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proust

  • Guirlandes

    proust,l'indifférent,littérature française,nouvelle,amour,mondanité,culture« Cela ne lui était pas nouveau et pourtant, avec l’obscure clairvoyance d’un jockey pendant la course ou d’un acteur pendant la représentation, elle se sentait ce soir triompher plus aisément et plus pleinement que de coutume. Sans un bijou, son corsage de tulle jaune couvert de catléias [sic], à sa chevelure noire aussi elle avait attaché quelques catléias qui suspendaient à cette tour d’ombre de pâles guirlandes de lumière. »

    Marcel Proust, L’Indifférent

    Le début lu par André Dussolier

  • Proust en revue

    Un siècle a passé depuis que Proust est mort d’une pneumonie à 51 ans, en novembre 1922. J’ai pensé à lui en relisant la mort de Bergotte« On l’enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient pour celui qui n’était plus, le symbole de sa résurrection » – puis en ouvrant un petit recueil de textes parus dans diverses revues, quand il avait un peu plus de vingt ans, une publication de 1001 nuits : L’Indifférent.

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    C’est le titre de la première nouvelle, la plus longue, sur le thème amoureux. « Madeleine de Gouvres venait d’arriver dans la loge de Mme Lawrence. » Contre l’avis de cette dernière qui juge Lepré (non invité) « très gentil mais très insignifiant », l’élégante Madeleine cherche à le rencontrer et l’invite à dîner, avant qu’il ne parte pour un long voyage.

    Malgré l’humiliation d’avoir dû insister pour qu’il accepte, elle compte sur sa beauté, sa réputation et « sa grande situation mondaine » pour le séduire. Veuve du marquis de Gouvres depuis quatre ans, elle voit bien que Lepré est inférieur aux hommes qui la fréquentent d’habitude. Mais elle pense que son indifférence est un masque, qu’il ne résistera pas à l’amour qu’elle éprouve pour lui. Chez elle, il se montre agréable, mais froid. Or il passe pour un « charmant homme ». Arrivera-t-elle à ses fins ?

    Avant la nuit raconte la confession inattendue d’une mourante à son meilleur ami, au risque de perdre son estime. Souvenir, une jolie histoire de parfum respiré dans un couloir du Grand Hôtel de T. (Trouville-sur-Mer). Contre l’obscurité tente de « dégager de la littérature contemporaine quelques vérités esthétiques », en particulier sur « l’obscurité des idées et des images » chez les jeunes poètes symbolistes.

    Dans « Passion malade », son commentaire à la suite de ces quatre textes de jeunesse publiés en 1893 et 1896, Jérôme Solal montre que ceux-ci « qui ne seront pas retenus pour le recueil Les plaisirs et les jours, premier livre publié par Proust en 1896, abordent les questions qui traverseront de part en part A la recherche du temps perdu. » Proust avant Proust, en quelque sorte.

  • Passé

    Proust Les 75 feuillets.jpg« Ce que l’intelligence nous rend sous le nom de passé n’est pas lui. En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie aussitôt morte s’incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive, à moins que nous ne rencontrions l’objet. A travers lui nous la reconnaissons, nous l’appelons et elle est délivrée. L’objet où elle se cache – ou la sensation puisque tout objet par rapport à nous est sensation – nous pouvons très bien ne le rencontrer jamais. Et c’est ainsi qu’il y a des heures de notre vie qui ne ressusciteront jamais. C’est que cet objet est si petit, si perdu dans le monde, il y a si peu de chances qu’il se trouve sur notre chemin. »

    Marcel Proust, Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits (VII)

  • Inédits de Proust

    75 feuillets ? J’ignorais tout de ces précieuses archives proustiennes, Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits de Marcel Proust, récemment publiées chez Gallimard. Dans cette édition établie par Nathalie Mauriac Dyer (arrière-petite-nièce de Proust et petite-fille de François Mauriac), celle-ci les fait suivre d’une notice, d’une chronologie et de notes qui éclairent ce qui constitue « le socle d’A la recherche du temps perdu », des feuillets écrits en 1908 et soigneusement conservés par Proust.

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    Source : Aux origines de “La Recherche” de Marcel Proust - YouTube (Gallimard)

    La préface de Jean-Yves Tadié s’intitule « Le moment sacré ». Le biographe et spécialiste de Proust y raconte comment, avant d’arriver à la BNF, ce manuscrit légendaire, le plus ancien de la Recherche, est resté chez l’éditeur Bernard de Fallois (décédé en 2018), à qui Suzy Mante-Proust, la fille du Dr Robert Proust, frère de l’écrivain, avait remis le fonds manuscrit dont elle avait hérité. Ces pages sans titre sur des souvenirs d’enfance et de deuil contiennent les vrais prénoms de la grand-mère, Adèle, de la mère, Jeanne, et du narrateur, Marcel : « Un petit enfant pleure à Combray, et il en sort un chef-d’œuvre. » (J.-Y. Tadié)

    Par commodité, les 76 pages écrites à l’encre, sans pagination, sont présentées sous des titres indicatifs : « Soirée à la campagne », « Le côté de Villebon et le côté de Meséglise », « Séjour au bord de la mer », « Jeunes filles », « Noms nobles » et « Venise ». Dès la première page, la grand-mère se fait remarquer par son excentricité : quand il commence à pleuvoir, elle continue à se promener dans les allées du jardin – à la campagne, il faut prendre l’air. Ce sera pareil au bord de la mer où elle pratique et fait pratiquer à son petit-fils la même hygiène du grand air sain. Ses proches se moquent d’elle mais elle n’est pas rancunière, elle se dévoue à sa famille.

    Le petit Marcel a horreur d’être séparé de sa mère et l’angoisse précédant le coucher commence pour lui dès qu’on allume les lampes et ferme les rideaux, avant même qu’il doive monter dans sa chambre. De nombreuses variations préparent la fameuse scène du « baiser du soir » qui ouvre Du côté de chez Swann (appellation plus tardive).

    Proust évoque les fleurs qu’il adore dans le jardin de son oncle et celles qu’il n’aime pas. L’aubépine rose est, écrit-il, l’arbuste qu’il a « le plus aimé ». Décrivant la promenade sur la route de Villebon, il note d’emblée ceci : « Et à voir que toute ma vie s’épuise à essayer de voir ces choses, je pense que là est peut-être le secret caché de la Vie. »

    Au bord de la mer, outre les manies de la grand-mère – le grand air l’obsède, elle rouvre les fenêtres de la salle à manger du restaurant de l’hôtel quand on les referme à cause du vent, sans souci des plaintes ; il faut passer sur la plage le plus de temps possible –, Marcel Proust observe une vieille dame installée à l’hôtel avec sa gouvernante, sa femme de chambre, son chauffeur, et qui s’y déplace « sans regarder personne ». Sa grand-mère aussi ignore les autres estivants, qu’elle les connaisse ou pas, elle évite soigneusement toute obligation mondaine.

    Son petit-fils, lui, aimerait bien qu’elle le présente à l’une ou l’autre de ses connaissances de bonne situation, afin d’être apprécié, ou du moins remarqué des jeunes filles qui se promènent en bande sans lui prêter d’attention, bien qu’il les observe. Il fera tout pour l’être. Pour lui, les noms nobles, noms de lieux ou de châteaux, sont des invitations au voyage, au rêve, à la poésie.

    Les « autres manuscrits de Marcel Proust » qui suivent les 75 feuillets contiennent des antécédents ou des reprises de ces motifs. L’un d’eux évoque une légende bretonne selon laquelle les âmes des morts passent dans quelque chose, un objet familier. Un autre, des visages de femmes qui éveillent le désir – « l’histoire des amours que je n’aurais pas vécues ».

    « Chaque jour j’attache moins de prix à l’intelligence. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n’est qu’en dehors d’elle que l’écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impressions passées, c’est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l’art. » Plus loin : « Et cette infériorité de l’intelligence, c’est tout de même à l’intelligence qu’il faut demander de l’établir. Car si l’intelligence ne mérite pas la couronne suprême c’est elle seule qui est capable de la décerner. »

    La lecture de ces inédits de Proust est passionnante. On est surpris de reconnaître si bien ce qu’ils annoncent de la Recherche et on prend conscience de l’énorme travail de transformation : un personnage remplace un autre, une fusion en fait apparaître un nouveau (Swann, par exemple), les noms changent et aussi les arbres, une couleur de cheveux… Surtout, les prénoms réels disparaissent : les souvenirs autobiographiques deviennent peu à peu des scènes romanesques. Troublant accès à « la crypte proustienne primitive » (quatrième de couverture).

  • Une vocation

    Proust Le temps retrouvé Poche.jpg« La perception de ces vérités me causait de la joie ; pourtant il me semblait me rappeler que plus d’une d’entre elles, je l’avais découverte dans la souffrance, d’autres dans de bien médiocres plaisirs. Alors, moins éclatante sans doute que celle qui m’avait fait apercevoir que l’oeuvre d’art était le seul moyen de retrouver le Temps perdu, une nouvelle lumière se fit en moi. Et je compris que tous ces matériaux de l’oeuvre littéraire, c’était ma vie passée ; je compris qu’ils étaient venus à moi, dans les plaisirs frivoles, dans la paresse, dans la tendresse, dans la douleur emmagasinée par moi, sans que je devinasse plus leur destination, leur survivance même, que la graine mettant en réserve tous les aliments qui nourriront la plante. Comme la graine, je pourrais mourir quand la plante se serait développée, et je me trouvais avoir vécu pour elle sans le savoir, sans que jamais ma vie me parût devoir entrer jamais en contact avec ces livres que j’aurais voulu écrire et pour lesquels, quand je me mettais autrefois à ma table, je ne trouvais pas de sujet. Ainsi toute ma vie jusqu’à ce jour aurait pu et n’aurait pas pu être résumée sous ce titre : Une vocation. »

    Marcel Proust, Le temps retrouvé