Il faut traverser le joli café de la Villa Empain pour accéder, après « Icônes », à une seconde exposition installée au sous-sol. 31 artistes de 31 pays participent à « Trees for memories » (Arbres pour mémoire), d’après une idée de Volker-Johannes Trieb, un artiste allemand lui-même inspiré par un livre de la résistante néerlandaise Truus Menger-Oversteegen, Not then, not now, not ever.
© Pedro Cabrita Reis, Ares, 2018 (Portugal)
« Ces œuvres ont pour point de départ commun un bloc de chêne carré (30 x 30 x 30 cm). Ce bois, issu d’une section du front en Alsace, porte encore en lui les stigmates de la guerre. Par les blessures qui leur ont été infligées, les fragments de projectiles en métal encore incrustés à l’intérieur, ainsi que le noircissement de leur surface, ces blocs de bois sont à la fois des reliques et des témoins de la guerre. » (Site de la Villa Empain)
© Sándor Pinczehelyi, Noth then, not now, not ever, 2018 (Hongrie)
Pas d’éclairage naturel ici en bas. On se déplace entre ombre et lumière des spots de l’un à l’autre de ces blocs travaillés par chaque artiste à sa manière. Sur le cartel, juste un nom, un titre. A chaque visiteur de regarder et de s’attarder ici ou là selon sa sensibilité, de tourner autour de ces bois de mémoire livrés à l’intervention artistique.
© Jean Boghossian, Double World, 2018 (Arménie)
Avec « Double world », Jean Boghossian veut « représenter la paix, la guerre ou la tension. La situation dans le monde d’aujourd’hui. » A l’intérieur du bois, la fracture est tout en angles et pointes blessantes ; on aimerait pousser les parties l’une contre l’autre pour voir si elles s’épousent parfaitement, si la réconciliation est possible.
© Rirkrit Tiravanija, Untitled, 2018 (Thaïlande)
Chaque variation sur le cube – fentes, creux, traces de peinture, de vernis, du feu – est exposée sur un coffre en bois qui lui sert de socle, horizontal ou vertical. Rirkrit Tiravanija n’a pas donné de titre à son œuvre. Dans une partie du bloc divisé en quatre, il a sculpté une statuette de femme enceinte, aux grandes mains protectrices. Les faces dorées des autres bois à l’arrière lui confèrent un statut de divinité – de la paix ?
© Kiki Smith, What burns never returns, 2018 (Etats-Unis)
Dans l’anfractuosité d’un bois noirci par le feu, Kiki Smith a fait jaillir une feuille de chêne (en bronze) et des glands. Elle rappelle que contrairement à l’idée que ce qui brûle ne revient jamais, dans le cas de certaines graines, il faut qu’il y ait du feu pour qu’elles s’ouvrent – une réalité de la nature qui nous avait été bien expliquée au domaine du Rayol, quand nous avions visité le Jardin des Méditerranées.
© Nedko Solakov, Dead Warriers, ours and theirs (détail), 2018 (Bulgarie)
D’autres participants ont opté pour des messages de douleur : bloc couvert de clous tordus (Günther Uecker : « L’art ne peut pas sauver les gens. En revanche, il rend le dialogue possible, ce qui invoque l’action qui peut préserver l’humanité ») ; bloc où de petites taches à l’encre noire que j’ai prises d’abord pour des insectes révèlent en fait des silhouettes d’hommes armés, « guerriers morts » de Nedko Solakov ; bloc enchaîné de toutes parts (ill. 2) : « Not then, not now, not ever » de Sándor Pinczehelyi.
© Christian Boltanski, Queens Brigade, 2018 (France)
Christian Boltanski, décédé il y a peu, à 76 ans, donne ici « Queens Brigade » où le bois de chêne sert simplement de socle à un tirage photographique encadré derrière une toile de lin éclairée par une lampe – le thème de l’effacement, toujours. Costas Varotsos a déposé un cube de verre vert translucide sur son bloc, créant des contrastes : entre vide et plein, entre mort et vie. Le vert naît de la lumière.
© Costas Varotsos, Untitled, 2018 (Grèce)
A la demande de Mattijs Visser, commissaire, Trieb, l’initiateur de l’exposition, a réalisé une œuvre : « Vision of Peace », « une caisse de bois dont les angles adoucis répondent à l’accumulation de dés à jouer dont les six points ont été substitués par le symbole de la paix associé à l’expression Peace and Love. » (La Libre) Il y décline la phrase « homo homini (non) lupus est » en grossissant différentes parties de la citation : tantôt « LUPUS EST », tantôt « NON »… Pour l’artiste, le jeu peut changer une situation, faire apparaître des solutions inattendues.
© Volker-Johannes Trieb, Vision of Peace (Allemagne)
Ne manquez pas, si vous visitez « Trees for memories », d’emporter le feuillet de cette exposition montrée en Allemagne (Bundestag, 2018) avant Bruxelles (ici puis au Parlement européen) et New York (ONU). En le dépliant, on trouve à l’intérieur les photos et légendes de ces arbres témoins de guerre devenus bois messagers de paix.
Commentaires
Thème formidable: l'arbre porteur de mémoire, blessé et qui renaît. J'aime l'idée de Kiki smith. Lorsque tu te rends à une expo, tu achètes le catalogue quand il y en a ? Des cartes?
J'aime aussi beaucoup cette oeuvre de Kiki Smith. (Parfois, cela dépend de l'exposition ou de la qualité du catalogue, des reproductions.)
Il y en a comme tu le dis, pour toutes les sensibilités. Personnellement les œuvres de Jean Boghossian et de Rirkrit me parlent et leur message m'enchante, elles se rejoignent et se complètent, les pointes acérées pourraient s'effacer si l'amour réunissaient les Hommes, viendraient alors la douce rondeur, la création de lumière et la sérénité... un RÊVE ! Je t'embrasse et te remercie Tania. brigitte
Merci pour ce rêve de sérénité, si bien partagé sur Plumes d'Anges.
Mais quel superbe thème d'exposition. Finalement l'histoire des hommes et des arbres, du bois est intrinsèquement imbriquée. Paix et guerres, amours et séparations.
Si je ne comprends pas trop la dernière photo, son message, toutes les autres me parlent tout bas de tant de possibles !
Bonne journée dame Tania
Dans ce jeu de Trieb sur la guerre et la paix, "Homo homini lupus est" signifie la guerre, me semble-t-il, "Homo homini non lupus est", la paix. Ce "non" mis entre parenthèses veut-il indiquer un choix à faire ? Je me suis interrogée aussi.
J'admire particulièrement la feuille de chêne et la statuette de femme enceinte. Peut-être parce que le thème est porteur d'espoir de vie à venir.
Oui, gardons espoir, Aifelle.
Tania, il y a un fort élément spirituel dans l'art de Kiki Smith.
Son grand-père sculptait des autels en bois pour les églises.
Merci pour cet article si intéressant.
Je l'ignorais. Voilà qui est éclairant. Merci, Jane.
Enfin un "concept" qui touche la sensibilité ! Merci Tania !
Exactement ce que j'ai pensé - tu as trouvé les mots justes.
Époustouflant !
Et ces bois qui sont notre mémoire, le sacrifice des soldats criblés de balles.
Merci pour ce très bel article.
C'est une expo riche de symboles, tu l'as senti.