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Passions - Page 253

  • Guernesey, le film

    Que vous ayez lu Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows ou non, ne boudez pas le film de Mike Newell : Le cercle littéraire de Guernesey. Catégorisée « drame, romance », l’adaptation cinématographique de ce roman à succès offre un divertissement agréable. Trop « joli », juge La Libre Culture, qui ne lui attribue qu’une étoile, précisant que le film est plombé par « la qualité anglaise » façon « Downton Abbey » – à vous d’apprécier.

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    Mike Newell a réalisé entre autres Avril enchanté (1992), Quatre mariages et un enterrement (1994), L’amour au temps du choléra (2007). Les acteurs qu’il a choisis sont bien dans leur rôle, avec une mention spéciale pour Penelope Wilton qui incarne une Amelia secrète et émouvante. Elle jouait la mère de Matthew Crawley dans Downton Abbey. Lily James, qui tient ici le rôle principal, y apparaissait dans le rôle de Lady Rose Aldridge, petite-cousine de Lord Grantham.

    L’heure du couvre-feu est passée depuis longtemps sur l’île anglo-normande de Guernesey occupée par les Allemands (du 30 juin 1940 au 9 mai 1945) quand un petit groupe joyeux se fait surprendre par une patrouille. Sommés de justifier leur sortie tardive, ils sont sauvés de l’arrestation par une jeune femme, Elizabeth, qui sort un livre de sa poche et justifie leur présence par une séance tardive du Cercle des amateurs de littérature... et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey – pour justifier ladite tourte que transporte l’un d’eux.

    A Londres, en 1946, une jeune écrivaine qui vient de remporter un beau succès, Juliet Ashton, manque d’enthousiasme pour la tournée de promotion mise au point par son éditeur, ainsi que pour les soirées brillantes où l’emmène son petit ami, un jeune et riche Américain qui couvre de fleurs sa chambre dans une pension modeste. Juliet ne veut pas du splendide appartement qu’il lui propose, elle ne s’y sentirait pas à l’aise.

    Quand arrive une lettre d’un inconnu, envoyée de Guernesey, Juliet est tout de suite charmée par le ton de Dawsey Adams, un jeune fermier qui a trouvé son adresse manuscrite dans un livre d’occasion : ils commencent à correspondre, il lui raconte la naissance et les rituels du fameux cercle de lecture. En panne d’inspiration pour un nouveau livre, elle décide d’aller rencontrer ces gens sur leur île et d’y glaner des informations sur l’Occupation allemande. Son éditeur lui rappelle de rentrer rapidement. Quant à son chevalier servant, il la surprend juste avant qu’elle n’embarque, la demande en mariage sur le quai et lui offre une superbe bague en diamant (art déco) – les voilà fiancés.

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    Ces quelques ingrédients vous donnent une idée de l’intrigue, que l’arrivée sur l’île de Guernesey va développer sur fond de superbes paysages, bords de mer et campagne pittoresques. On y fait la connaissance avec Juliet des différents membres du cercle littéraire, du plus âgé, l’inventeur de la tourte aux épluchures de pommes de terre, Eben Ramsey, au plus jeune, son petit-fils. Mais elle ne tarde pas à se heurter à des réactions hostiles ou des silences quand elle les interroge sur ce qu’ils ont vécu ; il est des drames, des secrets qu’ils n’ont pas envie de lui confier.

    Juliet, curieuse, va donc prolonger son séjour et participer aux réunions du cercle de Guernesey, qui continue les lectures à voix haute suivies d’échanges sur les livres lus. Les films qui donnent une si belle place à la littérature et à la lecture, à la correspondance aussi, ne sont pas si fréquents, celui-ci touchera la fibre sensible de bien des lecteurs et lectrices, a fortiori de ceux qui ont aimé le roman éponyme.

    « Amitié, camaraderie, solidarité, amour, pouvoir de la littérature, beauté du dénuement… Tous les thèmes sont là et bien là dans cette adaptation très mièvre, qui fait passer presque au second plan le seul aspect un peu intéressant : le récit d’une histoire méconnue, celle de l’occupation de Guernesey par le IIIe Reich », écrit Hubert Heyrendt dans La Libre. Sévère. Moins que ce que j’ai lu dans Le Monde, où un critique y voit un « pudding industriel » pour « public féminin du troisième âge » !

    Le film est trop léché et certains personnages ou situations, stéréotypés, c’est vrai. Est-il interdit pour autant d’échapper parfois aux soucis de la vie réelle pour prendre plaisir à une histoire romanesque bien racontée, où tout n’est d’ailleurs pas rose ? Pour ma part, j’ai aimé y découvrir l’île de Guernesey et certains personnages secondaires plus nuancés que le trio sentimental. Comme à la lecture, le sympathique cercle littéraire m’a été d’agréable compagnie, deux heures durant. Un film délassant.

  • Deux

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    Ils étaient deux à nous suivre ou à nous précéder, curieux de l’animation, à un peu de distance. On appelle un chat ? Le plus souvent, sauf pour les familiers, il feint l’indifférence. Il vit sa vie. Pour celui-ci, tiens, c’était juste le moment de faire ses griffes. Pour l’autre, de surveiller ses arrières.

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  • Estivale au jardin

    Premier jour de l’été, première Estivale 2018 à Schaerbeek. La formule n’a pas changé : des promenades guidées sont proposées par l’asbl PatriS le jeudi à 12h30 et le dimanche à 17h, elles sont gratuites (sur inscription). Lorsqu’un lieu privé s’ouvre à la visite, c’est une aubaine, surtout quand on passe devant assez souvent.

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    La guide a donné rendez-vous à l’angle de l’avenue Demolder et du boulevard Lambermont ; à l’origine, en face, une brasserie occupait l’angle du côté impair, dotée d’une marquise au-dessus de sa terrasse – d’où le recul imposé à toutes les maisons construites dans le prolongement ; des jardinets, derrière des grilles, agrémentent les façades. Les travaux dans l’avenue Demolder sont loin d’être terminés, les barrières et le bruit du chantier seront un peu gênants (ensuite viendront la réfection des trottoirs et la plantation de tilleuls pour remplacer les platanes, pas tous, hélas, mais ce n’est pas le sujet du jour).

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    Notre guide signale, côté impair, une maison de briques rouges (ci-dessus à gauche) à l’allure plus modeste que ses voisines, qui a perdu des éléments de façade originaux ; c’est toujours intéressant de découvrir les photos ou dessins anciens conservés au patrimoine communal que la guide montre pour nous aider à comprendre comment une façade a évolué au cours du temps. Ces maisons ont été construites entre 1907 et 1913.

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    L’avenue Demolder est de style éclectique : des maisons « classiques », « beaux-arts », parfois « art déco » ou « pittoresques » s’y côtoient. Dans l’ensemble, beaucoup de riches détails architecturaux persistent un siècle plus tard, et c’est un enchantement quand les propriétaires les conservent et les font restaurer. Je vous renvoie à un ancien billet sur cette avenue, où sont évoqués les Teughels, Diongre ou Hemelsoet, entre autres architectes renommés de cette époque.

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    Quand des sgraffites retrouvent leur splendeur ou quand, les originaux perdus, des artisans d’aujourd’hui les renouvellent, quel bonheur pour les yeux ! Ainsi ces deux créations d’Elise Raimbault qui représentent, en haut d’une façade, la musique et la littérature. En face, nous admirons un sgraffite restauré : une jolie femme entourée d’enfants symbolise la douceur du foyer. Les deux maisons qui jouxtent cette façade présentent de beaux matériaux, mais la polychromie du sgraffite attire l’œil en premier. La guide montre sur une photo d’époque les grands sgraffites sur le même thème qui ornaient les maisons voisines, disparus.

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    Il est temps de nous diriger vers la large façade classique de l’hôtel de maître (1910) au jardin hors de l’ordinaire. La belle porte (vitre et fer forgé) ouvre sur un passage cocher qui mène à l’arrière. Le premier propriétaire, un entrepreneur, avait réservé tout le premier étage à une salle de billard. La guide résume l’histoire de cette demeure due à l’architecte Albert Dankelman, cite ses propriétaires successifs dont une danseuse tombée amoureuse d’un entrepreneur de jardins. Dans les années 1990, la maison a été remise à neuf, mais pas le jardin. La dernière propriétaire, qui a acquis cette propriété de 19 ares en 2010, lui a rendu sa beauté.

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    Première surprise en découvrant le jardin à l’arrière de la maison : le mur qui le longe porte un beau relief, une fontaine végétale, et aussi les marques de la serre qui a été enlevée, probablement pas d’origine. Ensuite, on aperçoit de magnifiques écuries, dans le fond, restaurées il y a un an, une construction en briques avec une tourelle à flèche ! Nous y entrerons plus tard.

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    Au bout du chemin, le jardin se déploie aussi vers la droite en intérieur d’îlot, à l’arrière des jardins des maisons suivantes. Un robot est en train de tondre la pelouse, un lapin qui l’a visiblement adopté comme compagnon de promenade ne cesse de lui tourner autour. Deux lapins, deux chats, c’est un jardin vivant. Quel superbe terrain de jeux pour une famille de quatre enfants !

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    D’autres belles surprises dans ce jardin : un pavillon à coupole avec sa balustrade neuve où s’appuie un beau massif d’hortensias, et dans le fond, près d’une pièce d’eau, une serre ancienne elle aussi remise en état, de style rocaille, flanquée de jardinières dans le même matériau qui imite les formes organiques de la nature.

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    C’était une serre chauffée, comme en atteste un très vieux poêle, peut-être destinée à la culture d’orchidées en vogue au début du siècle dernier. C’est en 1928 qu’on a trouvé la formule du ciment de Portland, un matériau liquide auquel on pouvait donner forme avant qu’il se solidifie et devienne un tronc d’arbre, jardinière en faux bois, voire un écureuil.

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    Durant cette visite centrée sur le patrimoine, on a peu parlé des plantations, mais lorsque la guide a déploré la perte d’une grande boule de buis dévorée comme tant d’autres par la pyrale et fait admirer d’autres buis encore intacts, un des participants a expliqué la méthode la plus écologique pour s’en préserver : installer des oies à proximité. Les larves de ce papillon nocturne font leur régal ! (Mieux vaut prévenir que guérir, les premiers signes d’attaque une fois visibles, il n’y a plus grand-chose à faire.)

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    Cette première Estivale schaerbeekoise s’est terminée par la visite des élégantes écuries et de leur tourelle. L’intérieur a retrouvé ses voussettes originales au plafond, les murs sont en briques apparentes. Une grosse cuisinière anglaise en fonte et un établi de boucher font office de cuisine à proximité d’une grande table en bois, on sent que les propriétaires veulent respecter l’esprit du lieu. 

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    Au moment de saluer et de remercier la propriétaire, certains se sont enquis de l’intérieur de sa maison, également de style éclectique. Mais la visite organisée se limitait à ce beau grand jardin, si rare en ville, et je suis ravie d’en avoir fait le tour.

  • Accessible

    « Il est maigre et blond. Trop grand. Trop pâle. Trop fragSpaak couverture.jpgile. Pas du tout mon genre. J’aime les regards sournois, les teints basanés, les sourcils épais, les esprits torturés, les muscles saillants, les êtres sans foi, ni parole.
    Chez lui, au premier abord, tout semble accessible. Pas d’ombre, pas de drame. Le genre d’homme à voyager avec une valise à roulettes. Un bagage réglementaire permettant d’emporter son petit monde avec soi en cabine sans crainte de le perdre. » 

    Isabelle Spaak, Pas du tout mon genre

  • Amoureuse et seule

    C’est un roman court, concis. Me souvenant d’un billet à propos de son dernier livre sur Marque-Pages, j’ai posé la main à la bibliothèque sur Pas du tout mon genre d’Isabelle Spaak, le deuxième roman de cette journaliste et romancière belge, publié en 2006 sous une couverture mélo. (J’aurais pu intituler ce billet La seconde, mais ce serait trop glisser du côté de Colette. Voir plus loin.)

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    Gustave de Smet, Femme dans une chambre

    Comme pour Ça ne se fait pas, son premier roman sur la mort de ses parents dans des circonstances peu communes, l’histoire familiale est une des sources de celui-ci. Il ne manque pas de personnages romanesques dans la famille Spaak. La narratrice commence par évoquer l’enfance, les vacances en famille – « A l’île de Ré, maman est joyeuse. Je ne me souviens pas d’elle aussi gaie. » Elle regarde des photos, cite en épigraphe des vers d’Apollinaire : « C’est la réalité des photos qui sont sur mon cœur que je veux » (Poèmes à Lou).

    Ensuite, celle qui rêve de sentiments permanents se présente : « Je suis la seconde fille, la seconde épouse, le second violon. Je joue en sourdine une partie plus basse que le premier. » C’est par un printemps « d’une douceur inhabituelle » que la rancœur ressentie en l’absence de son amant la fait penser à Dominique Aury, plus douée qu’elle pour supporter que Paulhan passe ses vacances avec une autre (Histoire d’O.) Elle qui a horreur des cachotteries est tombée amoureuse d’un homme marié. Pas du tout son genre, en plus.

    « J’ai vu ma mère mourir à petit feu, déchirée par la double vie de mon père. Que savait-elle de ces femmes silencieuses, suspendues aux cadrans des pendules ? » Les trois filles adoraient leur père, qui préférait la benjamine – « Nous étions folles de jalousie. » Il les filmait et les photographiait souvent, fabrique à souvenirs. Son amant aussi est un « obsessionnel de la photographie » et lui montre, sans délicatesse, ses photos de vacances.

    Pas du tout mon genre passe du père à l’amant, de l’amant au père, du père à la mère, à l’enfance, aux grands-parents, du passé au présent douloureux d’une femme amoureuse et seule. Le roman est composé de fragments courts, d’une demi-page à deux pages, pas plus. Beaucoup de silences. Une façon de « laisser en suspens, d’offrir au lecteur la possibilité de ressentir les conséquences des situations et des phrases qui les disent », écrit Michel Zumkir (Promotion des lettres).

    Isabelle Spaak y croise dans l’histoire littéraire d’autres discours amoureux, d’autres amoureuses de l’ombre. Toutes n’ont pas la patience d’une Juliette Drouet.