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Notre attention captée

« Nous avons déplacé les bornes, maîtrisé le ciel et la terre.
Notre raison a fait le vide.
Enfin seuls, nous achevons notre empire sur un désert.
Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence :
la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. »
Camus, L’Eté (1954)

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Yves Marry et Florent Souillot citent cet extrait au début de La guerre de l’attention. Comment ne pas la perdre, un essai paru en 2022. « C’est un dérèglement qui n’a rien de naturel, une vague de la force et de la hauteur d’un tsunami, que personne n’a vue venir. Une marée de silicium et de coltan qui a tout recouvert. Cette vague, ce sont les écrans. » En moyenne, chaque foyer en compte sept. Ce bond technologique a changé la société, y compris dans des pays restés longtemps à l’écart de l’occidentalisation. La multiplication des équipements a aussi allongé le temps passé devant les écrans, à communiquer et à se divertir dans le « techno-cocon ».

L’association « Lève les Yeux ! » créée par les auteurs en juin 2018 a pour objectif une reconquête de l’attention. Ce livre, acte de résistance contre sa captation de plus en plus élaborée au profit d’intérêts privés, vise à décrire tous les aspects du problème et à proposer des solutions. Surtout auprès des jeunes, les premières victimes. C’est pourquoi l’association intervient dans les écoles primaires, par exemple à l’aide d’un jeu de société, « Planète déconnexion ».

Les dégâts chez des enfants exposés à des contenus traumatisants et chez des jeunes devenus accros aux vidéos, aux jeux vidéo et aux séries sont connus : moins de sommeil, de concentration, plus d’irritabilité, de sédentarité et d’obésité, de myopie, sans parler de la baisse du QI et du langage. Violence virtuelle, accès à la pornographie, primes à la nudité ou aux postures sexy sur les réseaux pour récolter plus de likes. Même les bébés cherchent les stimuli audiovisuels d’un smartphone, nouveau doudou, au détriment des stimuli sociaux fondamentaux comme les regards et les sourires.

Depuis 2020, en France, la « numérisation de l’éducation » est en marche, malgré son coût économique et écologique colossal. Non évaluée, ni remise en question, même si aucun progrès n’est décelé. Les inégalités se renforcent : les riches mettent leurs enfants dans des établissements privés qui valorisent l’accompagnement humain plutôt que dans le public de plus en plus « numérisé ».

Plus largement, l’essai dénonce la marchandisation des émotions : « clasher », être saillant, permet d’être vu, suivi, de recevoir des offres marketing. On pousse les gens à devenir « accros » à l’attention des autres. On encourage à « noter » tous les services. L’empathie diminue, le sadisme augmente, l’insensibilité et l’isolement aussi. Les émotions prennent le dessus sur les arguments, incitent aux mobilisations éphémères plus qu’à l’action démocratique.

La survalorisation des faits divers et des témoignages déteint sur les médias, les journaux télévisés suivent la tendance. 97% de la publicité va aux Gafam, la presse écrite en souffre. Les représentants politiques font de même : « parole courte, rapide, émotionnelle » et répétée, mise en scène… La guerre de l’attention analyse les procédés de la technologie « persuasive » et décrit ce nouveau capitalisme attentionnel basé sur l’accumulation de données transformées en revenus facturables à des annonceurs.

La manipulation mentale est vieille comme le monde, elle connaît désormais une rapidité et des proportions inédites. Notre vision du monde basée sur la causalité se contente de plus en plus de simples corrélations, nos démocraties imparfaites risquent de se transformer en régimes autoritaires technocratiques. La suite ? Après les humains, les objets connectés… grâce à la 5G.

Contre cette dérive « inégalitaire, antidémocratique et écologiquement insoutenable », comment réagir ? Le coût énergétique de l’expansion numérique explose. Pour éviter l’impasse, il faut d’abord consommer moins d’énergie. Pour retrouver un mode de vie « juste », il faut se déconnecter et réactiver les liens familiaux et sociaux.

Marry & Souillot appellent en premier lieu à protéger les enfants : pas d’écran avant cinq ans (recommandation de l’OMS), maximum une heure d’écran par jour entre 6 et 12 ans, pas de smartphone avant 15 ans (comme la fille de Bill Gates). Pas d’écrans le matin, ni pendant le repas, ni avant de s’endormir. Fin du numérique imposé dans l’éducation. Les écoles doivent redevenir des « havres de déconnexion ». Pour l’apprentissage, opter pour des livres plutôt que pour des écrans.

L’attention est un bien commun à défendre, à protéger. Tout le monde a droit à des espaces sans écrans ni publicité. La pub en ligne devrait être régulée et taxée. Droit à la déconnexion, droit à des guichets administratifs « humains », moratoire sur la 5G, l’essai ouvre plein de pistes de réflexion et de voies pour agir. Il importe de refuser cette captation généralisée de l’attention par les écrans et de donner l’exemple aux enfants de tout ce qui stimule l’attention et libère en profondeur.

Commentaires

  • Merci Tania : voilà un ouvrage de salut public j'ai l'impression. Il vient s'ajouter à pas mal d'autres qui pareillement tirent la sonnette d'alarme depuis quelques années. C'est vrai qu'il est urgent qu'ils finissent par être pris en compte par les "décideurs" comme on dit. Et aussi par chacun de nous, pour décider qu'il ne tient souvent qu'à nous d'user de la liberté de dire non, celle que La Boétie pose comme début de l'effort d'échapper à la servitude volontaire.

  • Exactement, dans les écoles en particulier, dans les familles, malgré la difficulté d'aller à contre-courant, comme certains parents l'ont fait en refusant la télévision à leurs enfants.
    Sans oublier la dépendance aux réseaux sociaux chez de nombreux jeunes adultes et l'incompréhension de l'entourage quand on refuse de s'y inscrire.

  • Un livre qui vaut la peine d'être lu. Pour la jeunesse et aussi pour nous ,qui découvrons pourquoi et comment nos recherches sur internet deviennent de plus en plus fastidieuses.

  • Un livre à faire lire à tous les parents et éducateurs qui n'en seraient pas encore conscients !
    J'ai retrouvé un article lu il y a un moment comme quoi certains créateurs de ces technologies protégeaient leurs enfants des écrans !!!
    https://www.bbc.com/afrique/monde-48845492.amp

  • Merci pour le lien, Colo. Malheureusement nous voyons tous autour de nous des enfants ainsi capturés. Je me souviens d'avoir observé dans un restoroute une petite fille qui refusait d'aller rejoindre ses parents et son frère à table, hypnotisée par un écran tactile dans l'espace "pour enfants".

  • Oui, nous en voyons tous et les pauvres parents ont d’énormes difficultés pour écarter leurs enfants de ces programmes addictifs.
    Mais ne sommes-nous pas, nous aussi, accrocs à nos téléphones, ordinateurs, tv ? C'est toute la société, tu as raison, qui a plongé dans trop réfléchir.
    Merci pour ce sujet si intéressant et difficile.

  • Cela nous concerne tous, en effet.

  • J'entends beaucoup d'émissions de radio ces temps-ci sur le sujet. Il est temps. La semaine dernière, par grosse chaleur, sur une terrasse j'ai vu un couple attablé avec un jeune enfant (trois ans maxi). Tout le monde mangeait un gâteau. L'enfant était positionné (et captivé) par l'écran du smartphone placé volontairement devant lui, avec un dessin animé ... une scène tellement triste. Personne ne se parlait.

  • Oui, de plus en plus d'articles en parlent, et bien sûr des études sont publiées pour relativiser ces dangers...

  • Il est temps de mettre en garde les familles sur les dégâts occasionnés par ces écrans. Ce livre devrait être lu pas tous les parents mais aussi les enseignants, les éducateurs. Quand je lis sur internet qu'il existe des coachs pour apprendre à se déconnecter, je me dis que nous sommes déjà bien atteints par cet envahissement des écrans dans nos vies. Chez nous on lutte, et ma petite-fille qui a 14 ans n'a toujours pas de portable. Elle en aura un à noël parce qu'il ne s'agit pas de la stigmatiser non plus, mais de toute façon ils devraient être interdits avant le lycée, et les enseignants ne devraient pas tout faire par écran interposé, sauf exception selon les disciplines...ça va trop loin et maintenant que des études sérieuses ont été faites il est encore temps de rétrograder. Merci de nous en parler, tu prêches une convaincue !

  • Merci, Manou. Cet essai encourage vraiment à repenser notre mode de vie à tous. Moi-même, par exemple, j'envisage de passer d'un abonnement au journal papier à un abonnement numérique, nettement moins cher, mais j'hésite encore.

  • Je partage vraiment tes propos et je suis affligée de voir cette évolution vers le tout numérique. Je vais proposer à ma bibliothèque ce titre plutôt que de l'acheter moi-même, il sera lu par plus de gens. Il nous faut réfléchir sans cesse à nos choix, quand on a le temps on peut le faire et croiser les informations. Mais ceux qui ont charge de famille et sont absorbés par les difficultés quotidiennes ne prennent pas de recul, les pauvres. Merci Tania, bises ensoleillées. brigitte

  • Je l'ai trouvé à la bibliothèque et tu as raison, c'est bien que le livre circule au maximum. Bises.

  • C'est très intéressant, vraiment. Et cela fait peur, malgré tout, pour les futures générations. J'écoutais l'autre jour l'auteur du fameux livre La Fabrique du crétin digital, qui vient de publier un nouveau livre, Faites-les lire. Toutes ces publications sont d'utilité publique ! Sais-tu que 50 % des élèves de sixième en France ne savent pas répondre à cette question : "Combien y a-t-il de quarts d'heure dans trois quarts d'heure ?".
    Bonne journée !

  • Effarant et même difficile à croire. La 6e, c'est la dernière année de l'école primaire chez vous ? Bonne journée, Marie.

  • un sujet plus qu’intéressant,
    je suis un peu partagée car je suis d'accord pour les problèmes d'attention mais en même temps les écrans sont aussi une belle fenêtre sur le monde

  • Bien sûr, et comme la télévision, l'internet est une ressource formidable. Ici, il s'agit surtout de recentrer l'apprentissage et de dénoncer les abus.

  • C'est vrai que nous avons tous ou presque, plongé tête baissée dans ce monde des écrans.
    Espérons que le temps de recul et de prise de conscience viendra bien vite.
    Dans les Pays Nordiques, pionniers pour les écrans à l'école dès le plus jeune âge, un total demi-tour est en train de s'opérer. Ils reviennent au papier.
    Je note le titre de ce livre, merci Tania !

  • Ah, bonne nouvelle ! J'espère qu'il en ira de même aux Etats-Unis dans les écoles primaires qui avaient décidé de ne plus enseigner l'écriture manuscrite. Bonne soirée, Claudie.

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