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portraits - Page 3

  • Prose pour Permeke

    « Il ferait beau voir que la couleur ne suive pas l’altération de la forme. Elle n’y échappe pas. Après avoir resplendi comme jamais aux toiles du siècle précédent, elle semble frappée d’anémie, inspirer du dégoût. Ce sont les teintes de la boue, du crépuscule, de l’hiver, de la misère, du deuil qui l’emportent, et, jetées avec ça, sans soin, sans souci du rendu, comme si le dépit, le désespoir des hommes de ce temps devant un monde en proie au désastre s’étendaient à la peinture. 

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    Constant Permeke, Le pain quotidien, 1950 Collection MuZEE © SABAM 2012 

    Mais l’art est représentation, mise à distance, compréhension, intelligence. Ses faiblesses, son insuffisance, sa pauvreté, sa tristesse, à la différence de celles qu’on éprouve en première instance, dans la vie, sont réfléchies, voulues, hautement élaborées. Elles transfèrent l’expérience dans le plan de l’expression, subliment les affects, les passions douloureuses qui sont notre contribution à l’existence, lorsqu’elle s’assombrit. Et par le fait – c’est la magie artistique –, elles l’allègent, l’éclairent. »

    Pierre Bergounioux, Permeke (extrait) in Prose pour Constant Permeke * 

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    * Cinq écrivains étrangers ont été invités « à se laisser inspirer par une peinture de l’artiste flamand Constant Permeke ». Leurs textes figurent dans le Guide du visiteur et sur les audioguides. Lecture publique le 20 novembre à 20 heures (nocturne). Parcours découverte avec Bozar Studios.

    Deux articles pour compléter : Permeke grandeur nature (Roger Pierre Turine) et Rencontre avec Thierry De Cordier (Guy Duplat)

  • Permeke monumental

    Maître de l’expressionnisme flamand, Constant Permeke (1886-1952) n’a cessé de peindre des paysans, des pêcheurs, des scènes villageoises ou des paysages de sa terre natale. Une large rétrospective lui est consacrée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, jusqu’au 20 janvier 2013. 

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     Constant Permeke, Buveurs de café © KMSKA, photo LukasArt in Flanders

    Dès le grand hall Horta, des portraits au fusain révèlent l’aspect monumental de ses figures, dans des tons bruns ou bistre, à l’exception d’une sanguine. Le dessin est puissant, la forme occupe tout l’espace.

    En haut des marches, La Grande Marine de 1935 (la plus grande qu’il ait peinte, pour l’exposition universelle à Bruxelles), très sombre, révèle la manière quasi abstraite de Constant Permeke dans ses paysages. « Je ne peins pas ce que je vois, mais ce que je pense avoir vu. » A la fin, on en découvrira d’autres, plus lumineux. Mais ce sont les gens ordinaires qui inspirent avant tout le peintre, il ne se lasse pas de les camper sur la toile ou le papier, assis ou debout, solides – humains. 

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    Constant Permeke, Marietje vue de dos avec châle, 1907 © SABAM 2012

    Le petit guide du visiteur relie Permeke à Emile Claus, à Spilliaert, aux peintres de Laethem-Saint-Martin. Marietje vue de dos avec châle et La fenêtre sont encore impressionnistes : Marie Delaere, ici en clair, sera au premier plan dans l’univers du peintre. Ils auront six enfants dont deux mourront en bas âge, tragédie intime. La fenêtre : un ciel bleu moiré où montent des feuillages, entre des volets, c’est une des rares toiles « luministes » où la couleur pure s’exalte.

    Les œuvres de Permeke ont souvent des couleurs sombres et au début, beaucoup de matière : on devine à peine les formes des Moissonneurs endormis. Les paysans sont en sabots ; Le Porteur, silhouette foncée aux reflets bleus, une lampe à la main, sa charge sur l’épaule, marche devant un paysage au couchant. Voilà des gens du peuple ; un homme assis, un chat sur les genoux, près d’une assiette vide sur la table ; une kermesse ; La voile rouge, un portrait d’homme auquel cette voile sert de fond, à la Spilliaert (il a occupé son ancien atelier à Ostende).

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    Constant Permeke, Femme de pêcheur (détail) – catalogue du Musée des Beaux-Arts d'Anvers

    La guerre de 1914 bouleverse tout : le soldat Permeke est gravement blessé et envoyé en Angleterre pour y être soigné. Il y restera cinq ans (trois enfants y naissent, dont Paul Permeke, peintre lui aussi, comme son père et son grand-père). Rentré en Belgique, Constant Permeke continue à s’inspirer de la vie des pêcheurs – « Des gens magnifiques, je me suis incarné en eux » – comme cette Femme de pêcheur (La jolie fille) en noir, assise sur le quai avec son grand panier devant elle, des bateaux à l’arrière-plan. Il dessine ou peint souvent ses figures sur du papier, qu’il maroufle ensuite sur la toile ou sur du bois dont il aime exploiter les nervures.

    Un chef-d’œuvre de 1922, Sur Permeke : on peut lire ces mots (« Over Permeke ») sur le journal où l’artiste lit un article parlant de lui. Il s’est représenté en famille dans cette grande peinture d’inspiration cubiste. La lampe blanche au-dessus de la table, qui éclaire toute la famille, les tasses blanches où l’on a servi du café et quelques autres blancs donnent une atmosphère particulière à cette scène de la vie domestique traitée de façon géométrique. 

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    Constant Permeke, Sur Permeke, 1922, Collection MuZEE, Oostende © SABAM 2012 

    De nombreux portraits, d’autres scènes de la vie simple à la campagne, et puis Le Cabriolet (1928) : un couple endimanché, lui en costume noir et cravate, elle en noir aussi, une croix sur sa robe, se serre dans un attelage tiré par un cheval de labour, l’élément le plus puissant de l’œuvre – ce cheval brun rouge à la crinière claire vient à notre rencontre sur un sol jaune lumineux. Pour ce dimanche ensoleillé, Permeke abandonne pour une fois les couleurs sombres de la terre. Idem dans La Roulotte, où nous voyons un tzigane et son enfant, de dos, pousser une roulotte jaune en direction d’un village.

    J’ai cherché souvent, je le reconnais, ces toiles où le peintre flamand laisse vibrer d’autres couleurs que celles des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, qu’il admirait. L’embrassement : le visage presque noir de l’homme – l’art africain fut aussi source d’inspiration pour Permeke – contre le visage rose de la femme, tenue d’une grande main brune, près d’une écharpe d’un vert vif – Permeke n’hésite pas à mettre en valeur, à agrandir les mains et les pieds. Les corps sont massifs, les traits stylisés, le dessin puissant, hommage aux « gens de chez nous, leur âme, leur caractère immuable, leur simplicité. »

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    Constant Permeke, Le cabriolet 1927 Collection privée © SABAM 2012

    Ne manquez pas Léonie, une paysanne dont les contours se détachent sur un fond clair, sa présence est phénoménale, la travailleuse dans toute sa splendeur. « Elle semble sculptée » (guide du visiteur). Progressivement, Permeke a développé un art du portrait où seules les lignes, lépaisseur du trait, suffisent à donner corps au personnage.

    Peintre et dessinateur, il est aussi sculpteur. Son Autoportrait taillé dans le bois est une tête longue comme un tronc d’arbre, qu’on reconnaît çà et là dans ses peintures.  Ses sculptures sont statiques. Le gigantesque Semeur en bronze est figé, au contraire de la toile homonyme, un peu plus loin, où la petite silhouette sombre d’un semeur, le bras s’écartant du corps, suffit à suggérer la vie, l’humble travail du paysan sous un ciel sombre strié par la lumière. 

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    Constant Permeke, Leonie 1929-32 Collection privée
    Photographe: Hugo Maertens, Brugge © SABAM 2012

    Quelques vues du village de Jabbeke, où la dernière maison de Permeke est devenue musée, précèdent les paysages pour lesquels j’avoue ma prédilection : Printemps, des nuages dorés sous une bande de ciel bleu pâle, au-dessus d’un verger ; Dimanche, tout en vert et jaune, végétal. Le peintre place la ligne d’horizon très bas, le ciel se déploie en cinémascope, on se baigne dans la lumière, par tous les temps.

    C’est dans cette voie que s’inscrit un des deux artistes contemporains associés à cette rétrospective. Une petite salle consacrée aux Nus de Marlene Dumas jouxte les Nus féminins de Permeke. Après la grande salle finale et L’adieu (déchirante mort de Marietje, tout près d’un Baiser, petite peinture qui m’a rappelé celui de Brancusi), le parcours se termine avec Thierry De Cordier : de très grands formats entre abstraction et paysage. Sa peinture joue avec la lumière, le peintre y écrit ses commentaires souvent narquois. Rien d’intéressant ni de social qui puisse plaire aux critiques, déclare cet artiste. Vous m’en direz des nouvelles ?

  • En te traduisant

    « En te traduisant, j’ai appris à écrire, à trouver ma langue. Car la phrase lamposienne, c’était quelque chose ! Longue, sinueuse, chantournée, rythmée d’incidentes, parfois paresseuse et s’en excusant, prompte à se commenter elle-même et se prendre pour objet de raillerie. Une phrase de conteur qui, somme toute, te ressemblait, proprement impossible à traduire et difficile à transposer. Jamais je n’ai autant senti les limites du français qu’en essayant de donner à tes textes un écho à peine satisfaisant. Il m’en est resté cette modestie têtue des traducteurs, cette détestation de la prétention si commune aux gens de lettres, sans cesse tentés de jouer les démiurges. On sert toujours un imaginaire, fût-ce le sien propre. Cela demande humilité. Cette humilité, tu me l’as apprise. »

     

    Xavier Hanotte, Ce cher Hubert (Hubert Lampo) in Le Carnet et les Instants,
    n° 163, Bruxelles, octobre 2010.

     

     

     

  • Le Carnet des Lettres belges

    C’est un plaisir de le recevoir tous les deux mois dans sa boîte aux lettres, de retrouver son format presque carré, sa typographie soignée, son beau papier, son élégant noir et blanc y compris pour ses nombreuses illustrations – à ne pas manquer
    si l’on s’intéresse à l’actualité littéraire dans notre pays. Le Carnet et les Instants, sous-titré Lettres belges de langue française, revêt pour son numéro 163 (octobre 2010) une nouvelle maquette présentée par Michel Lambert, rédacteur en chef : « Tout change, tout demeure », le titre convient bien à cette formule rajeunie mais fidèle à son objectif. Edité par Jean-Luc Outers pour la Promotion des lettres (Ministère de la Communauté française), Le Carnet offre en une centaine de pages, sur abonnement (gratuit), un magazine consacré aux écrivains belges et l’agenda des rencontres et spectacles qui leur sont consacrés, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, voire à Paris (Centre Wallonie-Bruxelles en face du Centre Pompidou).

     

    Le Carnet et les Instants n° 163.JPG

     

    Le numéro de ce mois propose un dossier sur l’humour signé Paul Aron. « Aucune histoire de la littérature belge ne comporte un chapitre sur le rire ou sur les humoristes, et cela surprend quand on se souvient du rôle fondateur joué par La légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs de Charles de Coster. » Et d'explorer l'humour de potache des revues étudiantes, les satires – quel Bruxellois ne s’est jamais esclaffé en assistant au Mariage de Mlle Beulemans (Wicheler et Fonson), un vaudeville bon enfant où l’on voit un Parisien s’adapter à la vie et au langage bruxellois – ou, plus proche, l’ironie d’un Jean-Philippe Toussaint dans La salle de bain.

     

    Autre portrait, celui du romancier Jean-Baptiste Baronian, bien connu aussi pour ses essais sur le fantastique belge. Francine Ghysen détaille le parcours de ce « fou de livres », bibliophile et mélomane. Rony Demaeseneer s’est rendu chez Pierre Mertens pour la rubrique « Bibliothèque d’écrivain », l’occasion d’un entretien à propos de ses lectures, parmi lesquelles celle de Kafka fut décisive.  « Les livres sont en mouvement » dans la maison de Mertens qui déborde de livres, documents, journaux, fiches, dossiers, dans toutes les pièces y compris à la cave. Sa bibliothèque comporte même des extensions « chez des amies » !

     

    On découvre aussi dans ce Carnet n° 163 le parcours littéraire et éditorial d’Armel Job, mais c’est sans nul doute le portrait d’Hubert Lampo par Xavier Hanotte qui m’a le plus touchée dans cette partie du magazine. L’auteur de Derrière la colline, entre autres, n’a pas accompagné au cimetière, en juin 2006, celui qui fut pour lui « un ami autant qu’un maître en littérature ». Il lui écrit ici une lettre, biographie, « exercice d’admiration », témoignage, remerciement, un très bel hommage à l’écrivain flamand du « réalisme magique ».

     

    Quant à Karel Logist, il a rencontré Pascale Fonteneau, Nadine Monfils, Barbara Abel, trois romancières « de génération, de style et de caractère différents » – « Le noir leur va si bien… » – pour leur demander comment elles voient le monde, comment elles se rencontrent, comment elles tuent, comment elles lisent, comment elles démarrent, gagnent leur vie, trouvent leurs sujets, comment elles se situent, comment elles jouent avec le cinéma, comment elles regardent la télé, comment elles voient la nature humaine – ouf ! Côté théâtre, un article de Geneviève Damas aborde la
    création collective « ou comment tordre le cou à la toute-puissance du texte théâtral », tout un programme, que le travail fameux du Groupov avec Jacques Delcuvellerie illustre à merveille.

     

    Passé l’agenda copieux, une vingtaine de pages, et la liste des publications,
    nouveautés et rééditions, une autre vingtaine de pages, viennent les critiques de parutions récentes, consacrées ce mois-ci à Vincent Engel, Geneviève Bergé, Xavier Deutsch, Ariane Le Fort, Hubert Nyssen, Anne Richter, pour n’en citer que quelques-uns.
    Le Carnet et les Instants n’est pas qu’une vitrine, c’est un magazine littéraire –  de promotion sans doute, c’est son rôle – qui alimente copieusement le buffet des lecteurs, spectateurs et autres amoureux de la littérature. De bon aloi, la revue des Lettres belges de langue française a sa place dans toutes les bibliothèques, où elle constitue une ressource de premier choix. J’apprécie sa façon de lire, faire découvrir et servir les écrivains belges d’hier et d’aujourd’hui, qu’elle en soit ici remerciée par une de ses fidèles lectrices.