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Bruxelles - Page 96

  • Hans Op de Beeck N&B

    Grâces soient rendues à Roger Pierre Turine, dont le bel article dans La Libre du week-end dernier m’a poussée à découvrir illico ce « Merveilleux Op de Beeck ! » au Botanique : « The drawing room », de grandes aquarelles en noir et blanc, un rendez-vous avec la lumière, avec les nuances, une atmosphère zen traversée par la musique de Tom Pintens (j’y reviendrai). 

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    © Hans Op de Beeck, Amusement Park by Night
     (en grand ici)

    Hans Op de Beeck, né en 1969, vit et travaille à Bruxelles, généralement à des « installations globales multidisciplinaires » (peinture, sculpture, installation, vidéo, écriture, scénographie et composition musicale). Depuis 2009, il peint la nuit, entre ses grands projets – comme « In Silent conversation with Correggio » à Rome – des « paysages postmodernes », des « images intemporelles et universelles » (texte de présentation).

     

    L’espace d’exposition du Botanique a été complètement repensé par l’artiste, les œuvres sont présentées sur des murs peints en gris pour mettre en valeur le blanc des zones non peintes, quoique pas absolument vierges pour autant. Pas d’étiquettes, mais on peut obtenir à l’entrée un plan avec les titres (courts, simples, en anglais). On se croirait dans une rue, le soir, éclairée par des réverbères, les aquarelles tenant lieu de fenêtres éclairées. Et pourtant, comme l’écrit Roger Pierre Turine, il s’agit plutôt de « recréer un monde du dedans ».

     

    Un chat et un poisson nous accueillent, chacun seul sur leur feuille, côte à côte, tournés l’un vers l’autre. Puis vient un premier paysage : une forêt de sapins sous la neige, motif qui revient à plusieurs reprises. Plus loin, une maison près d’un bois, fort éclairée, avec à l’avant-plan un nu et son reflet, une scène à la Magritte. 

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    © Hans Op de Beeck, Silver sea (en grand ici)

    Les paysages naturels, mer d’argent sous les étoiles, oiseaux sur un arbre, nuages ourlés de lumière – quasi tous en format panoramique – alternent avec des vues de ville, surtout celle-ci, « The little Ssed » (le petit abri) qui m’a fascinée : sur l’autre rive, une ville de grands immeubles éclairés que le peintre nous montre d’un ponton, tout près d’un îlot minuscule avec une cabane et un arbre, et au centre de l’œuvre un autre arbre, sur lequel on a appuyé une bicyclette. Entre le proche, le lointain, l’intime, le spectaculaire, le regard va et vient.

     

    L’exposition continue à l’étage, sur les mezzanines. Hans Op de Beeck peint aussi le corps humain, la peau tatouée, un homme en costume (profil coupé à hauteur de la bouche), une femme aux gestes élégants en robe orientale (de face, du col à mi-cuisse), des bottes noires… Il aime décentrer son sujet, comme s’il nous laissait disposer de l’espace non peint pour imaginer un contexte, une histoire. Cet espace libre pour l’imaginaire n’est pas vide pour autant : on y voit des textures, des taches d’eau, des gris marbrés très doux.

     

    Vagues, nuages, l’artiste aime visiblement les éléments naturels dans leurs métamorphoses et cela ressort encore avec plus de force de son film d’animation (quinze minutes), « Night time », diffusé en boucle dans une alcôve au bout de la salle d’exposition (l’air y est rapidement irrespirable quand elle est pleine) : sur l’écran qui occupe tout le mur du fond, Hans Op de Beeck anime ses aquarelles, celles de l’exposition et beaucoup d’autres, dans des fondus enchaînés de toute beauté. 

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    L’eau d’un lac prend vie, la pluie ou la neige se mettent à tomber, une barque traverse l’espace, les nuages bourgeonnent, les étoiles se mettent à scintiller dans la nuit. Mer, forêt, maison, ville, pont, usine, tous les décors s’enchaînent avec une grande douceur, conjuguent le mouvement et l’immobilité, la réalité et le rêve. De temps à autre apparaît un visage aux yeux fermés, image d’intériorité. La musique de Tom Pintens (chanteur flamand, guitariste et pianiste), qu’on entend dans toute l’exposition, accentue l’aspect onirique, l’atmosphère paisible du monde nocturne de Hans Op de Beeck.

     

    « Qui connaît son œuvre, ses vidéos et ses installations, sait combien elles sont frappées d’une poésie discrète. Op de Beeck scrute l’humanité en chroniqueur lucide des aléas journaliers, des rêves et des utopies de tout un chacun, de la banalité quotidienne » a écrit Roger Pierre Turine dans son portrait de l’artiste à l’atelier (LLB, 2012, à propos du documentaire de Rita Mosselmans). Vous pourrez découvrir « The drawing room » jusqu’au 4 janvier prochain, mais je vous déconseille d’attendre. Il y aura sans doute de plus en plus de monde. Et par ces jours d’automne, vous verrez aussi le parc du Botanique paré de ses plus belles couleurs.

  • Le fer et le vert

    Pour compléter le billet précédent sur les grilles de jardinets, cette photo : un arrêt du tram 7 sur le boulevard Lambermont. Ici les garde-corps assurent la sécurité des passants et des voyageurs. Le gazon entre les voies de tram assure une certaine continuité végétale en ville, un choix à la fois environnemental et esthétique. Le fer et le vert sont de bon voisinage, non ?

    Schaerbeek grilles (5).JPG

     

  • Grilles de jardins

    Elles m’enchantent, ces grilles de jardins, de jardinets plus précisément, côté rue, entre espace privé et espace public, qui ornent certaines avenues de Schaerbeek. Ces grilles séparent mais laissent voir des plantations, un décor, une entrée, pour le plaisir des passants. J’aimerais en apprendre davantage sur leur origine : à quand remonte cette mode du fer forgé ? était-ce une obligation urbanistique ? La description des demeures reprises à l’Inventaire du Patrimoine architectural les mentionne toujours.  

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    Schaerbeek n’est pas Neuilly-sur-Seine, mais c’est là que j’ai trouvé (en ligne) des infos sur cette « richesse patrimoniale à préserver », héritage de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. On y décrit les composants des clôtures : barreaux, volutes, fers de lance… « Les ferronneries témoignent d’un savoir-faire. Connues par leur solidité et leur durabilité, elles présentent la richesse des époques. Leur sauvegarde est indispensable puisqu’elles s’inscrivent dans le patrimoine architectural. Les clôtures en fer forgé traditionnelles offrent un panorama esthétique, avec de grandes opportunités de décoration (motifs, armoiries, volutes, rosaces...). Associées à du végétal, elles créent une parfaite harmonie. »  

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    Pourquoi du noir, le plus souvent ? « Les clôtures peintes d’une couleur foncée s’intègrent parfaitement dans l’environnement paysager, s’harmonisant avec les végétaux et les façades. Elles ont même tendance à s’effacer si les couleurs choisies varient entre le noir et le vert foncé. » A claire-voie, les grilles permettent au regard de circuler du trottoir vers le jardinet, la façade, et pour les habitants du rez-de-chaussée, de suivre les allées et venues.  

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    Les grilles ouvrent l’espace à l’échange, contrairement aux clôtures occultantes souvent inesthétiques derrière lesquelles quelques-uns de nos contemporains se mettent à l’abri (une tendance observée sur les balcons aussi). Le règlement d’urbanisme à Schaerbeek interdit certains matériaux pour les clôtures côté rue, notamment le plastique, mais semble avoir du mal à le faire respecter (antennes et paraboles ne devraient pas non plus être visibles depuis l’espace public).  

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    J’ai pris quelques photos dans les environs pour illustrer la variété des styles de ces ferronneries. La protection du petit patrimoine me tient à cœur, vous le savez, et je me réjouis de voir ces grilles entretenues – certaines souffrent de ce qu’on appelle « l’abandon des communs » – indifférence ou négligence. Aussi la commune encourage l’aménagement ou l’entretien de « vrais jardinets de façade » par loctroi dune « prime verte ».  

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    C’est toujours pour moi une heureuse surprise, au hasard d’une promenade, de découvrir des motifs originaux ou bien des grilles remises en état après un chantier de rénovation – mieux encore, d’en voir de nouvelles agrémenter un trottoir. Si la continuité avec le patrimoine voisin est le plus souvent de mise, cela n’empêche que s’affiche, dans le langage des grilles, un certain goût pour le classicisme ou pour la fantaisie.

  • Bon ouvrier

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    « Je ne veux retenir et revendiquer au déclin de ma vie qu’une carrière bien remplie de bon ouvrier et de probité artistique, - en y mettant aussi beaucoup de mon cœur. »

    Constantin Meunier, 12 janvier 1904

     

     

    Catalogue Constantin Meunier, sous la direction de Francisca Vandepitte, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique / Lannoo, Bruxelles, 2014.

     

     

    Constantin Meunier, Hiercheuse à la lampe, vers 1886 © MRBAB, Bruxelles..

     

     

     

     

     

  • Meunier peintre et sculpteur

    La rétrospective Constantin Meunier (1831-1905) au Musée des Beaux-arts de Bruxelles (Musée fin-de-siècle) offre une très belle occasion de découvrir dans son ensemble l’œuvre d’un artiste belge qui a fait entrer le travailleur, l’ouvrier dans les arts plastiques, comme Zola en littérature. Rodin considérait Meunier comme « l’un des plus grands artistes » de son siècle, Van Gogh l’admirait. 

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    Constantin Meunier, Le faucheur,1892 © MRBAB, Bruxelles.

    Si c’est à ses sculptures qu’on pense d’abord, l’exposition permet d’approcher plus globalement son oeuvre, où la peinture occupe une large part, plus diversifiée qu’on ne le croit. « Empoigné » par une toile de Courbet, Les casseurs de pierres, Meunier trouve dans la peinture réaliste une voie pour rompre avec l’académisme. Allégorie de la mort de Lincoln (1865), prêt d’une université américaine, montre d’emblée son choix de sujets historiques et sociaux, son attention aux humbles : des noirs affranchis et des gens modestes viennent rendre hommage au président défunt à l’avant-plan, la bonne société en habits de deuil se tient derrière le catafalque. 

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    Constantin Meunier, Lamentation, vers 1870, Collection privée © Galerie Patrick Derom, Bruxelles.

    Influencé par Charles De Groux, Constantin Meunier commence par peindre des scènes religieuses, avec réalisme. Dans Lamentation (collection privée, vers 1870), une femme vêtue de sombre se penche sur le cadavre du Christ à terre, émacié, lumineux. Le clair-obscur, le cadrage, le ciel tourmenté, le rapprochement inévitable avec un chef-d’œuvre de Meunier qu’on verra plus loin – Le grisou – rendent cette petite toile poignante. Il peint sans relâche la solitude, la douleur, la souffrance, comme dans les deux versions sans concession de la mort de Saint Etienne, martyr.

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    Constantin Meunier, Jeune femme dans un intérieur - Portrait de Jeanne Meunier,vers 1885, Musée d’Ixelles.

    A côté de ces toiles très sombres, des tableaux historiques, des sujets plus gais, comme Jeune fille tricotant – installée dans l’herbe, les jambes allongées – ou La vieille commode et l’enfant : une fillette blonde, sa robe claire déployée au sol autour d’elle, observe une aquarelle sortie d’un tiroir – une jolie scène intime, comme celle des enfants voleurs de pommes. Pour vivre, Meunier a aussi peint d’élégantes bourgeoises, à la manière d’Alfred Stevens. Jeune femme dans un intérieur est un beau portrait de sa fille Jeanne. 

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    Constantin Meunier - Alfred Verwée, Moines laboureurs (détail), 1863, Collection de la Communauté flamande.

    C’est auprès des moines trappistes (il séjourne à plusieurs reprises à l’abbaye de Westmalle) que le peintre a côtoyé en premier la réalité du travail manuel : Moines laboureurs, une grande toile qu’il signe avec Alfred Verwée, peintre animalier, m’a rappelé certaines peintures russes par l’ampleur du paysage. 

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    Constantin Meunier, Le faucheur, Parc du Cinquantenaire, Bruxelles.

    Meunier recommence à sculpter en 1884, à près de cinquante ans ; c’était sa première formation à l’académie de Bruxelles. Les sculptures exposées restituent les gestes des paysans : Le semeur, Le faucheur, Le moissonneur… Meunier a l’impression que la sculpture magnifie davantage l’homme au travail que la peinture. Ce sont des hommes et des femmes réels qu’il représente, et non plus des figures mythologiques ou allégoriques. 

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    Constantin Meunier, Manufacture de tabac à Séville, 1883 © MRBAB, Bruxelles. 

    Pour un parcours à la fois chronologique et thématique, on a rapproché les œuvres par genre ou par univers, comme dans cette salle « espagnole » consacrée au séjour de Meunier à Séville en 1882-1883. Ici une scène de cabaret, une tête de Sévillan, là des ouvrières au travail dans une manufacture de tabac, une grande toile qui nous plonge dans leur réalité quotidienne. Le peintre avait été envoyé à Séville pour y copier une Descente de croix du XVIe siècle. Cette mission alimentaire ne l’emballait pas, mais elle a permis à son art d’évoluer, entre autres vers la clarté et la couleur. 

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    En Belgique, Meunier témoigne des grandes industries de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Il observe sur place les ouvriers de l’acier au Pays Noir, les dockers d’Ostende, les mineurs et les hercheuses, les verriers du Val-Saint-Lambert… (Aurait-il apprécié les couleurs électriques de l’affiche sur son Mineur à la hache ? J’en doute.) Peintre ou sculpteur, l’artiste reste fidèle au réalisme : ses personnages ne posent pas, ils sont en plein effort ou au repos, comme ce magnifique bronze d’un Puddleur épuisé, placé près d’une toile monumentale, La coulée de l’acier à Seraing.  

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    Constantin Meunier, Le puddleur, 1884 / 1887-1888 © MRBAB, Bruxelles.

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    Constantin Meunier, La coulée à Seraing, 1880. Musée des Beaux-Arts de la ville de Liège © Ville de Liège – BAL

    Le billet d’entrée comporte d’office l’accès à un audioguide peu encombrant et pratique, il suffit de le rapprocher d’un logo pour déclencher le commentaire. Le parcours, dont les étapes sont évoquées sur le site de l’exposition, comprend aussi des études, de beaux dessins (crayon, fusain, aquarelle, pastel, gouache – les indications techniques manquent sur les étiquettes). On peut le compléter par la visite du musée Meunier à Ixelles (sa maison-atelier). 

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    Constantin Meunier, Hercheuse, s.d. © MRBAB, Bruxelles. Aquarelle sur papier.

    L’exposition se termine en apothéose avec des chefs-d’œuvre comme Le grisou, inspiré par la catastrophe de 1887 dans la mine de La Boule (Quaregnon) ; cet ensemble bouleversant, posé à même le sol dans l’ancien musée, perd un peu de son impact sur un socle. Le Vieux cheval de mine est très émouvant aussi. « Beauté tragique », la dernière salle, montre entre autres Femme du peuple, L’enfant prodigue, Maternité, et présente le projet du Monument au Travail. 

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    Constantin Meunier, Le Grisou. Femme retrouvant son fils parmi les morts, 1889 © MRBAB, Bruxelles. 

    Emile Verhaeren, dans la revue L’art moderne qui a soutenu Meunier, le décrit comme « le sculpteur et le peintre de la souffrance démocratique, plus encore qu’humaine, et certes plus que le peintre de la souffrance idéale. » Ne manquez pas cette rétrospective qui nous parle d’un monde pas si lointain, dont nous sommes les héritiers. On en sort rechargé d’un sentiment fort : la compassion.

     

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    Un autre regard sur l’exposition (10/11/2014) : http://sheherazade2000.canalblog.com/archives/2014/11/10/30931059.html