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Une rose islandaise

Rosa candida (Afleggjarinn, 2007), le nom latin d’une fleur, ce n’est pas un titre ordinaire. La romancière islandaise, Audur Ava Olafsdóttir, se révèle aux francophones grâce à la traduction de ce roman (son troisième) par Catherine Eyjólfsson (2010). L’histoire d’un fils qui devient un père. L’histoire d’un jardinier. L’histoire de Flóra Sól.  

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Vitrail de la Genèse (Cathédrale de Clermont-Ferrand) 

« Comme je vais quitter le pays et qu’il est difficile de dire quand je reviendrai, mon vieux père de soixante-dix-sept ans veut rendre notre dernier repas mémorable. » Le « petit Lobbi », comme l’appelle son père, l’accompagne dans la serre : celui-ci y coupe de la ciboulette, lui, « le seul héritier de la serre de maman », prépare les boutures de rosier qu’il va emporter. Son père s’inquiète : n’oubliera-t-il pas la demoiselle qui a eu un enfant de lui (l’accident d’une nuit avec l’amie d’un ami dans la serre maternelle, ce qui ne suffit pas à faire un couple) ? Ne ferait-il pas mieux d’opter pour des études sérieuses plutôt que d’accepter un emploi de jardinier dans un monastère ? 

Pour cette dernière soirée ensemble, son père et son frère jumeau, Jósef, se sont habillés avec soin. Son frère « demeuré » aime porter des couleurs vives. Ce dernier écarte la sauce verte du poisson, mais lui s’en sert largement, pour faire honneur au cuisinier, et ressent alors pour la première fois « une douleur au ventre ».  

Peu de bagages, quelques boutures, et les voilà dans la vieille Saab du père qui conduit très lentement entre les champs de lave hérissée. Quand ses parents se sont installés dans cette zone dénudée, sa mère a été la première à y planter des arbres. Puis son père a bâti une serre, ce qui a permis à son épouse d’exercer sa passion : faire pousser des plantes, les mettre à l’abri des gelées. « Petit à petit le lopin de terre se transforma en jardin enchanté qui attirait l’attention et provoquait l’étonnement. » 

Lobbi (Arnljótur Thórir) partage cette passion pour l’horticulture. Il a planté un pin nain à l’endroit où elle a perdu la vie dans un accident. A l’aéroport, il reçoit un cadeau de son père et de l’argent. Mais le mal au ventre ne passe pas, ni les nausées qui le font vomir dans l’avion, et encore dans le taxi qui le mène à l’hôpital dès son arrivée sur le continent. A l’infirmière, il confie ses boutures de « rosa candida » et montre la photo de sa fille en grenouillère, Flóra Sól. On l’opère d’une appendicite. Le cadeau, un pyjama en flanelle, tombe à point. Après avoir dormi trois jours et rassuré son père par téléphone, il se rend chez une amie qui lui a proposé de loger dans son appartement en son absence et se réjouit : « Il n’y a pas de jour ordinaire tant qu’on est en vie, tant que ses jours ne sont pas comptés. » 

Reposé, Lobbi trouve une voiture d’occasion pour entreprendre le voyage de cinq jours vers une roseraie ancienne qu’on lui a demandé de restaurer. Le temps de repenser à cette « demi-nuit » dans la serre lourde de conséquences, aux quelques rencontres avec Anna pendant sa grossesse puis à la maternité, où il a assisté à l’accouchement. Et enfin, le voilà près du monastère au sommet d’un rocher : « Cela paraît invraisemblable que l’on puisse trouver là-haut un jardin qui figure dans tous les manuels consacrés à la culture des roses depuis le Moyen Age. » 

Une nouvelle vie commence là. Accueilli par frère Thomas, cinéphile et polyglotte, le jardinier découvre, presque à l’abandon, le fameux jardin des moines dont lui parlait sa mère. C’est là qu’il va planter la rose à huit pétales, d’une rare couleur pourpre, dont il a pris soin pendant tout son voyage (une fleur fictive, à ma connaissance, au nom symbolique - merci aux botanistes de me contredire s'il y a lieu). Il lui faudra deux à trois mois pour faire revivre ce jardin : les moines, plus intéressés par les livres, ont négligé cette collection exceptionnelle de plus de cent variétés de roses. 

Davantage encore depuis son opération, Lobbi, vingt-deux ans, est hanté par le corps, celui des autres, le sien, et par la mort. Il n’a pas du tout envie de se faire moine. A l’extérieur du monastère, il a peu de contacts, mais les gens du bourg reconnaissent « le garçon aux roses ». Une lettre d’Anna, inattendue, vient bouleverser sa routine : elle a besoin d’un mois pour terminer son mémoire et lui demande de garder le bébé pendant ce temps. Il accepte. Frère Thomas lui trouve un petit meublé à louer hors du monastère, le jeune homme se fait couper les cheveux, aménage l’appartement, y installe quelques plantes, s’inquiète de son inexpérience culinaire (repas et recettes constituent en quelque sorte le ventre du récit d'Audur Ava Olafsdóttir).

« Il émane de cette enfant de la clarté » : l’arrivée d’Anna et de Flóra Sól l’éblouit. La petite est merveilleuse, elle ressemble à sa grand-mère paternelle. La jeune femme, fatiguée, lui est reconnaissante pour son accueil et le repas qu’il a préparé lui-même. Ses attentions envers leur fille la rassurent. Mais à peine repartie, elle revient : serait-il possible qu’elle reste là, elle aussi, à bouquiner et travailler ? Pris de court, le jardinier accepte encore. Et voilà sa vie complètement chamboulée par son nouveau rôle. Anna et lui ont à présent le temps de faire vraiment connaissance. Aux yeux des autres, ils forment un couple, mais ils dorment séparément, elle dans la chambre avec Flóra, lui sur le canapé. 

Conçu comme une « ode à la sensibilité masculine », Rosa candida (sous une couverture moins pertinente que l’original), montre avec une grande délicatesse comment un jeune homme plutôt candide, un « Saint François des fleurs » pour qui l’essence d’un jardin est « le jeu de l’ombre et de la lumière », découvre les gestes de l’amour paternel, de la vie sociale, rend la vie à une roseraie, s’initie à la cuisine, et s’interroge sur les raisons de vivre avec une femme dont il ne saisit pas encore toutes les intentions, présente et absente en même temps, imprévisible.

 

Commentaires

  • J'ai beaucoup aimé ce roman, et ayant eu l'occasion de discuter deux fois par l'auteur, j'ai pu comprendre dans quel contexte elle le situait, ainsi que les différences culturelles entre les Islandais et nous, qui n'empêche nullement d'apprécier le livre.

  • "avec" l'auteur, pardon. Parfois je me demande si le clavier ne tape pas ce qu'il veut et pas ce que je lui demande ..

  • @ Aifelle : Formidables échanges avec l'auteur, quel bon souvenir ce doit être.
    Avez-vous parlé du lieu de ce monastère mythique que le récit ne situe pas ? As-tu aussi pensé au Mont Saint Michel en l'imaginant ?

  • j'ai aimé ce roman mais avec moins d'enthousiasme que toi ou qu'Aifelle
    Il y a en effet beaucoup de délicatesse et de candeur dans le récit

  • Un oranger sous le ciel irlandais...
    une roseraie sur la terre islandaise ?

  • "De mémoire de rose
    On n'a vu mourir un jardinier.."
    Julos Beaucarne...tu la connais cette belle chanson?
    Jamais entendu parler de ce roman, ce que tu en dis me plaît bien, merci!
    Superbe rosace du bleu clair de mon Plumbago...

  • Ma connaissance littéraire étant très limitée je n'avais non plus entendu parler de ce roman . Mais votre présentation subtile et pleine de sensibilité (comme d'habitude ) m'a donné envie d'aller le lire de plus près .
    Je ne connais de roses à 8 pétales qu'une fleur nommée "Dryade à huit pétales" ou "Dryas octopetala ", du grand ordre des Rosales , famille des Rosaceae , sou-famille des Rosoideae , la même que celle des rosiers ou des églantiers .
    Cette petite fleur blanche pousse dans les Pelouses et rochers des hautes montagnes : Jura, Alpes de la Savoie, du Dauphiné, de la Provence ,Hautes-Corbières ;Pyrénées , Caucase, Sibérie , Amérique boréale.
    Je ne veux pas passer pour un scientifique car en botanique je n'y connais rien ou pas grand chose , par contre mon épouse à quelques solides notions apprises ( la chanceuse) avec un père ingénieur agronome .

  • @ Dominique : Le langage, le style en sont très simples, mais chez moi, le charme a pris, je le reconnais.

    @ JEA : Aux fleurs, il faut une bonne terre - et un bon jardinier, parfois.

    @ Colo : Bien sûr, je me souviens. Et Max Elskamp : http://textespretextes.blogs.lalibre.be/tag/elskamp

    @ Niki : Bonne lecture, Niki. Fais-nous connaître tes impressions.

    @ Gérard : Merci, Gérard, je vais aller voir à quoi ressemblent ces dryades à huit pétales, de la même famille que ces églantiers qui font aussi mon bonheur.

  • Elle ne l'a situé nulle part volontairement, que chaque lecteur se fasse sa propre représentation. Elle a pensé à plusieurs lieux en le décrivant et en a fait un mélange. Plusieurs le situait en Espagne (c'était aussi ma préférence), d'autres en Italie ou dans le Sud de la France. Ce qui est amusant, c'est que chacun avait une idée et s'y tenait. Tu es la première à suggérer le Mont Saint Michel, le climat paraît plutôt méditerranéen non ?

  • @ Aifelle : Oui, et la longue route, les champs de tournesols, tout cela évoque le Sud. Mais je pensais à l'unique rue du bourg, avec ses commerces, et à l'église en haut - fantaisie de l'imagination.

  • Voilà qui me décide à le lire; plusieurs fois, je l'ai pris, posé, repris et reposé... Ca n'arrivera plus. Merci Tania

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