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Textes & prétextes - Page 139

  • Une chute

    catherine meeùs,olga,ou la fragilité de l'insouciance,roman,littérature française,écrivain belge,culture« Ils squattaient un ancien entrepôt de tissus, c’était plutôt accueillant, après ce que j’avais connu au pensionnat. Il suffisait de se choisir une chute à son goût, couleurs, texture, et de se faire un petit coin douillet. J’étais heureuse de découvrir la vie à leurs côtés, c’était ça de pris sur mon programme, je méritais bien de commencer par les vacances, après mes années de douleur. Je m’inquiéterais de la suite à donner à mon existence quand je serais prête. »

    Catherine Meeùs, Olga, ou la fragilité de l’insouciance

  • Olga, une disparition

    « Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or quand ton regard pénètre aussi longtemps au fond d’un abîme, l’abîme lui aussi pénètre en toi. » (Frédéric Nietzsche, Par-delà le bien et le mal) Avec l’épigraphe d’Olga, ou la fragilité de l’insouciance (2021), Catherine Meeùs, qui se partage entre la musique, l’édition et l’écriture, donne un avertissement à prendre au sérieux.

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    Ce premier roman a de quoi troubler. Il aurait pu s’intituler Olga ou la lutte contre les monstres. Catherine Meeùs le dédie à la mémoire de sa grand-mère féministe, Marie Denis, dont elle a par ailleurs adapté le roman Des jours trop longs au théâtre, avec Eléonore Meeùs et Stéphanie Van Vyve, sur le thème des sentiments contradictoires que peut susciter une grossesse. Dans le roman de Marie Denis, chez une mère de famille nombreuse qui se découvre enceinte à trente-deux ans, en 1961 ; dans la pièce, chez une femme de trente-deux ans qui ne veut pas d’enfant, en 2011. Ce sera aussi le choix d’Olga.

    Dans le prologue (à lire en ligne), Hanne découvre dans le journal l’avis de disparition depuis deux mois d’Olga, 24 ans, et reconnaît immédiatement sur la photo celle qu’elle appelait intérieurement Blandine, « ce petit être éthéré, ce paquet d’os emballé dans du papier à cigarettes, cet oisillon tombé du nid » dont elle n’aurait pu donner l’âge et dont elle ne savait rien, sauf qu’elle avait fait « irruption dans sa vie à plusieurs reprises ».

    « Hanne avait toujours été préoccupée par ce qui nous survit. Notre vie n’a de sens que si elle jette ses amarres au-delà du temps qui nous est imparti (…) » A chaque apparition fortuite de Blandine-Olga, « sa vie avait ensuite pris un nouveau tournant. » Aussi décide-t-elle de conter son histoire, de lui offrir « une trace ». « Mieux valait avoir une histoire que l’on n’avait pas vécue que pas d’histoire du tout » pour continuer à exister « dans la mémoire collective ».

    L’histoire d’Olga se déroule en quatre actes et trois intermèdes. Le premier se déroule au village de son enfance – où le vétérinaire l’a mise au monde, faute de médecin dans les environs. Dans ce village « perdu dans les montagnes », on vit loin de toute modernisation : on mange ce qu’on cultive, seul le directeur de l’école a le téléphone. L’épicier y est un peu le « chef de tribu », se rend en ville avec sa camionnette, un homme « gentil, doux et modeste ».

    Olga vit avec sa mère qui cultive des pommes de terre – leur nourriture quasi exclusive – et sa grand-mère mutique ; elles portent toutes les trois le même prénom. Elle ne connaît pas son père, a juste des soupçons. Seuls les magazines féminins entassés à l’étage lui donnent une idée de la vie ailleurs, des émotions, de la mer qu’elle rêve de voir en vrai. Elle aimerait devenir infirmière « ou bien ange du ciel ». « Un jour, il m’apparaîtrait que la vie avait choisi pour moi et que le ciel m’attendrait encore un moment. » A l’école, Olga Faucheleux découvre que sa drôle de voix fait hurler de rire. Ce n’est pas encourageant pour ce « petit animal farouche ».

    Un jeune homme apparaît dans sa vie, Emilio – rêve ou réalité ? La frontière entre les deux n’est pas claire dans ce roman. Olga ira dans un pensionnat sordide tenu par « quelques femmes perdues pour l’amour » et y fera connaissance avec l’insomnie, les démons qui l’assaillent la nuit. Puis viendront les premières expériences sexuelles et on devine qu’Olga, bien que résolue à ne pas avoir de descendance, risque fort de se retrouver enceinte tôt ou tard. « Mon enfance est remplie de peut-être. Ma tête aussi. De questions restées ouvertes qui font comme un gouffre béant au creux de mon ventre, un hurlement silencieux qui s’écrase sur le mur qui se dresse au bout de mes pieds. »

    Catherine Meeùs laisse dans le flou bien des aspects de la vie d’Olga – telle que Hanne l’imagine – et met en relief sa solitude, le danger de mauvaises rencontres, de « forces obscures » menant à la déchéance. On finira par comprendre en quoi consiste sa « disparition ». La fragile Olga a-t-elle jamais connu « l’insouciance » qu’elle pleurera un jour ? Elle paraît si désarmée. Ce premier roman parfois déroutant a des tonalités très sombres, il montre aussi à quel point la bonté d’un regard peut compter, pour qui a grandi sans « chaleur humaine ».

  • Un autre monde

    stefan hertmans,guerre et térébenthine,littérature néerlandaise,belgique,famille,grand-père,guerre 14-18,peinture,gand,travail,société,culture« C’est sa vie qu’il me demandait de décrire en me confiant ces cahiers. Une vie se déroulant sur près d’un siècle et commençant dans un autre monde. Un monde de villages, de chemins à travers champs, de voitures à cheval, de lampes à gaz, de bassines à linge, d’images pieuses, de vieux placards, une époque où les femmes étaient âgées à quarante ans, une époque de prêtres tout-puissants sentant le cigare et les sous-vêtements sales, de jeunes bourgeoises rebelles placées dans des couvents, une époque de grands séminaires, de décrets épiscopaux et impériaux, une époque qui commença sa longue agonie en 1914, quand Gavrilo Princip, petit Serbe douteux, tira sans même bien viser un coup de feu qui pulvérisa la belle illusion de la vieille Europe, provoquant la catastrophe qui allait le toucher lui, mon petit grand-père aux yeux bleus, et dominer définitivement sa vie. »

    Stefan Hertmans, Guerre et Térébenthine

    Photo : le soldat Urbain Martien (une des photos intégrées dans le récit de Stefan Hertmans)

  • Pour son grand-père

    Stefan Hertmans est un écrivain belge néerlandophone traduit en français depuis une vingtaine d’années. Bien au-delà d’un flirt, la lecture de Guerre et Térébenthine (2013, traduit par Isabelle Rosselin, 2015) m’a convaincue de ne pas en rester là avec cet écrivain. La belle photo d’une main tenant un pinceau sur la couverture du livre, primé en Flandre et aux Pays-Bas, en donne bien les couleurs, entre chaos et création.

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    Ce roman s’ouvre sur un souvenir d’Ostende : le narrateur – l’auteur lui-même –  revoit son grand-père de soixante-six ans sur la plage, dans son costume bleu nuit, creusant dans le sable et toussant, avant de s’y asseoir avec sa femme. Ne portant ni chaussures ni chaussettes, mais bien le borsalino et la lavallière noirs habituels.

    Un autre souvenir, c’est l’image de son grand-père pleurant discrètement à la petite table où il écrivait et peignait. Invalide de guerre à quarante-cinq ans, il avait appris à peindre pour son plaisir et était devenu « un copiste virtuose ». Son propre père, Franciscus, était « peintre d’église », il l’accompagnait souvent pour lui passer ce dont il avait besoin en peignant ou en restaurant des fresques dans des bâtiments religieux – pour son grand-père, « le paradis de sa jeunesse ».

    Peu avant le centenaire de la première guerre mondiale, Stefan Hertmans décide d’ouvrir les deux cahiers de son grand-père qu’il  conserve depuis trente ans. Celui-ci, homme d’une profonde joie de vivre et « survivant coriace, quoique sensible et sentimental », s’était mis à écrire à partir de mai 1963, à plus de septante ans, sur son enfance et sur la guerre ; six cents pages en tout : la vie gantoise d’autrefois et le passé familial surtout. Gand est la ville de l’écrivain, qui se souvient d’avoir accompagné son grand-père au musée et d’y avoir vu « Enfants jouant sur la glace » d’Emile Claus, peint en 1891, l’année même où son grand-père était né. (Il est mort en 1981.)

    Franciscus et Céline, issue d’une bonne famille qui ne voyait pas ce mariage d’un bon œil, ont mené une vie difficile. L’aîné de leurs cinq enfants, Urbain Martien (le grand-père de S. H.), commence à travailler dans une fonderie à quatorze ans, échappe au pire lors d’un accident. Comme son père, il adore la peinture et prend des cours de dessin, s’achète un bloc de papier et s’entraîne. Au retour de Liverpool où il a été engagé pour un an, son père Franciscus, vieilli, asthmatique, sanglote quand sa mère lui montre les dessins de son fils. Ils partagent la même passion pour la peinture.

    La structure de Guerre et Térébenthine n’est pas strictement chronologique. Comme Nabokov dépliant son tapis magique, Stefan Hertmans construit son récit au fil de ses propres repères, souvenirs, découvertes – « Aujourd’hui, j’aimerais entendre de nouveau leurs histoires en prêtant attention aux moindres détails, car, à l’époque, je voyais sans voir et j’entendais sans entendre (…) ». Parfois, il y intègre des passages des cahiers de son grand-père.

    La deuxième partie, « 1914-1918 », rapporte le saisissant vécu quotidien d’un caporal flamand de 23 ans monté sur le train menant à Termonde en août 1914. Les marches des soldats vers le front, parfois obligés de revenir sur leurs pas, les ordres incompréhensibles, les cris, les hurlements, les attaques… Des scènes de cauchemar. La grande guerre vécue à ras du sol, dans l’épuisement. La bataille de l’Yser. Les blessés, les morts, les cadavres.

    Les officiers francophones ne cherchent pas à prononcer son nom correctement, bien qu’il signale chaque fois que « Martien » se prononce comme « Martine ». Certains reconnaissent son courage, son intelligence, et lui promettent de l’avancement. Plusieurs fois, il est grièvement blessé, soigné à l’écart, renvoyé au front. Il fait l’expérience terrible de la monotonie, de l’immobilisme, du fatalisme. Avec les vertus du soldat à l’ancienne, il témoigne d’« une espèce humaine d’un autre âge qui fut littéralement déchiquetée. »

    Comment cet homme brisé par la guerre va fonder une famille, transmettre ses valeurs à son petit-fils qui retournera sur ses traces et découvrira des secrets dont il n’avait pas idée, notamment à travers les peintures qui lui ont survécu, voilà ce que raconte Stefan Hertmans dans Guerre et Térébenthine, une histoire forte traversée par des sentiments douloureux, de beaux portraits de femmes dont j’aurais dû vous parler, des tableaux célèbres... Un superbe hommage à un grand-père aimé mais méconnu, aimé et reconnu.

  • Je Sais Pas Vous

    je sais pas vous,patrick leterme,étienne duval,musique,capsules vidéo,dessin,césar franckDe retour bientôt pour commenter la finale du concours Reine Elisabeth de piano 2021, le musicien Patrick Leterme est l’auteur de capsules vidéos présentant les « œuvres-clés du répertoire classique » en quelques minutes, avec la complicité du dessinateur Etienne Duval.

    Ces « Je Sais Pas Vous » didactiques et pleins d’humour, ont été diffusés dans plusieurs pays. Auvio propose les 99 épisodes parus, beaucoup sont disponibles sur YouTube. Le 100e, pour finir en beauté, sera une « vaste fresque qui retrace l'ensemble de l'histoire de la musique en 12 minutes » (Patrick Leterme).

    Je Sais Pas Vous : Franck, Sonate pour violon et piano  (26.04.21 - 2 min 37 sec)

    sur Auvio : https://www.rtbf.be/auvio/detail_je-sais-pas-vous?id=2761986

    sur RTS :  https://www.rts.ch/play/tv/je-sais-pas-vous/video/franck---sonate-pour-violon-et-piano?urn=urn:rts:video:11831367