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exposition - Page 75

  • Peindre la forêt

    Rendez-vous amoureux, promenades, jeux, pique-niques, bien des Bruxellois peuvent les associer avec le « Jardin de Bruxelles », son poumon principal, sa cathédrale de hêtres : la forêt de Soignes. Le musée d’Ixelles propose jusqu’au 10 janvier une exposition pour les amoureux de peinture et de nature, « Les peintres de la forêt de Soignes » de 1850 à 1950. Pour fêter le centenaire de leur association, les Amis de la Forêt de Soignes (aujourd’hui en péril) proposent aussi aux Halles Saint-Géry une exposition sur ce « patrimoine unique porteur d’avenir ». Comme la forêt de Fontainebleau a inspiré les peintres de Barbizon, cette magnifique forêt a attiré les pleinairistes. Leurs paysages sont regroupés autour de quatre artères qui la traversent : l’avenue de Tervueren avec l’école artistique du même nom, la chaussée de Wavre et le pittoresque Rouge-Cloître, la chaussée de la Hulpe et Boitsfort, les chaussées de Waterloo et d’Alsemberg à Uccle et Linkebeek. 

    Affiche de l'expo.JPG


    Si Avril à Tervueren de Lucien Frank offre une lumière printanière, les toiles du dix-neuvième siècle sont généralement plus sombres, comme Les cueilleurs de baies aux étangs de Robiano à Tervueren ou les élégantes d’Emile Jacques (Repos au parc
    de Tervueren
    ). Un grand triptyque mélancolique de François Halkett, Dans la sapinière, montre deux femmes installées sur des chaises sous les arbres : l’une d’elles paraît souffrante, on lui ajuste un châle sur l’épaule.
    Plus gaie, une étonnante Fête de nuit de Degouve de Nuncques, où des lampions japonais et des guirlandes électriques se reflètent dans un étang bordé de saules pleureurs au vert phosphorescent.
     

    Halkett François, Dans la sapinière.JPG

     

    Contraste de lumière – cette belle lumière de la forêt de Soignes attirait Rodin pendant son séjour en Belgique – mais aussi de matière picturale entre La mare aux grenouilles d’un Delvaux encore réaliste et Au jardin de Jan Brusselmans qui fragmente la touche. Bastien, « le peintre du Rouge-Cloître » (un ancien prieuré à l’orée de la forêt de Soignes devenu centre d’art), y a peint sa maison sous la pluie ;
    sa matière rend bien l’atmosphère des lieux, comme dans La bergerie de Troisfontaines où les nuages se parent de couleurs orangées. Chaque peintre a son regard. Oleffe donne plus d’importance aux personnages qu’au décor (En août). Degreef, lui, s’immerge complètement dans le Sous-bois de Blankedelle ou peint une Paysagiste à son chevalet. Léon Houyoux peint à la manière impressionniste (La Woluwe à Val-Duchesse). Paul-Jean Martel, découvert ici, choisit des tons si clairs qu’il faut deviner les formes, par exemple, dans sa Terrasse au Rouge-Cloître.
     

    Degreef, La paysagiste.JPG

     

    Toutes les saisons attirent les peintres. Pour son Braconnier, Isidore Verheyden rend des tons d’automne, sous un ciel cuivré en écho aux feuilles mortes qui jonchent le sous-bois. Anne-Pierre de Kat, dans Le ravin, le tableau le plus rythmé de cette exposition, que j'ai eu plaisir à détailler, représente des patineurs sur un étang gelé, on y aperçoit aussi des cavaliers. Une petite toile de Vogels montre le peintre Pantazis peignant dans la neige, sa silhouette noire tranchant sur le blanc. Du côté de La Hulpe vivait un couple d’artistes réputés, Rodolphe et Juliette Wytsman. De celle-ci, j’ai aimé un paysage printanier tout en fleurs jaunes et ombres bleues (Verger à Linkebeek). Médard Verburgh rend à l’été tout son éclat dans Les toits rouges à Boitsfort, réjouissants, mais il ne peut cependant rivaliser avec Rik Wouters, le fauve brabançon, et sa grande Fenêtre ouverte sur Boitsfort. 

    VOGELS Guillaume, Pantazis peignant dans la neige, c. 1881.JPG

     

    Dernière salle, consacrée à Uccle et Linkebeek, avec une lumineuse Grande ferme rose d’Adrien-Jean Le Mayeur, près de laquelle on a accroché un Intérieur de Louis Thévenet. De jolies vues de Linkebeek sont signées Roidot ou Charles Dehoy Le Langeveld de Jos Albert, en comparaison, est presque abstrait, fermement structuré par un tronc d’arbre à l’avant-plan. La plupart de ces noms parlent aux amateurs de peinture belge et aux habitués des salles de ventes bruxelloises, les œuvres présentées ici viennent de musées mais aussi de collections particulières.

    Degouve de Nuncques, Etang de Boitsfort.JPG

     

    Samedi matin, il n’y avait pas encore grand-monde à cette exposition qui n'ouvre ses portes qu'à onze heures trente, c’était très agréable pour y déambuler à l’aise. J’y ai flâné trop longtemps pour pouvoir regarder attentivement l’exposition principale du musée d’Ixelles en ce moment : les photos de la collection du diamantaire et bijoutier anversois Sylvio Perlstein sous le titre « La photographie n’est pas l’art », plus de deux cents tirages de 1920 à nos jours. C’est Man Ray qui affirmait cela avec humour. Il est présent avec bien d’autres noms célèbres dans ce parcours à travers l’histoire de la photographie au vingtième siècle.

      

    Mais j’avais encore l’odeur des feuilles et de l’humus dans les narines, l’œil imprégné des feuillages et des écorces, des eaux dormantes sous la lune (Abatucci) ou des lumières d’un soir bleuté de Degouve de Nuncques, magique.

     

     
  • Collectionneurs

    « On a beaucoup écrit sur le « mystère » de Chtchoukine et de Morozov.
    La clé de leur énigme se trouve dans leur époque, le tournant des XIXe – XXe siècles en Russie, le temps des changements majeurs dans l’art et la société, dont les deux collectionneurs savent saisir le rythme. La recherche de phénomènes artistiques répondant à cette atmosphère, un sentiment aiguisé du nouveau, de l’authentique, du talentueux les conduit à Paris la magnifique, foyer des idées artistiques des années 1870-1910. Les contemporains regardent souvent avec suspicion ces riches extravagants qui paient des sommes considérables pour des œuvres d’artistes novateurs français « insupportables par leur insolence » ou « intolérablement vulgaires » (selon l’expression du prince Sergueï Chtcherbatov). Les descendants sont toujours stupéfaits par la justesse de « l’œil » des collectionneurs du siècle dernier et doivent reconnaître que les Monet, Gauguin ou Matisse « russes », ayant passé l’épreuve du goût personnel de ces collectionneurs, sont une référence parmi les œuvres des mêmes artistes conservées dans de nombreux musées et collections particulières du monde. »

    Anna V. Poznanskaïa et Alexeï V. Pétoukhov, L’histoire de la collection de la nouvelle peinture française au Musée d’Etat des Beaux-Arts Pouchkine (Catalogue De Courbet à Picasso, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, 2009).

     
     
  • Pouchkine à Martigny

    De Courbet à Picasso, c’est la belle exposition d’été de la Fondation Gianadda à Martigny, un rendez-vous à ne pas manquer. Les œuvres prêtées par le Musée des Beaux-Arts Pouchkine, des peintures françaises des XIXe et XXe siècles – autour de l’impressionnisme – ne sont à nouveau visibles à Moscou que depuis 2006. La galerie d’art moderne occidental y a rouvert ses portes quelque soixante ans après la condamnation de cet art « bourgeois » acquis principalement par deux collectionneurs russes, Ivan Morozov (ingénieur) et Serguei Chtchoukine (magnat du textile, mécène pour qui Matisse a peint La Danse et La Musique).

     

    Picasso Arlequin et sa compagne (les deux saltimbanques).jpg
      

    L’exposition s’ouvre sur trois Corot, dont un merveilleux Char à foin : près d’un arbre au croisement d’une route de campagne, un cheval tire la charrette où deux personnes sont juchées sur le foin, un cavalier les accompagne. Des paysages de Courbet, un Bal à l’Opéra de Paris signé Forain, précèdent une grande toile de Dagnan-Bouveret, La bénédiction des jeunes époux. La lumière blonde et les blancs de cette composition réaliste fascinent : le vieux couple des parents tend un cierge aux mariés, agenouillés devant eux. Sur le sol jonché de pétales de roses, la mariée a posé son missel. Dans le fond, une grande table de fête couverte de nappes blanches, au bout de laquelle est posé un bouquet champêtre. On aperçoit des serviteurs dans un angle, près de la vaisselle blanche, et face à nous, la famille regroupée et attentive.
    Aux fenêtres, des rideaux immaculés ajoutent encore de la clarté à la scène qu’un trait blanc, sur la nappe, souligne en oblique.

     

    Degas Danseuse chez le photographe.jpg
     Edgar Degas, Dancer posing for a Photographer Danseuse chez le photographe, 1875, 65 x 50,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

     

    C’est le seul artiste peu connu dans le parcours. Renoir est là avec Au jardin, Sous la tonnelle au Moulin de la Galette – de dos, une jeune femme en robe blanche rayée de bleu rappelle le célèbre Moulin. Puis vient une Danseuse chez le photographe, le Degas qui a été choisi pour l’affiche : elle prend la pose devant un miroir, à travers de grandes vitres d’atelier on reconnaît des façades parisiennes. Dans Matin d’automne à Eragny, de Pissarro, on voit d’abord les arbres dorés du paysage, puis on devine une ferme, un cavalier qui tient son cheval par la bride. Deux Monet lui succèdent : des Nymphéas blancs, sous le pont japonais, puis Meules de foin à Giverny, devant une allée de jeunes peupliers qui vibrent sous le soleil. Et puis Cézanne, très bien représenté aussi, la fameuse Ronde des prisonniers de Van Gogh, les couleurs somptueuses des Gauguin (Matamoé (la mort), Paysage aux paons et Vaïraumati Tei Oa – Son nom est Vaïraumati). 

    Gauguin Matamoé (la mort).jpg

    Paul Gauguin, "Death. Landscape with PeacocksPaysage aux paons", Paysage aux paons, 1892, 115 x 86,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

    Comment rendre tant de beauté par l’énumération ? Une Femme à la fenêtre de Toulouse-Lautrec (carton, essence, céruse). Un Intérieur de Vuillard plein de charme. De grands Matisse, dont les Capucines devant La Danse. Le Vésuve par Marquet, un paysage d’or pâle où les coques des bateaux brillent d’un noir d’encre. Un Picasso à couper le souffle, Arlequin et sa compagne (les saltimbanques) : ils sont accoudés devant un verre, les yeux dans le vague, lui dans son costume bleu à losanges, de profil, elle de face, en jaune orange. Contraste du froid et du chaud sur le fond aussi, rouge de la banquette, bleu du mur. Un coup de cœur.
     
    Le coq de Brancusi dans le parc de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny.JPG

     

    Et ce n’est pas tout : voici Apollinaire et Marie Laurencin peints par Rousseau, et aussi son étonnant Cheval attaqué par un jaguar. Des courbes graphiques sur fond noir d’Ozenfant. Il faudrait revenir pour mieux regarder les photographies en annexe et flâner à l’aise dans le parc de sculptures. Avec les années, les arbres de plus en plus beaux y jouent aussi des formes et des volumes, des couleurs et de la lumière.

     

     

     
  • A rebours

    « Dans l’histoire de l’art pour se faire remarquer il ne faut pas tenter de faire quelque chose de plus beau, cela ne sert à rien, il n’y a aucun exemple ; il faut « danser à rebours », contredire ce qui a cours. »

     

    Georg Baselitz 

    Baselitz La direction est juste vers l'étoile dorée.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Toulon expose

    Sur le même boulevard à Toulon, on peut visiter l’Hôtel des Arts, voué à l’art contemporain, et sur le trottoir d’en face, un peu plus loin, le Musée d’art, musée-bibliothèque de la ville. L’entrée est libre aussi bien à l’exposition Baselitz du premier qu’au second, récemment rénové, qui propose un aperçu de ses collections.

     

    « Drapeau au vent sur la ligne de front », c’est le titre donné à l’exposition d’œuvres de Georg Baselitz des dix dernières années, « celles d’un jeune peintre de 71 ans à l’esprit farceur, parmi lesquelles figurent plusieurs Remix. » (Gilles Altieri, directeur de l’Hôtel des Arts) Avec Zéro pour le peintre (l’affiche), on entre d’emblée dans son univers de motifs renversés, ici un portrait d’homme en rouge et blanc, où « Zéro » s’inscrit en miroir sur la casquette. L’entretien vidéo accordé par le peintre le 13 juin 2009 éclaire ses intentions : faire le contraire de ce qu’on lui dit ou ne pas le faire du tout. Par volonté de rupture, l’artiste a opté pour une peinture grossière, agressive, brutale. Son origine – même s’il n’a que sept ans à la fin de la guerre, il est catalogué « allemand » –, son expérience du nazisme puis du communisme, tout lui donne envie de tirer la langue ou de baisser son pantalon – mais pas question de s’excuser d’être celui qu’il est. 

    L'entrée de l'Hôtel des Arts.JPG

     

    Jambes bottées de noir, souliers lacés, Baselitz garde les pieds sur terre ou les tourne vers le ciel, il s’amuse à peindre une étoile à cinq jambes (La direction est juste vers l’étoile d’or). Le Remix d’Un peintre moderne cerne la figure d’un noir de cambouis, alors que Peintre moderne montre dans sa moitié supérieure un buste en couleurs sur fond blanc, dans sa moitié inférieure un entrelacs de racines qui prolonge le corps, en blanc sur fond noir. Baselitz aime diviser la toile entre haut et bas, ne fût-ce que d’un trait horizontal. Il n’a pas oublié la remarque du professeur qui regardait son dessin d’une tulipe ou d’un arbre et lui demandait ce qu’il y avait en dessous, qui manquait : des racines ? un vase ? un oignon ? Deux œuvres à l’étage font place à la forêt : Le chien Canalettos III, chien noir sur le dos, pattes en l’air sous les arbres, et Retour au temps de l’école, un paysage de neige, un sentier forestier renversé, où frappe l’irruption du rose vif dans un univers blanc et noir. Baselitz explique l’importance pour lui de la vitesse : ce qu’il veut, c’est mettre à plat l’image, l’idée
    qu’il a en tête, sans rien « chercher » sur la toile.
     

    Musée d'art à Toulon.JPG

     

    Après un déjeuner place de la Liberté (juste à côté), cap sur les collections du Musée d’art, surtout du contemporain et du moderne, un peu d’ancien. Un étonnant Monstre de Niki de Saint Phalle, figurines en plastique assemblées sur un dragon couleur bronze, loin de ses Nanas. Un Portrait-relief de Martial Raysse par Yves Klein, sculpture bleu Klein sur fond or, à côté de Pot et fleur en néon de son modèle. Un Etal de moules de Broodthaers près d’un grand Monochrome gris de Richter. A côté des 98 sucres taillés sous vitrine de Boltanski (Sans titre), Le bois dormant du suisse Markus Raetz : 96 pièces de bois, dont de nombreuses fourches de branches, composent un paysage poétique à même le mur. L’espagnol Miralda a disposé en rangs serrés de minuscules figurines blanches dans le tiroir ouvert de sa Solitude urbaine, une table blanche. Hantaï, Fontana, Sol Lewitt, cinq toiles rayées de Buren,
    il y a des choses à voir.

     

    Chez les anciens, j’ai remarqué un beau Saint Paul plongé dans un livre (anonyme, XVIIe), des portraits d’enfants par Jean-Baptiste Paulin Guérin (né à Toulon en 1783), en particulier celui d’Isabelle écrivant. Des vues de Toulon : le port par Willy Eisenschitz (1928-1930), La Patache dans le port de Toulon par Louis Nattero (1902-1905), et une radieuse Calanque d’en Vau par Jean Baptiste Olive. Un David, un Fragonard aérien – L’amour embrasant l’univers – mais pas le buste de Paul Claudel par Camille Claudel que j’espérais voir là. Le musée-bibliothèque de la ville de Toulon porte bien son nom : à droite du bâtiment qui ne manque pas d’allure, un mur intérieur porte gravés les noms de « littérateurs » illustres. Une grande salle ancienne propose des livres jusque sur deux étages de coursive où mène un escalier hélicoïdal. Du monde dans la salle de lecture – silence.