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Roman d'une famille

Prix du Livre allemand 2011, Quand la lumière décline d’Eugen Ruge (traduit de l’allemand par Pierre Deshusses) est sous-titré « Roman d’une famille ». Un arbre généalogique permet de situer ses personnages principaux sur quatre générations de la famille Umnitzer : de Charlotte, divorcée du professeur Umnitzer et mariée avec Wilhelm Powileit, à son fils Kurt, son petit-fils Alexander et son arrière-petit-fils Markus. Leur histoire se déroule entre le Mexique, la Russie et la RDA puis l’Allemagne, durant la seconde moitié du XXe siècle.

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« Le buffet est ouvert », image du film In Zeiten des abnehmenden Lichts
© Hannes-Hubach_X-Verleih-AG-1005x555.jpg (source)

Ce roman à plusieurs voix s’ouvre et se termine avec Alexander en 2001 : le petit-fils de Charlotte se rend à Neuendorf chez son père. Atteint de la maladie d’Alzheimer, à près de quatre-vingts ans, Kurt ne répond plus que par « oui » et n’en fait qu’à sa tête. Il ne réagit pas quand Sacha (toute la famille appelle Alexander par son prénom russe familier) lui annonce qu’il a passé quatre semaines à l’hôpital. Inutile donc de lui communiquer le verdict : « pas opérable ». Avant leur promenade, Alexander se rend dans le bureau de son père : il a des choses à y prendre, d’autres à brûler.

En 1952, Charlotte, sa grand-mère, vivait encore au Mexique. Communiste, comme Wilhelm, elle a été remplacée au poste de directrice en chef du Demokratische Post et s’interroge sur son avenir, quand une lettre leur arrive de la RDA, avec leurs visas pour rentrer au pays. De nouvelles fonctions les attendent dans un Institut de l’Académie des Sciences. Après le retour en bateau, dans le train pour Berlin, Charlotte observe comme Wilhelm revit, enchanté de reparler l’allemand, alors qu’elle s’inquiète de ce qui les attend en réalité.

Le 1er octobre 1989 est la date qui revient le plus souvent dans le roman, dans six chapitres sur vingt, et chaque fois centrée sur un autre personnage : Irina, la femme russe de Kurt ; sa propre mère venue la rejoindre, Nadejda Ivanovna ; puis Wilhelm, Markus, Kurt, Charlotte. C’est une journée particulière, on y fête les 90 ans de Wilhelm dans un mélange d’excitation, d’ennui, de tensions diverses. Irina, la mère de Sacha, vient d’apprendre qu’il est passé à l’Ouest. A Charlotte et Wilhelm, elle dira simplement qu’il est malade.

L’adaptation cinématographique de Quand la lumière décline (2017, par Matti Geschonnec) ne reprend qu’une partie du roman : cette journée d’anniversaire de Wilhelm Powileit, rôle interprété par Bruno Ganz. « Comme le livre, le film raconte l’histoire de la destruction d’une famille comme symbole du déclin du socialisme en RDA » dans une « imbrication étroite du personnel et du politique. » (Wikipedia)

Eugen Ruge nous fait entrer dans ce cercle familial de manière très concrète, avec plein de détails de la vie quotidienne – nourriture (« l’oie à la bourguignonne » d’Irina pour Noël), habitudes, vêtements, habitation, objets – et en même temps, des pensées ou des dialogues qui révèlent leurs préoccupations, les difficultés des relations entre les personnages. Leur mode de vie témoigne aussi de la situation politique du moment. Leurs souvenirs permettent de comprendre peu à peu la particularité de chacune de leurs destinées. On découvre de plus près la manière dont on vivait en Allemagne de l’Est.

Alexander-Sacha est le personnage qu’on imagine le plus proche de l’auteur. Eugen Ruge, né en 1954 en Union soviétique, est le fils de l’historien marxiste de la RDA Wolfgang Ruge, qui a été déporté par les dirigeants soviétiques dans un camp sibérien ; sa mère est russe. L’auteur est aussi traducteur (notamment de Tchekhov). Alexander a retenu cette phrase que sa mère lui a dite quand il était enfant : « Quand on vieillit, le temps passe plus vite. » En 2001, malgré son système immunitaire mal en point, il prend l’avion pour Mexico, décidé à aller sur les traces de sa grand-mère Charlotte.

Merci à Christian Wery d’avoir attiré mon attention sur ce grand roman qui m’a passionnée. Je le cite : « Le roman de Eugen Ruge peut sembler cruel, mais ce n'est pas l’impression principale que l’on retient, sans doute à cause d'une bienveillante humanité qui sourit derrière les mots. » Il a aussi présenté récemment sur Marque-pages Le Metropol d’Eugen Ruge, traduit en français l’an dernier.

La construction non chronologique perturbe un peu au début, mais la multiplication des points de vue qui résulte des changements de narrateur fascine : les mêmes faits apparaissent sous des angles différents, révélant les caractères des uns et des autres. Les femmes jouent un rôle crucial dans Quand la lumière décline, les personnages échappent aux stéréotypes. La Chute du Mur de Berlin transforme les modes de vie. De génération en génération, on voit l’idéalisme politique s’affaiblir, les choix personnels l’emporter sur la vision sociale.

Commentaires

  • Très intéressant & on y voyage dans l'espace et dans le temps.

  • La fin de ton article est intéressante, puisqu'elle esquisse le portrait d'une réalité. On se veut humaniste, mais chacun pense d'abord à son confort, à lui- même et l'idéalisme s'affaiblir!

  • Le roman montre bien comment le régime collectiviste de la RDA traitait ses fonctionnaires, les faveurs et les mises à l'écart, les rivalités personnelles... Mais c'est d'abord l'histoire d'une famille où les fils s'éloignent des pères et où les mères tâchent de maintenir une certaine cohésion entre les générations. Une histoire universelle.

  • un auteur que j'ai envie de découvrir depuis longtemps j'aime la littérature allemande et ce roman se passant en RDA a tout pour m'attirer

  • Il vaut la peine, un prix bien mérité.

  • Tiens, sele une partie du commentaire est passée !!!
    Je te demandais entre autres si tu avais vu le film..

  • Non, je n'ai pas vu le film, je me demande même s'il a été distribué en Belgique. Bonne lecture un jour ou l'autre.

  • Oui, et en particulier dans ce contexte historique.

  • Je ne connais pas l'auteur ; en général j'apprécie ces histoires de famille, dans un contexte historique particulier. On s'y instruit tout en s'attachant aux personnages.

  • C'est cela. J'ai aimé la façon dont l'auteur rend compte de leur vie quotidienne, tous ces détails concrets d'une époque.

  • Tiens donc, peut être l'occasion de lire un peu plus de littérature allemande (j connais quand même le nom de l'auteur) Merci de ton billet.

  • Avec plaisir, Keisha. J'ai l'impression qu'en dehors de la littérature française ou francophone, les médias relaient mieux les prix littéraires anglo-saxons. En général, je ne m'intéresse pas trop aux prix, je suis trop souvent déçue à la lecture. Pas ici !

  • Ah ces familles, c'est parfois un peu difficile de maintenir des rapports harmonieux, heureusement, les mères veillent... Je note le titre de ce livre, peut-être plus pour ma maman que pour moi, mais sait-on jamais... Je t'embrasse, doux week end Tania. brigitte

  • Mères merveilles, si souvent ! Bon week-end, Brigitte.

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