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roman - Page 173

  • Aux Champs-Elysées

    « Mon ami Jacinto naquit dans un palais, avec cent neuf millions de réaux de rente en terres arables, vignoble, chênes-lièges et oliviers. » Ainsi commence 202, Champs-Elysées (A Cidade et as Serras), roman posthume de José Maria Eça de Queiroz (1845-1900), écrivain et diplomate portugais. La fabuleuse histoire d’un héritier né à Paris, protégé du mauvais sort par le fenouil et l’ambre répandus par sa grand-mère près de son berceau, doté de toutes les qualités du corps et de l’esprit, racontée par son meilleur ami, Zé Fernandez.

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    Eça de Queiroz caricaturé

    C’est au temps de l’université que celui-ci a rencontré « le Prince de Grande-Fortune », comme l’appelaient ses amis, chantre de la Civilisation : « Maximum de science x Maximum de pouvoir = Maximum de bonheur », voilà la formule de Jacinto, une idée inséparable de la Ville « dont tous les immenses organes fonctionneraient puissamment ».

    Rappelé par son vieil oncle à Guiães, Zé Fernandez y passe sept années de bonne vie campagnarde puis revient à Paris. Au numéro 202 de l’avenue des Champs-Elysées, le jardin n’a pas changé, mais à l’intérieur, que de nouveautés ! Jacinto y a fait installer un ascenseur, bien qu’il n’y ait que deux étages, avec divan, peau d’ours et étagères. Sa bibliothèque en ébène massif compte au moins vingt mille volumes reliés. Dans son cabinet de travail où tout est vert, Jacinto dispose de toutes sortes d’appareils modernes, de « pas mal de commodités » comme le téléphone et le télégraphe, un conférençophone et un théâtrophone, des plumes électriques… Eberlué, Zé observe qu’entretemps son ami a maigri, s’est un peu voûté, et a perdu l’appétit malgré son incroyable salle à manger.

     

    Après s’être installé au 202, Jacinto y tenait absolument, Zé Fernandez jouit de toutes les facilités du lieu et du service de Grillon, le valet noir de Jacinto. Jour après jour, il est initié à la vie supercivilisée et assiste aux rituels de la salle de bain équipée de toutes sortes de jets, aux coups de téléphone incessants, à la lecture d’innombrables journaux et, quand les obligations sociales de Jacinto le permettent, sort avec lui à pied dans Paris. « Quelle scie ! », répète à présent son ami, quelque peu las des « flétrissures » de la vie urbaine. Lui qui adorait « aller au Bois » se promène dans son coupé au Bois de Boulogne sans ferveur, sombre, insatisfait.

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    Paris (VIIIème arr.) L'avenue des Champs-Elysées, vers 1910 © ND / Roger-Viollet

    Eça de Queiroz, on l’a compris, propose dans 202, Champs-Elysées une satire de la vie parisienne à la fin du dix-neuvième siècle et de la foi dans le progrès technologique. Jacinto jouit de tous les privilèges, reçoit les dames du grand monde, mais un problème de canalisation, une inondation, une panne, et tout son bonheur s’écroule. Ainsi, la fête somptueuse pour son ami le grand-duc qui lui a fait livrer un poisson délicieux pêché en Dalmatie prend un tour dramatique quand Jacinto apprend que le monte-plats est bloqué, le fameux poisson inaccessible. Le grand-duc ne lui en tiendra pas rigueur, amusé par la séance de pêche improvisée (et vaine) et rassasié des mets les plus délectables. « La barbe, tout ça ! Et en plus rien ne marche ! » rugit Jacinto après coup. Et pour l’accabler encore, arrive du Portugal la nouvelle d’une catastrophe : un glissement de terrain sur ses terres a entraîné avec un pan de la montagne la vieille église où étaient enterrés ses aïeux – son régisseur attend les ordres de son seigneur. 

    Au printemps, tandis que de grands travaux sont entrepris au 202 pour le rétablir dans toute sa splendeur, Zé Fernandez, de son côté, tombe amoureux d’une « créature d’amour » stupide et triste, « Madame Colombe ». Sept semaines de fièvre. L’accablement de Jacinto le désole, il prouve à quel point la Ville, « anti-naturelle » dessèche, inquiète, détériore tout. « Et tout un peuple pleure de faim » pour l’orgueil de la Civilisation. Zé décide alors de faire un tour des villes européennes, visite cathédrales et musées – « Je dépensai six mille francs. J’avais voyagé. » A son retour, il découvre que Jacinto est passé de l’optimisme au pessimisme radical, se plaignant de tout.

     

    A la fin de l’hiver, le propriétaire du 202 usé jusqu’à la corde, « empêtré dans l’infime embarras de vivre », décide de retourner sur ses terres portugaises pour le transfert des restes de ses ancêtres dans la nouvelle chapelle qu’il y a fait construire. Les préparatifs du voyage – il faut aménager là-bas la vieille maison – provoquent un retour de passion pour la Ville et les plaisirs de la Civilisation. Malgré tous ses soins, après de fâcheux embarras de train, Jacinto et son ami arrivent à destination sans leurs bagages, égarés, dans une  maison où rien n’est prêt – les trente-trois caisses envoyées de Paris ne sont jamais arrivées.

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    La suite, on s’y attend… Dans la seconde partie du roman, Jacinto va ressusciter sur ses terres, la vie simple à la montagne va le réconcilier avec le monde. Eça de Queiroz, avec beaucoup d’humour et une plume allègre, reprend dans 202, Champs-Elysées le thème de la décadence urbaine opposée à la régénération par la nature qu’il avait déjà abordé dans une nouvelle, Civilisation. Nommé consul du Portugal à Paris en 1888, il y est resté jusqu’à sa mort. Cette satire « violemment ironique et très drôle, caricaturale » de la société parisienne fin de siècle, comme l’écrit la traductrice Marie-Hélène Piwnik dans l’introduction, et ensuite d’une campagne-modèle idyllique dans un paradis montagnard, parle encore aux lecteurs du XXIe siècle, qui peuvent y retrouver certaines de leurs préoccupations. Merci à Dominique d’avoir recommandé ce livre « incisif, enjoué, où la décadence a du charme et de l’esprit. »

  • Regret

    « Je ne ressens maintenant que du regret quant à mon attitude à l’égard de Keiko. Dans ce pays-ci, après tout, il n’est pas surprenant de voir une jeune femme de cet âge exprimer le désir de partir de chez elle. Tous mes efforts n’ont abouti, semble-t-il, qu’à l’amener, le jour où elle est enfin partie – il y a de cela presque six ans – à rompre tout lien avec moi. Mais aussi n’avais-je jamais imaginé qu’elle pouvait m’échapper aussi vite et passer hors de ma portée. Je ne voyais qu’une chose : même si ma fille était malheureuse à la maison, elle n’aurait pas été de taille à se mesurer avec le monde extérieur. C’était pour mieux la protéger que je m’opposais à elle avec tant de véhémence. »

     

    Kazuo Ishiguro, Lumière pâle sur les collines

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  • Un passé à Nagasaki

    Etsuko vit seule dans la campagne anglaise, l’image même de l'Angleterre telle qu’elle se l’imaginait quand elle vivait encore au Japon. Elle se souvient de la visite de sa fille Niki, la première après le suicide de sa fille aînée Keiko. A la cadette, elle voulait donner un prénom anglais, mais son mari préférait un nom japonais et ils étaient tombés d’accord sur ce prénom, Niki, vaguement oriental. Très vite, Etsuko a senti que sa fille, nerveuse, avait hâte de retrouver son appartement et ses amis londoniens. Pour Niki, sa sœur était quelqu’un qui la faisait souffrir, et elle n’était pas à son enterrement.

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    Cette visite pleine de tension et de non-dits – « la mort de Keiko n’était jamais loin ; elle planait au-dessus de chacune de nos conversations » – réveille les souvenirs d’Etsuko, en particulier l’amitié d’une femme qu’elle a connue quand elle habitait Nagasaki, bien avant de rencontrer le père de Niki, un Anglais. Et pourtant, Sachiko et elle ne s’étaient fréquentées que quelques semaines cet été-là, dans le soulagement de l’après-guerre, même si on se battait encore en Corée. Ce retour dans le passé est le sujet principal de Lumière pâle sur les collines (A pale view of hills, 1982), le premier roman de Kazuo Ishiguro, avant Un artiste du monde flottant, Les vestiges du jour et Auprès de moi toujours. Né à Nagasaki en 1954, l’écrivain devenu citoyen britannique est arrivé en Angleterre à l’âge de cinq ans.

     

    Avec Jiro, son premier mari, Etsuko vivait dans un des nouveaux immeubles reconstruits après le bombardement dans un quartier à l’est de la ville, non loin d’une rivière à laquelle on accédait en traversant des terrains vagues que beaucoup jugeaient insalubres. « Une maisonnette en bois avait survécu aussi bien aux ravages de la guerre qu’aux bulldozers du gouvernement. » Etsuko la voyait de sa fenêtre et savait par des voisins qu’une femme réputée peu sociable et sa petite fille vivaient dans cette bicoque. Elle-même était alors enceinte de trois ou quatre mois.

     

    Elles se rencontrent un jour sur le chemin, et Etsuko signale à cette femme d’une trentaine d’années ou plus (son visage paraît plus âgé) qu’elle a vu sa fille se bagarrer assez méchamment avec deux autres enfants, du côté des ravins. Sachiko n’a pas l’air inquiète, mais la remercie : « Je suis sûre que vous allez être une excellente mère. » Elle doit aller en ville, et Etsuko accepte de s’occuper de la petite Mariko pour la journée. La fillette de dix ans ne va pas à l’école, les paroles d’Etsuko ne semblent pas l’atteindre.

     

    La première fois que Sachiko l’invite chez elle, Mariko lui montre leur chatte qui va avoir des petits et parle d’une femme « de l’autre côté de la rivière » : celle-ci lui a promis de l’emmener chez elle et de prendre un chaton. Pour Sachiko, la petite a surtout beaucoup d’imagination. Quant à elle, il lui faudrait du travail et elle aimerait que sa voisine la recommande à Mme Fujiwara qui vend des nouilles en ville. Etsuko admire le joli service à thé en porcelaine pâle – Sachiko lui a parlé de la maison magnifique de son oncle et de son goût des belles choses, elle n’a pas toujours vécu aussi modestement.

     

    La marchande de nouilles, une amie de sa mère qui a bien voulu prendre Sachiko à son service, s’inquiète en voyant l’air triste d’Etsuko. Elle lui recommande, pour l’enfant à venir, des pensées agréables, une attitude positive. Tant de personnes ne pensent qu’aux morts de la guerre, elle veut regarder vers l’avant.

     

    C’est à la même période que le beau-père d’Etsuko, Ogata, vient passer quelques jours chez son fils. Jiro, qui enseigne dans l’ancien lycée de son père, est agacé par ses remarques sur un ancien condisciple dont il a lu un article très critique envers les anciens enseignants. Il trouve cela déloyal de la part de quelqu’un qu’il a lui-même présenté au directeur du lycée, et voudrait que son fils lui exprime ses doléances. Jiro parti, Ogata parle avec Etsuko du futur enfant : elle aimerait lui donner le prénom de son beau-père, si c’est un fils, ou l’appeler Keiko, si c’est une fille.

     

    Ishiguro met peu à peu des situations en place, y dispose ses personnages comme les pièces de cette partie d’échecs jamais terminée entre Jiro et son père, et cela crée un climat d’attente, d’inquiétude. Même dans la complicité qui s’installe entre des amies, entre un beau-père et sa belle-fille, entre mère et fille, il plane comme une menace. L’avenir de Sachiko et de sa fillette farouche est lié au bon vouloir d’un soldat américain qui a promis de les emmener aux Etats-Unis. Tiendra-t-il parole un jour ?

     

    Du Japon d’après la guerre, Lumière pâle sur les collines revient dans la campagne anglaise où Niki et sa mère sont en désaccord sur presque tout – la jeune femme s’étonne d’entendre Etsuko répondre évasivement à une voisine qui prend des nouvelles de Keiko, comme si on ne l’avait pas retrouvée pendue dans sa chambre à Manchester.

     

    Les souvenirs terribles ne manquent pas dans ce roman mystérieux, où l’on n’ose pas trop s’aventurer sur le terrain des émotions, où l’on communique difficilement les uns avec les autres. Le bonheur semble absent, englouti dans l’entonnoir du passé. Pour Etsuko comme pour Sachiko. Il y a, même au sein des familles, des gouffres infranchissables.

  • La mariée

    « Les cloches ont commencé à sonner et, juste devant l’église, il y avait nous et la famille de Fanny, c’est comme ça qu’elle s’appelait, la mariée. Comme on n’avait pas de mère et pas de sœur, on avait collé mon frère au bras de sa fiancée, et vlan que tu entres ensemble par la grande allée. Arthur était tout pâle, et sa Fanny, guère mieux, dans sa robe un peu trop large, m’était avis que ce n’était pas la première fois qu’on la mettait, cette robe, qu’elle avait appartenu à quelqu’un qui était entré avec plus de cœur qu’eux deux qui allaient marcher au milieu de l’église vide. Les cloches battaient à toute volée et quand notre Roger est sorti pour l’accueil, ça m’a fait du bien de voir quelqu’un sourire, rapport à la tête que chacun faisait ici, et moi qui n’osais pas découvrir mes dents de peur de recevoir une rouste. »


    Geneviève Damas, Si tu passes la rivière

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  • Un ton, une voix

    Trouver le ton, faire entendre la voix singulière d’un personnage, c’est ce que réussit d’emblée Geneviève Damas dans Si tu passes la rivière (2011). Ce roman d’une centaine de pages donne la parole à François Sorrente, le plus jeune des fils de la ferme, qui garde les cochons – et les aime. « Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras pas les pieds  dans cette maison. » La menace a déjà été mise à exécution : Maryse, sa grande sœur, a filé de l’autre côté quand il était petit. Il ne l’a plus jamais revue. Son nom même n’est plus prononcé. Maryse manque à François qu’elle a si souvent rassuré, elle seule lui témoignait un peu d’affection : « Ça a été aux cochons aujourd’hui, Fifi ? » 

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    A présent, il n’y a plus que le prêtre, Roger, à lui lancer de son vélo : « Ça va, François ? » Intrigué par le sac que l’homme porte toujours en bandoulière, François lui a un jour barré le passage pour savoir ce qu’il y avait dedans. Le curé en a sorti un livre d’images, il a bien compris que le gamin avait envie qu’on lui en lise l’histoire, une histoire pieuse, c’était mieux que rien.

     

    « Mes frères, je n’en ai pas encore parlé. Jusqu’à présent, j’ai toujours dit les frères, comme s’ils formaient un lot, mais comment pourrais-tu savoir alors qu’ils sont deux si différents d’apparence, comme un grain de blé et un grain de seigle. » Jules a pris la place de Maryse à table, « il a la voix forte et les épaules qui vont avec. » Il s’occupe des machines, « ça le connaît. » François a reçu une taloche quand il a essayé de lui cacher Oscar, son cochon favori, mais Jules l’a saigné, « et le sang a commencé à battre » dans la tête de François - il a refusé d’en manger. Quelques mois plus tard, Jules lui a ramené un accordéon et François en a tiré « sa chanson de solitude et de liberté ».

     

    Le deuxième frère, le blond, Arthur, « beau comme un taureau », vend les produits de la ferme au marché. En réalité, il est le quatrième. Maryse était l’aînée, Jean-Paul, le troisième, s’est tué en tombant du toit. Même s’ils sont différents, les frères de François parlent pareil : « Moins on parle, mieux ça vaut, si tu as quelque chose à dire, tais-toi, si tu es content, tais-toi, si tu as du chagrin, tais-toi. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. »

     

    Sa mère, François ne la connaît même pas en image, personne ne parle d’elle, même pas Maryse quand elle était encore là. Il a bien fouillé dans la chambre du père, un jour où il n’était pas là, mais il n’a trouvé que des photos des alentours de la maison, avec des fleurs partout, alors que son père n’en veut plus, et de l’autre côté de la rivière, une ferme, une grange, une étable, au lieu « des vieux murs brûlés qui branlent sans aucun toit dessus » dont personne ne lui a jamais raconté l’histoire.

     

    Privé d’Oscar, son confident, François choisit un autre cochon pour l’amitié, cette fois en secret, ce sera « Hyménée », une truie de presque deux ans qu’il a baptisée ainsi en souvenir d’une autre dont Maryse lui avait parlé autrefois. Il lui parle, mais, à dix-sept ans, même si les siens le traitent comme un attardé, cela ne lui suffit plus. Roger, qui l’a bien compris, lui a dit qu’il pouvait lui raconter des tas d’autres histoires un jour, s’il voulait, et un soir il se décide, va gratter à son volet. Le prêtre, torse nu, passe la tête à la fenêtre : « Pas ce soir, je suis occupé. » Le lendemain, quand il y retourne, François se surprend lui-même en répondant, quand le curé lui demande le genre d’histoire qu’il voudrait : « Pour y aller de l’autre côté de l’eau, Roger. »

     

    « J’ai dit ça, comme ça, pour me sortir d’un mauvais pas, et v’là que je me mettais dans un autre, à penser traverser la rivière, moi aussi, sans y prendre garde, contre la défense du père, et je me suis dit que les ennuis commençaient. » A l’indifférence, au silence, à la dureté, François préfère les mots de Roger, ou ceux de la vieille Lucie qu’il est allé chercher un jour où le père s’était senti mal, et que celui-ci a chassée de la maison parce qu’elle avait osé lui dire : « Tu dois lui dire la vérité, Jacques, sinon cela te poursuivra jusque dans la mort. »

     

    François prend goût à s’éloigner de la ferme, à marcher dans les rues du village où il ne s’est rendu que rarement, comme pour l’enterrement de son frère. « Ce qui est bien, quand tu te promènes, c’est que parfois tu croises des gens, et alors ils te saluent, toi tu les salues, et c’est un peu comme si tu n’étais plus un inconnu. » Il parle avec la grosse Amélie qui étend son linge sur le côté de la maison et qui l’invite à boire un coup. Il pousse la grille du cimetière, où il y a tant de noms sur les pierres qu’il ne pourra jamais trouver la tombe de son frère, lui qui ne sait pas les déchiffrer. C’est encore vers Roger qu’il se tourne alors pour qu’il lui apprenne à lire : « Je n’ai pas peur. J’ai fini d’être un crétin. »

     

    L’histoire que François voudrait qu’on lui raconte, c’est la sienne, celle de sa famille, celle de sa mère. Il veut savoir d’où il vient. Si tu passes la rivière est le récit d’une quête personnelle née d’une absence et de secrets trop longtemps gardés. Peu à peu, il va s’en rapprocher. Geneviève Damas nous fait littéralement entrer dans la tête et le cœur d’un garçon sensible qu’on traite comme un idiot et qui cherche son chemin à travers les mots. Après des nouvelles et des textes pour la jeunesse, en plus de son travail de théâtre, ce premier roman émouvant de la comédienne et metteuse en scène belge a remporté le prix Rossel 2011. Le monologue de François trouvera sans doute, un jour ou l’autre, on le lui souhaite, une voix de comédien pour le dire. Mais n’attendez pas pour aller à sa rencontre.

     

    & Bonne fête !

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