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modiano - Page 5

  • Message

    antoine laurain,la femme au carnet rouge,roman,littérature française,écriture,culture,modiano« Depuis quatre jours, la place de Laure dans l’atelier était vide. Lorsqu’il ne l’avait pas vue arriver jeudi matin, il avait su que quelque chose n’allait pas. A onze heures, il avait laissé un message. A midi, un autre. A treize heures, il avait composé son numéro fixe. […] C’est encore William, j’ai quitté l’atelier, je passe chez moi prendre les clés de Belphégor et je viens chez toi, avait-il laissé comme ultime message sur le portable de Laure. C’est ainsi qu’ils nommaient entre eux le double des clés de son appartement – William ne l’utilisait que pour aller nourrir le chat lorsqu’elle était absente. »

    Antoine Laurain, La femme au carnet rouge

     

  • La femme au carnet

    La femme au carnet rouge (2014) d’Antoine Laurain est, comme l’indique la quatrième de couverture, « une délicieuse comédie romantique ». L’histoire est très simple : à Paris, une femme se fait agresser juste devant son immeuble, aux petites heures du matin, on lui vole son sac à main ; le lendemain, un homme le trouve sur une poubelle, vidé de ses objets de valeur.

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    Il n’en faut pas plus au romancier pour mettre en place une intrigue qui va bouleverser la vie des deux personnages. Laure, qui a reçu un coup à la tête, qui n’a plus ses clés, ne veut déranger personne : elle passe la nuit à l’hôtel en face de chez elle. Quand Laurent Letellier, libraire, va vers son café habituel et remarque le sac en cuir mauve abandonné, il décide de le porter au commissariat où on lui demande de patienter – une heure d’attente au moins. Il lui faut ouvrir la librairie, il remet ça au lendemain.

    A l’hôtel, on s’est inquiété de ne pas revoir l’occupante de la chambre 52 qui n’a pas été libérée pour midi comme prévu. En y entrant avec son passe, le concierge découvre la jeune femme inconsciente, du sang sur la serviette éponge sous sa tête. Il appelle les secours – Laure est dans le coma.

    Laurent habite juste au-dessus de sa librairie, Le Cahier rouge, c’est pratique. Il sait qu’un homme « ne fouille pas dans le sac d’une femme », mais espère y trouver un indice sur sa propriétaire. « En fait, il me faudrait une amie comme moi, je suis sûre que je serais ma meilleure amie. / Rêve de cette nuit : j’ai rêvé que Belphégor était un homme, cela me surprenait beaucoup et en même temps pas tant que ça, je savais que c’était lui, il était plutôt bel homme. »  Voilà ce qu’il lit dans un carnet Moleskine rouge rempli d’une écriture « élégante et souple ».

    Un flacon de parfum, un petit agenda sans nom ni adresse ou numéro de téléphone, une trousse de maquillage, des objets divers et variés, des clés… L’inventaire du sac mauve ne livre aucune identité mais révèle une personnalité – pour beaucoup de femmes, le sac à main renferme un petit monde personnel.

    Le libraire y trouve Accident nocturne (!) de Modiano, qui contient une dédicace – « L’écriture dansait devant ses yeux. Modiano, le plus insaisissable des écrivains français. Qui ne participait plus à aucune dédicace depuis des lustres et n’accordait que de très rares interviews. » Et voici qu’il lui livrait un prénom ! « Pour Laure, souvenir de notre rencontre sous la pluie. Patrick Modiano »

    Laurent n’a pas envie de partager ce mystère avec son amie Dominique très jalouse, une journaliste économique, mais quand celle-ci arrive chez lui, elle déclare immédiatement qu’une femme y est passée avant elle. Elle a senti des effluves d’Habanita« il avait eu la mauvaise idée d’appuyer sur le pulvérisateur ». Il dément. Quand elle découvrira une épingle à cheveux sur le tapis, le lendemain matin, il tentera de lui expliquer l’affaire, mais elle reste sceptique et part fâchée.

    Antoine Laurain distille joliment les ingrédients de son roman, à commencer par l’univers d’une librairie (qui vaut bien celui d’une papeterie japonaise). Ajoutez-y un chat (Belphégor, le chat de Laure) et même deux (avec Poutine, le chat de Chloé, la fille du libraire), un atelier d’art, un déchiffreur de hiéroglyphes, des références et des clins d’œil littéraires, le plaisir de marcher dans Paris et de s’y asseoir en terrasse, des courriels et des messages, des repas entre amis, une rupture… Et Modiano, à qui le roman rend hommage tout au long de l’enquête du libraire dans son quartier.

    Le carnet où Laure note ses réflexions joue un rôle clé. Malgré sa délicatesse habituelle et ses principes, Laurent y cherche des indices et accède du même coup à ce moi intime que très peu de ceux qui tiennent un journal ou prennent ce genre de notes livrent à d’autres, même proches. La femme au carnet rouge : Antoine Laurain a bien choisi le titre de cette histoire charmante, où un homme se laisse séduire d’abord par les mots d’une femme.

  • Trous de mémoire

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    Patrick Modiano, Encre sympathique

  • Modiano et l'oubli

    Que faut-il pour contrer un blocage vis-à-vis d’un écrivain ? Une autre lecture. Dora Bruder m’a donné envie de retourner dans l’univers de Patrick Modiano. Encre sympathique (2019) s’ouvre sur une épigraphe idéale de Maurice Blanchot : « Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir. »

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    L’incipit aussi donne bien le ton : « Il y a des blancs dans cette vie, des blancs que l’on devine si l’on ouvre le « dossier » : une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps. Presque blanc lui aussi, cet ancien bleu ciel. Et le mot « dossier » est écrit au milieu de la chemise. A l’encre noire. » Le seul dossier que le narrateur a conservé de son passage à vingt ans dans « l’agence de Hutte ». Il le rouvre un demi-siècle plus tard.

    Sa première mission avait été d’enquêter dans le voisinage d’une disparue, Noëlle Lefebvre, dont Hutte avait la carte des PTT retrouvée à son domicile, avec photo et adresse, destinée à retirer du courrier au guichet de la poste restante. La concierge ne l’avait plus revue depuis plus d’un mois, à la poste il n’y avait aucun courrier pour elle.

    A la terrasse du café où on la connaissait, l’enquêteur avait été abordé par un homme de son âge à qui le patron avait signalé qu’il cherchait Noëlle. Celui-ci voulant savoir à quel titre, il lui avait montré alors la carte des PTT, prétendant être un ami à qui elle confiait son courrier poste restante. Gérard Mourade, étonné, se demandait si son mari, Roger Behaviour, avec qui Noëlle habitait rue Vaugelas, était au courant de cette correspondance.

    Songeant à cette première rencontre lors d’un après-midi de printemps, le narrateur se rend compte qu’il ne lui en reste que des bribes « après un si grand nombre d’années ». L’agence enquêtait pour le compte d’un client, « Brainos, 194, avenue Victor-Hugo ». C’est ce nom qu’il avait communiqué à Mourade qui voulait savoir où lui l’avait connue, mais le nom ne lui disait rien.

    Tout de même, certains renseignements s’étaient glissés dans leur conversation : Noëlle travaillait chez Lancel, place de l’Opéra ; Roger pratiquait « un peu tous les métiers » ; Mourade suivait des cours de comédien et faisait de la figuration dans des films pour payer ses cours. Sur une impulsion, le narrateur-enquêteur avait improvisé : Noëlle et lui étaient nés dans la même région, « un village aux environs d’Annecy, Haute-Savoie. »

    Encre sympathique comporte de multiples indications de lieux, on n’en attend pas moins de cet arpenteur de Paris. Les nuances des couleurs y sont très précises aussi : « bleu Floride » pour l’encre des lettres envoyées à Noëlle poste restante, « un bleu très clair », « bleu outremer » des yeux  de Hutte se désintéressant bientôt du dossier qu’il lui a confié, le client ne s’étant plus manifesté.

    Dix ans plus tard, en attendant son tour chez le coiffeur, l’enquêteur était tombé sur le nom et une photo de Gérard Mourade dans un annuaire de cinéma. En s’en souvenant, il s’aperçoit qu’il a bien eu « un trou de mémoire » concernant ces dix années, lui qui ne tient ni journal ni agenda. « Désormais, il faut, dans la mesure du possible, que je m’efforce de respecter l’ordre chronologique, sinon je me perdrai dans ces zones où s’enchevêtrent la mémoire et l’oubli. »

    Une employée de la maroquinerie de l’Opéra lui a confié sa déception après le départ sans avertissement de son amie. Il a pris un verre avec un ami d’Annecy plus vu depuis des années et lui a parlé de la disparue. A Rome, il suit une Française dans la galerie « Gaspard de la Nuit ». Modiano plonge à la recherche du temps passé et ramène dans ses filets non seulement des noms et des lieux, mais surtout des rencontres. Son exploration de la mémoire et de ses pièges est envoûtante.

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    https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-12/1069891-speciale-patrick-modiano.html
    (mise à jour 26/6/2020)

    « A mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j’éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l’encre sympathique. » Si le titre désigne d’abord ces traces invisibles sur le papier, l’encre n’apparaissant « que sous l’action de la chaleur ou d’un réactif chimique » (TLF), il dit aussi l’attrait du narrateur pour révéler ses personnages et, en particulier, cette femme dont il suit les traces. Pourquoi cette obsession ? Je me garderai de dévoiler son aboutissement. Dans L’Obs, Jérôme Garcin considère Encre sympathique comme un roman « brumeux et magnétique. »

  • Solidarité

    modiano,dora bruder,récit,littérature française,juifs,occupation,paris,kichka,culture,shoah,histoire,société« Parmi les femmes que Dora a pu connaître aux Tourelles se trouvaient celles que les Allemands appelaient « amies des juifs » : une dizaine de Françaises « aryennes » qui eurent le courage, en juin, le premier jour où les juifs devaient porter l’étoile jaune, de la porter elles aussi en signe de solidarité, mais de manière fantaisiste et insolente pour les autorités d’occupation. L’une avait attaché une étoile au cou de son chien. Une autre y avait brodé : PAPOU. Une autre : JENNY. Une autre avait accroché huit étoiles à sa ceinture et sur chacune figurait une lettre de VICTOIRE. Toutes furent appréhendées dans la rue et conduites au commissariat le plus proche. Puis au dépôt de la Préfecture de police. Puis aux Tourelles. Puis, le 13 août, au camp de Drancy. Ces « amies des juifs » exerçaient les professions suivantes : dactylos. Papetière. Marchande de journaux. Femme de ménage. Employée des PTT. Etudiantes. »

    Patrick Modiano, Dora Bruder

    Photo prise à Malines, Kazerne Dossin.
    Musée et Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme