Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • Patrimoine & art

    La brochure des prochaines Journées du Patrimoine, les 14 & 15 septembre à Bruxelles, est arrivée dans ma boîte aux lettres. Je la conserverai. Le thème de 2019 est très alléchant : « Un lieu pour l’art ». Endroits à visiter, conférences, promenades, concerts… Le choix est vaste pour qui s’intéresse au patrimoine bruxellois et aux arts, beaux-arts ou autres. Au fil des pages, j’ai noté quelques découvertes qui m’ont donné l’idée de ce billet.

    Journées du patrimoine 2019.jpg

    En premier, un site passionnant consacré au patrimoine vivant de la forêt urbaine : « Wood Wide Web vous propose d’ouvrir vos yeux : regarder Bruxelles comme si c’était une forêt. » Complémentaire à l’Inventaire du patrimoine naturel qui présente les arbres remarquables de la région bruxelloise, Wood Wide Web a toutes sortes de documents et de photos à vous proposer, comme l’histoire d’un merisier « gardien d’une porte de la forêt de Soignes ». Savez-vous qu’il existe aussi des jumelages entre des arbres ?

    Le cinéma Palace vient de renaître, au boulevard Anspach. Depuis sa construction en 1913, il a connu plusieurs affectations. Arkadia y organisera des visites guidées. Le Palace est aussi sur le parcours d’un jeu de piste « sur les boulevards », pour lequel il faut s’inscrire. Les renseignements pratiques figurent dans la brochure ou sur le site des Journées du Patrimoine.

    Toutes sortes de promenades sont prévues, à pied, à vélo, en bus, sur les thèmes du cinéma, du théâtre, des musées et des galeries d’art, des sculptures dans l’espace public – « ces statues que tous voient, mais que personne ne regarde ! » –, des quartiers qui ont inspiré des peintres, sans oublier le street art – les fresques ne manquent pas dans la ville, notamment sur les personnages de bandes dessinées.

    journées du patrimoine,2019,bruxelles,un lieu pour l'art,culture
    Les marionnettes de Toone

    Pourquoi pas un « voyage littéraire » sur les traces des écrivains à Bruxelles ? ou au musée Maurice Carême ? Ces Journées du Patrimoine permettent de découvrir les théâtres bruxellois sous un autre angle : histoire du bâtiment, visite des coulisses ou d’espaces d’ordinaire non accessibles au public. Le Théâtre royal de Toone, dans son impasse de l’îlot sacré, représentera Les trois mousquetaires à 16 heures, les deux jours.

    La musique n’est pas oubliée, que ce soit au Conservatoire ou à Flagey, au MIM ou au musée Charlier, entre autres. Poésie-concert aussi à la Bibliotheca Wittockiana : « Le quatuor de violoncelles de Bruxelles TetraCelli propose de vous faire voyager dans l’œuvre de Jean Cocteau. » Il est conseillé de réserver.

    Au Rouge-Cloître à Auderghem, les ateliers d’artistes seront ouverts au public. A Forest, j’aimerais bien visiter l’ancienne maison de Louise de Hem, peintre et sculptrice, dont je vous avais montré un pastel à l’occasion d’une exposition sur les peintresses belges. Après sa mort, son atelier est devenu celui du peintre Victor de Groux. Une restauration est annoncée pour bientôt.

    journées du patrimoine,2019,bruxelles,un lieu pour l'art,culture
    Détail du sgraffite de Privat-Livemont au 17, rue Vogler (Inventaire du patrimoine architectural)

    A Schaerbeek, différents peintres ont travaillé à l’Atelier Vogler qui continue à accueillir des artistes. Sa façade avec vitrail et sgraffite art nouveau de Privat-Livemont « s’intègre parfaitement dans une enfilade de maisons de style éclectique ». Une promenade dans la commune sera dédiée aux « maisons et ateliers d’artistes à Schaerbeek ».

    A Saint-Josse-ten-Noode, place Rogier, Belfius art gallery, « la plus grande collection privée d’art belge du pays », propose un parcours à la découverte des femmes artistes dans l’art belge sous le titre « Women. Underexposed » – il faut s’inscrire au préalable. J’espère que cette exposition sera encore accessible par la suite.

    Si vous souhaitez prolonger ce week-end des 14 et 15 septembre par la lecture, les Halles Saint-Géry, « point info des Journées du Patrimoine », abriteront un marché aux livres, avec des promotions spéciales. Sur le site, une carte permet de situer tous les lieux dédiés à l’art de cette édition 2019. Bon week-end aux amoureux d’histoire, d’architecture et des arts !

  • Incantation

    Auster In the country.jpg« Dans ces moments, nous avons beaucoup parlé de chez nous, évoquant autant de souvenirs que nous le pouvions, rappelant les images les plus infimes et les plus spécifiques dans une sorte d’incantation douloureuse – les érables de l’avenue Miró en octobre, les horloges à chiffres romains dans les salles de classe des écoles publiques, l’éclairage en forme de dragon vert dans le restaurant chinois en face de l’université. Nous pouvions partager la saveur de ces choses, revivre la myriade de menus détails d’un monde que nous avions tous les deux connu depuis notre enfance, et cela nous aidait, me semble-t-il, à garder bon moral, à nous faire croire qu’un jour nous pourrions retrouver tout cela. »

    Paul Auster, Le voyage d’Anna Blume (Au pays des choses dernières)

  • La lettre d'Anna Blume

    Le voyage d’Anna Blume de Paul Auster paraît en français en 1989 (traduit de l’américain par Patrick Ferragut). Son titre original de 1987 est meilleur : In the country of last things (Au pays des choses dernières, titre adopté dans la collection Babel). 2019, je retrouve Anna Blume, trente ans après. Je me souviens d’avoir déjà pensé alors que « la survie » conviendrait davantage à cette histoire que « le voyage ».

    auster,le voyage d'anna blume,au pays des choses dernières,roman,littérature américaine,chaos,survie,écriture,culture

    Un voyage terrifiant, publié deux ans après La servante écarlate de Margaret Atwood dont je l’ai parfois rapproché en le lisant – vous voilà prévenus. Regardez la couverture choisie par Actes Sud. J’ai failli renoncer après quelques pages, je me suis reproché ma mollesse, j’ai tenu jusqu’au bout. Mon père m’a dit un jour : « Tu vas te bousiller avec ce genre de lecture », j’y ai repensé. Mais l’œuvre de Paul Auster m’accompagne depuis ces années-là. J’ai voulu retrouver pourquoi, quand il est question du grand romancier américain, l’auteur du fabuleux 4321, Le voyage d’Anna Blume est, avec Moon Palace, un des premiers titres qui me viennent en tête – simplement parce que ce sont les premiers que j’ai lus ?

    Voici le début : « Ce sont les dernières choses, a-t-elle écrit. L’une après l’autre elles s’évanouissent et ne reparaissent jamais. Je peux te parler de celles que j’ai vues, de celles qui ne sont plus, mais je crains de ne pas avoir le temps. Tout se passe trop vite, à présent, et je ne peux plus suivre. » Anna Blume a pris le bateau pour aller à la recherche de William, son frère disparu. Dans une ville livrée au chaos, elle écrit à celui qui l’aimait et a tenté de l’en dissuader, prédisant qu’elle ne le trouverait pas : « Peu importe que tu le lises. Peu importe même que je l’envoie – en supposant que cela soit possible. Peut-être cela se ramène-t-il à la chose suivante. Je t’écris parce que tu n’es au courant de rien. Parce que tu es loin de moi et que tu n’es au courant de rien. »

    Dès le début, il y a cette foi ou plutôt ce salut dans l’écriture, cette importance des mots. Même si paradoxalement un passage célèbre, beaucoup plus loin, raconte comment Anna Blume brûle des livres pour se chauffer. La description de la vie dans cette ville est insoutenable. « Une maison se trouve ici et le lendemain elle a disparu. » Les choses s’évanouissent, les êtres humains aussi – de faim, d’une chute, d’une agression : « On a beau dire, la seule chose qui compte est de rester sur ses pieds. »

    Gravats, barricades et rackets, ordures, chaque rue a ses pièges, et « les habitudes sont mortelles. Même si c’est la centième fois, il faut aborder chaque chose comme si on ne l’avait jamais rencontrée. » Les choses disparaissent. « Les gens meurent et les bébés refusent de naître. » Les nouveaux venus sont des proies faciles : vols, escroqueries, coups, expulsions. « On s’extrait du sommeil chaque matin pour se retrouver en face de quelque chose qui est toujours pire que ce qu’on a affronté la veille ; mais, en parlant du monde qui a existé avant qu’on s’endorme, on peut se donner l’illusion que le jour présent n’est qu’une apparition ni plus ni moins réelle que le souvenir de tous les autres jours qu’on trimbale à l’intérieur de soi. » La « petite fille enjouée » n’est plus que « bon sens et froids calculs », décidée à tenir aussi longtemps que possible.

    Dans le monde où elle a débarqué, les « Coureurs » s’entraînent pour se tuer en courant, les « Sauteurs » se jettent dans le vide, les « Cliniques d’euthanasie » proposent plusieurs tarifs, on peut aussi s’inscrire au « Club d’assassinat » si l’on préfère mourir par surprise. Les cadavres sont emmenés aux « Centres de transformation » – il est interdit d’inhumer. Le début du roman est une descente aux enfers, où ne subsiste que cette question : « voir ce qui se passe lorsqu’il n’y a rien, et savoir si nous serons capables d’y survivre. » Anna Blume tâche, pour y arriver, de ne pas céder à la tentation de la mémoire (les souvenirs donnent le cafard), même si elle n’y arrive pas toujours. Le rédacteur en chef lui avait dit que c’était une folie pour une jeune fille de dix-neuf ans « d’aller là-bas », d’autant plus qu’il avait déjà envoyé un autre journaliste à la recherche de William, un certain Samuel Farr dont il lui a donné une photo.

    Un peu d’humanité apparaît dans le récit avec la rencontre d’Isabelle, une vieille femme qui pousse un chariot de supermarché. Anna, qui vit dans la rue, lui vient en aide un jour où elle a failli se faire écraser, puis la raccompagne chez elle. Isabelle s’inquiète pour son mari qui dépend d’elle et ne sort plus de leur appartement. Anna va vivre un certain temps avec eux dans une pièce de trente mètres carrés – le confort après des mois à la belle étoile.

    A partir de là, Anna Blume n’est plus seule. Vous découvrirez, si vous lisez Le voyage d’Anna Blume, comment elle trouve ensuite un autre abri et tisse d’autres liens, à la fois forts et fragiles. Dans cette ville où posséder de bons souliers est vital, il existe encore des gens pour qui la vie n’a pas de sens sans écrire, échanger, secourir, aimer. C’est pourquoi l’héroïne (et non un héros comme habituellement dans les romans de Paul Auster) continue sa longue lettre, en écrivant de plus en plus petit, dans un cahier sauvé du désastre : « Anna Blume, ta vieille amie d’un autre monde. »