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De Pasternak à Jivago

Gardé au chaud pour ce début d’année, le Quarto consacré à Boris Pasternak (1890-1960) comporte ses Ecrits autobiographiques. Le Docteur Jivago, ainsi que des documents annexes, dont une biographie détaillée et illustrée très intéressante. Pasternak évoque dans Sauf-Conduit et Hommes et Positions, deux textes écrits à plus de vingt ans d’intervalle, la même période de sa vie, à savoir son enfance, les années de formation, sa jeunesse, jusqu’à l’écriture de son fameux roman. Cela nous confronte à deux styles très différents de l’écrivain, qu’il commente lui-même en reniant sa première manière.

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Sauf-Conduit (publié en revue de 1929 à 1931), dédié « à la mémoire de Rainer Maria Rilke », s’ouvre sur leur unique rencontre. Durant l’été 1900, dans le train en gare de Koursk, Boris, dix ans, observe cet inconnu vêtu d’une pèlerine tyrolienne noire qui « ne parle que l’allemand » avec son père et une femme qui dit quelques mots en russe à sa mère. A l’approche de Toula, le couple s’inquiète : le rapide n’a pas de halte prévue « chez les Tolstoï » et ils espèrent que le chef de train le stoppera à temps. Un attelage de deux chevaux les attend à la petite gare près de Iasnaïa Poliana et disparaît bientôt de leur vue.

Pasternak dit ses premières passions : la botanique, puis à partir de l’été 1903 à la campagne où sa famille a les Scriabine pour voisins, la musique. Après les six années passées par Scriabine en Italie, ils se revoient, s’apprécient. Boris, élève au Conservatoire, adore et admire Scriabine. Celui-ci l’encourage à composer, même si le garçon se plaint de ne pas posséder « l’oreille absolue ». Enfin la poésie, découverte à travers deux livres de Rilke empruntés à son père.

« Je n’écris pas ma biographie. J’y ai recours lorsque l’exige celle d’autrui. Avec son personnage principal, je considère que seul un héros mérite une véritable biographie, et que l’histoire d’un poète est, sous cette forme, absolument inimaginable. […] Le poète donne à toute sa vie une inclinaison si volontairement abrupte qu’elle ne peut pas être dans la verticale biographique où nous nous attendons à la trouver. […] Je n’offre pas mes souvenirs à la mémoire de Rilke. Au contraire, je les ai moi-même reçus en cadeau de lui. »

A l’université, en « section de philosophie de la faculté d’histoire et philologie », la passion de la littérature prend le pas sur celle de la musique, la philosophie surtout. Quand un étudiant lui parle de l’Ecole de Marbourg, il rêve aussitôt de découvrir cette ville. Sa mère lui offre deux cents roubles pour aller étudier en Allemagne. Il y va en train, découvre la petite ville médiévale, loue une chambre, se rend au café des philosophes.

Une jeune fille dont il est amoureux s’arrête trois jours à Marbourg avec sa sœur quand elle se rend en Belgique via Berlin. Il lui fait visiter la ville et prend même le train avec elle, se déclare à la jeune fille qui le refuse – il rentre à Marbourg transformé. Pour lui, désormais, seul l’art comptera. Il se met à écrire des vers, décide d’abandonner l’université. « Adieu, la philosophie, adieu la jeunesse, adieu l’Allemagne ! » Voici donc « des gares, des gares, des gares. » Bâle, les Alpes, Milan, Venise et la révélation de la peinture, Florence, retour à Moscou.

Dans cette évocation de sa jeunesse, on rencontre beaucoup d’écrivains, d’artistes, de musiciens, l’effervescence de l’avant-garde. Quand il voit pour la première fois Maïakovski, Pasternak lui trouve de la grandeur ; il admire son aisance, son élégance, s’enthousiasme pour ses premières œuvres poétiques. Le suicide de Maïakovski en 1930 sera un coup de tonnerre. Lui seul, écrira Pasternak, qui lui consacre la troisième partie de Sauf-Conduit, « avait la nouveauté de l’époque dans le sang. » Maïakovski fut le premier auditeur (encourageant) de son recueil de poèmes Ma sœur la vie (1917). Pasternak avait rompu publiquement avec lui en 1927, écœuré par son zèle propagandiste.

La vie est ma sœur, et voici qu’elle explose…, Boris Pasternak - YouTube

Pasternak écrit Hommes et positions. Esquisse autobiographique en 1955, lorsque Le Docteur Jivago est presque terminé. Cela commence ainsi : « Dans l’essai autobiographique Sauf-Conduit, que j’ai écrit dans les années 20, j’ai analysé les circonstances qui ont fait de moi ce que je suis. Malheureusement le livre est gâché par une affectation inutile, péché courant à cette époque-là. » Cette fois, dans un style beaucoup plus harmonieux, il raconte non seulement les sensations mais aussi les faits de sa première enfance, quand naît son désir d’accomplir « quelque chose d’extraordinairement lumineux et sans précédent ».

Lorsqu’il a trois ans, sa famille déménage à l’Ecole de peinture, sculpture et architecture, où son père Leonid Pasternak, peintre et dessinateur, donne des cours. Sa mère, Rosalia Kaufman, est pianiste. Son père illustre « Résurrection » de Tolstoï édité en feuilleton. Pasternak revient sur leurs relations avec Scriabine dont la musique est « audacieuse jusqu’à la folie ».  Une jambe cassée lors d’une chute de cheval, devenue un peu plus courte que l’autre, va libérer Pasternak des obligations militaires. L’écrivain reprend le cours de ses années orientées vers la musique, le tournant vers la poésie grâce à Rilke – il se réjouit que Verhaeren, dont son père fait le portrait à Moscou, le considère comme « le meilleur poète d’Europe ».

A la mort de Tolstoï en 1910, Boris Pasternak accompagne son père à la petite gare d’Astopovo ; il rend hommage au génie littéraire de Tostoï, à sa « passion de la contemplation créatrice ». Jeune homme, il s’intéresse à tous les arts, fréquente les novateurs, fait partie d’un cercle où il donne une conférence sur « le symbolisme et l’immortalité ». On croise entre autres les noms de Blok, le grand poète de sa jeunesse, de Biely, d’Akhmatova. De Marina Tsvetaïeva, bien sûr, avec qui il correspondra des années durant.

Pasternak traduit Goethe, Kleist – toute sa vie, il traduira des écrivains européens dont il partage la culture, un travail alimentaire aussi, comme ses emplois de répétiteur à domicile. Quand ses livres et manuscrits sont brûlés dans un incendie provoqué chez un riche négociant, il s’en fait une raison – « je n’aime pas mon style jusqu’en 1940 » : « Il est plus indispensable dans la vie de perdre que de gagner. Le grain ne lève pas s’il ne meurt. Il faut vivre sans se lasser, regarder en avant et se nourrir de ces provisions vivantes que l’oubli non moins que le souvenir élaborent. »

Les bouleversements consécutifs à la Révolution russe changent leur vie à tous.  Pasternak renonce à poursuivre son autobiographie, il y aurait tant à dire pour rendre compte des « épreuves nouvelles auxquelles ce monde a soumis la personne humaine ». « Il faudrait le décrire de telle façon que le cœur se serre et que les cheveux se dressent sur la tête. »

Commentaires

  • Quelle belle densité dans ce billet, musique, poésie, écriture, peinture... et révolution lui donne une magnifique énergie. Je n'ai jamais lu Le docteur Jivago mais j'ai vu plusieurs fois le film de David Lean, Jeune je faisais mon travail scolaire en écoutant en boucle la Chanson de Lara... Il me faudra un jour plonger dans cette lecture, ce sera un beau voyage dans un roman talentueux, j'en suis certaine. Merci Tania, douce journée à toi. brigitte

  • J'adore ce film et je le regarde à chaque rediffusion. Quant au roman, je le découvre pour la première fois avec bonheur, avec ses personnages si attachants et tous ces détails de la vie courante en Russie qui me touchent particulièrement depuis toujours dans la littérature russe.

  • Pasternak et Verhaeren! incroyable et magique :-)
    Tu nous en apprends des choses, chère Tania :-)

  • Voici ce portrait de Verhaeren par le père de Boris Pasternak (j'ajoute le lien manquant dans mon billet) : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f6/Emil_Verhaeren_by_L.Pasternak_%281913%29.jpg

  • merci, toujours à déclamer avec ses mains, comme sur le tableau de Van Rysselberghe :-)
    merci Tania, bonne journée!

  • En effet, très expressif !

  • A la suite de ma lecture du Docteur Jivago dans cette édition, je n'ai pas plongé dans les écrits autobiographiques. Ils m'attendent encore. J'ai lu avec grand intérêt la biographie que je connaissais peu, et le Dossier de l'affaire Pasternak, ainsi que les Lettres ( celle de Chalamov sont superbes, très intéressantes ). Je me réjouis d'avoir encore à lire dans ce recueil. Ton billet me dit que ce sera passionnant.

  • A la suite de ma lecture du Docteur Jivago dans cette édition, je n'ai pas plongé dans les écrits autobiographiques. Ils m'attendent encore. J'ai lu avec grand intérêt la biographie que je connaissais peu, et le Dossier de l'affaire Pasternak, ainsi que les Lettres ( celle de Chalamov sont superbes, très intéressantes ). Je me réjouis d'avoir encore à lire dans ce recueil. Ton billet me dit que ce sera passionnant.

  • Cette biographie très riche précise bien le contexte politique et social de l'époque, en plus des circonstances littéraires et artistiques ; elle est très utile pour clarifier certains événements de la vie de Boris Pasternak. Une belle édition de référence, merci encore de me l'avoir fait connaître, Marilyne.

  • Quelle vie riche dont tu fais un résumé dense, bourré d'informations!!
    Oui, le changement annoncé dans la dernière ligne serait à faire dresser les cheveux sur la tête. J'avais lu l'autobiographie d'un autre Grand russe: Nabokov (Autres rivages)qui décrivait son enfance à la campagne et ce qu'allait faire sur eux, le tourbillon meurtrier de la Révolution russe............Nos époques sont troublées. Nous, des jouets!

  • Merci de me signaler cette autobiographie de Nabokov, qui me tente aussi, je note le titre tout de suite.
    Les jouets de l'histoire, tu veux dire ? En tout cas, il ne manque pas de dangereux joueurs à la tête de certains Etats - qui aurait imaginé (avant ce président du déshonneur) cette insurrection au Capitole à Washington !

  • J'ai lu le Docteur Jivago il y a quelques années, avec bonheur. Je ne connaissais alors que le film vu et revu. Je n'ai pas lu d'autres écrits de l'auteur.

  • Une lecture parfaite pour voyager de chez soi en Russie !

  • Oh ! mais que ce Quarto me tente ! Le docteur Jivago.... Je note sur ma liste de projets de lecture.
    Je t'embrasse. Bonne journée !

  • Bonne journée, Marie, je suis ravie de cette lecture au long cours. Un baiser pour toi, j'espère que la belle lumière est revenue sur le Midi. Page blanche sur le ciel ici.

  • un billet passionnant
    Jivago est un de mes grands souvenirs de lecture et relecture je n'ai qu'un regret il n'est pas encore en livre audio
    la vie de Pasternak est faite de contradictions d'actions grandes et petites comme pour tous les hommes, j'admire l''écrivain un peu moins l'homme

  • Oui, Pasternak a d'abord adhéré à l'élan révolutionnaire avant d'être conscient de ses dérives et il n'a pas évité les compromissions avec le pouvoir, l'union des écrivains, ce qui lui a permis de continuer à publier... jusqu'à l'interdiction du "Dr Jivago". En même temps, il a refusé l'exil.

  • La lecture de "Dr Jivago" m'avait passionnée et le film aussi bien sûr !
    Merci Tania pour cet article si dense, si riche et pour les nombreux liens. Quel travail tu as fait autour de cet auteur !
    Froid glacial ici, comme dans les plaines russes ! Belle semaine et bises.

  • Avec plaisir, Claudie. Froid aussi à Bruxelles, mais moins que là-bas, sans doute. Bonne semaine.

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