Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Penser et ressentir

Siri Hustvedt / 2

La deuxième partie de Vivre, Penser, Regarder, le recueil de Siri Hustvedt, commence avec « L’histoire vraie », un essai sur ce qui distingue la vie et l’œuvre, la fiction et l’autobiographie. A la recherche du temps perdu est un excellent exemple de récit romanesque où l’on est tenté de confondre le narrateur et l’auteur, alors que « les deux Marcel, celui de la vie et celui de la fiction, ne sont pas identiques ». Le récit dit autobiographique ne peut pas non plus être considéré comme « la vérité ». La remémoration, étudiée par les neurosciences, ne consiste pas à « récupérer quelque fait originel stocké dans le « disque dur » de la mémoire ». Ce que nous nous rappelons, c’est « la dernière version d’un souvenir donné. »

hustvedt,siri,vivre,penser,regarder,essai,littérature anglaise,etats-unis,philosophie,psychologie,littérature,culture,lecture,écriture
Siri Hustvedt à Lausanne lors de la remise du prix européen de l’essai Charles Veillon 2019
pour Les mirages de la certitude © Alain Herzog-Fondation Charles Veillon
(prix 2020 remporté par Alessandro Baricco pour The Game)

Qui n’a pas observé qu’un même événement vécu en famille a laissé à chacun des protagonistes un souvenir différent ou que, même, l’un puisse s’en souvenir et pas l’autre ? Les notions d’authenticité et de réalisme ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. Opposant Les yeux bandés où, bien qu’elle ait donné à la narratrice son prénom inversé, « Iris », et  utilisé des éléments de son expérience personnelle, les aventures de l’héroïne sont de la fiction et non pas les siennes, à La femme qui tremble, récit autobiographique où elle explore le sens des affections psychosomatiques, Siri Hustvedt définit ainsi le « pacte de non-fiction » : « ne pas mentir délibérément. »

Dans « Excursions aux îles des Happy Few », l’essayiste « vagabonde » rassemble ses observations dans les domaines de l’art, des neurosciences et de la psychanalyse. Notre époque privilégie l’hyperspécialisation et l’expertise au point de rendre le dialogue impossible d’une discipline à l’autre, notre monde est « un monde de fragmentation intellectuelle ». Dans « De la lecture », activité qu’elle définit comme « perception sous forme de traduction », chacun reconnaîtra ses questions, son expérience de lecteur. Jamais deux expériences de lecture ne sont identiques, elle l’illustre par sa relecture de Middlemarch de George Eliot – « Le texte est le même, moi pas. »

« Stig Dagerman » (sur Le Serpent, principalement), « L’analyste dans la fiction » (comme Erik Davidsen, le narrateur d’Elégie pour un Américain ou Dick Diver, le psychanalyste dans Tendre est la nuit de Fitzgerald), les sujets de cette partie centrale du recueil, la plus difficile d’accès pour les non initiés, sont fort axés sur les questions psychanalytiques, surtout « L’aire de jeu selon Freud » où elle compare la création de fictions à un « rêve éveillé ». Siri Hustvedt a même rencontré personnellement Freud et Anna Freud… dans un rêve !

« Notes critiques sur le climat verbal » porte sur le discours politique contemporain et la volonté de diviser dans la sphère politique américaine, mais on n’a aucun mal à l’interpréter plus largement. A travers les huit articles de « Penser », j’ai été particulièrement intéressée par les développements sur la mémoire et l’imagination, que l'essayiste aborde de points de vue différents. L’expérience de la lecture, notre perception subjective du temps, les souvenirs et les pulsions, tout donne à penser à Siri Hustvedt : « Nous ne sommes ni des machines, ni des ordinateurs mais des créatures incarnées guidées par un vaste inconscient et un ressenti émotionnel. »

Commentaires

  • Cette femme est décidément passionnante. Son intelligence et son érudition, mais aussi cette manière qu'elle a, comme tu le dis, de fréquenter à la fois les territoires de la fiction et ceux du savoir, rendent tout ce qu'elle écrit très intéressant.

  • Nous sommes d'accord, Anne.

  • L'analyse aiguisée de cette essayiste est étonnante ! Quelle juste réflexion sur la relecture: "le texte est le même, moi pas" .
    Encore un grand Merci Tania pour ces articles ! Bises.
    (Tempête ici,les grands arbres du château proche bougent énormément...)

  • Merci à toi - j'espère que ces arbres tiendront le coup.

  • Ce sont en effet des questions que nous nous posons par rapport à lecture mais aussi aux événements de la vie , des souvenirs que nous percevons, abordons chacun d’une façon différente.,
    Merci pour ce résumé, que j’imagine fort compliqué à mettre en musique.

  • Cela me fascine toujours d'observer à quel point notre mémoire sélectionne certains détails et pas d'autres, sans que nous en soyons conscient sur le moment. Siri Hustvedt décrit bien le rôle des émotions.

  • J'ai lu le gros ouvrage de Paul Auster 4321, mais pas ce recueil de Siri Hustvedt (j'allais écrire sa femme!). Ce sont ces couples d'écrivains qui durent dans le temps qui me fascinent. Je viens de terminer "Mon évasion" de Benoîte Groult qui a vécu avec Paul Guimard pendant presque 40 ans et j'écoutais hier Julia Kristeva dans un entretien avec Laure Adler. Elle citait Philippe (Sollers) avec familiarité.
    Pardon pour cette digression. Comme d'habitude ton billet me donne envie de me procurer ce livre. Je l'inscris sur ma liste. D'autant que j'aime ces livres de réflexion qu'on peut lire comme des traités de philosophie sans la lourdeur du jargon

  • Bonsoir, Zoë. C'est beau, ces couples d'écrivains, oui. Tant que nous en sommes aux digressions, j'ai dans ma bibliothèque un livre auquel je tiens particulièrement, "Le langage, cet inconnu" (1970), signé Julia Joyaux - le nom d'épouse de Kristeva, puisque Sollers est un pseudonyme (il est aussi le "Jim" de Dominique Rolin, je ne t'apprends rien).
    Bonne découverte de ce recueil un jour ou l'autre !

  • Je viens de lire attentivement tes trois derniers billets, la réflexion de cette auteure semble vraiment Intéressante. À propos d'un même évènement, on peut avoir des souvenirs très différents, en effet, Boris Cyrulnik en avait parlé dans un magnifique petit livre. La composante émotionnelle du moment va graver le souvenir d'une certaine façon, Il n'y a pas invention ou affabulation, il y a perception profonde dans un contexte particulier.
    Quels jolis prénoms que Siri ou Iris, tiens je commande l'un ou l'autre pour une vie prochaine... Bises du soir, à bientôt Tania. brigitte

  • C'est très intéressant, je confirme, le point de vue de Siri Hustvedt est original. J'ai lu "Je me souviens" de Cyrulnik, je vois très bien à quoi tu fais allusion.
    Un prénom pour une autre vie, quel joli rêve ! Bonne soirée, Brigitte, bises.

  • Les jeux de mémoire entre frères et soeurs sont éclairants en effet et souvent fort différents. J'aime la dernière citation. Quand j'entends les emballements de certains sur "l'homme augmenté" ou l'intelligence artificielle, je frémis en pensant à tout ce que l'on oublie de l'humain dans ce genre de discours.

  • Exactement, merci pour cette remarque, Aifelle.

  • Passionnant: la mémoire, le récit, le rêve, la lecture et la relecture...Merveilleuse complexité du cerveau humain. Merci!!
    D'immenses thèmes de réflexion en un article ramassé, c'et de l'art!

  • Les sujets des articles sont variés, mais les liens de l'un à l'autre ne manquent pas.

  • je vais essayer de mettre la main sur ce livre en bibliothèque car la variété des articles m'intéresse beaucoup

  • Je l'ai trouvé nourrissant dans chacune de ses parties et très éclairant aussi sur l'univers romanesque de Siri Hustvedt.

  • Très très intéressant. Riche en réflexion (et suscitant notre mémoire à nous) : merci Tania.

  • N'est-ce pas ? A bientôt, Nikole.

Écrire un commentaire

Optionnel