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Roman - Page 43

  • Formule secrète

    ito ogawa,la papeterie tsubaki,roman,littérature japonaise,écrivain public,écriture,lettres,cuisine,japon,cuture« – C’est la formule secrète du bonheur, que j’ai appliquée toute ma vie, a-t-elle dit en riant.

    – Apprenez-la moi !

    – Eh bien, il faut se dire à l’intérieur : « Brille, brille. » Tu fermes les yeux et tu répètes « Brille, brille », c’est tout. Et alors, des étoiles se mettent à briller les unes après les autres dans les ténèbres qui t’habitent, et un beau ciel étoilé se déploie. »

    Ito Ogawa, La papeterie Tsubaki

  • La papeterie d'Ogawa

    Cadeau de Noël bien choisi, La papeterie Tsubaki de Ito Ogawa (traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako) a clôturé cette année de lecture en douceur. Munie du plan de Kamakura dessiné au début du livre, j’y ai suivi les allées et venues aux quatre saisons de la narratrice Hatoko (Poppo), qui a repris la papeterie de sa grand-mère (l’Aînée), disparue trois ans plus tôt, dans le respect des traditions de la famille Amemiya, « une lignée d’écrivains calligraphes qui remonte, paraît-il, au XVIIe siècle », des « femmes à tout faire du pinceau ».

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    Couverture originale de La papeterie Tsubaki (Tsubaki bunguten)

    Chacune de ses journées commence avec un thé bien chaud – boissons et mets japonais défilent tout au long du roman, consommés en solo ou, le plus souvent, avec d’autres. Chaque visiteur de la papeterie reçoit quelque chose à boire avant toute chose. Hatoko, qui avait fui cette maison et rejeté l’éducation stricte de sa grand-mère, pense souvent à elle. L’Aînée, qui l’a élevée sans jamais lui parler de sa mère qu’elle n’a pas connue, a laissé des traces partout, comme cette devise calligraphiée de sa main : « Mange amer au printemps, vinaigré l’été, piquant l’automne et gras l’hiver ».

    La vie quotidienne de la jeune papetière, vingt-cinq ans, est rythmée par les tâches domestiques, les relations de quartier (sa voisine Mme Barbara, la plus proche, le Baron, une fillette) et surtout le passage des clients pour des demandes en tous genres à l’écrivain public : cartes de vœux, condoléances, lettres manuscrites attentionnées (devenues plus rares que les mails), messages très particuliers…

    Chaque demande doit être traitée avec soin, non seulement dans l’expression du contenu, mais dans le choix d’un papier, d’une encre, d’un outil d’écriture en harmonie avec le ton de l’expéditeur et la qualité du destinataire, y compris pour l’enveloppe. L’écriture avec ses accessoires et l’art de la calligraphie sont une composante essentielle de la vie d’Hatoko. Elle a tenu son premier pinceau personnel à six ans, « fabriqué avec des mèches de [sa] chevelure de bébé ». Ses écrits et une reproduction de leur calligraphie s’insèrent tout au long du roman.

    A chaque saison, des rituels sont à accomplir, rites de purification, visites aux sanctuaires. Le soir, elle mange le plus souvent dehors ; les restaurants ne manquent pas à Kamakura où les touristes sont nombreux. Quand une de ses connaissances lui propose d’aller quelque part, Hatoko est presque toujours disponible. Les plats japonais sont appelés par leur nom, parfois décrits, parfois évoqués seulement par les sensations, l’odorat, le goût, l’appréciation.

    Hatoko se doit d’être à la fois discrète et attentive – la description de chaque visite à l’écrivain public montre sa grande délicatesse quand elle écoute et s’assure de bien comprendre ce qu’on attend d’elle. Elle a été à bonne école avec sa grand-mère, elle s’en rend compte. Adolescente rebelle, elle avait le sentiment qu’on lui volait sa jeunesse. Après le bac, elle a suivi des études de design. A présent, elle s’intéresse plus aux autres qu’à elle-même.

    D’une rencontre à l’autre, la personnalité de la narratrice se dessine en creux, à travers l’estime suscitée par son travail soigné et par sa gentillesse envers tous. A travers quatre saisons de la papeterie Tsubaki, Ito Ogawa révèle sa passion pour la calligraphie comme pour la cuisine. Tout le récit est imprégné de la culture japonaise, dont elle cite aussi des paroles de sagesse. Par exemple, la maxime zen « Je connais seulement la satisfaction », une invitation « à trouver la plénitude dans ce que l’on possède ». Ou encore : « Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. »

    La nature est présente ici, avec moins de lyrisme que dans Un automne à Kyoto, le récit de Corinne Atlan auquel j’ai souvent pensé en lisant La papeterie Tsubaki. Bien qu’écrit plus simplement, ce roman est truffé de belles choses, comme ce rituel sacré dans la famille Amemiya, « l’adieu aux lettres ». Il est difficile de conserver toutes les lettres et cartes reçues, aussi peut-on les envoyer à la papeterie qui se charge, une fois par an, en toute discrétion, de réduire ces lettres en cendres à la place de leur destinataire.

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    Affiche de l'adaptation télévisée

    L’écriture manuscrite et son « supplément d’âme », l’enveloppe « visage de la lettre », l’écriture « en miroir » qui fait prendre conscience de la très imparfaite vision de nous-même que renvoie notre reflet, Ito Ogawa magnifie toutes les composantes des échanges épistolaires dans ce récit plein d’empathie et de sympathie – pas seulement pour les mots, mais aussi voire surtout pour les êtres.

  • Nerveuse

    Bennett couverture.jpg« Il ne s’agissait pas uniquement de politique. Une femme qui protégeait son foyer était animée par un instinct plus primitif. D’autant plus qu’il ne l’avait jamais entendue parler avec bienveillance de ces gens-là. Ça l’embarrassait un peu, à vrai dire. Il respectait l’ordre naturel des choses, certes, mais il fallait raison garder. Petit, il avait eu une nounou de couleur appelée Wilma qui faisait pratiquement partie de la famille. Il continuait de lui envoyer une carte de vœux tous les ans à Noël. Stella, elle, ne voulait même pas d’une employée de maison noire : elle prétendait que les Mexicaines étaient plus travailleuses. Avait-elle besoin pour autant de détourner le regard chaque fois qu’elle croisait une vieille femme noire dans la rue ? De rudoyer les garçons d’ascenseur ? En fait, ils la rendaient nerveuse. Elle lui faisait penser à quelqu’un qui, enfant, aurait été mordu par un chien. »

    Brit Bennett, L’autre moitié de soi

  • Sans sa soeur jumelle

    L’autre moitié de soi traduit assez bien The Vanishing Half de Brit Bennett (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Karine Lalechère), littéralement « la moitié disparue ». C’est sur le retour à Mallard en Louisiane d’une des sœurs jumelles que s’ouvre le roman, en 1968 : Desiree Vignes, disparue avec sa sœur Stella une quinzaine d’années plus tôt – elles avaient seize ans –, « tenait la menotte d’une fillette de sept ou huit ans, noire comme le goudron ».

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    © Aimé Mpane, Patte blanche, série de 27 panneaux multiplex taillés à l’herminette et acrylique, 2021
    [ Exposition Remedies aux Musées royaux des Beaux-Arts > 13.02.2022 ]

    Cela fait sensation dans cette petite ville célèbre pour la peau claire de ses habitants métis « qui ne seraient jamais acceptés en tant que Blancs mais qui refusaient d’être assimilés aux Nègres. » Les familles veillent depuis longtemps à rendre « chaque génération plus claire que la précédente ». Adele Vignes, devenue veuve après le lynchage de son mari (sous le regard de ses filles), savait que les jumelles avaient été vues un temps à La Nouvelle Orléans, mais elle ignorait que ces inséparables s’étaient séparées : « Stella était devenue blanche et Desiree avait épousé l’homme le plus noir qu’elle avait pu trouver. »

    A la fin de leur seconde, Adele avait annoncé aux jumelles qu’elles ne retourneraient plus au lycée, qu’il fallait gagner de l’argent et qu’elle leur avait déjà trouvé une place de domestique chez les Dupont dans leur maison d’Opelousas. Elles avaient obéi, bien que ni l’une ni l’autre ne voyaient leur avenir en tant qu’employées de maison.  

    Desiree rêvait d’ailleurs depuis longtemps ; l’idée d’abandonner sa mère révoltait jusqu’alors Stella, fille serviable et bonne élève. En allant à La Nouvelle Orléans, elles espéraient trouver un meilleur emploi qui leur permettrait d’envoyer de l’argent à leur mère. Si Desiree a pris le chemin du retour avec sa fille Jude, après six ans de mariage, c’est parce que Sam l’a frappée, une fois de trop. Elle avait rencontré son mari avocat à Washington, où l’administration fédérale l’avait embauchée après sa formation pour lire les empreintes digitales.

    Sa mère lui fait bon accueil, sans pouvoir s’empêcher de remarquer que la petite lui « ressemble autant que le jour à la nuit ». Quand Earles, un ancien amoureux réapparaît aussi à Mallard et reconnaît Desiree à l’Egg House où elle travaille comme serveuse faute de mieux, celle-ci ignore qu’il gagne sa vie en recherchant des personnes disparues, cette fois pour le compte de Sam.

    Comme il s’enquiert de Stella, Desiree lui raconte comment elles ont d’abord travaillé dans une blanchisserie de La Nouvelle Orléans, avant que Stella réponde à une annonce pour un poste de secrétaire à Maison Blanche, le grand magasin de la ville. Alors que tout le monde voit en Desiree une femme de couleur, sa jumelle passe aisément pour une femme blanche et c’est en tant que telle qu’elle est engagée. Un soir, les affaires de Stella ont disparu, elle a laissé un message : « Pardonne-moi ma chérie. Je dois vivre ma vie. » Early propose son aide à Desiree pour retrouver sa trace.

    L’autre moitié de soi, qui raconte leur histoire mouvementée sur trois générations, d’Adele à Jude, est un roman centré sur les liens familiaux, le problème racial et les barrières sociales aux Etats-Unis dans les années 1970-1980. Leur couleur de peau vaut aux deux soeurs des destinées très différentes. On découvrira quel genre de vie mène Stella « la blanche », loin des siens.

    Le titre, s’il renvoie d’abord aux jumelles séparées, fait aussi écho au choix de Stella qui renonce à une part d’elle-même, ainsi qu’à un personnage transgenre qui va prendre de l’importance au fil du temps. Cela fait beaucoup, mais ce gros roman accroche et fait tourner les pages – on n’est pas étonné d’apprendre qu’il va être adapté en série. Sous son allure de best-seller (comme le roman précédent de Brit Bennett, Le cœur battant de nos mères), il traite de questions sérieuses. Peut-on devenir quelqu’un d’autre ? Comment se sentir à sa place dans la société ? Les rêves sont-ils forcément liés à des renoncements ? « Un grand roman de l’identité afro-américaine », selon Le Monde.

  • Feu de joie

    héloïse guay de bellissen,crions,c'est le jour du fracas,roman,littérature française,adolescence,rébellion,bandes,années 1990,pénitencier de l'île du levant,incendie,1866,révolte,histoire,culture« Bon, bref, pour le rituel du feu de joie, l’initiation de Romuald avait été parfaitement réussie. Ça se passait à la plage, à quelques mètres à vol d’oiseau de la Table. C’était un moment extrêmement élaboré et que nous prenions très au sérieux. Enfin, c’est ce qu’on se disait, mais en fait ça ne l’était pas tant que ça. L’initié devait se rendre sur la plage, fringué comme son paternel et sa daronne en même temps. Par exemple, un chemisier de la mère et le pantalon du père. Nous allumions un feu sur le sable, ce qui était totalement interdit, et nous demandions à l’initié ceci :
    – Jette ta famille au feu.
    – Comment ça ?
    – Ta famille, maintenant, c’est nous, donc enlève les fringues de tes parents et fous-les dans le feu.
    Romuald a pas bronché, il a jeté les frusques dans les flammes, il s’est retrouvé en caleçon et chaussettes, et ensuite je lui ai dit :
    – Maintenant, tu dois entrer dans la mer et plonger, après tu reviendras.
    – Mais elle doit être glacée !
    – C’est toi qui vois, lui avait répondu Don. »

    Héloïse Guay de Bellissen, Crions, C’est le jour du fracas !