« Dans le peindre et le "dépeindre" dans l'esquissé et l'effacé et d'un trait cueillir quelques couleurs pour le tableau... »
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« Dans le peindre et le "dépeindre" dans l'esquissé et l'effacé et d'un trait cueillir quelques couleurs pour le tableau... »
Jusqu’au 23 décembre, vous pouvez découvrir « Le jardin d’essai » de Gérard Edsme au Centre culturel de Schaerbeek. Ce peintre né en France a longtemps résidé en Afrique. Dans ses dernières expositions, il s’attache à rendre « la poétique du lieu ». Ici, le Jardin d’essai du Hama à Alger (où il a vécu trois ans et demi), conservatoire d’espèces végétales datant de l’époque coloniale. Abandonné pendant quelques années, il a été rénové et rouvert au public. Un espace luxuriant « prétexte à peinture ».
Le bassin aux escaliers © Gérard Edsme
« Au Jardin d'essai à Alger,
Les fusains en bouquets esquissent
la géométrie dessinée d'une chanson exquise.
Et les hauts palmiers échevelés
oscillent sur le ciel déchiré. » (Gérard Edsme)

Un arbre © Gérard Edsme
« Un arbre », à l’entrée, ouvre ce jardin inattendu, offert au soleil. Les verts s’y éclairent de jaune, on devine derrière une pluie de lumière un bleu de Méditerranée. Toutes les œuvres exposées sont des huiles sur bois de format carré, où l’artiste cadre les verticales, horizontales et obliques d’une végétation foisonnante.
Bambous et ciel © Gérard Edsme
« A l'ombre des fusains, dans le parfum de la térébenthine, cultiver en carré les coulures et les aplats. Sur l'esquisse arborescente poser l'or paille solaire et sur le plan du sol étendre les terres d'ombres colorées. Dessiner dans un fou fouillis le gribouillis des herbacées. » (Gérard Edsme, Chronique d’atelier)
L’espace sobre et aéré du Centre culturel – murs blancs ou noirs, mezzanine aux multiples fenêtres – met en valeur les œuvres de Gérard Edsme, qui y trouvent leur respiration. Avant de monter, je me suis attardée devant trois beaux panneaux de 60 sur 60, aux verts et bleus plus sombres. C’est la palette du soir, quand les arbres se serrent l’un contre l’autre, silhouettes presque humaines, quand le courant clair d’un ruisseau circule entre des pierres presque noires. C’est « Ombre et lumière », un mariage de bleu marine et de vert foncé dans les massifs d'où émergent des troncs graciles, teintés d’orange par le couchant.

Jours sous le vent © Gérard Edsme
De plus grands formats (120 sur 120) sont accrochés à l’étage où ils profitent de la lumière naturelle. « Jours sous le vent » rend hommage à la diversité végétale : lignes sinueuses, feuilles recourbées, rondeurs. Toutes les nuances du vert. Quelques éclats de rouge orangé jouent les poissons dans « Onde ». Puis le jardin se fait parc, avec une statue au centre d’un plan d’eau, ou théâtre dans « Le bassin aux escaliers ». Edsme a peint des allées très ensoleillées, d’autres plus sombres. Des fleurs de géraniums rouge clair ponctuent gaiement une improvisation estivale.
Improvisation aux géraniums © Gérard Edsme
Photos Gérard Edsme (par courtoisie de l'artiste, présent à l’exposition le jeudi de 14 à 16 heures.)
Une petite vingtaine d’œuvres (sur les 85 réalisées là-bas) suffisent à recréer nature et clarté. Les peintures de Gérard Edsme ne montrent pas ce « jardin d’essai », le jardin les habite. N’hésitez pas à visiter ce jardin de peintre dans une petite rue schaerbeekoise qui le cache bien, pas loin de la Maison Autrique, à deux pas de l’église Saint-Servais, en haut de la fameuse avenue Louis Bertrand. Par ces journées d’automne de plus en plus courtes, vous y trouverez un amoureux de l’été, de la couleur et de la lumière.
Puis-je pour une fois vous appeler ainsi, lectrices & lecteurs fidèles, vieilles branches ? Je vous écris au retour d’une promenade au parc, ce parc schaerbeekois dont je vous ai déjà parlé, le parc Josaphat, rendu à sa beauté et dorénavant mieux protégé : les tags ont disparu du kiosque à musique, les outrages des statues.
Honneur aux arbres aujourd’hui : l’automne exceptionnellement sec et peu venteux jusqu’ici ne les a pas encore tous mis à nu. J’aime au printemps la transparence des jeunes feuillages qui habillent peu à peu leur silhouette de vert tendre. A présent c’est l’inverse, les arbres laissent tomber leurs couleurs d’apparat en draperies sur l’herbe et dévoilent leur charpente.
Quand le ciel est au bleu, les arbres ne peuvent le cacher : ce sont des danseurs qui réinventent les courbes. Ils s'exercent à l'immobilité, mais c’est à force d’entraînements, de perpétuels ajustements que leurs bras dessinent la juste arabesque, l’élan gracieux, des figures inédites. Ils dansent ensemble, à se toucher, improvisent de nouvelles lignes de vie.
Se promener dans un parc, c’est regarder devant, autour de soi, tout près, plus loin, c’est avancer, s’arrêter, contempler. Les arbres ont différentes manières de signaler leur importance : les plus hauts, les plus larges, les plus colorés ont de la branche, forcément.
Créé il y a plus d’un siècle, le parc Josaphat préserve de vieux arbres remarquables. Le goût de l’époque l’a doté çà et là de passerelles dans le style rocaille, pâle mais charmante imitation des formes végétales. Plus inattendus dans ce genre, une table et de petits bancs pour une halte, un pique-nique.
L’Elagueur (Albert Desenfans) rappelle que l'espace n’est pas naturel dans un jardin public : on y a dessiné la nature, composé l’environnement, pensé les effets. Des arbres se déploient d’un seul côté pour libérer le passage aux promeneurs, d’autres forment là une voûte, ici une grotte. Entre végétaux aussi, il faut laisser de la place aux autres.
Le ciel est beau vu de la terre. Sous la ramure d’un arbre, quand on lève les yeux, on entre dans une lumière particulière et on découvre les autres dimensions de l’arbre, sa manière d’occuper l’espace à tous les étages. L’entrelacs des branches se révèle, et la texture intime du feuillage.
Les oiseaux y sont chez eux, y ramagent, mais que guette cette perruche sur ce tronc autour duquel pies et corneilles s’agitent sans que bronche le plumage émeraude ? Mystère. Camille et Gribouille ont des loisirs plus terre à terre. Quant à Cendrillon (Edmond Lefever), le regard baissé vers son soufflet depuis longtemps caché par la verdure, elle reste éternellement jeune au pays des vieilles branches.
« Le spectacle du ciel me bouleverse. »

« Je commence mes tableaux sous l’effet d’un choc que je ressens et qui me fait échapper à la réalité. La cause de ce choc peut être un petit fil qui se détache de la toile, une goutte d’eau qui tombe, cette empreinte que laisse mon doigt sur la surface brillante de cette table. De toute façon, il me faut un point de départ, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme crée une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. »
Miró, Je travaille comme un jardinier (cité par Roland Penrose, Joan Miró, Thames & Hudson, 1990.)
Le dimanche 19 juin, l’exposition « Joan Miró peintre poète » fermera ses portes à l’Espace Culturel ING, sur la Place Royale à Bruxelles. Ne la manquez pas, il vous reste une semaine. Ce sont 120 peintures, gravures, sculptures et dessins où la fantaisie créatrice de l’artiste catalan s’en donne à cœur joie, ce qui n’exclut pas le noir de sa palette, où priment souvent les couleurs primaires. Les œuvres proviennent des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et surtout de la Fondation Joan Miró de Barcelone. Voici l'affiche.
Déjà La danseuse espagnole, Olée, en début de parcours, signale et l’esprit facétieux du peintre et la présence des mots dans sa peinture. « J’ai beaucoup fréquenté les poètes, car je pensais qu’il fallait dépasser la « chose plastique » pour atteindre la poésie… Vivre avec la dignité d’un poète » déclare Miró (1893-1983) dont l’atelier parisien voisinait avec celui du peintre surréaliste André Masson. Il rencontre alors Reverdy, Tristan Tzara, Max Jacob, Artaud, Michel Leiris…
Louis Marcoussis grave un Portrait de Miró à la pointe sèche en 1938, présenté en quatre états successifs : son modèle le complète, ajoute ici une araignée, là une étoile, y inscrit « Pluie de lyres » et « Cirques de mélancolie » jusqu’à une quatrième version où son visage se couvre de lignes et de signes. Quelques collages esquissent une façon de faire : sur la page blanche, Miró éparpille de petites illustrations d’objets découpées dans des magazines, sans rapport apparent. Il procèdera de même dans ses « poèmes-tableaux » ou « dessins-poèmes » comme Tête de fumeur, à la manière d’un rébus. Sur une photo de son atelier à Palma de Majorque, les murs aussi portent ses hiéroglyphes.
Au cœur de cette exposition, disposées sur un arc de cercle, les 22 fameuses « Constellations » peintes en 1940-1941, d’abord à Varengeville-sur-mer (Normandie) puis à Palma et à Montroig. Les gouaches originales ont été dispersées, mais on peut les découvrir grâce à ces reproductions rehaussées au pochoir rassemblées dans un album avec un texte d’André Breton : « Le lever du soleil », « L’échelle de l’évasion »… Des aplats noirs, des couleurs primaires, des formes stylisées. Tout un bestiaire – araignée, chenille, escargot, chat, poisson, tortue, baleine – flotte dans les ciels de Miró où les étoiles, la lune s’offrent à l’œil grand ouvert qui les contemple au milieu de cercles, flèches et autres diabolos noirs.
Un titre sur deux, il m’a semblé, contient le mot « femme », souvent associé à « oiseau ». Peindre, pour Miró, c’est peupler l’espace. J’entends quelqu’un dire « c’est enfantin », puis se reprendre : « c’est poétique », et je laisse résonner en moi ces deux qualificatifs. Il y a tant à voir dans ces Constellations, comme dans un tapis d’Orient aux multiples motifs, avec leurs variantes, que les grandes toiles à l’acrylique, par contraste, semblent lourdes, brutales.
A côté, deux beaux ensembles en vis-à-vis : « Archipel sauvage », six gravures au ciel nocturne, et « Partie de campagne » (1967), cinq autres, à l’eau-forte et aquatinte : sur un fond clair, des taches de couleurs s’étendent, comme si elles venaient de se poser, du vert surtout, mais aussi du jaune, du rouge, et dialoguent avec les lignes et les formes. C’est simple, léger, paradisiaque. « Je travaille comme un jardinier. Les formes s’engendrent en se transformant. »
Miró voulait « détruire tout ce qui existe en peinture », seul « l’esprit pur » l’intéressait. Apprécié comme illustrateur – l'exposition propose des pages de Parler seul de Tristan Tzara, d' A toute épreuve d’Eluard –, Miró aime « dire avec la ligne », comme dans la série « Haïku ». Et quand le pinceau ou la plume se taisent, il bricole avec des boites de conserve, des cartons à œufs, toutes sortes d’objets de récupération. Coulées dans le bronze, ce sont ses sculptures, à nouveau des « femmes » , le plus souvent. Ou une étonnante « Tête de taureau ».
« Conquérir la liberté, c’est conquérir la simplicité » : ces mots résument bien la trajectoire de Joan Miró, peintre et poète. Cet homme qui éprouvait le « besoin d’échapper au côté tragique » de son tempérament, reste l’inventeur d’une nouvelle calligraphie où les choses les plus simples, reconnaissables ou non, par la grâce du geste pictural, entrent dans la danse.