« Il ferait beau voir que la couleur ne suive pas l’altération de la forme. Elle n’y échappe pas. Après avoir resplendi comme jamais aux toiles du siècle précédent, elle semble frappée d’anémie, inspirer du dégoût. Ce sont les teintes de la boue, du crépuscule, de l’hiver, de la misère, du deuil qui l’emportent, et, jetées avec ça, sans soin, sans souci du rendu, comme si le dépit, le désespoir des hommes de ce temps devant un monde en proie au désastre s’étendaient à la peinture.
Constant Permeke, Le pain quotidien, 1950 Collection MuZEE © SABAM 2012
Mais l’art est représentation, mise à distance, compréhension, intelligence. Ses faiblesses, son insuffisance, sa pauvreté, sa tristesse, à la différence de celles qu’on éprouve en première instance, dans la vie, sont réfléchies, voulues, hautement élaborées. Elles transfèrent l’expérience dans le plan de l’expression, subliment les affects, les passions douloureuses qui sont notre contribution à l’existence, lorsqu’elle s’assombrit. Et par le fait – c’est la magie artistique –, elles l’allègent, l’éclairent. »
Pierre Bergounioux, Permeke (extrait) in Prose pour Constant Permeke *
* Cinq écrivains étrangers ont été invités « à se laisser inspirer par une peinture de l’artiste flamand Constant Permeke ». Leurs textes figurent dans le Guide du visiteur et sur les audioguides. Lecture publique le 20 novembre à 20 heures (nocturne). Parcours découverte avec Bozar Studios.
Deux articles pour compléter : Permeke grandeur nature (Roger Pierre Turine) et Rencontre avec Thierry De Cordier (Guy Duplat)
Commentaires
Sublime extrait, merci Tania. Avant la fin de l'année j'irai m'y plonger... et puis je ne loupe pas une expo de De Cordier !
Bergounioux n'a pas suivi, contrairement aux autres, la consigne de commenter une peinture de Permeke en particulier. Tout son texte est très beau et très juste et "convient parfaitement aux oeuvres exposées dans la dernière salle" (d'après le guide du visiteur). Je ne connaissais pas De Cordier et j'ai lu et relu l'article de Duplat avec beaucoup d'intérêt. Bon week-end, MH.
On se dit en lisant cela que les mots ont leur place à côté d'œuvres majeures. L'image impressionne, la prose de Bergounioux éclaire. Et il n'y rien de trop.
Saviez-vous que P Bergounioux est sculpeur ?
Cf http://www.martinesonnet.fr/blogwp/?p=9714
En lisant cela, on se dit que les mots ont leur place à côté d'œuvres majeures. L'image impressionne, la prose éclaire. Il n'y a rien n'est de trop.
Saviez-vous que P Bergouniuox est aussi sculpteur ? Il y a un peu de Folon chez lui.
Cf http://www.martinesonnet.fr/blogwp/?p=9714
"Mais l’art est représentation, mise à distance, compréhension, intelligence. Ses faiblesses, son insuffisance, sa pauvreté, sa tristesse, à la différence de celles qu’on éprouve en première instance, dans la vie, sont réfléchies, voulues, hautement élaborées"
Je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas. Il peut être aussi instinctif, mécanique ou même imprécis, comme dans la vraie vie.
Je vais sans doute vous décevoir Tania, mais je n'aime pas que quelqu'un , fût-il un grand écrivain, vienne expliquer ce que l'art représente et comment on doit l'interpréter.
C'est un peu comme quand on demande à un sportif de haut niveau ce qu'il pense de la politique.
J'aime au contraire qu'on me raconte l'histoire des artistes , ce qui les a amenés à peindre ou à écrire ainsi, mais je n'aime pas les explications de texte comme celle-ci:
"Elles transfèrent l’expérience dans le plan de l’expression, subliment les affects, les passions douloureuses qui sont notre contribution à l’existence, lorsqu’elle s’assombrit."
Car lorsqu'on les lues ou entendues on ne comprend plus rien au tableau qu'on regarde , qu'on admire ou même qu'on déteste , pour des raisons diverses et variées qui sont bien entendues tout à fait personnelles.
Il n'y aura jamais de discours "universel" sur l'art et ici en l'occurrence sur la peinture.
Jamais aucune parole ou aucune explication de "texte" ne pourra résumer la multiplicité et la complexité des couleurs ou des formes et ce qui a amené le peintre à représenter ainsi ce qu'il voulait "dire"
Souvent je me contente de dire "j'aime" ou "je n'aime pas" mais dans le cas de Permeke je suis un peu partagé. Très élaboré comme le suggère Bergounioux ou pas assez comme le diront ceux qui regardent au premier degré? Peu importe , c'est l'émotion qui compte et personnellement dans ses oeuvres je suis légèrement frustré. Allez savoir pourquoi?
Mais je ne vous en veux pas , au contraire , j'aime votre façon de nous faire aimer ce qu'on aurait ignoré ou dédaigné.
Grâce à vous je "vois" maintenant Permeke d'un autre oeil.
Très bon week-end Tania
Oups..Je voulais dire "j'espère que vous ne m'en voudrez pas" . Car moi pourquoi vous en voudrais-je de tenir un blog si intéressant?
Considérant les propos de Gérard, je me permets d'y ajouter quelques précisions.
Pierre Bergounioux s'explique longuement dans "Jusqu'à Faulkner" (voir ce billet http://marque-pages.over-blog.net/article-jusqu-a-faulkner-pierre-bergounioux-1-110750784.html) sur l'écart qu'il voit entre l'écriture a posteriori et la vie vécue dans l'instant, brute, insaisissable. Il prolonge son propos ici à propos de l'art pictural qui n'est jamais qu'une représentation plus ou moins élaborée de choses vécues dans la confusion des instants. Sans doute la peinture de Permeke est-elle plus que jamais proche du vif, de la vérité immédiate. Mais elle ne l'est pas, car le résultat d'un travail a posteriori et maîtrisé.
Désolé de me multiplier,mais le lien donné dans mon com précédent est incorrect.
Voir http://marque-pages.over-blog.net/article-jusqu-a-faulkner-pierre-bergounioux-1-110750784.html
@ Christw : Rien lu de Pierre Bergounioux jusqu'à présent (malgré son abondante bibliographie) et si je m'étais souvenue de l'avoir rencontré pourtant dans vos deux billets sur "Jusqu'à Faulkner", j'aurais mis un lien, bien sûr. Merci de l'avoir inséré dans votre dernier commentaire et de renvoyer au blog de Martine Sonnet qui montre quelques-unes de ses sculptures.
@ Gérard : Votre réaction ne me déçoit pas, Gérard, je la comprends et la partage en partie. Je déteste que le discours s'impose au préalable pour donner accès à l'oeuvre artistique : les arts plastiques sont à aborder dans leur propre langage, non verbal. Mais j'aime, après le contact avec l'oeuvre, lire des commentaires qui éclairent l'univers de l'artiste et m'aident à voir ou percevoir. C'est dans ce sens que, comme l'écrit Christw, "les mots ont leur place à côté d'oeuvres majeures."
L'artiste est-il conscient de tout ce que les interprètes de son oeuvre en tirent à l'analyse ? Sans doute pas. Lui, il crée, il est dans le geste, dans la quête de la justesse, dans la nécessité. Comme écrit dans Le Soir, l'art de Permeke "était très instinctif et il voulait mettre en images ce qui est 'profondément humain'." http://mad.lesoir.be/event/226231-constant-permeke/
Dans "Le pain quotidien" ci-dessus, l'enfant assis par terre est inspiré par un personnage des "Noces paysannes" de Breughel, peintre que Permeke admirait. http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/bruegel/wedding.jpg
bonjour je te remercie de m'avoir permis de faire connaissance avec ce grand peintre Permeke
était-il aussi tourmenté que sa peinture le laisse paraître?
j'ai du changer le nom et l'adresse de mon blog
violaine dans les vignes
www.clairette-violaine.blogspot.com
permis de ta compréhension
amicalement
alixe
Christw et Tania,
Merci beaucoup pour les liens. Ma réflexion était dictée par des observations très souvent entendues dans les expositions.La plus courante étant "je n'y comprends rien" .J'ai toujours pensé que l'éducation artistique avait due être ratée ou mal faite pour de multiples raisons ,celle-ci entre autres:
à force de vouloir décortiquer et dire ce qui doit être vu au travers d'une oeuvre , à force d'y voir des choses ou des émotions que l'artiste lui-même ne ressentait peut-être pas , si par malheur je n'ai pas compris ou aimé ce qu'on me dit qui doit être bien et admiré, alors je passe pour une "bille" insensible et inintelligente.
Et j'en conclue donc que les oeuvres d'art devraient être réservées à ceux ou celles qui ont les "compétences" pour les comprendre , à une élite en quelque sorte.
Personnellement je pense que c'est tout le contraire et que c'est leur universalité qui fait leur charme sinon pourquoi les artistes existeraient-ils?
Mais là où je suis d'accord bien entendu avec vous , Tania et Bergounioux c'est dans le "plus" que le commentaire apporte après coup...à condition bien sûr qu'il soit très personnel et non pas asséné comme une vérité toute faite d'un maître à penser.
Je comprends maintenant pourquoi dans "le pain quotidien" mon regard a d'abord été attiré par l'enfant.
Merci beaucoup.
Bonjour Alixe, le nouveau nom (claudélien?) de ton blog est noté. Je te signale que ta signature renvoie encore à l'ancienne adresse (blog introuvable).
@ Gérard : Même allergie que vous à ce qui "doit" être vu ou pensé ou dit ou aimé... Bon dimanche, Gérard, sous la pluie ce matin.
Merci de nous faire découvrir un avant-goût de cette exposition bruxelloise que je compte visiter cet hiver. A bientôt!
Bonsoir à toi. Et bien sûr bonne visite quand tu viendras à Bruxelles.
Après avoir vu une exposition, jamais avant, et si les œuvres m'ont touchée, je lis avec intérêt tout ce que je peux sur l'artiste, les analyses de certaines créations. Je dois dire que je reste parfois sur ma faim, tous les critiques ou "littéreux" ne sont ni parfaitement informés ni spécialistes, mais le plus souvent les œuvres en ressortent grandies...et moi aussi!
Merci à toi Tania et à tous pour ces réflexions.
Belle journée, sous la pluie ici.
"Si les oeuvres m'ont touchée", c'est cela, il faut d'abord ce contact pour entamer le dialogue et l'approfondir.
Le brouillard se lève peu à peu sur Bruxelles, merci pour ton passage et bonne semaine, Colo.
Je lui trouve quelque chose de "très" Käthe Kollwitz. Et si elle l'avait inspiré ?
Ils sont contemporains, mais j'ignore s'ils avaient connaissance l'un de l'autre.