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Colette et ses amies

Dans Colette et les siennes (2017), Dominique Bona, « de l’Académie française » depuis 2013, évoque la vie de Colette et de ses amies durant la première guerre mondiale et les années qui suivirent. La biographe de Berthe Morisot, de Camille et Paul Claudel, des sœurs Rouart, signe un essai à la fois historique et sociologique, centré sur la situation des femmes durant la grande guerre. Pour Colette et celles qui vivent ces années-là près d’elle à Paris, elle s’attache à suivre leurs créations, leurs amitiés, leurs amours, dans la ville sans hommes où flotte « le parfum tout neuf de leur liberté ».

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Colette en 1910 (source Le Figaro)

Rentrée à Paris dès la mobilisation générale, sa fille d’un an laissée chez sa belle-mère, Colette, la quarantaine, a besoin pour survivre de son salaire de journaliste au Matin, dont son mari, Henry de Jouvenel, est le rédacteur en chef. Elle occupe son vieux chalet en bois avec jardin au 57, rue Cortambert, « le plus charmant des refuges », dans le XVIe, où se crée une « atmosphère de pensionnat ou de maison close ».

Trois beautés brunes l’y rejoignent : Annie de Pène, journaliste et romancière ; Marguerite Moreno, comédienne à la Comédie-Française ; Musidora (Jeanne Roques), la plus bohème, qui dessine, peint, danse aux Folies-Bergères. Toutes les quatre portent les cheveux courts, un défi à l’époque, des « garçonnes » avant l’heure. Quand Colette, dont les cheveux tombaient presque aux pieds (1m58), a coupé sa longue tresse à vingt-neuf ans, sa mère en a pleuré. L’idée venait de Willy, pour accentuer sa ressemblance avec l’actrice Polaire qui jouait « Claudine à Paris » et habillait de même ses « twins ». 

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Marguerite Moreno en Anne d'Autriche, adaptation de Dumas,
Vingt ans après (Henri Diamant-Berger, 1922).
Ed. Cinémagazine, no. 52. Photo Pathé Consortium Cinéma

En ville, elles portent les longues robes et chapeaux de l’époque ; chez elle, elles adoptent volontiers le pantalon, avec cravate et veston. Même si les théâtres sont fermés, les journaux publiés au ralenti, elles travaillent. Annie de Pène et Colette se sont formées sur le tas, Colette a été engagée au Matin en 1910, où ses « Contes des 1001 matins » ont du succès.

L’année suivante, c’était le coup de foudre entre Henry de Jouvenel, au « charisme exceptionnel », tourné vers la politique, et Colette, trois ans de plus, qui avait déjà fait scandale en montrant un sein sur scène et portait un parfum de « jasmin sauvage ». En l’épousant, la bohème est devenue baronne et belle-mère de trois fils : Bertrand de Jouvenel, d’un premier mariage ; Renaud, le fils d’une maîtresse qu’Henry a raconnu ; Jacques Gauthier-Villars, le fils de Willy.

Le fief des Jouvenel est en Corrèze, au château de Castel-Novel, où Colette aime séjourner avec celui qu’elle appelle « le seigneur Sidi » ou « le Pacha », voire « la Sultane », dont elle adore la peau très douce. Annie de Pène vit avec Gustave Téry, un polémiste devenu journaliste à L’Oeuvre, une union libre. Quant à Musidora, tombée amoureuse de Colette à dix-sept ans – entre elles, c’est quasi un rapport mère-fille – elle est courtisée mais pas vraiment engagée. Le mari de Marguerite Moreno n’est pas mobilisable pour raisons de santé ; comédien, il est très dévoué à la femme qui l’a épousé après la mort de Marcel Schwob, son grand amour.

Chaque chapitre de Colette et les siennes aborde le quatuor sous un angle particulier : leurs secrets douloureux, leur liberté payée au prix fort, la douceur de leur vie entre femmes, l’empreinte maternelle… Dominique Bona reconstitue ainsi peu à peu leur trajectoire de fille, de femme, d’artiste, leur bonheur d’être ensemble à une époque où, dans leur milieu, le lesbianisme est à la mode, mieux toléré que l’homosexualité masculine. Elles considèrent l’amour entre femmes comme une « douce chose », même si elles séduisent des hommes. Les retours en arrière permettent de comprendre comment chacune a trouvé sa voie. Mathilde de Morny (pour Colette, « Missy ») l’a encouragée à se former comme comédienne, à jouer des rôles souvent déshabillés, et à devenir écrivaine en son nom propre, libérée de Willy.

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Annie de Pène à la une des "Hommes du jour", 20/7/1918, 
avec plusieurs articles élogieux, après une campagne calomnieuse de la presse nationaliste

La guerre qu’on annonçait courte se prolonge, suscitant l’inquiétude et l’ennui, le souci d’être utile. Musi (Musidora) part tourner à Marseille (le cinéma continue) et devient marraine de guerre. Moreno fait l’infirmière au Majestic à Nice. Annie de Pène, « journaliste à plein temps », est envoyée spéciale au front – ses articles sur les souffrances de la guerre, pour les hommes et pour les femmes, sur les tranchées, sont fort appréciés et lui valent une belle réputation. Colette s’engage un temps comme veilleuse de nuit puis de jour dans un hôpital de fortune, mais elle est moins forte. Elle écrit surtout sur la vie des civils dans la guerre. Les épouses sont interdites sur le front ; Colette, avant Noël, trouve un couple qui veut bien l’héberger à Verdun où son mari peut venir partager ses nuits, clandestinement – jusqu’à ce qu’elle soit repérée et expulsée.

A la fin de l’année 1914, les quatre amies sont rarement ensemble au chalet de Passy, elles s’écrivent. Musi fréquente alors Pierre Louÿs, entouré de femmes « brunes et piquantes », sa vie sentimentale compliquée inquiète Colette. Musi connaît un grand succès dans « Les Vampires », en collant noir et talons hauts. Musi se sait redevable à Colette, sans suivre pour autant ses conseils en amour. Elle tourne aussi les « Claudine », « Minne », et « La flamme cachée » – les critiques font l’éloge des phrases concises de Colette qui en a écrit le scénario, mais celle-ci reste à distance du cinéma. Les tournages sauvent également Moreno et son mari (« Debout les morts ! »), mais Marguerite est surtout une voix, le muet ne lui convient guère. Colette et Annie courent derrières les « piges » pour Le Matin et L’Oeuvre, Colette vend ses manuscrits quand elle est sans argent.

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Musidora joue Irma Vep dans Les Vampires de Louis Feuillade, 1915

Deux ans plus tard, malgré le retour d’Henry de Jouvenel à la vie civile, Colette est souvent seule. Le chalet s’écroule, ils déménagent près du Bois, dans une villa du boulevard Suchet. Jouvenel a des maîtresses, et la politique est la première d’entre elles. Mari et femme s’éloignent. En 1918, il retourne au front. La grippe espagnole emporte Annie de Pène à 47 ans.

Dominique Bona montre comment Colette bataille pour son couple, contre la vieillesse. A cinquante ans, elle écrit pour Chéri le personnage de Léa, femme vieillissante et amoureuse : un succès et un scandale. Elle ne sait pas encore qu’elle va devenir son personnage dans la vie, avec son beau-fils Bertrand de Jouvenel, qui la poussera à écrire Le blé en herbe et La maison de Claudine. Marguerite Moreno, devenue veuve, connaîtra aussi lamour d’un homme jeune, avec plus de bonheur.

Colette et les siennes nous fait découvrir ces quatre femmes – Colette, Annie de Pène, Marguerite Moreno, Musidora – dans la première moitié du XXe siècle, jusqu’à leur mort. Si Colette est la personnalité la plus approfondie dans cet essai, Dominique Bona réussit à nous intéresser vraiment à ses amies et à leur complicité, dans leurs beaux jours et dans leurs peines, dans la vie privée comme dans leur vie publique.

Commentaires

  • J'ai vu le film Irma Vep de Olivier Assayas. A cette époque je n'avais aucune idée de l'histoire de l'Irma Vep. Merci, Tania!

  • @ Adrienne : La vie de bohème, assurément !

    @ Niki : Merci, Niki, bonne lecture.

    @ Jane : Heureuse de vous lire ici, Jane. Alors vous voyez bien qui est Musidora. A bientôt.

    @ Bonheur du Jour : Dominique Bona y raconte de belles amitiés. Bonne soirée.

  • Oui, je l'ai lu il y a quelques semaines à peine! Une mine d'anecdotes et d'érudition, le tout dans un style frais et très enlevé! Bref du Dominique Bona!

  • C'est le genre de livre qui me plaît - comme cette brique "femmes de la rive gauche" de Shari Benstock que j'avais acheté en son temps... Ou l'essai "Colette pure et impure". Ou un autre album, plus artistique, sur Virginia Woolf, Dora Carrington et Vanessa Bell.

    Je trouve Colette très belle sur cette photo.

    Par contre le maquillage d'Anne d'Autriche... C'est d'époque, mais bon, pas top.

    J'imagine très bien cette vie, je pense que j'aurais aimé, que cela me correspond assez, sauf qu'à Bruxelles évidemment, la Bohême reste très limitée o;) et puis, je n'ai pas les finances qui vont avec o:))) Donc, les hommes plus jeunes, (et d'ailleurs ce ne serait pas mon truc je crois), il ne faut pas y compter. Non, ce ne serait pas du tout mon truc... La Bohême a quand même des limites o:)))

  • Je n'avais pas remarqué ce livre, je le retiens, je pense qu'il a tout pour m'intéresser. Les femmes ont lutté à leur manière à cette époque-là et tout était à faire, c'était des pionnières.

  • Ce livre est à la bibli, je n'y avais pas accordé d'attention, mais tu en parles bien (et j'aime les photos) Je viens d'ailleurs d'emprunter Les apprentissages de Colette, une BD d'Annie goetzinger. Y aurait-il une année collette, là?

  • Je retiens ce titre. Cette vie de bohème avait ses moments forts mais ces femmes avaient un prix à payer, c'est toujours fou et courageux à la fois d'aller jusqu'au bout de soi-même. Merci Tania pour ce très beau billet, doux week end à toi. brigitte

  • Merci pour ce très intéressant article, Tania. Je pensais connaître pas mal de choses sur Colette, mais à la lecture de ton billet, je m'aperçois que c'était assez superficiel. Un livre que je note donc sur ces femmes déjà libres.

  • j'aime les livres de Dominique Bona j'aime Colette mais je ne suis pas certaine d'avoir envie de savoir beaucoup plus de choses sur ses amies, j'ai peut être tord

  • Billet joliment tourné et fort instructif; merci de ce partage.
    Je n'ai jamais rien lu de D. Bona.

  • @ Alezandro : Ravie que tu l'apprécies aussi, Alezandro. Bon week-end.

    @ Pivoine : Je retiens "Femmes de la rive gauche", en avais-tu parlé ?
    Un livre parfait pour rêver de la vie de bohème !

    @ Aifelle : Dominique Bona montre bien comme chacune d'elles s'est inventé sa propre manière de vivre.

    @ Keisha : Merci, Keisha. Pas d'anniversaire dans l'air, il me semble, mais une femme, une écrivaine qui ne finit pas d'intéresser.

    @ Plumes d'Anges : Folles et courageuses, oui ! Une fin de semaine tout en douceur pour toi aussi - la pluie arrose-t-elle enfin ton jardin ?

    @ Annie : Cet essai réussit à nous la montrer sous un autre angle, j'ai aimé cette approche différente des biographies classiques.

    @ Dominique : A toi de voir. Leurs relations sont complexes, elles vivent chacune leur vie tout en restant proches les unes des autres - l'amitié.

    @ K : Cela vous laisse de bons livres à découvrir un jour peut-être. Merci, K.

  • Ouh là, "Femmes de la Rive Gauche", je ne sais pas si j'en ai parlé parce que c'est vraiment une "brique" (impossible à résumer) - très intéressante et très bien documentée... Je devrais d'abord le retrouver. Il a été édité aux Editions des Femmes. Et couvre une grande partie du XXème siècle.

  • Quel bel article, merci, je l'ai lu avec grand intérêt n'ayant pas remarqué le livre, le contexte en est passionnant.

  • @ Pivoine : Merci pour ta réponse, un ouvrage de référence (dixit Josiane Savigneau) centré sur les Américaines et les Anglaises à Paris :
    https://www.desfemmes.fr/litterature/femmes-de-la-rive-gauche-1900-1940/

    @ Marilyne : Ravie de te donner envie de le découvrir, Marilyne.

  • Je sais que Bona a écrit beaucoup de bio mais rien lu d'elle. Je n'ai d'ailleurs rien lu de Colette, romancière que je connais vaguement de noms. J'ai l'impression que ces portraits sont très riches, je note évidemment :-)

  • Cheveux courts, insoumission et amoureuses passionnées des deux sexes : des femmes de caractère. Et une amitié indéfectible.
    Je ne crois pas que je lirai cette biographie mais cette présentation m'a beaucoup intéressé.

  • @ Maggie : Je te recommande "Berthe Morisot. Le secret de la dame en noir" de Dominique Bona. Pour Colette, il y aurait tant à citer ! "La naissance du jour", "La Vagabonde", "Le blé en herbe"... Que de titres à relire, pour ma part !

    @ Christw : Voilà qui me fait plaisir, merci, Christw.

  • Tiens c'est drôle, je sors d'un billet qui parle aussi de Colette. Une auteure que j'ai beaucoup aimée ado.

  • Dans la foulée, j'avais lu aussi des livres originaux, sur ces femmes. Les mémoires de Berthe Cleyrergue, la "bonne" de Nathalie Barney, commentées et présentées par Michèle Causse. Je trouvais aussi curieux que le 20 rue Jacob soit voisin des Editions Gautier Languereau (Semaine de Suzette, Veillées des Chaumières, etc.)

    Et "Le livre de cuisine d'Alice Toklas" que j'ai curieusement préféré à "L'autobiographie d'Alice Toklas" (par Gertrude Stein elle-même et où, finalement, elle ne parle que d'elle-même). Le livre de cuisine est un livre de propos culinaires d'Alice Toklas (aux éditions de Minuit) qui comprend des recettes données par des amis artistes et écrivains (dont certainement Colette et peut-être quelques-unes des amies citées plus haut, je devrais vérifier...)

  • Chère Bruxelloise,
    Je viens de découvrir votre blog et j'en suis heureux.
    Comme vous avez le souci de mieux connaître Colette et ses amis, je voulais vous signaler la parution de mon livre aux Éditions du Horla : " Musidora-Pierre Louÿs, une amitié amoureuse " dans lequel vous trouverez aussi le DVD de mon film, diffusé par Ciné+ Classic " Musidora la dixième muse "..
    Ce film porte le même titre que mon premier livre musidorien
    édité chez Henri Veyrier en 1977 !
    Je prépare un film à présent sur Marguerite Moreno que nous f$etons chaque année depuis 4 ans à l'automne dans sa propriété de Touzac ( Lot ) .
    Bien à vous.
    Patrick Cazals

  • @ Pivoine : Voilà d'autres pistes de lecture intéressantes. Les livres lus à l'adolescence laissent leur trace en nous et c'est souvent si intéressant de les relire plus tard.

  • @ Patrick Cazals : Bienvenue et merci pour les informations sur votre livre, votre film et ces rencontres dans le Lot. Une belle fidélité à ces personnalités hors du commun.
    Vous aurez lu sans doute ce que Dominique Bona a écrit sur Pierre Louÿs dans "Mes vies secrètes" :
    http://textespretextes.blogspirit.com/archive/2021/10/13/raconter-une-vie-3259623.html

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