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écriture - Page 24

  • Dis-moi ce que tu vois

    patti-smith-m-train-gallimard.jpg« J’ai abandonné tout ça sur mon lit et suis allée au Caffè Dante. J’ai laissé mon café refroidir et songé aux enquêteurs de police. Au sein d’un binôme, chacun dépend du regard de l’autre. Le premier dit : dis-moi ce que tu vois. Son associé doit parler d’une voix assurée, sans rien omettre. Mais un écrivain n’a pas de partenaire. Il est obligé de se demander : dis-moi ce que tu vois. Mais comme il se parle à lui-même, il n’est pas obligé d’être parfaitement intelligible, car quelque chose en lui se remémore toute partie manquante – ce qui n’est pas clair ou n’est que partiellement explicité. Je me suis demandé si j’aurais été une bonne enquêtrice. J’enrage de devoir l’avouer, mais je pense que non. Je ne suis pas très observatrice. Mes yeux semblent se tourner vers l’intérieur. J’ai réglé l’addition, émerveillée de constater que les mêmes décorations de Dante et Béatrice tapissent les murs du café depuis ma première visite, en 1963. Je suis sortie pour aller faire des courses. J’ai acheté la nouvelle traduction de La Divine Comédie et des lacets pour mes bottes. J’ai remarqué que je me sentais optimiste. »

    Patti Smith, M Train

  • Au café avec Patti S.

    Quelle excellente compagnie pour une fin d’année morose que M Train de Patti Smith (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard). La première phrase est parfaite : « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. » C’est ce que dit le cow-boy qui apparaît régulièrement dans ses rêves. « En ouvrant les yeux, je me suis levée, suis allée d’un pas chancelant dans la salle de bains où je me suis vivement aspergé le visage d’eau froide. J’ai enfilé mes bottes, nourri les chats, j’ai attrapé mon bonnet et mon vieux manteau noir, et j’ai pris le chemin si souvent emprunté, traversant la large avenue jusqu’au petit café de Bedford Street, dans Greenwich Village. »

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    Elle racontera, beaucoup plus loin, comment a été prise la photo de la jaquette du livre, la première et la dernière d’elle au Café ’Ino. « Ma table, flanquée de la machine à café et de la baie vitrée qui donne sur la rue, m’offre un sentiment d’intimité, je peux me retirer dans mon monde. » A neuf heures du matin, fin novembre, il est vide ; la phrase du rêve tourne dans sa tête et elle lui répond : « Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. »

    Zak, le gamin qui la sert, lui annonce que c’est son dernier jour. Il va ouvrir « un café de plage sur la promenade de Rockaway Beach ». Il ignore qu’elle avait rêvé de faire pareil (elle ignore encore ce qui va se passer un jour à cet endroit). Quand elle est arrivée à New York en 1965, « pour vagabonder », elle fréquentait le Caffè Dante – elle avait les moyens de boire du café, pas de se payer à manger – et puis s’était installée pas loin. C’est là qu’elle avait lu Le café de la plage de Mrabet et avait rêvé d’en ouvrir un, « le Café Nerval, un petit havre où poètes et voyageurs auraient trouvé la simplicité d’un refuge. »

    Si ce début vous plaît, M Train est fait pour vous. Patti Smith nous embarque dans ses rêves, ses rites et ses souvenirs. Son projet était tombé à l’eau après sa rencontre avec Fred « Sonic » Smith à Detroit, elle était partie vivre avec lui. Contre la promesse d’un enfant, il lui avait offert de l’emmener où elle voulait : ce fut Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, pour voir les vestiges de la colonie pénitentiaire et cette « terre sacrée » dont parle Genet dans Journal du voleur. Elle raconte leur voyage, l’illustre de quelques polaroïds (une cinquantaine dans M Train), avant de proposer à Zak d’investir dans son affaire – « Vous aurez du café gratuit pour le restant de vos jours. »

    Sa façon de faire l’impasse sur Thanksgiving, de passer Noël avec ses chats et une petite crèche flamande, puis la Saint-Sylvestre « sans résolution particulière », m’a plu, sereine et détachée. Elle termine un poème en hommage à Roberto Bolaño, reconnaissante qu’il ait passé la fin de sa courte vie à écrire 2666, « son chef-d’œuvre ». Patti S. parle avec ses objets familiers, aussi bien avec la télécommande qu’avec une photo, un bol, une chaise (celle de son père).

    Une invitation tombe à point pour la sortir de sa « léthargie apparemment incurable » : le Continental Drift Club (CDC) se réunira mi-janvier à Berlin. Un peu par hasard, elle est devenue membre de cette petite société formée dans les années 80 à la mémoire d’Alfred Wegener, « pionnier de la théorie de la dérive des continents ». Elle avait écrit à l’Institut A. Wegener pour obtenir l’autorisation de photographier les bottes de l’explorateur et, invitée à la conférence du Club à Brême, en 2005, avait été admise, vu son enthousiasme, parmi ce groupe de scientifiques. Lors de leur réunion à Reykjavík, deux ans plus tard, elle avait photographié la table de la fameuse partie d’échecs disputée en 1972 et même – une séquence loufoque – rencontré Bobby Fisscher en personne.

    Patti Smith adore les séries policières et en particulier The Killing, avec Sarah Linden, son enquêtrice préférée : « elle n’a beau être qu’un personnage dans une série télévisée, c’est un des êtres qui m’est le plus cher. Je l’attends chaque semaine, redoutant en silence le moment où The Killing s’achèvera et où je ne la reverrai plus jamais. » A Berlin, son hôtel n’est pas loin du Café Pasternak où elle a aussi sa table préférée, sous la photo de Boulgakov.

    Le titre de sa conférence a été mal traduit – « Les Moments perdus d’Alfred Wegener » au lieu de ses « derniers » moments –, par confusion entre « last » et « lost ». Son évocation de la mort de l’explorateur au Groenland – « Chemin blanc, ciel blanc, mer blanche » – et de ses dernières visions (discours griffonné sur des serviettes à l’hôtel) suscite des protestations, on ne sait rien de sa mort (il a été retrouvé gelé dans son sac de couchage) : « Ce n’est pas de la science, c’est de la poésie ! » Un désastre. Inspirée, elle trouve la formule magique pour conclure et dit d’une voix mesurée : « J’imagine que nous pourrions nous entendre sur le fait que les derniers moments d’Alfred Wegener ont été perdus. – Leur rire franc dépassait de beaucoup tout espoir que j’avais pu nourrir vis-à-vis de sympathique groupe un peu austère. »

    Patti Smith parle de ses rencontres, des écrivains qu’elle lit, qu’elle aime, de son chez-soi : « Ici règnent la joie et le laisser-aller. Un peu de mescal. Un peu de glandouille. Mais pour l’essentiel du travail. – Voici comment je vis, me dis-je. » A sa table au Café ’Ino, elle lit Murakami, titre après titre ; Chroniques de l'oiseau à ressort fait partie de ce qu’elle appelle « des livres dévastateurs ». On ne veut pas les quitter, à peine terminés on veut les relire. Combien de sortes de chefs-d’œuvre existe-t-il ? Deux, trois sortes ? Une seule ?

    Et ainsi de suite, régalez-vous. Pourquoi « M Train » ? J’ai d’abord pensé à son évocation de ce « jeu ancien, inventé depuis longtemps contre l’insomnie », entre autres usages, « une marelle intérieure qui se joue mentalement et non pas sur un pied » : « prononcer un flux ininterrompu de mots commençant par la lettre choisie, disons la lettre M. Madrigal menuet maître mère montre magnétophone maestro mirliton merci marshmallow meringue méfait marais mental etc., sans s’arrêter, en avançant mot par mot, case par case. »

    Mais au milieu de son récit, Patti Smith nous emmène à la Casa Azul, dernière demeure de Frida Kahlo, où elle va prononcer une conférence et chanter. Elle ne sent pas bien, la directrice insiste pour qu’elle se repose dans la chambre de Diego Rivera. La voilà allongée sur le lit de Diego, pensant à Frida. Elle pourra tout de même tenir son rôle le soir, devant deux cents personnes, dans le jardin. Ensuite elle ira au bar, boira une tequila « légère » : « J’ai fermé les yeux et vu un train vert avec un M à l’intérieur d’un cercle ; le même vert décoloré que le dos d’une mante religieuse. » Un train mental.

  • Phrases

    Roth Zuckerman enchaîné Folio.jpg« Je combine des phrases, voilà ma vie. J’écris une phrase et je la décortique. Puis je l’examine et je la retourne encore. Ensuite, je vais déjeuner. Ensuite, je reviens et j’écris une autre phrase. Ensuite, je prends le thé et remanie cette phrase. Ensuite, je lis les deux phrases et les recompose encore. Ensuite, je m’allonge sur mon canapé et je réfléchis. Ensuite je me lève, bazarde mes deux phrases et recommence à zéro. Et si je laisse tomber cette routine ne fût-ce qu’un jour, je suis malade d’ennui et ravagé à cause du temps perdu. »

    Lonoff à Zuckerman

    Philip Roth, L’écrivain fantôme

  • Zuckerman enchaîné

    Après avoir lu Exit le fantôme (2007), il me fallait absolument remonter aux débuts de Nathan Zuckerman, le héros et le double « de fiction » de Philip Roth (1933-2018). Zuckerman enchaîné rassemble les quatre premiers titres du cycle. L’écrivain fantôme (titre plus fidèle que L’écrivain des ombres dans la première traduction de The Ghost Writer, 1979) fait apparaître le jeune Nathan en admirateur de l’écrivain E.I. Lonoff à qui il rend visite.

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    A vingt-trois ans, Zuckerman a publié quelques nouvelles et se rend, très ému, « à la retraite du grand homme » au bout d’un chemin de terre dans les Berkshire. La tenue soignée du « maestro » (titre du premier chapitre) le surprend, et tout chez lui, ses manières méticuleuses, son salon « simple, confortable, très en ordre », la vue des « grands érables sombres et des champs de neige » par les fenêtres, lui plaît tellement qu’il se dit : « Voici comment je vivrai. »

    Elevé à Newark par des parents aux petits soins dans un quartier « ni riche, ni pauvre », avec un frère plus jeune qui l’idolâtre, Nathan vit et écrit dans un « réduit » en bas de Broadway, quand il ne travaille pas à New Jersey, trois fois par semaine, à faire du porte à porte pour placer des abonnements à des illustrés. Avec l’aide de son éditeur, il a été admis « pour les mois d’hiver, comme résident à la Quahsay Colony, la retraite rurale pour artistes en face de la colline de Lonoff, juste de l’autre côté de la frontière de l’Etat. »

    C’est de là qu’il a envoyé à Lonoff les numéros de la revue qui a publié quatre nouvelles de lui, avec une lettre où il lui disait l’importance que son œuvre a eue pour lui, comme celle de ses « frères de race », Tchekhov et Gogol. Très vite, Nathan explique au lecteur qu’il n’ambitionne pas moins que devenir le « fils spirituel » de Lonoff. Il dispose par ailleurs d’un père aimant, mais celui-ci est pédicure et non artiste, et reste effaré par ce qu’écrit son rejeton. Cela fait plusieurs semaines qu’ils ne se parlent plus.

    « Le héros typique des récits de Lonoff (…) semblait dire quelque chose de neuf et poignant aux Gentils à propos des Juifs et aux Juifs à propos d’eux-mêmes (…) ». Une fois décrites les raisons de son admiration, Zuckerman relate leur entrevue, les questions qui lui sont posées, sa curiosité en apercevant une fille magnifique assise sur un tapis dans le bureau de travail dont Hope, la femme de Lonoff, a poussé la porte : sa fille ? Il imagine déjà de se fiancer avec elle.

    Lonoff résume son art tout simplement : « Je combine des phrases, voilà ma vie. » L’écrivain décrit sa manière de faire, son emploi du temps. L’entretien avec Nathan est interrompu par diverses sollicitations qui agacent Lonoff et puis par l’apparition de la jeune Amy Bellette : elle travaille à la bibliothèque de Harvard et met de l’ordre dans les manuscrits du maître. Elle lui annonce avoir trouvé « vingt-sept versions différentes de la même nouvelle » intitulée « La Vie est embarrassante » !

    Nathan Zuckerman reste pour le dîner. Lonoff lui porte un toast inoubliable, « A la santé d’un nouvel écrivain merveilleux ! », ce qui le libère complètement de sa timidité. A son épouse, le vieil écrivain déclare que ce que leur jeune invité écrit « témoigne d’une certaine turbulence qu’il faut entretenir et pas au milieu des bois ». Quand la conversation tourne autour de Miss Bellette, la tension monte et Nathan assiste à une scène terrible, ce qui n’empêchera pas les deux écrivains, le maître et le débutant, de discuter ensuite de littérature toute la soirée. C’est entendu, comme il ne cesse de neiger, il restera dormir dans le cabinet de travail.

    « Qui aurait pu dormir après cela ? » C’est peut-être, pour Nathan, l’occasion rêvée d’écrire à son père (qui veut le « sauver » de ses « erreurs ») la lettre d’explication qu’il attend, après que son fils a laissé sans réponse la lettre d’un juge réputé à qui son père a demandé d’intervenir pour le raisonner sur la façon dont il parle des Juifs dans ses écrits. Mais les bruits, les conversations nocturnes qu’il écoute avidement, l’observation du bureau de Lonoff, de sa bibliothèque, tout cela lui importe davantage.

    Le petit déjeuner à quatre, le lendemain matin, comme dans « une famille heureuse », ne sera pas des plus ordinaires. On en apprend davantage sur Amy Bellette, qui se prend pour Anne Frank, et on découvre à la fin pourquoi Lonoff dit à Nathan Zuckerman : « C’est comme d’être marié à Tolstoï. » L’écrivain fantôme, avec ferveur et humour, raconte comment « la folie de l’art », selon la formule d’Henry James, se vit au quotidien, à travers le regard d’un jeune écrivain qui ne perd pas une miette de ce qui s’offre à lui. Irrésistible.

  • Paysage perdu, JCO

    Joyce Carol Oates a sous-titré Paysage perdu (2015, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, 2017) « De l’enfant à l’écrivain ». Ce récit autobiographique montre la façon dont sa vie « (d’écrivain, mais pas uniquement) a été modelée dans la petite enfance, l’adolescence et un peu au-delà ». Ce « paysage des premiers temps » est aussi un véritable paysage rural, dans l’ouest de l’Etat de New York, au nord de Buffalo.

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    « Au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance. » Ce récit en séquences est nourri d’articles reproduits ou remaniés. La fille de Carolina Bush et de Frederic Oates y fait leur portrait et surtout y relate concrètement ses liens très forts avec ses parents, jusqu’à leur mort.

    Son père travaillait dans une usine parce que la petite ferme dans laquelle ils vivaient ne suffisait pas à les nourrir. Toute petite, Joyce Carol y avait un animal préféré, « Heureux le poulet », qui la suivait partout et qu’elle caressait. Plus tard, ce seront surtout des chats. Vingt ans après sa mère, elle va dans la classe unique à l’école du district ; elle aime apprendre. Son père, toujours très actif, apprend à piloter un Piper Cub, peint des lettres pour des enseignes durant son temps libre.

    JCO, enfant solitaire et secrète, a un premier coup de cœur littéraire pour Alice, cadeau de sa grand-mère juive, Blanche Morgenstern, qui lui offrira aussi sa première machine à écrire. La romancière sait que la mémoire est trompeuse et qu’écrire sur le passé est un exercice périlleux. « C’est la transcription des émotions, non celle des faits, qui intéressent l’écrivain. » « L’écrivain est un déchiffreur d’indices – si l’on entend par « indices » un récit souterrain et discontinu. »

    Promenade du dimanche, harcèlement des garçons qu’elle fuit en courant très vite, rapprochement avec la fille d’une voisine battue par son mari, fréquentation d’une église méthodiste, puis protestante (sans jamais croire en l’existence de Dieu), les relations de Joyce Carol avec les autres sont timides et souvent décevantes. Elle perd son amie Cynthia, d’un milieu aisé, pour qui elle a fait tant d’efforts, chez qui elle était reçue, et qui finira par se suicider.

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    Carolina Oates et Joyce, dans le jardin de la maison de Millersport, mai 1941 © (Fred Oates) in Paysage perdu

    « La solitude fait de nous tellement plus que ce que nous sommes au milieu de gens qui prétendent nous connaître. » Quand après son frère Robin naît une petite sœur, le jour même de ses dix-huit ans, l’honneur que lui font ses parents en la laissant choisir son prénom – contente du sien, elle l’appellera Lynn Ann – elle vivra une autre perte : celle qui lui ressemble comme une sœur jumelle est autiste et n’aura jamais de contact avec elle.

    Les études, la lecture, l’écriture, voilà l’autre noyau de sa vie. Les bibliothèques font son bonheur, les revues littéraires. Sa première nouvelle est publiée dans « Mademoiselle » à dix-neuf ans. En 1960, JCO sort « major » de sa promotion. « Cela a été le mantra de ma vie. Je n’ai pas d’autre choix que de continuer. » Le troisième cycle la déçoit, une approche de la littérature plus érudite, centrée sur les « notes de bas de page », mais elle y rencontre son mari, Raymond Smith ; tous deux enseigneront.

    Lynn Ann détruit tout. Ses parents protègent sa petite sœur avec un amour total. Muette et coupée du monde, elle sera placée à quinze ans dans une institution pour handicapés mentaux. Devant cette « vie sans langage » qui met sa sœur en opposition avec elle, la romancière écrit : « Pas ce que nous méritons, mais ce qui nous est donné. Pas ce que nous sommes, mais ce qu’il nous est donné d’être. »

    En revenant sur ses années universitaires, Joyce Carol Oates se souvient de son épuisement à cette époque : insomnies, lectures accumulées, tachycardie. Elle s’y est fait une amie qui lui fera ressentir « le frôlement des ailes de la folie ». Quand elle échoue à l’oral d’admission au doctorat, son mari l’encourage : « tu vas pouvoir écrire ». Bien des années plus tard, elle sera reçue docteur honoris causa à Madison ; à 61 ans, on y donnera un grand dîner en son honneur : « Je pense que nous sommes tous des chats à neuf vies, ou même davantage. Nous devons nous réjouir de notre félinité insaisissable. »

    Auprès de Ray, JCO connaît une nouvelle atmosphère de bien-être, intimité, contemplation. Paysage perdu raconte leurs déménagements successifs, en fonction de leurs charges de professeurs, et ses succès littéraires, avant de revenir sur les figures aimées de ses parents. Le recueil se termine avec « Les courtepointes de ma mère », un très bel hommage à sa mère qui lui a cousu tant de belles choses.