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bruxelles - Page 69

  • Villa Empain

    Ouverte au public depuis le 23 avril 2010, la Villa Empain, au n° 67 de la prestigieuse avenue Franklin Roosevelt à Bruxelles, retrouve enfin la fonction que lui destinait Louis Empain lorsqu’il en fit donation à l’Etat belge en 1937 : « servir de Musée des arts décoratifs contemporains ». La fondation Boghossian qui a acquis ce chef-d’œuvre de l’art déco en 2006 et l’a fait restaurer y présente une belle exposition intitulée « Itinéraires de l’élégance entre l’Orient et l’Occident » jusqu’au 31 octobre 2010.

     

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    Louis Empain n’a guère vécu dans cette maison. Après l’avoir reçue, l’Etat belge a confié à l’Ecole de la Cambre la direction d’un Musée des Arts décoratifs, comme prévu, mais l’armée d’occupation allemande a réquisitionné la villa en 40-45 et après la guerre, elle est devenue l’ambassade d’URSS, au grand dam du donateur qui a rappelé les conditions de la donation et a fini par récupérer sa propriété pour en faire un Centre multiculturel. Plus tard, elle sera vendue, puis louée à la chaîne RTL pour son siège en Belgique, jusqu’en 1993. Au début des années 2000, elle est à l’abandon, partiellement détruite et vandalisée. Une restauration de grande envergure
    a donc été nécessaire.

     

    Le résultat est somptueux. La villa même éblouit d’abord. Louis Empain, second fils du richissime Edouard Empain, homme d’affaires wallon au parcours remarquable (connu en France pour sa réalisation du métro parisien), a confié sa construction à l’architecte suisse Michel Polak au début des années 1930. Celui-ci avait conçu le fameux Résidence Palace et était devenu une figure marquante de l’art déco bruxellois. Pour la Villa Empain, il allie le luxe des matériaux et des détails aux lignes simples et symétriques de l’architecture moderniste sans ornementation superflue : façades en granit poli, cornières en laiton dorées à la feuille sur les angles de la maison et autour des baies vitrées, marbres et bois précieux à l’intérieur.

     

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    La ferronnerie des grilles côté rue annonce un portail d’entrée somptueux en haut de l’escalier, aux motifs géométriques réguliers en noir et or. A peine les portes franchies, c’est la lumière qui frappe le regard, celle de la grande verrière du hall central tout en marbres de diverses tonalités et, dans l’axe de l’entrée principale, celle des baies vitrées côté jardin. Les pièces sont disposées autour de ce grand hall, de façon classique et équilibrée, donnant une impression de calme et d’harmonie.

     

    L’exposition débute au rez-de-chaussée dans le salon intime, à gauche, couvert jusqu’au plafond de bois sombre et poli, et puis se déploie dans les salles de réception d’où l’on découvre le jardin et son immense piscine entourée d’une pergola. Elle se poursuit à l’étage. Le thème de l’élégance, plutôt vaste, se décline ici dans l’optique
    de « la qualité des choses » et de l’influence des cultures orientales sur l’Occident. Dans chaque pièce, l’ancien et le moderne se côtoient, des artistes contemporains aussi.
    Ainsi, près du bar du salon intime, où l’on a refait à l’identique une fontaine en argent en forme de poisson, on expose un narguilé contemporain très design de
    Nedda El Asmar, dans une vitrine, un beau chat de bronze noir d’Edouard-Marcel Sandoz. Au mur, des miniatures persanes prêtées par le Musée des arts décoratifs de Paris, au milieu, des porcelaines turques anciennes. En sortant, j’admire encore les portes en bois de Cuba magnifiquement restaurées.

     

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    Dans le hall, un gigantesque collier de perles creuses mouchetées d’or de Jean-Michel Othoniel et au fond, se faisant face, un Bouddha et un Moine en bronze doré. Dans les pièces de réception, deux sculptures abstraites en granit noir d’Armen Agop dans le salon d'honneur, sous une superbe verrière de Max Ingrand. A gauche, de beaux objets divers : luth vietnamien à trois cordes, bijoux, petites sculptures, théière chinoise en porcelaine blanche du XVIIe siècle, flacons à sel, service à thé, nécessaire de toilette Vuitton… Suspendue, une robe chinoise en soie du XIXe siècle à fleurs roses sur fond mauve, surmontée d’une superbe collerette, au-dessus d’une jupe orange aux motifs végétaux. A droite, près d’un plat fleuri en faïence noire de l’atelier Gallé,
    luisent de beaux vases asiatiques dans des tons de rouge foncé. Un reliquaire tibétain, une tasse à thé et sa soucoupe en cuivre argenté et jade, des objets prêtés par les Musées Royaux d’art et d’histoire de Bruxelles. Une jolie assiette fleur d’Auguste Delaherche. Une impressionnante théière ornée d’argent et de pierres précieuses (Tibet, XVIIIe), avec une anse dragon.

    Près de l’escalier vers l’étage, un grand brasero aux émaux cloisonnés de couleur turquoise est surmonté d’un éléphant doré. Au-dessus des marches, de longs pans de papier peints par Bang Hai Ja, une artiste coréenne. Cela s’appelle « Lumière née de la lumière ». A l’étage, autour du puits central, un garde-fou en fer forgé reprend les motifs d’en bas. Les pièces qui se répartissent autour proposent encore plein de choses intéressantes : des photos (notamment des tirages délicats de Masao Yamamoto), des boîtes précieuses, des livres anciens, de très belles estampes signées Utamaro, Hiroshige, une robe finement plissée d’Issey Miyake… Un coup de cœur pour les grands plats bleus en semi-porcelaine de Kimura Yoshiro. 

     

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    Vous aimerez peut-être aussi la salle consacrée aux peintres orientalistes, les mosaïques vertes et bleues du cabinet de toilette. Plus que les énormes bijoux asiatiques, j’ai admiré de petits objets précieux (briquets, poudriers, bijoux rares)
    issus des collections Boghossian et Cartier - des salles surveillées de près. Et une jardinière de Zadok Ben David : dans une vitrine serre, un parterre de fleurs en silhouettes, noires devant, colorées derrière, qui se reflètent dans un miroir au fond, où elles se dédoublent. Leur ombre dessinée au sol accentue leur présence, l’effet est magique.

     « Il faut avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit. » Jean Boghossian cite cette phrase de Faulkner dans sa préface à La Villa Empain, histoire et restauration, un livre édité par la région de Bruxelles-Capitale. Sa fondation familiale, vouée d’abord aux actions humanitaires, en Arménie, en Syrie et au Liban, a élargi son engagement à la défense de valeurs humanistes. Elle veut faire de la Villa Empain un Centre d’art et de dialogue entre l’Orient et l’Occident. L’art rapproche les hommes et est un facteur de paix, c’est son credo, alors que « les guerres ne sont gagnées par personne, elles sont toujours perdues », ajoute Jean Boghossian. La tunique originale des attachées au musée a été dessinée par des stylistes de La Cambre et brodée au point de croix par des brodeuses palestiniennes. C’est bien dans l’esprit de cette grande demeure bruxelloise, nouveau lieu de rencontre entre les civilisations.

  • Différente

    « La souffrance d’être différente est la véritable formation de Frida. Elle ne songe guère à peindre à ce moment-là. Mais elle vit dans un monde de fantaisie et de rêves, où elle trouve une compensation à sa solitude en faisant apparaître
    à volonté, sur la fenêtre de sa chambre, une autre Frida, son double, sa sœur : « Sur la buée des vitres, avec un doigt, je dessinais une porte, écrit-elle dans son Journal, et par cette porte je m’échappais par l’imagination avec une grande joie et un sentiment de hâte. J’allais jusqu’à une laiterie appelée Pinzon. Je traversais le « O » de Pinzon et de là je descendais vers le centre de la terre où « mon amie imaginaire » m’attendait toujours. Je ne me souviens plus de son image, ni de la couleur de ses cheveux. Mais je sais qu’elle était gaie, qu’elle riait beaucoup. Sans bruit. Elle était agile et elle dansait comme si elle ne pesait rien. Je l’accompagnais dans sa danse, et en même temps je lui racontais tous mes secrets. » 
    »

     

    J.M.G. Le Clézio, Diego & Frida, Stock, 1993.

     

     

     

  • Le monde de Frida

    Frida Kahlo y su mundo : dans le cadre de ses « Pleins feux sur le Mexique et l’Espagne », le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) montre jusqu’au 18 avril prochain le monde de Frida Kahlo (1907-1954), une petite exposition de vingt-six œuvres du musée Dolores Olmedo (Xochimilco, Mexique). L’engouement pour l’artiste mexicaine au destin tragique, l’espace limité de la salle valent aux visiteurs des horaires élargis jusqu’à vingt et une heures du jeudi au dimanche.

    Kahlo, Autoportrait au petit singe (détail) (couverture Taschen).jpg

    J’avais voulu visiter cette exposition en soirée il y a quelque temps, mais pas de chance, une alerte à la bombe dans une banque voisine avait entraîné le blocage de tout le périmètre – explication du lendemain : un aspirateur avait été livré en fin de journée à la banque, colis suspect qui a valu à tous les amateurs d’expositions et de concerts d’annuler leur soirée ou de la passer dans les cafés et restaurants des environs. C’est en buvant un délicieux thé « Klimt » (merci, B.) non loin de là que j’ai appris par des gardiens (eux aussi évacués) que le lundi, habituellement jour de fermeture, l’accès ne pose aucun problème d’attente.

    Regarder les œuvres de Frida Kahlo, devenue, comme il l’avait prédit, plus célèbre que son mari Diego Rivera, le grand peintre mexicain de fresques sociales, c’est entrer dans l’univers d’une femme ardente qui a choisi de peindre ce qu’elle vivait : « Je n’ai jamais peint des rêves, j’ai peint ma propre réalité. »  Le Bus (1929) montre,
    assis côte à côte sur une banquette, dos à la rue, une ménagère, un ouvrier, une
    femme enveloppée dans un châle en train d’allaiter son enfant, un petit garçon qui
    s’est retourné vers la fenêtre et un bourgeois en costume, enfin une jeune femme écharpe au vent, élégante et sereine comme l’était Frida Kahlo avant le terrible accident d’autobus qui lui a brisé les vertèbres et d’autres os en 1925 et qui, après
    une enfance déjà marquée par la polio, a bouleversé ses projets d’étudiante en médecine, sa vie tout entière. A sa manière naïve, c’est déjà une peinture de la vie populaire au Mexique.

    Pas de chronologie dans la présentation : les œuvres (de 1929 à 1954) sont en
    général isolées les unes des autres, violemment éclairées, adossées à de grands panneaux inclinés qui structurent l’espace d’exposition plongé dans la pénombre. L’autoportrait avec petit singe (1945) est la première œuvre puissamment personnelle du parcours : elle s’y est peinte de face avec ses sourcils épais qui se rejoignent, son ombre de moustache, les lèvres serrées, les yeux fixes, les cheveux tressés à la manière traditionnelle, en compagnie d’un petit singe et d’un chien et aussi d’un animal en céramique précolombienne. Un ruban doré les relie l’un à l’autre dans un décor de feuillages entrelacés. (Quasi toutes les œuvres exposées sont illustrées dans la monographie consacrée à Frida Kahlo chez Taschen.) C’est avec La colonne brisée (1944) une des œuvres les plus connues, celle-ci relatant son calvaire avec la colonne vertébrale brisée en plusieurs endroits, les arceaux du corset qui enserrent le torse et les clous enfoncés sur toute la surface du corps, pointes sombres sur la peau auxquelles répondent des larmes blanches sur le visage.

    Frida Kahlo représente aussi les autres : une Eva Frederick amicale, un collier de perles vertes autour du cou ;  une fillette en robe verte à pois rouges (le col attaché par une épingle de nourrice) assise sur une chaise devant un mur mauve et ocre, le regard sérieux ; la douce doña Rosita Morillo en train de tricoter, vieille femme aux cheveux blancs, un châle sur les épaules, devant des cactus en fleurs et des branches mortes. Particulièrement frappant, le Portrait de Luther Burbank, un spécialiste des hybrides de fleurs et de légumes qu’elle a représenté sortant d’un tronc d’arbre dont les racines puisent leur sève dans un cadavre enfoui sous la terre, et tenant à la main de gigantesques feuilles, devant un paysage planté de deux arbres fruitiers.

    La maternité et l’art forment un autre fil conducteur, de l’extraordinaire représentation qu’elle fait d’elle-même avec sa figure d’adulte et un corps d’enfant en train de téter le sein d’une nourrice indienne à la peau sombre et au visage masqué (Mi nana y yo,
    Ma nounou et moi
    ) aux scènes sanglantes qui évoquent ses fausses couches ou un assassinat sordide, jusqu’à cette lithographie où elle se représente divisée en deux, le fœtus perdu d’un côté, la palette à la main de l’autre. Diego Rivera la voyait comme « la première femme dans l’histoire de l’art à avoir repris, avec une sincérité absolue et impitoyable, les thèmes généraux et particuliers qui concernent exclusivement les femmes. »

    Quelques œuvres moins narratives, pas vraiment surréalistes, relèvent plutôt d’un symbolisme fantastique comme La fleur de la vie (1944) – une plante rouge hermaphrodite, allusion à sa bisexualité, ou Le poussin (1945), évocation de l’humanité menacée par la guerre nucléaire (œuvre inspirée, dit-on, par Hiroshima).
    Un diaporama sur grand écran feuillette le journal intime que Frida Kahlo a tenu pendant les dix dernières années de sa vie, combinant textes et dessins.

    Trop peu d’œuvres pour juger de l’apport de cette artiste à l’histoire de l’art pictural, mais assez pour ressentir l’authenticité de son engagement artistique. Au-delà de son cas personnel, Frida Kahlo crée un univers original nourri par la culture mexicaine traditionnelle (couleurs fortes, parures, cohabitation de la vie et de la mort), par l’attention aux personnes, par le questionnement existentiel. Quel est le sens de ce que nous vivons ? Comment peindre la souffrance physique ? la douleur morale ? Ce ne sont pas des questions exclusivement « féminines », c’est le défi que lancent au monde ceux qui ne se contentent pas de la vie telle qu’elle se présente, mais la réinventent quand ils créent. C’est le monde de l’art.

  • Foyer schaerbeekois

    Fin de promenade dans le quartier Terdelt, où les appartements du Foyer Schaerbeekois récemment rénovés ont l’air pimpant. Cette société communale de logements sociaux a vu le jour en 1899 sous l’impulsion de Louis Bertrand. Encore active aujourd’hui, elle avait pour objectif de construire, vendre par annuités et louer des maisons ouvrières. « En 1926, le Foyer avait vendu 316 maisons et louait 1105 logements. » (Jean Puissant, Le Foyer schaerbeekois in Louis Bertrand et l’essor de Schaerbeek, 2000)

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  • Bain de lumière

    Les matinées ensoleillées sont trop rares, cet hiver, pour résister à l’appel de la lumière en ce premier samedi de février. Le soleil encore bas manque de générosité sur les trottoirs, mais aux étages, les façades s'y réchauffent déjà.   

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    Une fois de plus, dans Schaerbeek au riche patrimoine architectural, je me réjouis en passant devant ses belles maisons du début du XXe siècle ou de l’entre-deux-guerres, soigneusement préservées par leurs propriétaires. Avenue Emile Verhaeren, une plaque commémorative rappelle où est née Andrée De Jongh, initiatrice du réseau d’évasion Comète.  

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    Non loin de la gare de Schaerbeek, certains immeubles d’angle ne manquent pas de cachet, ils arborent fièrement leur année de construction, leurs oriels. Nous descendons vers le canal, où le bain de lumière est assuré. 

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    Du pont Van Praet, la vue vers la gare et l’incinérateur sur l’autre rive manque de charme, et avec la circulation automobile incessante à cet endroit, même le week-end, il y a de quoi décourager les promeneurs. 

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    Mais de l’autre côté, les aménagements pour les piétons et pour les cyclistes attirent tout de même quelques passants. Entre le canal et la chaussée qui longe l’enceinte de briques du domaine royal, le soleil prend ses aises. 

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    Sur l’eau, deux avironneurs tracent des signes éphémères dans leur sillage. De grands nids dans les arbres du roi, juste derrière le mur : nous observons des hérons qui vont et viennent, affairés entre ciel et terre. 

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    Je rêve, en songeant aux bords de la Limmat à Zurich, à ce que pourrait devenir un tel endroit libéré du trafic. Un escalier, plus loin, descend sur le quai, invite au demi-tour. Voilà L’Espoir, une péniche dont le pilote répond sans façon à mon salut.

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    Nous remontons en zigzags vers le square Riga, le nez en l’air. Tant de détails à observer, d’une époque où les architectes ne craignaient pas les ornements ou n’en faisaient pas l’économie, c’est selon. J’ai manqué l’arbre à poèmes du parc Huart Hamoir, j’y retournerai pour relire Quand passent les poètes.

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    Mais je me suis arrêtée pour photographier ce tour de porte sculpté : le fer forgé en épouse parfaitement les motifs végétaux – où vont se nicher l’art et la vie. Une belle matinée, vous ne trouvez pas ?