckerman lit dans la New York Review of Books une petite annonce qui semble faite pour lui : un jeune couple d’écrivains échange pour un an son appartement trois pièces contre « une retraite rurale tranquille ». Sans attendre, conscient de faire une sottise, lui qui s’est coupé volontairement « de toutes relations humaines suivies », il les appelle. Leur appartement n’est qu’à quelques rues du restaurant.

    Billy Davidoff et Jamie Logan lui réservent un accueil chaleureux ; Nathan est séduit par la gentillesse de Billy, qui adore visiblement sa femme, et encore plus par la personnalité de Jamie, « la plus brillante des deux », qui a déjà vu une de ses nouvelles publiées. C’est la fille d’un industriel du pétrole à Houston, elle a dû batailler pour faire accepter son mariage avec un fils de commerçant juif. L’idée de quitter New York vient d’elle, traumatisée par le 11 septembre : elle ne veut pas « être pulvérisée au nom d’Allah ». Ils tombent d’accord.

    De l’hôtel, Zuckerman prévient Rob Massey, son homme à tout faire à la campagne, pour lui faire emballer les affaires dont il aura besoin à New York. Un vrai coup de folie, se dit-il, d’autant plus que l’intervention s’avère décevante. Puis il reçoit un appel d’un homme qui se présente comme un ami de Jamie Logan et de Billy Davidoff, un journaliste free-lance, Richard Kliman. Celui-ci projette d’écrire une biographie de E. I. Lonoff, Jamie lui a donné son numéro de téléphone, il sait que Zuckerman l’a rencontré et l’admire.

    « La dernière chose au monde que souhaitait Lonoff, c’est d’avoir un biographe. » Malgré l’opposition et les arguments de Zuckerman, le jeune journaliste parvient à éveiller sa curiosité pour le « grand secret » de Lonoff ; il voudrait aussi qu’il intercède en sa faveur auprès d’Amy Bellette qui ne lui répond plus. Son interlocuteur est tenace et sûr de lui, comme Nathan l’était à son âge. Celui-ci finit par raccrocher. Peu après, Billy l’appelle, Jamie et lui regrettent d’avoir donné son numéro à l’ancien « petit ami » de Jamie à Harvard, qui les a informés du tour de leur conversation.

    « En m’engageant précipitamment dans un nouvel avenir, j’étais sans le vouloir retombé dans le passé – trajectoire inversée plus fréquente qu’on ne croit, mais qui n’en est pas moins troublante. » Le voilà invité par le couple d’écrivains à suivre chez eux la soirée des élections : ils sont persuadés que Kerry va l’emporter contre Bush. Malgré son âge, son handicap sexuel, la perspective de revoir Jamie lui fait accepter l’invitation – « Comme si la présence de cette jeune femme pouvait faire naître un espoir. »

    Une soixantaine de pages et tous les thèmes d’Exit le fantôme sont introduits : la vie sociale et la solitude, l’ambition littéraire, le désir, la dégradation physique, l’évolution de l’Amérique. En onze ans, le New York qu’il a quitté à la suite de menaces de mort sérieuses a changé, les gens téléphonent tout haut dans la rue, les femmes y portent des tenues très légères.

    Nathan est sous le charme de Jamie Logan : « Cette femme était en moi avant même d’être apparue ». Il écrit des dialogues imaginaires entre elle et lui. Kliman ne désarmant pas, Zuckerman décide de le contrer à tout prix et revoit Amy Bellette. Celle-ci se rappelle des paroles de Lonoff peu avant sa mort – une citation ? Elles pourraient être de lui : « La fin est si immense qu’elle contient sa propre poésie. Il n’y a pas à faire de rhétorique. Juste dire les choses simplement. »

  • Chocs

    guay de bellissen,hélène,dans le ventre du loup,récit,littérature française,assassinat,le monstre d'annemasse,secrets de famille,mémoire,enfance,culture« Sur la moquette de ma chambre d’hôtel, je suis assise en tailleur, fumant une cigarette alors que c'est interdit. Ce que je vis en ce moment, c’est un tracé autant personnel qu’universel. Une enquête émotionnelle à partir des chocs de l’enfance, tout le monde y est exposé. Relier les drames, trouver les passerelles entre eux, reconstruire la carte d’un territoire commun et le comprendre. Mais je me plante. Ce n’est pas comprendre, le bon terme, mais accepter. Le drame il est comme nous, il veut simplement qu’on le prenne comme il est, comme il vient. »

    Héloïse Guay de Bellissen, Dans le ventre du loup

     

  • Le ventre du loup

    Dans le ventre du loup : le titre choisi par Héloïse Guay de Bellissen pour son troisième roman tire du côté des contes – Le petit chaperon rouge, La belle et la bête – mais loin du merveilleux. Dès le début, on est averti par un vieil Indien qui explique à son petit-fils que « chacun a en nous deux loups qui se livrent bataille », le premier tout en sérénité, amour et gentillesse, le second, tout en peur, avidité et haine – « Lequel des deux loups gagne ? demande l’enfant. – Celui que l’on nourrit, répond le grand-père. » (Sagesse amérindienne)

    guay de bellissen,hélène,dans le ventre du loup,récit,littérature française,assassinat,le monstre d'annemasse,secrets de famille,mémoire,enfance,cultureAu tribunal d’Annecy, où la narratrice, Héloïse, entame ses recherches le 4 mai 2016 (toutes les séquences sont situées et datées), on lui a préparé quatre cartons marqués « Assise W 232 » : elle veut « aller à la source, ramasser les événements fondateurs », vérifier si l’affaire qui la préoccupe recèle bien ce qu’elle a observé en elle-même. Mais elle demande qu’on en retire l’autopsie et les documents photographiques.

    Le drame a débarqué dans sa vie le 5 avril 1999 à Toulon. Elle mange au restaurant avec son père, qui mentionne tout à coup « sa cousine Sophie » : elle ne voit pas de qui il parle. Sophie est la sœur de son cousin Alexandre, assassinée à neuf ans, en 1986 : « J’ai cru que tu le savais, depuis le temps. On ne te l’a jamais dit ? » L’aveu est rapide, comme accidentel. Tout se trouve dans une pochette blanche en haut d’une armoire à la maison. Quand elle rentre et interroge sa mère, celle-ci pense à appeler le lycée pour prévenir de l’absence de sa fille, puis sort faire des courses. La voilà seule pour ouvrir la pochette, en sortir une coupure de journal sur « Le Monstre d’Annemasse ».

    Chaque enfant a son monstre, « son croquemitaine, sa frousse du soir ». Héloïse se souvient d’avoir fait des grimaces dans le miroir pour faire disparaître son monstre – « au moment où j’avais compris que j’avais une part de lui, et lui une part de moi. » En regardant la photo de l’assassin, elle comprend « qu’il n’a rien d’un monstre lui non plus, mais tout d’un être humain. » La pochette contient entre autres « des lettres avec une écriture de môme » où Sophie remercie Héloïse pour son joli dessin.

    Sophie dont elle ne se souvient pas, dont sa famille ne lui a plus jamais parlé, a donc fait partie de sa vie ; ils allaient ensemble à la mer, Sophie et son frère venaient chez eux en vacances. Une photo les montre à huit et douze ans : « Dans ce jardin bordé de lierre, tous les deux broient l’instant, le mordent, les myrtilles c’est le sang du bonheur enfantin. » Une enfance a rendez-vous avec le crime, comme dans l’histoire du chaperon et du loup.

    Sans transition, à Saint-Louis en 1976, voici un autre enfant, dans une librairie : il va acheter un livre à sa mère pour son anniversaire. Il y a du monde, un type l’aborde, prétend avoir chez lui, tout près, un catalogue pour elle, déposé par erreur par le facteur ; il veut le lui donner tout de suite, avant de partir en vacances, et l’emmène. Devant sa porte, le gamin hésite, mais le type change de visage : « Si tu cries, je te fais mal, tu as compris ? »

    A neuf ans, quand il rentre chez lui, Gilles voudrait parler de ce qu’il vient de subir avec ses parents, mais il n’y arrive pas. Alors il leur écrit une lettre, la leur fait lire. Ils ont du mal à y croire, se demandent s’il ment, puis son père le prend dans ses bras : « Ca va aller, fils, ça va aller. » La nuit, le gamin hurle, il voit « un monsieur en noir » ou « un loup », il appelle sa mère.

    Jusqu’alors, il collectionnait des papillons, des araignées, des timbres. Il lui faut une nouvelle obsession : ce seront les femmes souriantes des catalogues de La Redoute ou Blancheporte. Il se met à collectionner des visages. En 1980, à Annemasse, il confie à son seul ami qu’il est « grave amoureux » d’une fille au sourire fabuleux. Dans les archives des assises, Héloïse lit : « Cette fille dont je vous parle était plus âgée que moi. Le sourire de la petite Sophie était le même, absolument le même. » (1992)

    Au tribunal d’Annecy, Héloïse se souvient tout à coup d’un autre secret familial, concernant Papy, qui appelait tout le monde, garçon ou fille, « mon chéri joli ». De son grand-père, qui était aussi celui de Sophie, elle savait une chose : « il ne fallait pas s’asseoir sur ses genoux. » La romancière sait rendre le parlé, le ressenti différemment quand il s’agit de l’enfant ou de l’adulte.

    Dans le ventre du loup tire sa force de ce ton juste, de sa construction par fragments, de sa thématique universelle. Héloïse Guay de Bellissen a donné son prénom à la narratrice et choisi une structure non linéaire : le passé et le présent s’y croisent, l’enquête d’Héloïse sur Sophie et celle des policiers à la recherche de son assassin. Le roman traque les peurs de l’enfance, que donnent à voir les contes, amplifiées par les non-dits, les secrets, le manque d’attention et de dialogue. A la fin de chaque séquence, une citation fait écho, tirée des témoignages, de contes, de paroles dites ou lues.

    Une page du Seynois présente la romancière (avril 2018, à l’occasion d’une séance de dédicace à La Seyne où elle a passé son enfance). A vingt-cinq ans, c’est en regardant « Faites entrer l’accusé » sur Gilles de Vallière, « l’assassin aux cordelettes », qu’elle prend soudain conscience de ce qui est arrivé à cette cousine Sophie que son cerveau avait « complètement occultée ». D’où ce roman sur des « enfances brisées », sur « les non-dits d’une famille qui s’est déstructurée ».

    Héloïse Guay de Bellissen a réussi à y insuffler son malaise et son désir de comprendre ce qui s’est passé. « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents » a écrit Boris Cyrulnik (autre Seynois) qu’elle a contacté. Dans le ventre du loup, sans voyeurisme, rend au vécu sa profondeur, son humanité.