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juifs - Page 10

  • Terres de sang / 1

    Ce livre attendait depuis longtemps sur l’étagère, je pressentais une lecture éprouvante. Terres de sang – L’Europe entre Hitler et Staline de Timothy Snyder (Bloodlands, 2010, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, 2012) est un essai historique dont les pages vous laissent pétrifiés, horrifiés, sans voix. Lecture indispensable pour qui souhaite une vue d’ensemble de la seconde guerre mondiale, dont nous ne connaissons souvent que ce qui concerne l’Europe de l’Ouest. C’est Charlotte Delbo qui m’a aidée à ouvrir ce livre. Encore merci à celle qui me l’a offert. J’y consacrerai plusieurs billets. 

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    Etendue de la famine 1932-1933 (Perspectives ukrainiennes) 

    Snyder, né en 1969, enseigne l’histoire de l’Europe centrale et orientale à l’université de Yale. Son essai parle des 14 millions de victimes – pas une n’était un soldat en service – massacrées entre 1933 et 1945 sur les terres de sang qui vont «  de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes ». Il raconte « l’histoire d’un meurtre politique de masse », l’interaction des politiques de tuerie soviétique et nazie. Sur ces 14 millions de personnes, « un tiers sont à mettre au compte des Soviétiques ».

    « J’aurais voulu citer tous les noms un par un, mais on a pris la liste, il ne reste plus rien. » (Anna Akhmatova, Requiem) Les nombres ne doivent pas masquer toutes ces vies individuelles effacées. L’historien insiste dans sa préface sur la forme de son étude née « non pas de la géographie politique des empires, mais de la géographie humaine des victimes. »

    Après la première Guerre mondiale, Berlin et Moscou souhaitent changer l’ordre européen aux dépens de la Pologne. Le « grenier » ukrainien attise aussi leur convoitise. Avec Hitler et Staline au pouvoir, « plus de gens furent tués en Ukraine que partout ailleurs. » A qui s’en étonnerait, le chapitre consacré aux « Famines soviétiques » apprendra beaucoup. 1933 fut une année de faim dans le monde occidental mais aussi dans les villes soviétiques et en Ukraine. Les paysans privés d’abord de leurs récoltes, puis de leurs semences, allaient jusqu’à mendier en ville, un comble. Le plan quinquennal de Staline (1928-1932) avait pour objectif le développement industriel, la mort des paysans en fut le prix.

    D’abord par la guerre déclarée aux « koulaks en tant que classe » : dans chaque localité, une « troïka » (un policier, un responsable local du parti, un procureur) décide du sort des paysans, sans appel possible. Déporté vers la Sibérie, le Kazakhstan ou les îles Solovki, le paysan ukrainien devient un travailleur du Goulag – un « second servage ». Ensuite par la collectivisation, dont le fiasco déclenche une famine comme on n’en avait jamais vu, due aux exportations alimentaires vers la Russie soviétique.

    Staline le sait, ne fait rien pour y mettre fin. Au contraire. Accusant les affamés de vouloir saper les progrès du socialisme ou de viser des fins nationalistes, il prend des mesures qui aggravent encore la situation des Ukrainiens, engendrant le crime, le cannibalisme – y compris dans les familles –, la mort. « Pour l’Ukraine soviétique, on peut raisonnablement avancer un chiffre d’environ 3,3 millions de morts de faim ou de maladies liées à la famine en 1932-1933. »

    La plus grande famine artificielle de l’histoire. Peu de journalistes et de diplomates étrangers prennent la mesure de l’horreur. Orwell en a fait l’exemple « de la vérité noire que les artistes de la langue avaient recouverte de couleurs vives ». Un journaliste anglais, anonymement, dénonce « un des crimes les plus monstrueux de l’histoire, si terrible qu’à l’avenir on aura peine à croire que ça s’est produit. »

    Il faut lire Terres de sang pour suivre point par point, faits et témoignages à l’appui, l’analyse de ces politiques meurtrières. La nazification de l’Allemagne a masqué aux yeux des Européens la réalité de la révolution stalinienne en Union Soviétique. Beaucoup espéraient faire de l’URSS une alliée. Or les deux systèmes consolident leur pouvoir dès 1933. Snyder montre leurs différences – Hitler refusant la collectivisation, Staline se posant en « antifasciste » – et leur convergence.

    Après la guerre aux koulaks, Staline et le Politburo s’en prennent aux « éléments antisoviétiques », condamnant à mort tout contre-révolutionnaire et instaurant des « quotas d’exécution et d’emprisonnement », présentés officiellement comme des limites (les officiers locaux du NKVD savent qu’ils auront à s’expliquer si ces limites n’étaient pas atteintes et les débordent systématiquement). « La Grande Terreur fut une troisième révolution soviétique. » En URSS, les Polonais furent les principales victimes du « meurtre national de masse » initié par Staline, où qu’ils soient sur les « terres de sang ».

    Auschwitz est aujourd’hui le « site de tuerie » le mieux connu, grâce aux témoignages des survivants. Mais Hitler ne voulait pas seulement éradiquer les Juifs, il voulait aussi détruire la Pologne et l’Union Soviétique, plus tard. L’attaque de la Pologne par la Wehrmacht le premier septembre 1939, après le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août, ouvre la moitié du pays à l’Union soviétique. Terreur allemande dans le ciel polonais, puis un demi-million de soldats de l’Armée rouge en Pologne, suscitant à la fois peur et espoir – vite détrompé : les officiers polonais se retrouvent dans des camps, les Soviétiques font plus de cent mille prisonniers de guerre – « une sorte de décapitation de la société polonaise ».

    A l’ouest de la ligne Molotov-Ribbentrop, les SS ont les mains libres pour éliminer en priorité les classes instruites, pour terroriser les Juifs afin qu’ils fuient à l’est. En zone soviétique, de nouveaux passeports intérieurs sont exigés. Les Polonais, considérés comme dangereux, sont déportés vers le Goulag, comme les koulaks avant eux. Ce n’est pas seulement de l’hiver exceptionnellement froid de 1939-1940 que souffrent les prisonniers polonais. Après interrogatoire, on les emmène au sous-sol pour leur loger une balle dans la nuque. En Europe occidentale, on parle alors de la « drôle de guerre » où apparemment, il ne se passe rien.

    Comment se débarrasser des deux millions de Juifs de leur moitié de la Pologne, voilà ce qui préoccupait les dirigeants nazis en 1940. Eichmann propose de les déporter à l’est, mais « l’opération n’intéressait pas Staline. » C’est à cette époque que Julius Margolin est arrêté (Voyage au pays des ze-ka). Alors on constitue des ghettos, à Lodz, à Varsovie et ailleurs – « autant de camps de travail improvisés et enclos en 1940-41. » Un nouveau camp est créé près de Cracovie : Auschwitz. On y expédie d’abord des détenus politiques polonais ; en novembre, le camp devient un site d’exécution.

    (A suivre)

  • Réfugiés

    « Alors qu’ils se promenaient sur la Via Veneto un jour où les élégants magasins avaient installé des tables dehors et offraient aux passants du champagne et des chocolats pour célébrer Pâques, un homme en costume croisé gris foncé à fines rayures gris clair sourit à Elena et lui offrit une rose, avec un compliment en italien où elle comprit les mots « bella donna » et « primavera ». Elle rougit et le remercia. Elle portait une robe blousante en nylon bleu, à la jupe évasée, qui venait de Bucarest, propre car elle la lavait tous les jours ; mais la mode à Rome, elle l’avait remarqué, était aux petites robes droites et sans manches. Les chemises de Jacob et d’Alexandru, qui n’étaient même pas repassées, avaient l’air fatigué. Elle se vit, elle, son mari et son fils, par les yeux de cet Italien d’une élégance raffinée. De pauvres gens qui tenaient un sac en papier rempli de petits pains ronds, des réfugiés politiques dont l’origine d’Europe de l’Est était trahie par leurs chaussures, leurs vêtements et leurs coupes de cheveux. Cet homme lui avait tendu la rose parce qu’elle lui faisait pitié. »

     

    Catherine Cusset, Un brillant avenir

     

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  • Elena-Helen

    Prix Goncourt des Lycéens 2008, Un brillant avenir de Catherine Cusset déroule la vie d’Elena-Helen, une petite Roumaine devenue citoyenne américaine. Fille, amante, épouse et mère, veuve (ce sont les quatre parties), un portrait éclaté puisque le récit change de période à chaque chapitre, de 1941, « La petite fille de Bessarabie », à 2006, « Demain, Camille » (sa petite-fille).

     

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    Gratte-ciel de New York vus depuis Central Park par Florian Pépellin (Wikimedia commons images)

     

    A quoi tend cette fragmentation ? Le refus de la chronologie est dans l’esprit du temps, « qui n’est parfois que la mode du temps » (Yourcenar), les professeurs d’histoire ou d’histoire littéraire ont depuis belle lurette été priés d’y renoncer dans l’enseignement secondaire pour des raisons qui ne m’ont jamais totalement convaincue. Dans la littérature contemporaine, le facettage de l’intrigue tient parfois davantage à la mise en forme du texte qu’à une nécessité interne. Ici Catherine Cusset se place sous l'égide de Sebald : « J’ai de plus en plus l’impression que le temps n’existe absolument pas, qu’au contraire il n’y a que des espaces imbriqués les uns dans les autres… »

     

    C’est donc par épisodes et dans le désordre que nous est raconté le destin particulier d’une femme que l’on pourrait justement caractériser par la volonté de se construire un destin, pour elle d’abord, puis pour son fils, avec Jacob, le séduisant jeune homme aux cheveux noirs et à la peau mate qu'elle a épousé contre l’avis de ses parents antisémites. Un brillant avenir commence par la mort dramatique de ce mari, atteint de la maladie d’Alzheimer, avant de remonter à l’enfance de la petite Elena, « Lenoush », fuyant un pays bientôt occupé par les Soviétiques avec son oncle et sa tante. C’est le premier d’une longue série de voyages et de déménagements, d’abord avec ceux-ci qui deviendront ses parents adoptifs, Elena portera désormais le nom de Tiburescu.

     

    A New-York, elle s’appelle Helen Tibb, et quand à la fin des années quatre-vingts, son fils Alexandru lui annonce au téléphone qu’il pense venir chez elle le lendemain, « avec quelqu’un », elle se réjouit en espérant que cette fois, à vingt-six ans, il a rencontré la femme de sa vie. Marie est française, a priori un bon point aux yeux d’Helen qui a appris le français en Roumanie, mais aussi une crainte : la jeune femme conçoit sans doute sa vie en Europe, or Helen et Jacob ont choisi de vivre aux Etats-Unis pour être libres, pour échapper aux préjugés concernant les juifs, pour fuir la dictature de Ceaucescu. En France, avec son accent, leur fils n’aurait accès qu’à des emplois subalternes, loin du « brillant avenir » dont ils rêvent pour lui.

     

    Mais Marie et Alex s’aiment vraiment et comptent vivre aux Etats-Unis. Comme Elena et Jacob ont tenu bon malgré l’hostilité des parents, eux aussi se marient sans leur approbation. Helen est nommée vice-présidente dans la société d’informatique qui l’emploie. La réussite professionnelle et la réussite familiale, voilà ce qui compte avant tout à ses yeux. Son père l’avait envoyée dans un lycée technique pour qu’elle puisse vivre en femme indépendante et elle est devenue experte en physique nucléaire. Hors de Roumanie, elle s’est tournée vers une autre voie prometteuse.

     

    Intelligente et volontaire, Helen se montre aussi possessive et autoritaire, Catherine Cusset en fait une belle-mère maladroite, peu affectueuse. La romancière entremêle l’histoire des deux couples, celui d’Helen et de Jacob bâti sur une fidélité sans faille, celui d’Alex et de Marie formé sur des bases et dans un contexte très différents. Mais Un brillant avenir est surtout l’évocation d’un destin de femme dans la seconde moitié du XXe siècle, avec ses choix et ses peurs, sa réussite et ses faiblesses, et la part la plus attachante d’Helen se révèle dans sa confrontation avec Marie, la femme de son fils, si différente d’elle, avec qui elle a tant de mal à s’entendre.

     

    L’intérêt du roman naît de ces caractères, et surtout de leur évolution à travers plusieurs époques et d’un continent à l’autre. Le style de Catherine Cusset, assez sec, et la fragmentation du récit – propice aux rapprochements mais fastidieuse – m’ont tenue un peu à distance de cette « bouleversante saga ».  Un brillant avenir est néanmoins un roman cosmopolite ambitieux, qui offre à ses lecteurs plus d’un éclairage sur les réalités de notre temps.

  • Modèle

    « Aujourd’hui encore, plus de soixante ans après, je me rends compte que
    je n’ai jamais pu me résigner à sa disparition. D’une certaine façon, je ne l’ai jamais acceptée. Chaque jour, maman se tient près de moi, et je sais que ce que j’ai pu accomplir dans ma vie l’a été grâce à elle. C’est elle qui m’a animée et donné la volonté d’agir. Sans doute n’ai-je pas la même indulgence qu’elle. Sur bien des points, elle me jugerait avec une certaine sévérité. Elle me trouverait trop peu conciliante, pas toujours assez douce avec les autres, et elle n’aurait pas tort. Pour toutes ces raisons, elle demeure mon modèle, car elle a toujours su affirmer des convictions très fortes tout en faisant preuve de modération,
    une sagesse dont je sais que je ne suis pas toujours capable. »

    Simone Veil, Une vie

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    Jean Vervisch, Maternité

  • Veil, Une vie

    A la réception de Simone Veil à l’Académie française, le 18 mars 2010, il était émouvant de l’entendre, au début de son remerciement, exprimer sa fierté et sa perplexité à entrer dans ce « temple de la langue française », elle qui n’a aucune prétention littéraire, et penser d’abord à sa mère, morte à Bergen-Belsen, et à son père, mort aussi en déportation. Cela m’a donné envie de lire son autobiographie, sous le titre emprunté à Maupassant : Une vie.

     

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    Cette grande dame est née à Nice en 1927, après ses sœurs Milou (Madeleine) et Denise et son frère Jean. Les Jacob sont des Juifs assimilés, patriotes et laïques. Non religieux, son père architecte était attaché à la culture juive. Il ne supportait pas que ses enfants lisent de « petits romans » et les guidait vers la littérature classique ou moderne. Sa mère avait dû abandonner ses études de chimie, mais lui a transmis un fort désir d’autonomie, l’encourageant à étudier et à travailler pour assurer sa liberté et son indépendance.

     

    La crise de 1929 les oblige à déménager dans un appartement plus petit, près de l’église russe. Simone, la petite dernière, y vit heureuse et protégée. C’est le temps du bonheur, fait de petits riens. L’inquiétude naît avec l’afflux de réfugiés à Nice en 1936, la montée de l’hitlérisme. Septembre 1939, la guerre est déclarée. Au début, les Jacob mènent une vie normale jusqu’à ce que le « statut des Juifs » interdise à son père de travailler. Les difficultés financières lui sont une leçon : « Il faut non seulement travailler, mais avoir un vrai métier. » Les Italiens se montrent tolérants, mais à la chute de Mussolini, en 1943, tout change. La Gestapo procède à des arrestations massives. Ses parents se procurent de fausses cartes d’identité sans « J » et dispersent la famille. Simone loge chez un professeur de lettres. Mais un jour, la Gestapo l’arrête. Puis son frère, sa sœur Milou, sa mère. Et le 7 avril, ils sont dans le train pour Drancy, pleins d’angoisse, n’ayant aucune idée de ce qui les attend en Allemagne.

     

    Simone Veil rappelle à plusieurs reprises que les trois quarts des Juifs français ont échappé à la déportation grâce à l’existence de la zone libre et à l’occupation italienne, et grâce aussi aux Justes, connus ou inconnus. De son frère et de son père, il n’y aura plus jamais de nouvelles. Denise, résistante, sera arrêtée en juin 1944 et déportée. Quant à sa mère, à Milou et elle, ensemble, elles montent dans un wagon à bestiaux le 13 avril 1944 pour arriver le 15 à Auschwitz-Birkenau, où on lui tatoue le matricule 78651.

     

    Chapitre III d’Une vie : « L’Enfer ». Une voix inconnue lui souffle de dire qu’elle a dix-huit ans (au lieu de seize et demi), ce qui la garde dans la « bonne file » avec sa mère et sa sœur. Dépouillées, tatouées, désinfectées, elles reçoivent des nippes bourrées de poux. Sa mère lui est d’un grand réconfort, comme pour d’autres jeunes filles du camp. On les affecte à des travaux de terrassement.

     

    Dans le dénuement, le cadeau d’une architecte polonaise (deux robes, elle peut en offrir une à quelqu’un d’autre), et surtout la protection de la chef du camp, qui veut l’envoyer ailleurs pour qu’elle ait plus de chance de survivre. Simone voulant rester avec sa mère et sa sœur, les voilà toutes les trois transférées à Bobrek, où les conditions sont meilleures. C’est de là qu’elles partent en janvier 1945 pour une tristement célèbre « marche de la mort ». Elles survivent, se retrouvent à Dora, puis à Bergen-Belsen où Simone est affectée à la cuisine des SS, ce qui leur a sans doute évité de mourir de faim. Sa mère y meurt du typhus en mars 1945.

     

    Plus d’un mois après la libération du camp, les deux sœurs arrivent enfin à l’Hôtel Lutetia. Après la guerre, les déportés dérangent, on ne les écoute pas. Simone Veil se souvient des propos déplaisants entendus au retour des camps, des années après encore. Pour elle, « rien ne s’efface. » A Paris, elle s’inscrit en Droit, se passionne pour les Sciences Politiques. Au ski, elle rencontre les Veil qui ont le « même profil social et culturel que les Jacob ». Elle épouse Antoine Veil en 1946, ils auront trois fils.

     

    Comment est-elle entrée en politique ? D’abord, quand elle veut s’inscrire au barreau, son mari l’en dissuade ; elle choisit alors la magistrature. Stagiaire, elle apprend à construire des dossiers solides. Elle passe sept ans à la direction de l’administration pénitentiaire, avec « parfois le sentiment de plonger dans le moyen âge » en découvrant les conditions de détention, elle qui ressent une « sensibilité extrême à tout ce qui, dans les rapports humains, génère humiliation et abaissement de l’autre ». Puis elle travaille aux Affaires civiles, à rattraper les retards du droit sur les mouvements de la société. L’esprit de Mai 68 correspond alors à une réelle envie de faire bouger « une société figée ».

     

    Ensuite, de longues journées de travail au Ministère de la Justice, puis le secrétariat du Conseil supérieur de la magistrature. Au retour de son premier voyage en Israël – une « étape importante » dans sa vie –, c’est le choc de la mort de Pompidou, à qui succède Giscard. Chirac lui propose le Ministère de la Santé. On lui confie le gros dossier de l’avortement, qu’elle mène à bien, après avoir tout bien pesé, sans état d’âme, pour mettre fin aux drames qui touchent les femmes les plus pauvres, celles qui n’ont pas les moyens de se rendre à l’étranger. Puis ce sera l’Europe, comme première Présidente du Parlement européen. Les rencontres internationales. En 1993, elle revient au Ministère de la Santé et des Affaires sociales dans le gouvernement Balladur, déplore la mauvaise gestion des hôpitaux, le déficit grandissant de la Sécurité sociale.

     

    Simone Veil énonce sans détour ses convictions politiques, mais sans se laisser inféoder aux pratiques de parti – « La politique me passionne, mais dès qu’elle devient politicienne, elle cesse de m’intéresser. » Elle travaille à la Fondation pour la mémoire de la Shoah. De 1998 à 2007, elle siège au Conseil constitutionnel. Enfin, la voilà « rendue à une vie nouvelle, essentiellement familiale et privée », ce qui lui permet d’écrire sa vie, ce récit terminé en septembre 2007. En annexe, quelques discours prononcés à Auschwitz (janvier 2005), à l’Assemblée nationale (1974), au Parlement européen (1979), au Panthéon et à l’ONU (2007). On y retrouve une femme lucide, éprise de clarté, fidèle à ses valeurs, d’une hauteur de vue et d’une retenue exemplaires qui font d’elle une des sages de notre temps.