Siri Hustvedt / 1
Un an avant Le Monde flamboyant, son roman extraordinaire sur le monde de l’art contemporain, Siri Hustvedt avait publié un gros essai : Vivre, Penser, Regarder (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Le Bœuf, 2013). Je vous présenterai ce recueil de cinq cents pages (trente-deux articles écrits de 2006 à 2011) au fur et à mesure de ma lecture. La première section – « Vivre » – contient les essais « les plus personnels », de « Variations sur le désir » à « Fleurs ».
Elle l’introduit ainsi : « Après avoir lu les essais rassemblés dans ce volume, j’ai compris que, quelle que soit la diversité de leurs sujets, ils ont en commun leur curiosité constante à l’égard de ce qu’être humain signifie. Comment voyons-nous, nous souvenons-nous, comment ressentons-nous autrui et comment communiquons-nous avec lui ? Que signifient dormir, rêver et parler ? Lorsque nous utilisons le mot moi, de quoi parlons-nous ? »
C’est une curiosité d’écrivaine et une curiosité scientifique – Siri Hustvedt, diplômée en littérature anglaise à Columbia, s’intéresse particulièrement aux neurosciences et est chargée de cours en psychiatrie à la faculté de médecine de Cornell. Philosophie, neurosciences, psychologie, psychanalyse, neurologie, littérature, cela peut impressionner, mais elle a fait le choix d’utiliser dans son travail un langage courant qui rend ses recherches accessibles aux profanes.
Ainsi, pour analyser le processus du désir, elle part d’un souvenir familial : quand sa sœur Asti avait trois ans, elle désirait pour Noël un téléphone Mickey Mouse devenu introuvable. La tension qui s’était installée dans toute la famille était telle que l’arrivée « triomphale » du père, la veille de Noël, les avait mis tous en joie – une histoire qui « prit dans la famille des proportions mythiques ».
« Ne fais rien que tu n’aies pas réellement envie de faire » : ce conseil que lui a donné un jour sa mère, en lui parlant comme à une adulte, introduit une réflexion sur le cerveau, les émotions, l’empathie et le sentiment de culpabilité. Fille d’une mère norvégienne et d’un père américain d’origine norvégienne, Siri Hustvedt a parlé le norvégien avant de parler anglais. « Méditations sur le mot Scandinavie » explore la composante norvégienne de sa personnalité « divisée ». Elle rend aussi hommage à la grande poétesse danoise Inger Christensen qu’elle avait rencontrée deux fois.
Dans « Ma drôle de tête », Siri Hustvedt analyse les migraines chroniques, « affection mal connue » qu’elle a cessé, avec les années, de considérer comme une ennemie. La migraine peut causer des hallucinations, qui peuvent surgir aussi « à la lisière entre veille et sommeil ». Cette réflexion sur les rapports entre « psyché et soma » ainsi que sur le rôle de l’attitude face à une maladie m’a passionnée. Elle se penche aussi sur l’insomnie (« Dormir / Ne pas dormir ») ou encore sur l’image de soi et « l’idée de ce que nous sommes » véhiculée par la façon dont on s’habille (« Hors du miroir »).
Vous vous rappelez peut-être son apparition formidable à La Grande Librairie (11/1/2018) où elle était invitée (pour Les mirages de la certitude) avec Paul Auster (pour 4321), Isabelle Carré, Philippe Delerm et Olivier Adam (à revoir sur YouTube – Siri H. y intervient à partir de la 52e minute). L’essai sur le mot « ambiguïté » évoque irrésistiblement son univers romanesque. « Le roman est un caméléon », écrit-elle dans « Jeu, pensées sauvages et sous-sol d’un roman », un bel éloge du genre et une exploration du lien entre mémoire et imagination.
« Mon père / Moi » est l’essai le plus long de cette première section de Vivre, Penser, Regarder, une trentaine de pages. Siri Hustvedt y parle de la paternité, de l’attitude de son père dans leur famille de quatre filles : il incarnait l’autorité, le patronyme, et aussi l’amour, la bienveillance. (Elle ne s’y réfère pas aux filles du Dr March, mais bien à une série télévisée familiale, Papa a raison.) Cette réflexion sur l’identification ou le conflit entre père et fils, entre père et fille, se termine par des pages très émouvantes sur une conversation entre son père et elle, la première fois qu’ils ont parlé de son œuvre, « comme des égaux ».
Commentaires
Me voilà déjà passionnée! Vivement la suite...merci
Ah, tant mieux. Bonne journée, Colo.
Je me suis sentie vite dépassée par ce livre de Siri Hustvedt, si bien que je l'ai avandonné au bout de quelques pages . peut-être devrais-je tenter une nouvelle lecture , après avoir lu ton commentaire ...il est à la Médiathèque ,classé dans " romans" , hum ...
A vrai dire, je n'aime guère la littérature " qui coupe les cheveux en quatre ", c'est du moins ce que je ressens en lisant Siri Hustvedt .
Un essai égaré parmi les romans, mal classé dans cette bibliothèque, en effet. Tu as raison, Béatrice, de souligner qu'il n'est pas toujours facile à suivre quand l'essayiste explore les concepts neuroscientifiques ou psychanalytiques, mais elle ne s'y attarde pas trop longtemps en général, en revenant à des cas concrets et à des observations personnelles.
Si la médecine ne m'a jamais tentée, je suis très intéressée par l'exploration des phénomènes cérébraux, un tel mystère.
Les romans de Siri Hustvedt sont beaucoup plus accessibles, espérons qu'elle nous en écrive d'autres bientôt.
Je vais repartir; mais j'emporte ma tablette...pour la suite!!
Intéressant (sauf que les gros livres….)
Celui-ci ne se lit pas d'une traite, tu l'auras compris. D'où mon choix d'en parler en trois temps? Tu repars ? Voyons ce que tu racontes aujourd'hui.
intéressant! ça a l'air vraiment intéressant!
merci Tania
Et il y aura une suite ;-). Avec plaisir, Adrienne.
Oui, je pars demain en Italie, fin d'expo; je rentre 4 jours chez moi, en Périgord, puis New- York. La vie est un voyage. Je vais lire un livre qui promet d'être intéressant...Pour une brodeuse littéraire: SPIN…….A suivre!
Bonne clôture de votre exposition & bons voyages, Anne. Et bonne lecture de ce roman de science-fiction (que je ne connais pas).
Merci, TaniaSri Hustvedt est surtout connue comme romancière et ses romans ont reçu une reconnaissance méritée.
Elle est encore plus admirative en tant qu'essayiste (à cet égard, je pense qu'elle ressemble à Virginia Woolf)..
Bonjour, Jane. Je l'admire avec vous - cette comparaison avec Virginia Woolf l'honore. Chez les deux, une grande soif de comprendre et le goût d'expliquer, en effet, avec chez Hustvedt, un bagage scientifique impressionnant.
Je n'ai lu qu'un seul roman de Siri Hustvedt, qui m'avait beaucoup plu d'ailleurs "Tout ce que j'aimais". Je ne sais pas si je me lancerais dans un essai. Ton billet est en tout cas passionnant et j'attends la suite avec impatience.
Parmi les romans que j'ai présentés, c'est certainement "Un monde flamboyant" qui m'a le plus marquée, et pas seulement parce que c'est le dernier que j'aie lu. J'ai envie de les relire tous et "Tout ce que j'aimais" en particulier.
De Siri Hustved j'ai acheté (comme ça, au vu du titre et du nom) "Les mirages de la certitude". Lorsque je m'y suis lancé, j'ai calé, je ne me sentais pas concerné par sa façon d'aborder un sujet qui m'intéresse beaucoup. Pour le dire autrement, je n'ai pas éprouvé l'impression que j'allais trouver les éclairages que je cherchais. (Le livre est là, il peut me reprendre).
En romans, je n'ai jamais lu mais retiens "Un monde flamboyant" et son beau succès, notamment outre-atlantique.
Je suivrai votre lecture de "Vivre, penser et regarder".
Vous attendiez peut-être un contenu plus philosophique de ce titre, une réflexion sur le rapport entre le corps et l'esprit pour lequel Hustvedt a reçu le prix européen de l'essai.
Merci Tania pour ta présentation passionnante de ce livre ! Que Siri Hustvedt, cette hyperdiplomée choisisse un langage courant pour nous toucher l'honore.
J'attends avec impatience la suite moi aussi ! Belle journée !
Merci, Claudie. Dans ce genre de recueil, un texte accroche plus qu'un autre. Cette première partie m'a permis de découvrir le terreau d'une personnalité peu commune.
De Siri Hustvedt, je n'ai lu qu'un roman, avec plaisir, plutôt facile ( Un été sans les hommes ). Pour reprendre j'avais noté son dernier titre paru mais maintenant Un monde flamboyant m'intéresse beaucoup plus.
Ses romans sont certainement plus accessibles que ses essais et "Un été sans les hommes" en particulier. Bonne lecture d'"Un monde flamboyant", passionnant pour qui s'intéresse à l'art.