Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

pierre

  • Blason

    assouline,pierre,le dernier des camondo,récit,biographie,musée nissim de camondo,paris,juifs,rue de monceau,famille,histoire,société,collections,xviiie,art,culture« Les Camondo étaient fiers de leurs blason et armoiries, même s’ils savaient combien c’était dérisoire pour prouver l’ancienneté de leur famille. Finalement, qu’est-ce qui les distinguait des grands bourgeois fortunés ? Qu’est-ce qui leur permettait d’échapper au fameux jugement de La Bruyère, pour qui le bourgeois est noble par imitation et peuple par caractère ? Un titre, une particule, un mode de vie, la fréquentation d’une société, une haute idée de soi et des siens… Et l’impérieuse nécessité, l’irrépressible volonté, l’insondable désir de se différencier de leurs coreligionnaires. Comme si, en appartenant à « une grande famille », ils inventaient une autre manière d’être juifs. Car pour rien au monde ils n’auraient voulu être les égaux de leurs frères. »

    Blason de la famille Camondo © MAD, Paris

    assouline,pierre,le dernier des camondo,récit,biographie,musée nissim de camondo,paris,juifs,rue de monceau,famille,histoire,société,collections,xviiie,art,culture

     

    « Aussi exténué qu’exalté par l’atmosphère guerrière dans laquelle il survivait, il n’aimait rien tant que se rassembler à la campagne, soit du côté des Camondo, soit du côté des Cahen d’Anvers. Des photos prises au cours de l’été 2016 montrent Moïse et Nissim bavardant dans le jardin de la rue de Monceau enfoncés dans des fauteuils en osier, et le père si fier de son fils. »

    Pierre Assouline, Le dernier des Camondo

     

  • La saga des Camondo

    Le dernier des Camondo, de Pierre Assouline, accueille ses lecteurs en trois temps : une dédicace touchante – « A Maman, pour la remercier de m’avoir aidé dans mes premières rédactions » –, une épigraphe signée Marcel Proust – « Un peu d’éternel, ou tout au moins de durable, était entré dans la composition de cet éphémère… » et un arbre généalogique. D’Abraham Salomon Camondo (1781-1873) à Nissim de Camondo (1892-1917), le biographe raconte une saga familiale et bien davantage, l’histoire d’une famille entre Orient et Occident, entre fidélité aux racines et position sociale, entre prospérité financière et collection d’art.

    assouline,pierre,le dernier des camondo,récit,biographie,musée nissim de camondo,paris,juifs,rue de monceau,famille,histoire,société,collections,xviiie,art,culture 
    Le salon bleu  
    http://madparis.fr/en/museums/musee-nissim-de-camondo/views

    Son point de départ est aussi son point d’arrivée : le musée Nissim de Camondo au 63, rue de Monceau, dans le VIIIe arrondissement de Paris. (Ne l’ayant jamais visité, je me réjouis d’y prolonger cette lecture un jour.) Assouline y est entré pour la première fois en 1981, quand il enquêtait sur Marcel Dassault : « Depuis, cette maison m’habite. » Le premier chapitre décrit la rue de « toutes les grandes familles » – dix hôtels particuliers sur 95 numéros. En 1910, Moïse de Camondo y a fait raser l’Hôtel Violet et commandé à son architecte « non un musée mais une maison » pour ses collections du XVIIIe siècle, des meubles surtout, du « bon goût » sans ostentation. La description est impressionnante, enrichie d’un vocabulaire d’antiquaire : « chaises voyeuses », « marbre sérancolin », « gourgouran »…

    « On les appelait les Rothschild de l’Orient ». Dès l’évocation des ancêtres commerçants en Espagne, il est question de la situation des Juifs en Europe, d’abord tolérés puis rejetés, même les marranes – qui se convertit au catholicisme reste soupçonné d’être « juif dedans, chrétien dehors ». Certains se rendent au Portugal, en Italie, en Afrique du nord. Les Camondo, après Venise, choisissent « l’empire de la Sublime Porte » et y développent leurs talents de négociants.

    « Ils savent d’expérience qu’ils ne font que passer, que c’est leur destin, même si, chaque fois qu’ils s’installent, c’est pour toujours. » Abraham Salomon Camondo, né à Istanbul, devient « au milieu du XIXe siècle le plus riche des 200 000 juifs que comptait alors l’empire ottoman ». A 52 ans, il est l’héritier « et le seul maître de la banque Isaac Camondo et Cie » et règne sur un empire immobilier à Galata. Philanthrope généreux, il a son clan, les « Francos », qui « demeurent des Européens dans l’âme ».

    Abraham Camondo prend en charge une école juive et encourage la maîtrise des langues (le turc, le français, en plus de l’hébreu et du judéo-espagnol) pour « rendre les juifs compétitifs sur l’échiquier économique ». Au service de l’esprit des « Lumières », il se heurte aux mentalités archaïques : des rabbins conservateurs l’accusent de vouloir convertir les jeunes juifs au christianisme, on le juge « trop réformateur, trop moderne ». Après la mort de sa femme puis de son fils unique, à qui il offre des funérailles grandioses, Camondo retourne en Italie où Victor-Emmanuel II devient roi. En 1867, celui-ci l’anoblit, il portera le titre de « comte de Camondo », accordé trois ans plus tard également à son petit-fils Nissim de Camondo. Celui-ci, avec son frère Abraham, décide de transférer la banque familiale à Paris.

    Dans ce récit biographique très documenté, Pierre Assouline prend soin de situer chaque épisode de la saga familiale dans son contexte historique, économique et social. Il explique comment, dans la France de 1870, se répartissent les askhénases et les séfarades, les juifs « du pape » et ceux du Marais. Rotschild, premier des banquiers, rivalise avec Pereire. A la tête du Crédit mobilier, celui-ci vend aux Camondo le terrain de la rue de Monceau. Quand Abraham, le patriarche, meurt en 1873, il aura des doubles funérailles, à Paris puis à Constantinople, avec tous les honneurs.

    La France juive d’Edouard Drumont, en 1886, qui considère le « cosmopolitisme » juif contraire aux intérêts français (l’auteur fondera ensuite la Ligue nationale antisémite), reflète le changement de mentalité à la fin du XIXe siècle. Affaires et scandales vont se répercuter sur la réputation des Camondo, considérés comme des « Orientaux », « à la manière des Grecs qui considéraient comme barbares tous ceux qui n’étaient pas grecs ». Mais ils se tiennent à leur devise, « Fides et charitas », on ne fait pas appel en vain à leur générosité. En 1889, les deux petits-fils, Nissim et Abraham, meurent tous deux de maladie. Il ne reste alors que deux cousins Camondo : « Deux, c’est peu. Surtout quand l’un n’avait pas l’intention de fonder une famille, et que l’autre ne se voyait pas mourir banquier. »

    Isaac, 39 ans, et Moïse, 30 ans, sont célibataires. Isaac est collectionneur d’art et accumule acquisitions et appartements pour les y installer. « Comme une réponse de seigneur à l’antisémitisme ». Il souffre d’être considéré comme un amateur fortuné, compose de la musique. Moïse finit par reprendre le flambeau familial en épousant Irène Cahen d’Anvers en 1891, « une juive du meilleur monde », une femme ravissante. Renoir a peint son portrait à huit ans (La petite fille au ruban bleu), un tableau dont Assouline racontera l’histoire plus loin.

    assouline,pierre,le dernier des camondo,récit,biographie,musée nissim de camondo,paris,juifs,rue de monceau,famille,histoire,société,collections,xviiie,art,culture 
    Renoir, Portrait d'Irène Cahen d'Anvers

    L’adresse est d’importance dans le grand monde, où trois quartiers de Paris sont considérés comme « habitables » : le Faubourg Saint-Germain pour l’aristocratie française, le Faubourg Saint-Honoré où vivent les Rothschild et la plaine Monceau. Irène organise de belles réceptions dans son château de Champs-sur-Marne magnifiquement restauré. Moïse, comte de Camondo, tient son rang en devenant consul général de Serbie à Paris, en chassant à cheval, en fréquentant l’Opéra, les stations balnéaires, les clubs.

    Mais Irène, infidèle, finit par demander le divorce pour épouser le comte Sampieri, malgré le scandale. Moïse reporte alors toute son ambition sur ses enfants, Nissim et Béatrice, neuf et sept ans. Il se console en collectionnant puis en faisant construire son nouvel hôtel dans la rue de Monceau. Il gère aussi les donations de son cousin au Louvre après son décès : 130 peintures, pastels, aquarelles et dessins, 400 estampes japonaises.

    En 1914, le « petit Trianon » du comte de Camondo est achevé rue de Monceau. La guerre éclate. Son fils Nissim, 22 ans, engagé volontaire pour la France, meurt le 3 septembre 1917. Parmi les nombreux messages de sympathie, une lettre de Proust. Pierre Assouline suit pas à pas les dernières années de Moïse de Camondo, qui n’a pas fini de soutenir les arts ni d’entreprendre. Le dernier des Camondo a pris soin, dix ans avant sa mort en 1935, de léguer à l’Etat français cette « reconstitution d’une demeure artistique du XVIIIe siècle » pour le musée des Arts décoratifs, à condition de la conserver dans son intégralité.

  • Voix du texte

    Lemmen G. Dame lisant.jpg« On reconnaît un écrivain à sa voix. Il n’est que de le lire pour l’identifier. Un livre d’où elle ne se dégage pas, quand bien même d’autres l’appelleraient style, ton ou petite musique, n’est pas d’un écrivain mais d’un auteur. Une page, un paragraphe, parfois même une seule phrase suffisent à mettre un nom sur un texte, dès lors qu’on prête l’oreille au son qu’il émet. S’il est d’un inconnu qui signe là son premier roman, la voix suffit à flairer un nouvel écrivain. Ou pas. Elle permet de savoir à qui on a affaire, et qu’un tri s’opère. Qu’il s’agisse de Modiano, de Proust ou de Duras, la voix qui émane du livre ne trompe pas. Avec les étrangers, c’est plus délicat car la voix peut varier selon le traducteur, celui-ci superposant la sienne propre au romancier qu’il interprète en français. Mais des écrivains que l’on a eu le privilège de côtoyer et d’aimer, on retient au fond davantage la voix de la personne que celle de ses écrits. »

    Pierre Assouline, Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature

    Georges Lemmen (1865-1916), Dame lisant

  • Ecrivains de A à Z

    « Je hais les livres », annonce Pierre Assouline à l’entame de son Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature, las de ceux qui l’encombrent. « Quant à leurs auteurs, c’est autre chose. » Son plaisir à visiter des écrivains « est aussi une manière de dire qu’on a autant le goût des autres que celui des livres. » Sans prétendre à l’exhaustivité, son dictionnaire sera donc « subjectif, arbitraire, injuste ».

    assouline,pierre,dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature,écrivains,oeuvres,vie littéraire,littérature,culture 

    C’est une sorte d’autoportrait (comme il l’écrit à propos du Dictionnaire amoureux de Venise de Sollers) : un lecteur-journaliste-romancier-biographe livre ses admirations, ses rencontres, ses classiques et ses « classiques modernes », comme il dit. On n’est pas étonné d’apprendre que Pierre Assouline aime « les petites histoires sur les coulisses des élections » à l’Académie française, on l’est davantage en tombant ici sur des entrées comme « Bible » ou « Lecture numérique » – rien de ce qui touche au monde littéraire ne lui est étranger. 

    En découvrant ce dictionnaire, j’ai commencé deux listes. La première, bien sûr, est une liste de titres qu’il donne envie de lire. La seconde, abandonnée en cours de route, est celle de ses contacts personnels : Assouline a été l’ami de Blondin dans ses dernières années, il s’est rendu sur la tombe de Borges, il est tombé sous le charme de Nicolas Bouvier, il s’enorgueillit d’une lettre de réponse où Simenon, son grand maître, l’appelle « Cher confrère », il raconte un verre bu à Antibes avec Graham Greene, etc.

    Sur les écrivains qu’on a beaucoup lus, on est curieux de l’angle sous lequel il choisit d’en parler. Parfois on acquiesce – « J’aurais tant aimé être étudiante à l’école privée de Hayes Court dans le Kent en 1926 : j’aurais eu le privilège d’écouter Virginia Woolf expliquer comment on lit un livre. » (Lecture gratuite et désintéressée). Parfois pas. Assouline avertit : « Rien ne vaut l’écriture d’un Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature pour se faire de nouveaux ennemis. Il est vrai que tous ne gagnent pas à être connus, et que certains y gagnent surtout en mystère. »

    Il a pris « un doux plaisir à resserrer la focale sur un détail, quitte à exclure la vue d’ensemble, qu’il s’agisse de la vie d’un écrivain, de tel incident de l’histoire littéraire, d’un aspect très particulier d’une œuvre ». Ainsi, à propos de Bartleby le scribe, il consacre deux pages à la traduction française de « I would prefer not to ». 

    « Biographie : Meurt de son succès. » En France comme ailleurs, son âge d’or semble terminé. « Ce n’est pas tant le genre que l’époque qui a trop tiré sur la corde. En « peoplisant » à outrance la vie politique, artistique et culturelle, les médias ont tué le goût du public pour la biographie, longtemps terre d’élection du « misérable petit tas de secrets » cher à Malraux. » Assouline y voit un au revoir plutôt qu’un adieu, confiant dans le renouvellement du genre. De l’activité biographique, une des siennes, il explique avec humour pourquoi elle figure « au rang des pathologies littéraires », née non du goût des autres mais « du goût de la vie des autres ». (Vie de Samuel Johnson) 

    Dans un Dictionnaire amoureux, on récolte forcément des citations, comme celle-ci, magnifique : « Que d’autres se targuent des pages qu’ils ont écrites ; moi, je suis fier de celles que j’ai lues. » (Borges lecteur) Amusant, cet aveu d’un écrivain voyageur : « On part pour ne pas s’appeler Médor. » (Bouvier, Nicolas) Inattendue, cette formule d’un procureur lors du procès de Jérôme Kerviel chez qui il décèle « une variante financière du bovarysme, qui consiste à se voir autrement que l’on est, à se donner des sensations fortes » (Bovarysme)

    Assouline sait joliment condenser une personnalité : « Il avait l’élégance de parler de soi sans parler de lui. » (Bove, Emmanuel) « Rien n’exprime mieux cet homme-là que ses silences. » (Le Clezio) Parfois, il n’hésite pas à amuser la galerie : « « Citer, c’est ressusciter. » Ça sonne bien et ce n’est pas faux. Quelqu’un a dit cela un jour mais j’ai oublié qui. Donc c’est moi désormais. » (Citation)  

    A l’entrée « Blog », juste une définition : « Blog : Journal extime ». La république des livres de Pierre Assouline est un des blogs littéraires les plus suivis. C’est en connaissance de cause qu’il écrit : « En ligne, le goût des autres côtoie le dégoût de son prochain » ou encore « Poster un commentaire sous le billet d’un blog, c’est l’assurance de parler sans être interrompu. Un luxe de nos jours. » (Conversation en ligne)

    Composer un Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature semble une gageure, tant le sujet est vaste. Celui-ci se montre fidèle à l’esprit de la collection, une approche personnelle, moderne et non encyclopédique. On y découvre des préférences, des agacements, des souvenirs, des anecdotes et certaines expressions favorites comme « pour peu qu’on soit du bâtiment » ou « Mitteleuropa », « tellement plus chantant à nos oreilles que « germanosphère ! »

  • Chantre invisible

    assouline,pierre,sigmaringen,roman,littérature française,histoire,1944,1945,pétain,vichy,guerre,culture,extrait« La curiosité de Mlle Wolfermann était piquée au vif, plus encore qu’à l’accoutumée. En vain : ce chantre se faufilait dans l’église bien avant l’arrivée de la foule ; il se postait aux côtés de l’orgue de manière à n’être vu par personne, pas même par les occupants de la loge princière, mais dans un angle étudié et choisi pour le faire bénéficier de la meilleure acoustique ; seul l’organiste savait son identité, mais il demeurait d’une discrétion absolue à ce sujet. Celui-ci ne prenait même plus ombrage de ce que l’aura du chantre invisible éclipsait sa propre virtuosité, l’éclat de son jeu d’anches ou la sonorité distinguée de ses flûtes et hautbois ; de toute façon il n’était pas ingénieur, jamais sa technique n’étouffait l’art. »

    Pierre Assouline, Sigmaringen

    Entrée principale du château de Sigmaringen, photo Berthold Werner (Wikipedia)