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Roman - Page 140

  • Le châle gris

    lane,harriet,le beau monde,roman,littérature anglaise,suspense,journalisme,édition,culture« Mes parents m’attendent pour le déjeuner. Les routes sont calmes, je suis dans les temps. Aux abords de mon village natal, juste après mon ancienne école primaire, je m’arrête à un feu rouge. En attendant qu’il passe au vert, je me penche vers le siège passager et j’ouvre mon sac : le voilà, enfoncé dans un des coins du bagage : le châle gris qui appartenait à Alys, celui qui pendait à un clou, dans l’entrée. La couleur en est tellement jolie, et puis il est si doux : du cachemire, bien sûr. Je le porte à mon visage et me dis que je suis en train de saisir une mémoire fugace de son odeur, enfermée dans ces fibres : cette senteur fraîche et vivace qui me fait penser au matin.
    Quand le feu passe au vert, je l’enroule autour de mes épaules et je démarre. »

    Harriet Lane, Le beau monde

     

    * * *

    Accueillir le jour, sourire à la vie  : 
    bonne & heureuse année 2014 !

     

    Tania

     

  • Un monde attirant

    « Un premier roman psychologique féroce », dit la quatrième de couverture. Le beau monde d’Harriet Lane (2012, traduit de l’anglais par Amélie de Maupeou), c’est celui où va pénétrer son héroïne, Frances Thorpe, simple correctrice aux pages « Livres » du Questioner. « Alys, Always » le titre original, place une autre femme au centre du récit, celle autour de qui toute l’histoire tourne, d’une certaine manière. 

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    Un soir, Frances arrête sa voiture au bord de la route, elle a aperçu un halo étrange entre les arbres et découvre une grosse berline couchée dans la forêt. Sans le savoir, en attendant les secours, elle recueille les derniers mots de la conductrice, invisible dans l’obscurité : Alice a cru apercevoir un renard et a sans doute dérapé sur une plaque de verglas. Quand la police appelle Frances à son bureau le lendemain pour lui demander de passer pour sa déposition, elle apprend que la blessée est décédée sur place.

    Le travail ne manque pas au journal, où elle corrige les articles, les manuscrits, et fait un peu de tout (le genre de correctrice qui manque à l’éditeur du roman, où les fautes d’orthographe ne manquent pas). Une remarque du premier assistant de Mary, la rédactrice en chef, sur le dernier roman de Laurence Kyte (Booker Prize quelques années plus tôt) où figure une photo de lui prise par Alys Kyte – et Frances fait le lien : « Pour Alys, toujours », dit la dédicace éponyme. Contrairement à ce qu’elle avait d’abord répondu à la police, Frances est prête, maintenant, à rencontrer cette famille si celle-ci le souhaite.

    Dès son entrée dans la maison des Kyte, Frances enregistre tout : les abords soignés, les fleurs qui s’amoncellent dans l’entrée et dans les réceptions, la courbe de l’escalier qui mène à une cuisine américaine, « judicieuse combinaison d’ancien (…) et de contemporain ». Près d’une longue table en chêne, Laurence Kyte l’attend avec ses enfants, Edward, 25 ans, et la jeune Polly, en présence de Charlotte Black, « l’agent de Kyte ».

    Frances, la trentaine, n’habite qu’à deux kilomètres de là, dans un quartier du nord de Londres très différent de ces avenues cossues avec leurs grands espaces verts. Quand Polly l’interroge sur la voix quavait sa mère dans ses derniers instants, elle raconte ce que lui a dit cette femme qui ne semblait pas souffrir, très digne et courtoise. Devant l’émotion de la jeune fille, Frances cède à la tentation d’ajouter ce qu’elle n’a pas déclaré dans sa déposition mais qu’ils ont peut-être « besoin d’entendre », les derniers mots d’Alys : « Dites-leur que je les aime. »

    Un mois plus tard, à l’invitation de Polly, Frances assiste à une messe commémorative où le tout-Londres de l’édition se presse, écoute des hymnes, des lectures, et un beau portrait d’Alys, « quelqu’un qui avait l’œil pour la beauté et pour l’absurde », plutôt rêveuse, distraite, mais toujours présente pour l’essentiel. La fille d’Alys est heureuse de revoir Frances et l’invite à la suivre chez elle, lui raconte ce que Frances sait déjà par son profil Facebook : elle suit des études d’art dramatique. Dans sa chambre, Frances découvre une photo de la lumineuse Alys. Elle assure Polly d’être à sa disposition si elle a envie de parler et s’arrange pour que son père remarque sa présence, brièvement, avant de partir.

    Au bureau, Frances attire désormais l’attention de ses collègues, on l’a vue à la cérémonie, elle passe pour « une amie de la famille » Kyte. Elle en joue sans en faire trop. En se rapprochant de Polly, en la poussant aux confidences, Frances élabore un plan pour se rapprocher du « beau monde », de cette maison luxueuse où elle s’imagine à la place d’Alys, élégante et compréhensive. Que cherche-t-elle ? A faire carrière en se rapprochant d’un écrivain connu ? A s’introduire dans ce milieu si différent de sa propre famille à l’esprit étroit ? On ne sait au juste ce qui pousse Frances, mais on la voit tisser sa toile, point par point. 

    Mi-roman de moeurs, mi-suspense psychologique, Le beau monde m’a rappelé, en moins subtil, l’univers d’Anita Brookner, qui a souvent décrit cette attirance d’une jeune femme vers des gens qui ont réussi ou qui paraissent mener une vie plus conforme à ses rêves. En même temps, Harriet Lane décrit un milieu journalistique qu’elle connaît bien, elle a travaillé pour différents journaux anglais avant d’écrire ce premier roman. Un peu comme dans les images publicitaires aux décors trop parfaits, cette histoire contemporaine est imprégnée d’une grande fascination pour le bien-être matériel et les codes du paraître. Une comédie des apparences.

  • Pas de l'amour

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    « Ce n’était pas de l’amour que je venais demander à ces femmes. Mes projets de littérature me fatiguaient bien assez. C’était de la grâce, de la douceur, quelque chose qui relevât la fadeur de mes journées, passées à des besognes, parmi des gens sans tendresse. J’étais servi, comme on s’en doute. Elles me racontaient leur chiqué et je leur disais mon impuissance. « Si tu crois que c’est toujours gai de coucher avec des types qu’on ne connaît pas ! me disaient-elles. – C’est comme moi, leur répondais-je ; de loin, ça me fait envie, ma tête marche, je me dis que ce sera épatant. Et quand j’y suis, il n’y a plus rien de fait ! »

    Paul Léautaud, Le petit ami

  • Des femmes, une mère

    Le petit ami (1903) est le premier roman de Paul Léautaudautobiographique en grande partie, les souvenirs d’un enfant qui aimait la présence des femmes légères, d’un petit garçon à qui sa mère a tant manqué. Partie quelques jours après sa naissance, celle-ci l’a laissé à son père, souffleur à la Comédie-Française, qui lui a fait découvrir très jeune le milieu du théâtre et de la bohème littéraire. 

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    "Rayon d'or", danseuse du Moulin-Rouge, vers 1900 © Roger-Viollet 

    C’est « dans un music-hall célèbre » où traîne « une collection de ces femmes dont on assure qu’il n’y a pas les pareilles dans les autres capitales, du moins pour la grâce et l’élégance » que le spectacle, aussi bien dans la salle que sur la scène, et en particulier le passage d’une de ces femmes près de sa table, qui le fait penser à sa mère, donnent à Léautaud l’idée d’écrire ce livre, vers l’âge de trente ans.

    Ses « amies » l’encouragent, ravies d’y figurer. Combien  de fois il leur a déjà parlé de sa « chère maman » – « n’était-ce pas à elle que je devais de les aimer comme je les aimais ? » –, rien ne lui plaît davantage que d’avoir rendez-vous chez l’une d’elles, de s’abandonner à la tendresse qu’elles lui inspirent. En échange de leurs confidences, il leur raconte ses souvenirs d’enfance. « Ainsi je me distrais le plus possible auprès de ces créatures pour qui la tolérance n’est pas un mot. » L’écrivain ne cache pas son manque d’intérêt pour l’amour. « Pas besoin, avec elles, de faire des phrases. »

    Paris du XIXe siècle. Léautaud revoit des lieux disparus, une crèmerie dans le haut de la rue Pigalle où « ces femmes déjeunaient et dînaient de compagnie », les endroits où il habitait. « Mon enfance s’est passée tout entière dans ce quartier de Paris qui va de la Butte Montmartre aux grands boulevards. » Voici les rues où il jouait, le trajet de chaque matin pour accompagner son père chez le coiffeur, le chemin qui menait vers sa vieille bonne Marie chez qui il passait la nuit, les boutiques, les maisons, le lavoir, le petit bazar… « Presque rien de tout cela n’a changé. »

    Deux photographies prises pour être envoyées à sa mère rappellent le garçon qu’il était : sur celle où il est près de « maman Pezé », la bonne, il a l’air « timide et songeur » ; sur l’autre il est tout seul, « plus posé ». Son chien Tabac les avait accompagnés chez le photographe, il aurait aimé qu’il reste près d’eux, mais la bête n’avait pas voulu se tenir tranquille. « Jours lointains, si je pouvais les revivre, si je pouvais redevenir le cher gamin d’alors ! »

    Au quatrième étage de la maison de Marie habitait Loulou, si gentille avec lui. L’enfant ne comprenait pas pourquoi, quand ils la rencontraient au coin de deux rues où elle se tenait habituellement, sa bonne le retenait quand il voulait courir l’embrasser, ni pourquoi Loulou restait là à marcher « du même pas agile » en attendant je ne sais qui.

    « Quelques années plus tard, vers le milieu de l’année 1881, ma mère, que je connaissais à peine, vint passer quelques jours à Paris, tout à la fois pour se distraire et pour voir un peu son fils. » Les pages les plus fortes décrivent les sentiments qui s’emparent alors du petit Léautaud. Comment sa mère était habillée, comment elle se comportait, comment elle le pressait contre elle – « rien de ces choses ne peut revivre. Beautés évanouies, silence éternel. »

    Le petit ami fait le portrait d’un petit garçon, de ses amies prostituées (un mot qu’il n’emploie pas), d’une mère qui n’en est pas une et qui le trouble d’être de ces femmes trop coquettes pour aimer. En grandissant, il prend conscience de la regarder comme une femme plutôt que comme une mère, s’imagine qu’elle le voit comme un homme et pas seulement un fils. Chaque fois qu’ils se retrouvent, qu’ils se séparent, qu’ils s’écrivent, quelles émotions, quelles déceptions ! « J’aurais bien donné dix sous pour être orphelin depuis ma naissance. »

    « Ma mère. Ah ! on n’en a qu’une et je suis si triste, si profondément triste quand je pense à toute notre histoire », écrit Léautaud dans son Journal (3 novembre 1905). Dans Le petit ami, l’épigraphe du premier chapitre  « Il n’y a dans la vie que des commencements.» (Mme de Staël) – dit le deuil jamais fait d’un amour maternel.

  • Pas en sucre

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    Anne-Marie Garat, Pense à demain