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beauté - Page 4

  • Sisley à Aix

    L’exposition Sisley l’impressionniste est un excellent prétexte (s’il en faut) pour se rendre à Aix-en-Provence. C’est la première fois que je découvrais rassemblées d’aussi nombreuses toiles de cet artiste moins connu que Monet, resté fidèle toute sa vie à la peinture en plein air – un peintre de paysages et « un impressionniste très personnel », comme l’écrit MaryAnne Stevens, commissaire de l’exposition.

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    Alfred Sisley (1839-1899), né à Paris de parents anglais, a peint Paris et ses environs, la forêt de Fontainebleau, puis Argenteuil, Bougival, les endroits près desquels il demeurait. Le parcours chronologique, repris dans le catalogue, le suit de lieu en lieu, en France et en Angleterre, depuis ses années de formation jusqu’aux années de maturité à Moret-sur-Loing où il est décédé.

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    Alfred Sisley, Vue de Montmartre depuis la Cité des Fleurs aux Batignolles, 1869, musée de Grenoble

    Dès cette Vue de Montmartre depuis la Cité des Fleurs aux Batignolles, on le voit animer ses paysages de quelques silhouettes, mais donner plus d’importance au ciel, aux nuages, à l’atmosphère. Ses petits personnages se déplacent, travaillent, se promènent souvent sans lever les yeux vers le ciel ; certains s’arrêtent en regardant vers le peintre à son chevalet. Lui veut montrer ce qu’il capte dans la lumière du jour, tout ce qui englobe les humains. « Je commence toujours une toile par le ciel » écrit-il à Alfred Tavernier en 1892.

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    Alfred Sisley, L'Inondation à Port-Marly, 1872, National Gallery of Art, Washington

    Chaque saison offre des lumières intéressantes à peindre. Vincent Noce a écrit Monet, l’eau et la lumière ; ce titre conviendrait également à son ami Sisley, qui a tant de fois peint la Seine, les bords de Seine. A Port-Marly, il peint L’Inondation, spectaculaire, une de ses œuvres les plus fameuses.

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    Alfred Sisley, Bougival, 1876, Cincinnatti Art Museum

    L’été éclate dans Bougival où il pose toute la gamme des bleus dans le ciel, dans l’eau, dans l’ombre du chemin. Vers les nuages monte en diagonale la fumée grise d’un bateau et ce mouvement introduit ainsi dans cette scène la vie, le naturel. Sisley aime rendre les effets lumineux de la neige qui modifie notre perception des lieux, même familiers. L’exposition en offre de nombreuses illustrations, de Route de Louveciennes – effet de neige à L’Abreuvoir de Marly-le-Roy.

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    Alfred Sisley, Route de Louveciennes : effet de neige, 1874, Museum Barberini, Postdam

    Des arbres feuillus ou dégarnis, des allées d’arbres le long d’une route, sur une rive, assurent l’équilibre de la composition, avec leurs reflets ou leurs ombres. Quelle grâce et quelle lumière sur ces pommiers en fleurs ! J’ai particulièrement aimé une toile intitulée Les Petits Prés au printemps, By, où le personnage en bleu et blanc à l’avant-plan reprend sur la terre les couleurs de l’eau et du ciel (ci-dessous). Le jaune de son chapeau s’harmonise aux premières touches printanières sur les arbres. Tout se répond.

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    Alfred Sisley, Les Petits Prés au printemps, By, vers 1880-1881, Tate, Londres

    Je n’ai rien dit de l’automne ? Sisley n’a pas manqué d’explorer cette saison des couleurs chaudes dont j’ai pu admirer les débuts sur les arbres et les vignes dans le pays de Nyons, avant de retrouver chez moi le ginkgo biloba dans son habit d’or pâle que je voudrais tant voir résister quelques jours de plus à la pluie et au vent.

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    Alfred Sisley, Sous le pont de Hampton Court, 1874, Winterthur, Kunstmuseum.

    S’il admire et fait admirer la nature, le peintre s’est souvent attaché à montrer les maisons, les rues, les ponts, les constructions des hommes qui structurent l’espace où ils vivent et où notre regard s’appuie : aqueduc de Marly, pont de Hampton Court, lavoir, églises… Bref, l’exposition montre à la fois la constance de l’artiste dans sa recherche de rendre avec justesse son impression visuelle et la variété des points de vue dans l’approche de son sujet.

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    Alfred Sisley, Le pont de Moret, 1888, Minneapolis Institute of Art

    Le catalogue, pas encore lu, généreux en illustrations pleine page, fournit certainement des clés pour mieux comprendre la peinture d’Alfred Sisley. Mais je voulais simplement partager avec vous cette beauté (l’art et la beauté sont à la une de Beaux Arts Magazine ce mois-ci) et ces quelques photos prises à l’exposition, visible jusqu’au 15 octobre à l’Hôtel de Caumont.

  • Ouverture

    Cheng Wu Zhen Etude de Bambous.jpg« Il faut sauver les beautés offertes et nous serons sauvés par elles. Pour cela, il nous faut, à l’instar des artistes, nous mettre dans une posture d’accueil, ou alors, à l’instar des saints, dans une posture de prière, ménager constamment en nous un espace vide fait d’attente attentive, une ouverture faite d’empathie d’où nous serons en état de ne plus négliger, de ne plus gaspiller, mais de repérer ce qui advient d’inattendu et d’inespéré. »

    François Cheng, Œil ouvert et cœur battant

    Wu Zhen, Etude de bambous

  • La beauté selon Cheng

    Œil ouvert et cœur battant de François Cheng invite à la contemplation. Merci à Colo qui l’a cité sur Espaces, instants et me l’a donné à lire. Deux textes : un discours prononcé en 2010 au Collège des Bernardins et un Discours sur la Vertu à l’Académie française en 2007. Vous avez peut-être entendu l’écrivain franco-chinois parler de la beauté et de l’âme à La Grande Librairie il y a peu.

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    « Comment envisager et dévisager la beauté ? » Dans le mystère de notre « présence au monde », deux extrêmes : « celui du mal et celui de la beauté ». Le mal que des hommes infligent à leurs semblables est le plus terrifiant. L’énigme de la beauté – « A côté du vrai, du bon, le beau apparaît comme un luxe, un surplus, voire un superflu » – vient de ce que « l’univers n’est pas obligé d’être beau ». Il pourrait être uniquement fonctionnel, mais ce ne serait plus « la Vie ». Chaque être, fleur ou arbre, est unique et « virtuellement habité par la capacité à la beauté, et surtout par le « désir de beauté » ».

    Voilà pour François Cheng où commence la beauté, par la « présence » ; « entre les présences qui ne cessent d’échanger circule le souffle de l’infini ». Et de s’arrêter sur le mot « sens », « diamant du vocabulaire français », une seule syllabe et trois définitions : sensation, direction et signification, « les trois étapes, ou les trois étages, de notre existence ».

    A propos de la beauté physique, Cheng mentionne ce qui contribue à celle du visage humain : « regard, sourire, voix, etc., tous attributs qui relèvent déjà de la conquête de l’esprit. » Quant à la beauté « du cœur, ou de l’âme », celle-ci est d’un autre ordre, éthique, spirituel. Ainsi rapproche-t-il beauté et bonté, les saints et les artistes qui « font profession de dévisager la beauté ». L’art exige une vision profonde, mobilise le corps et l’esprit. « Si l’esprit raisonne, l’âme, elle, résonne. »

    Cheng parle de peintres, compositeurs, écrivains, et de nous : « tous nous avons part à la beauté ». Pas d’art de vivre sans émerveillement devant les beautés du monde, des plus humbles aux plus grandes. Et pour questionner la beauté, l’écrivain propose un détour par la peinture chinoise, ces rouleaux « représentant d’immenses paysages, dans lesquels toujours figurent un ou plusieurs petits personnages » (le texte est suivi de neuf illustrations).

    De son Discours sur la Vertu (sur le site de l’Académie française), une phrase : « Car à une époque comme la nôtre, où règne souvent le cynisme, ou un hédonisme sans frein, celui qui se propose de chanter la vertu n’a pas forcément le beau rôle ; il court tout de même le risque de se montrer plus ou moins naïf. » Le beau et le bon y reviennent à travers « quatre excellences » célébrées en Chine : le bambou, l’orchidée, le prunus, le lotus (ou le chrysanthème, une variante).

    « François Cheng : un cœur qui écoute, une voix qui peint, une main qui caresse, un visage qui contemple et même, à travers les larmes, sourit. » (Antoine Guggenheim, Avant-propos). Un sage qui communique avec les fleurs et les arbres – et les hommes.

  • Une seule beauté

    Rodin L'art 1967.jpg« Le dessin, le style vraiment beaux sont ceux qu’on ne pense même pas à louer, tant on est pris par l’intérêt de ce qu’ils expriment. De même, pour la couleur. Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. Et quand une vérité, quand une idée profonde, quand un sentiment puissant éclate dans une œuvre littéraire ou artistique, il est de toute évidence que le style ou la couleur et le dessin en sont excellents ; mais cette qualité ne leur vient que par reflet de la vérité. »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911.

  • S'intéresser à l'art

    « — Quel original vous faites ! me dit-il. Vous vous intéressez donc encore à l’art. C’est une préoccupation qui n’est guère de notre temps. 

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    Aujourd’hui les artistes et ceux qui les aiment font l’effet d’animaux fossiles. Figurez-vous un megatherium ou un diplodocus se promenant dans les rues de Paris. Voilà l’impression que nous devons produire sur nos contemporains.

    Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes.

    L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins.

    Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort.

    L’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre.

    Mais aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir physiquement. Les hautes et les profondes vérités lui sont indifférentes : il lui suffit de contenter ses appétits corporels. L’humanité présente est bestiale : elle n’a que faire des artistes.

    L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont-ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût ? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tout est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont les ennemis.

    Ah ! mon cher Gsell, vous voulez noter les songeries d’un artiste. Laissez-moi vous regarder : vous êtes un homme vraiment extraordinaire ! »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911 (préface).

    PhotoMusée Rodin à Meudon