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littérature française - Page 190

  • Veil, Une vie

    A la réception de Simone Veil à l’Académie française, le 18 mars 2010, il était émouvant de l’entendre, au début de son remerciement, exprimer sa fierté et sa perplexité à entrer dans ce « temple de la langue française », elle qui n’a aucune prétention littéraire, et penser d’abord à sa mère, morte à Bergen-Belsen, et à son père, mort aussi en déportation. Cela m’a donné envie de lire son autobiographie, sous le titre emprunté à Maupassant : Une vie.

     

    Simone Veil Une vie.jpg

     

    Cette grande dame est née à Nice en 1927, après ses sœurs Milou (Madeleine) et Denise et son frère Jean. Les Jacob sont des Juifs assimilés, patriotes et laïques. Non religieux, son père architecte était attaché à la culture juive. Il ne supportait pas que ses enfants lisent de « petits romans » et les guidait vers la littérature classique ou moderne. Sa mère avait dû abandonner ses études de chimie, mais lui a transmis un fort désir d’autonomie, l’encourageant à étudier et à travailler pour assurer sa liberté et son indépendance.

     

    La crise de 1929 les oblige à déménager dans un appartement plus petit, près de l’église russe. Simone, la petite dernière, y vit heureuse et protégée. C’est le temps du bonheur, fait de petits riens. L’inquiétude naît avec l’afflux de réfugiés à Nice en 1936, la montée de l’hitlérisme. Septembre 1939, la guerre est déclarée. Au début, les Jacob mènent une vie normale jusqu’à ce que le « statut des Juifs » interdise à son père de travailler. Les difficultés financières lui sont une leçon : « Il faut non seulement travailler, mais avoir un vrai métier. » Les Italiens se montrent tolérants, mais à la chute de Mussolini, en 1943, tout change. La Gestapo procède à des arrestations massives. Ses parents se procurent de fausses cartes d’identité sans « J » et dispersent la famille. Simone loge chez un professeur de lettres. Mais un jour, la Gestapo l’arrête. Puis son frère, sa sœur Milou, sa mère. Et le 7 avril, ils sont dans le train pour Drancy, pleins d’angoisse, n’ayant aucune idée de ce qui les attend en Allemagne.

     

    Simone Veil rappelle à plusieurs reprises que les trois quarts des Juifs français ont échappé à la déportation grâce à l’existence de la zone libre et à l’occupation italienne, et grâce aussi aux Justes, connus ou inconnus. De son frère et de son père, il n’y aura plus jamais de nouvelles. Denise, résistante, sera arrêtée en juin 1944 et déportée. Quant à sa mère, à Milou et elle, ensemble, elles montent dans un wagon à bestiaux le 13 avril 1944 pour arriver le 15 à Auschwitz-Birkenau, où on lui tatoue le matricule 78651.

     

    Chapitre III d’Une vie : « L’Enfer ». Une voix inconnue lui souffle de dire qu’elle a dix-huit ans (au lieu de seize et demi), ce qui la garde dans la « bonne file » avec sa mère et sa sœur. Dépouillées, tatouées, désinfectées, elles reçoivent des nippes bourrées de poux. Sa mère lui est d’un grand réconfort, comme pour d’autres jeunes filles du camp. On les affecte à des travaux de terrassement.

     

    Dans le dénuement, le cadeau d’une architecte polonaise (deux robes, elle peut en offrir une à quelqu’un d’autre), et surtout la protection de la chef du camp, qui veut l’envoyer ailleurs pour qu’elle ait plus de chance de survivre. Simone voulant rester avec sa mère et sa sœur, les voilà toutes les trois transférées à Bobrek, où les conditions sont meilleures. C’est de là qu’elles partent en janvier 1945 pour une tristement célèbre « marche de la mort ». Elles survivent, se retrouvent à Dora, puis à Bergen-Belsen où Simone est affectée à la cuisine des SS, ce qui leur a sans doute évité de mourir de faim. Sa mère y meurt du typhus en mars 1945.

     

    Plus d’un mois après la libération du camp, les deux sœurs arrivent enfin à l’Hôtel Lutetia. Après la guerre, les déportés dérangent, on ne les écoute pas. Simone Veil se souvient des propos déplaisants entendus au retour des camps, des années après encore. Pour elle, « rien ne s’efface. » A Paris, elle s’inscrit en Droit, se passionne pour les Sciences Politiques. Au ski, elle rencontre les Veil qui ont le « même profil social et culturel que les Jacob ». Elle épouse Antoine Veil en 1946, ils auront trois fils.

     

    Comment est-elle entrée en politique ? D’abord, quand elle veut s’inscrire au barreau, son mari l’en dissuade ; elle choisit alors la magistrature. Stagiaire, elle apprend à construire des dossiers solides. Elle passe sept ans à la direction de l’administration pénitentiaire, avec « parfois le sentiment de plonger dans le moyen âge » en découvrant les conditions de détention, elle qui ressent une « sensibilité extrême à tout ce qui, dans les rapports humains, génère humiliation et abaissement de l’autre ». Puis elle travaille aux Affaires civiles, à rattraper les retards du droit sur les mouvements de la société. L’esprit de Mai 68 correspond alors à une réelle envie de faire bouger « une société figée ».

     

    Ensuite, de longues journées de travail au Ministère de la Justice, puis le secrétariat du Conseil supérieur de la magistrature. Au retour de son premier voyage en Israël – une « étape importante » dans sa vie –, c’est le choc de la mort de Pompidou, à qui succède Giscard. Chirac lui propose le Ministère de la Santé. On lui confie le gros dossier de l’avortement, qu’elle mène à bien, après avoir tout bien pesé, sans état d’âme, pour mettre fin aux drames qui touchent les femmes les plus pauvres, celles qui n’ont pas les moyens de se rendre à l’étranger. Puis ce sera l’Europe, comme première Présidente du Parlement européen. Les rencontres internationales. En 1993, elle revient au Ministère de la Santé et des Affaires sociales dans le gouvernement Balladur, déplore la mauvaise gestion des hôpitaux, le déficit grandissant de la Sécurité sociale.

     

    Simone Veil énonce sans détour ses convictions politiques, mais sans se laisser inféoder aux pratiques de parti – « La politique me passionne, mais dès qu’elle devient politicienne, elle cesse de m’intéresser. » Elle travaille à la Fondation pour la mémoire de la Shoah. De 1998 à 2007, elle siège au Conseil constitutionnel. Enfin, la voilà « rendue à une vie nouvelle, essentiellement familiale et privée », ce qui lui permet d’écrire sa vie, ce récit terminé en septembre 2007. En annexe, quelques discours prononcés à Auschwitz (janvier 2005), à l’Assemblée nationale (1974), au Parlement européen (1979), au Panthéon et à l’ONU (2007). On y retrouve une femme lucide, éprise de clarté, fidèle à ses valeurs, d’une hauteur de vue et d’une retenue exemplaires qui font d’elle une des sages de notre temps.

  • Feuillage du coeur

    Symbolisme - Mellery - Eglantier.JPG

    Xavier Mellery, L’Eglantier, 1895, Musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles © MRBAB, 2010


    Sous la cloche de cristal bleu

    De mes lasses mélancolies,

    Mes vagues douleurs abolies

    S'immobilisent peu à peu:

     

    Végétations de symboles,

    Nénuphars mornes des plaisirs,

    Palmes lentes de mes désirs,

    Mousses froides, lianes molles.

     

    Seul, un lys érige d'entre eux,

    Pâle et rigidement débile,

    Son ascension immobile

    Sur les feuillages douloureux,

     

    Et dans les lueurs qu'il épanche

    Comme une lune, peu à peu,

    Elève vers le cristal bleu

    Sa mystique prière blanche.

     

    Maeterlinck, Serres chaudes


    (cf. Le Symbolisme en Belgique, MRBA, Bruxelles)

  • Art de vivre

     « Selon cette science sociale oubliée, c’est la convention qui rend l’existence intéressante comme un morceau de théâtre. Le fait de porter des bijoux pour déjeuner, de se montrer aimable et souriant, d’être attentif aux autres et de s’exprimer clairement, tout cela donne une forme délectable au temps qui passe. Aller au musée, se promener dans les jardins publics, se retrouver à la messe du dimanche, prendre le thé, parler du dernier film ou du dernier roman : autant de mornes habitudes nous rappellent l’équilibre savant d’un ancien art de vivre. Même la fameuse hypocrisie bourgeoise devient une qualité quand elle consiste à masquer ses tourments, à laisser la part d’ombre dans l’ombre, plutôt que de donner le champ libre à la sincérité et aux conflits. Voilà toute une esthétique du quotidien que nous ne connaissons plus guère, depuis que nos vertus s’appellent franchise et naturel. »

     

    Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau 

    Boudin Eugène.jpg
  • Retours à Etretat

    Son histoire commence avec ses cousines de Paris « dans une poudre de lumière,
    un après-midi d’été ».
    Années soixante. Benoît Duteurtre, petit-fils de René Coty, alors jeune catholique de province (il habite Le Havre), retrouve à Etretat, avec un sentiment de « léger décalage social », la branche parisienne de la famille dans la propriété de leur illustre aïeul, « La Ramée ». Une villa enrichie au fil du temps, avec un « joli perron de bois exotique, dont les volutes et guirlandes avaient quelque chose de chinois, revu par la IIIe République ». Les pieds dans l’eau, ce sont les souvenirs de Duteurtre et surtout une évocation personnelle de la station balnéaire si bien décrite par Maupassant, si bien peinte par Boudin puis par Monet – « cette beauté surprenante, chaque fois que je redécouvrais les falaises encadrant le théâtre maritime ».

     

    Monet Claude, Étretat, la porte d'Aval bateaux de pêche sortant du port 1918.jpg

     

    Le hasard a voulu qu’au moment où je lisais que Le Perrey, la digue aménagée qui longe sa plage, bien plus qu’une simple promenade panoramique, permet de « mesurer la portée sociale (…) autant que métaphysique » d’Etretat, Envoyé spécial y montrait Vincent Lindon, dont le grand-père, Raymond Lindon, grand juriste parisien et maire d’Etretat, avait accueilli Coty en grande pompe en 1954. Dès le dix-neuvième siècle, « avec Maupassant, Monet, Offenbach, Maurice Leblanc, Etretat tenait le haut du pavé. »

     

    Duteurtre observe les vacanciers d’Etretat, distingue les touristes des familles anciennes aux rituels soigneusement entretenus. Horaire des baignades, manières d’entrer dans l’eau (« Réflexions sur le galet » fait un très joli chapitre), art de parler « pour passer le temps, sans se départir d’une amabilité délicieusement artificielle », relations de plage ignorées à Paris. Des passages d’une drôlerie irrésistible. Les saisons d’Etretat ont leurs réjouissances, comme la  Fête de la Mer, à l’Ascension, ou la revue musicale du dernier samedi du mois d’août. L’auteur aime tout ce qui lui rappelle « une civilisation disparue qui n’a pourtant pas fini de nous occuper l’esprit avec sa peinture, sa musique et sa littérature – toute cette modernité si proche et si mystérieuse, comme une ancienne photo de famille. »

     

    L’histoire de cette famille s’organise autour du Président de la République (1953-1959) et de ses deux filles, Elisabeth et Madeleine. Celles-ci incarnent deux tendances : « un côté sérieux, respectable, solennel » pour Coty et sa fille cadette, « un versant plus fantaisiste, souriant, léger » pour sa femme Germaine et leur fille aînée. Duteurtre retrace surtout sa propre histoire à partir de ses dix ans. S’il admire les valeurs généreuses de sa mère, « l’effort, la justice, le partage », il y voit aussi « une conception légèrement faussée de l’existence, selon laquelle chacun devait vivre d’abord « pour les autres » », au détriment d’autres dimensions auxquelles il est, lui, plus sensible, « comme le sens du plaisir, le goût de l’aventure, l’esthétique, la séduction… » Il raconte son adolescence, avec ses rébellions et ses conformismes, son goût pour la musique. La succession des générations, l’évolution des manières de vivre, le sort de la maison de famille, il les regarde en observateur lucide, volontiers ironique.

     

    Exemple. En 1990, une vingtaine de descendants de René Coty se retrouvent à l’Elysée. Vague espoir déçu de rencontrer un instant le président Mitterand. « On ne voulait pas déranger ; on ne faisait que passer très discrètement, car un de nos ancêtres avait travaillé à l’Elysée pendant cinq ans. Tout cela était loin, sans importance. On venait seulement jeter un coup d’œil, surtout qu’on ne s’occupe pas de nous. » C’est à lui, « l’écrivain de la famille », qu’est confiée la rédaction d’un compte rendu dans le journal Le Havre.

     

    Le siècle avance, Etretat change, les maisons passent en d’autres mains, La Ramée aussi. Si les conventions familiales lui pèsent parfois, Duteurtre fait pourtant l’éloge de la bourgeoisie dont l’ancien art de vivre lui est cher. « Il m’a fallu des années pour comprendre que cet exécrable monde bourgeois – « grand » ou « petit » – avait curieusement engendré la plupart des artistes que j’aimais. Esprits libres, inventeurs, fantaisistes, presque tous provenaient de ce milieu parisien ou provincial étriqué ». Son attitude est tantôt critique, tantôt nostalgique : « tout ce qui disparaît me désole ». Etretat, comme le reste du monde, s’est métamorphosé. Duteurtre, qui avoue avec humour détester la foule mais se passionner pour l’humanité, y reste à jamais attaché : « rien de plus fascinant que ce mélange de beauté immuable et de transformation du monde ».

  • Espace libre

    « Il arrive qu’aucune voix ne sorte de ma voix. Je veux revenir à la lecture silencieuse de qui n’a rien à produire, aucun son à émettre, aucun micro devant lui, promenant ses yeux sur une page pour l’instruction de son esprit, sans que lui soient comptés ni les mots ni les pages. Que mon cerveau ne soit pas la chambre close où je tourne encagé, mais un espace libre, étendu, infini, verdoyant. »

    Denis Podalydès, Voix off

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