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boyd - Page 2

  • Un polar de Boyd

    Un pont dans une nuit brumeuse, photo en noir et blanc, couvre la jaquette du dernier roman de William Boyd, Orages ordinaires. Après la lecture jubilatoire des Nouvelles confessions, ce romancier anglais a pris quelque place dans ma bibliothèque. La vie aux aguets m'avait passionnée. Les premières pages de ce roman-ci m’ont déconcertée : l’impression de regarder un thriller en découvrant les faits et gestes de son héros, dans la trentaine, en costume trois pièces et attaché-case, Adam Hundred, qui s’attarde au bord du fleuve, près du pont de Chelsea (Londres), avant d’aller manger dans un restaurant italien. Il y remarque un autre « dîneur solitaire ». Les deux hommes se présentent : Hundred est climatologue, l’autre, Philip Wang, est spécialiste en immunologie. Quand Adam Hundred quitte le restaurant, il aperçoit une chemise en plastique qui a glissé entre les sièges, il y trouve un dossier, la carte du Dr Wang et lui propose par téléphone de passer le déposer chez lui.

     

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    A l’entrée d’un « imposant immeuble art déco », il signe le registre des visiteurs puis se rend au septième étage : la porte d’entrée du Dr Wang est entrouverte, mais lui ne se montre pas : « Philip Wang gisait étendu sur son lit, dans une mare de sang qui s’élargissait. » Wang, encore conscient, lui demande de retirer d’un coup sec le couteau enfoncé dans son flanc. Hundred hésite, obéit, Wang meurt presque aussitôt. Horrifié, Adam entend un bruit du côté de la salle de bain, reprend le dossier et descend aussi vite et aussi calmement qu’il le peut par l’escalier de secours. Pourquoi avoir touché ce couteau ? Pourquoi ne pas avoir appelé la police immédiatement ? Son nom est dans le registre, le couteau porte ses empreintes, il s’est enfui – quel beau coupable il fait ! Le doute n’est plus permis, ce roman de Boyd est un polar, avec tous les ingrédients du genre, et d'autres cadavres.

     

    Très vite, le tueur est sur ses traces. Il arrive à lui échapper d’un coup d’attaché-case aux angles en cuivre lancé en plein visage de son poursuivant. Il entend les sirènes de la police se rapprocher. Se livrer ? Une « peur indéfinie » le pousse à fuir encore, à se donner du temps. Le triangle de terrain vague repéré près du pont de Chelsea constituera un abri sûr, il décide d’y dormir. C’est sa première nuit clandestine, Adam ignore encore que sa vie a complètement basculé. Il est désormais un homme traqué.
    Il lui faudra changer d’apparence, d’identité, de travail pour échapper à ceux qui veulent se débarrasser de lui et mettre la main sur le dossier qu’il a emporté, pour tirer au clair les raisons du meurtre de Philip Wang. Boyd conte cette histoire aussi sous d’autres angles : il y a cette policière, Rita Nashe, écœurée par les scènes de meurtre, qui demande sa mutation dans la brigade fluviale ;  il y a ce directeur général d’une société pharmaceutique, Ingram Fryzer, que la nouvelle de la mort du Dr Philip Wang, leur médecin-chef dans l’expérimentation d’un nouveau médicament  contre l’asthme, quasi couplée à une commercialisation accélérée du produit au mépris des procédures habituelles, décidée « d’en haut », plonge dans un stress de plus en plus marqué.

     

    « Les orages ordinaires ont la capacité de se transformer en tempêtes multi-cellulaires d’une complexité toujours croissante. » Un meurtre, un témoin suspect, un coupable couvert par on ne sait quelle machine secrète, l’intrigue a de quoi tenir le lecteur en suspens sur près de cinq cents pages. L’amateur de romans policiers appréciera d’emblée, le lecteur moins enclin au roman « d’action », s’il accepte le jeu, le style fonctionnel, y assistera à l’intéressante métamorphose d’Adam Hundred. Comment disparaître dans la foule, devenir personne, survivre dans Londres sans se faire repérer ?

     

    Orages ordinaires se lit donc aussi comme un roman de mœurs, la peinture des bas-fonds alternant avec celle d’entreprises aimantées par le plus large profit possible. Une policière, une prostituée jouent les dames de cœur dans cette histoire cruelle où la moindre erreur est fatale, où la violence est omniprésente, où la résolution d’une énigme risque de coûter le prix fort. Coulisses des sociétés modernes, débrouille quotidienne, relations humaines, ce polar de William Boyd propose un divertissement « néodickensien », le dessin d’une société, d’une ville, une photographie de notre temps.

  • Cher William Boyd

    “ Nous avons tous des secrets. Aussi proche ou intime qu’on soit, personne ne sait la moitié de la vérité à propos de qui que ce soit d’autre. ”  Cher William Boyd, comment faites-vous pour nous intriguer si puissamment que nous lirons La vie aux aguets dans l’urgence d’avancer, de découvrir, de connaître la vérité – ou cette part de la vérité que le roman nous livre ?

    Angleterre, 1976. Ruth, une mère célibataire, se rend par une chaude journée de juin chez sa mère, à Middle Ahston, où celle-ci vit dans un vieux cottage au milieu d’une “ jungle contrôlée ” - elle taille sa pelouse au sécateur, c’est tout dire. A la surprise de sa fille, Mrs Sally Gilmartin se déplace en fauteuil roulant, à la suite d’une chute, et n’est pas disposée à recevoir son petit-fils comme elle le fait d’ordinaire le samedi après-midi. En revanche, elle remet à sa fille un gros dossier intitulé L’histoire d’Eva Delectorskaya. Qui est-ce ? C’est elle.

    8f3b06e8c8a8defaca0b34d43a544caf.jpgNous voilà embarqués dans un double récit : en alternance avec la vie de Ruth, une trentaine d’années avant, celle de sa mère, dont l’origine russe lui a toujours été cachée, et pour cause. Eva avait perdu son frère à Paris en 1939 et quelques jours après l’enterrement, un certain Lucas Romer l’avait approchée pour lui apprendre que celui-ci travaillait en secret pour le gouvernement britannique. Il lui avait proposé de s’y engager à son tour. Un bon salaire, la nationalité anglaise, c’était le rêve de son père émigré, mais pour Eva ce serait une manière de venger son frère assassiné.

    Ruth mettra un certain temps à superposer à l’image de sa mère celle de cette jeune femme plongée dans des activités secrètes, initiée à l’espionnage, voyageant sous diverses identités pendant la deuxième guerre mondiale. Elle-même, en attendant de terminer sa thèse de doctorat, enseigne l’anglais à des étrangers qui ont besoin d’une formation rapide. Ce travail à domicile lui permet de bien s’occuper de son fils. Un ingénieur iranien lui fait la cour, un jeune Allemand s’installe provisoirement chez elle, l’oncle de son enfant.

    L’univers mystérieux et risqué d’Eva Delectorskaya constitue le cœur de ce roman. Les questions que se pose Ruth – pourquoi sa mère lui révèle-t-elle son passé maintenant ? pourquoi est-elle constamment aux aguets et se comporte-t-elle de plus en plus étrangement ? qu’attend-elle de sa fille ? – instillent l’inquiétude et titillent l’imagination.

    Pour le bonheur des lecteurs, l’action, chez Boyd, abonde en détails concrets : vêtements choisis pour sortir, boissons commandées au restaurant, corps qui se rapprochent, chambres d’hôtel, intérieurs anglais, scènes urbaines… J’ai particulièrement goûté ses paysages. “ Des nuages filaient à toute allure dans le ciel, et un vent fraîchissant fouettait les arbres au-delà du pré. Je voyais les branches des chênes et les hêtres centenaires  du bois de la Sorcière se soulever et ployer, j’entendais, se répercutant jusqu’à nous à travers l’herbe blonde et haute, soupirs et chuchotements, les craquements des feuilles jaunies, cependant que, frappées par des courants invisibles, les très lourdes branches remuaient précipitamment – les grands arbres étaient ballottés, agités, animés d’une sorte de vie par la puissance naturelle du vent. ”

    L’épigraphe de Proust nous avait annoncé tout cela, y compris la mélancolie des êtres humains quand ils prennent conscience de leur fragilité.