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essai - Page 18

  • Lecture d'un portrait

    Portret van een jonge vrouw (Portrait d’une jeune femme) est un petit livre illustré publié en 2019 par la Fondation Phoebus. Sous ce titre, Leen Kelchtermans, historienne de l’art, raconte l’histoire du tableau éponyme, dû à un maître anversois anonyme, montré cette année à l’Orangerie du château de Moorsel dans le cadre d’une grande exposition sur la dentelle, du Moyen Age à nos jours.

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    Maître anversois anonyme, Portrait d'une jeune femme, 1613,
    huile sur panneau, 107 x 77 cm,
    The Phoebus Foundation, Antwerpen

    La collection Phoebus Focus est dédiée à la recherche de l’histoire cachée derrière une œuvre d’art. C’est ce que fait ici l’essayiste en interrogeant le contexte et tous les détails de ce portrait minutieux. « How to look chic ? » Voilà une question que se posent bien des candidates à l’élégance sur les réseaux sociaux. Nul doute que cette jeune femme, avec ses dentelles et ses bijoux, pouvait y prétendre. Elle maîtrise l’art du paraître au XVIIe siècle.

    « Une jeune femme se tient devant un mur gris foncé et nous regarde, avec un sourire parcimonieux. » (L. K.) Son col délicatement travaillé, ses accessoires coûteux attirent notre attention et aussi ce jeune visage, ces yeux en amande. Sa main droite est posée du bout des doigts sur une table couverte d’un tissu vert. En haut à droite, l’inscription « A°.1613 » indique l’année où le peintre l’a immortalisée. Ni lui ni elle ne sont identifiés.

    La qualité du tableau, la précision dans le rendu de la peau, des vêtements, des bijoux, illustrent l’essor de l’art du portrait flamand à cette époque, un genre prisé par les riches marchands. Leen Kelchtermans interroge tous les aspects de cette représentation : l’apparence, la parure, les accessoires, la pose, le regard. Elle propose une véritable incursion dans le monde du portrait féminin baroque. D’autres portraits de la même époque signés de grands maîtres lui seront comparés, avec leurs ressemblances ou variantes par rapport au Portrait d’une jeune femme.

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    Maître anversois anonyme, Portrait d'une jeune femme, 1613 (détail)

    La fraise ornée de dentelle, « collerette de lingerie finement tuyautée, plissée ou godronnée, souvent fort importante et sur plusieurs rangs, tournant autour du cou qui fut portée par les hommes et les femmes des XVIe et XVIIe siècles » (TLF), entoure le visage d’une façon spectaculaire, de même que les manchettes sur ses poignets. La jeune femme porte en plus un double rang de perles autour du cou, perles qu’on retrouve sur une sorte de diadème et sur la croix qui y est accrochée, ainsi qu’au poignet droit.

    En 1625, Jacob Cats, dit « Vader Cats », zélandais et calviniste, a publié « Houwelick », un traité de bonnes manières : une femme des Pays-Bas du Nord pouvait y lire comment il convenait de se comporter à chaque étape de sa vie, en tant que vierge, célibataire, épouse, mère, veuve. Ce bestseller est riche d’enseignements sur la condition féminine, les règles et les normes de l’époque.

    La mode vestimentaire féminine évoluera lentement au cours du XVIIe siècle, l’influence espagnole, le goût pieux pour le noir et le blanc, les tenues strictes cédant peu à peu la place à plus de souplesse, aux couleurs pastel, avec l’abandon de la fraise pour un décolleté d’une épaule à l’autre, à la française. La jeune femme du portrait porte de très beaux vêtements, avec un contraste marqué de la soie finement brodée en couleurs avec la jupe et le manteau noirs. Ses bijoux témoignent de son rang social : perles, rubis, diamants, couvrant d’oreille maintenant le diadème, chaîne en or travaillée avec pendentif autour de la taille, bagues.

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    Maître anversois anonyme, Portrait d'une jeune femme, 1613 (détail)

    Qui est-elle ? Sans doute une femme mariée. Son attitude légèrement tournée vers la droite indique qu’elle se tenait à gauche de son mari qui, sur le pendant, devait se tourner légèrement vers la gauche, ainsi qu’il convenait pour représenter deux époux, on peut le vérifier sur maints portraits de l’époque. Selon Leen Kelchtermans, la Bible est à origine de ces connotations de la droite et de la gauche, indiquant la supériorité et l’infériorité.

    Sa lecture de ce Portrait est passionnante, approfondie point par point. Elle se termine sur un examen du regard pénétrant, assuré, auquel le peintre a donné vie par de petites touches de blanc. L’œuvre, surtout de « représentation », est riche de renseignements sociologiques. L’artiste, en faisant le portrait de cette jeune femme, l’a représentée dans sa beauté idéale et dans le respect des conventions (édictées par les hommes) liées à son statut d’épouse.

    Dans ce petit livre d’art très bien illustré, quasi une page sur deux montre une reproduction en pleine page ou un gros plan d’une partie du tableau. L’analyse précise et documentée de ce Portrait d’une jeune femme donne envie d’explorer cette collection. Peut-être disposera-t-on un jour d’une traduction française ? Merci à celle qui me l’a mis entre les mains.

    * * *

    P.-S. Après contact avec la Fondation Phoebus, j’ajoute que le livre de Leen Kelchtermans sera traduit en anglais l’an prochain ; la traduction française n’est pas encore prévue. Pour info, la collection Phoebus Focus sera bientôt disponible en librairie et en ligne. (13/12/2019)

  • Première classe

    Delvaux Train World (43) TEE.JPGEn 1963, à l’occasion de l’électrification complète de la ligne Paris - Bruxelles - Amsterdam, la SNCB et la SNCF ont mis en service une nouvelle génération de voitures internationales circulant sous le label Trans Europ Express (TEE). Afin de décorer les voitures TEE de première classe et de mettre à l’honneur des talents artistiques belges, la SNCB avait à l’époque commandé un ensemble de quatre tableaux auprès de plusieurs peintres belges, dont Paul Delvaux.

    En collaboration avec la Fondation Paul Delvaux, la SNCB a fait restaurer ces quatre tableaux par l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA). L’ensemble de cette restauration a duré près d’un an.

    Quatre peintures de Paul Delvaux, Gare la Nuit I & II et Gare de Jour I & II, ont rejoint récemment les collections permanentes de Train World. C’est la CEO de la SNCB, Sophie Dutordoir, découvrant à son arrivée au sein de l’entreprise ferroviaire ces quatre tableaux dans son bureau, qui a tenu à les mettre de façon permanente à disposition du grand public.

    Source : Train World | © Paul Delvaux, Gare de jour, I, 1963 – Bruxelles, Collection SNCB / Train World Heritage

    Expo Paul Delvaux. L’homme qui aimait les trains, Train World, 1030 Bruxelles > 15/3/2020

     

  • Delvaux et les gares

    Delvaux, « L’homme qui aimait les trains », décuple la magie de Train World depuis un mois. Si vous avez déjà visité ce superbe univers du train inauguré en 2015 à la gare de Schaerbeek, retournez-y avant le 15 mars 2020 : l’exposition des peintures de Paul Delvaux (1897-1994) dans ce cadre est une expérience magnifique. Si vous ne connaissez pas encore Train World, c’est une occasion en or pour y aller.

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    Sur la place princesse Elisabeth, devant la gare de Schaerbeek

    Intitulée d’après le bel essai de Camille Brasseur sur la passion du peintre pour les trains et les gares, durant toute sa vie, l’exposition remporte un succès mérité. Sur la place devant la gare, on a installé un fourgon à marchandises décoré d’une jeune fille en rouge, deux motifs empruntés à son œuvre. Je signale le billet combiné de la SNCB : on sort du train à la gare de Schaerbeek, la porte à côté donne accès à Train World où la visite commence dans l’ancienne salle des guichets (petit plan disponible à l’entrée).

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    Aux éditions Snoeck (détail de Chrysis en couverture)

    Jeune, Delvaux hantait la gare du Luxembourg à Bruxelles ; par son père, il reçut un accès libre aux espaces réservés aux cheminots – il peindra quasi toujours les gares de l’intérieur, plutôt que leurs façades. L’exposition se décline en deux temps : on prend d’abord l’ascenseur pour découvrir à l’étage une trentaine de dessins, d’études préparatoires, d’encres de Chine aquarellées. Sur une vue de l’ancienne Gare du Midi, je découvre sa fière allure d’antan avec une sculpture monumentale au-dessus de l’horloge. La palette de Paul Delvaux et des objets témoignent de ses passions : ses petits trains, une maquette de son atelier dans le grenier de ses parents, le képi et le sifflet offerts en 1984 « lors de sa nomination de chef de gare d’honneur de la gare de Louvain-la-Neuve » (son rêve d’enfant).

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    Bannières dans la salle des pas perdus, en face des guichets

    Puis on redescend pour sortir vers les quais et entrer dans les grands halls de Train World, où une vingtaine d’œuvres majeures sont exposées tout au long du parcours. Dans le Hall 1, des vues de la gare du Luxembourg en 1922, pas loin d’où il habitait, montrent la circulation sur les voies, les cheminots au travail, les panaches des locomotives à vapeur et les maisons de part et d’autre. Ce sont des peintures d’atmosphère, encore impressionnistes, dans les tons bruns et gris, parfois rouille, que Delvaux utilise au début, avec des touches de blanc pour la lumière, les vapeurs, la neige. Il peint aussi des paysages mosans.

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    © Paul Delvaux, Les cheminots de la gare du Luxembourg, 1 - 1922,
    Bruxelles, Collection privée en dépôt au musée d'Ixelles

    Les trois lampes, une huile de 1964 (C.P., collection privée), illustre la prédilection du peintre pour « l’heure bleue », ce moment où la couleur du ciel fonce avant la nuit. Une jeune femme aux seins nus tend les bras vers deux enfants qui regardent le passage des trains. Tous les éléments du décor sont rendus avec précision : bâtiment éclairé de l’intérieur, quais, voies, locomotive et wagons, pylônes et fils électriques, signalisation…

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    © Paul Delvaux, Les trois lampes, 1 - 1964, Collection privée

    L’année suivante, il peint Les ombres (C.P.), une composition étonnante à l’entrée du Hall 2 : décor ferroviaire sur la gauche ; arbres aux branches dénudées au centre, projetant leurs ombres sur du sable ; jeune femme rêveuse en robe blanche décolletée sur la droite, assise sur une banquette sur un ponton en bois où une porte ouverte conduit le regard vers… la mer – étrange !

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    © Paul Delvaux, Petite place de gare, 1 - 1963, Saint-Idesbald, Fondation Paul Delvaux

    Trois peintures délicieuses sont accrochées à l’autre bout de ce hall : Faubourg (C.P.), Petite place de gare et La Gare forestière, en face de laquelle on peut s’asseoir sur un banc pour l’admirer à l’aise. Des scènes faussement silencieuses, pour Delvaux des décors sonores. Dans les années soixante, il maîtrise l’art de créer un « climat », comme il dit, une atmosphère mystérieuse, contemplative, malgré le réalisme avec lequel il peint. Comment fait-il ?

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    © Paul Delvaux, La gare forestière, 11 - 1960, Saint-Idesbald, Fondation Paul Delvaux

    Ses personnages vus de dos nous incitent à regarder, à nous engager avec eux, ils nous font entrer dans le tableau. Le jeu fantaisiste des lumières et des ombres, la composition très architecturée, tout nous donne l’impression d’être sur le seuil d’un autre monde, d’un ailleurs où l’on n’accède qu’en entrant dans la gare, qu’en montant dans le train, en laissant derrière nous le monde quotidien. Embarquement pour le rêve.

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    © Paul Delvaux, L'Age de fer, 2 - 1951, Ostende, MuZee

    L’Age de fer (1951) est très représentatif du réalisme magique de Delvaux, avec cette femme nue au grand chapeau dont la main conduit le regard vers le wagon en bout de voie. Dans sa jeunesse, le peintre fréquentait la foire du Midi et y avait visité le Musée Spitzner : la vision à l’entrée d’une Vénus endormie, une figure de cire qu’un mécanisme caché faisait doucement respirer, serait à l’origine de ces nombreuses femmes nues qui habitent ses peintures.

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    Photo de Paul Delvaux dans le train

    Ne manquez pas ce merveilleux voyage à Train World : voir ces Delvaux dans une telle atmosphère est une expérience forte et inoubliable. « Soudainement, ce musée est habité », dit François Schuiten, qui a œuvré à Train World avec deux architectes-scénographes belges, Véronique Carlier et Pascale Jeandrain (ExpoDuo). Vous y verrez aussi des photos d’un peintre qui se sentait si heureux quand il dessinait ou peignait qu’il rêvait de créer un tableau dans lequel il pourrait vivre.

  • Carnet de jardin

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    « Quand on aime quelque chose, on regrette toujours de ne pas avoir planté suffisamment ce qu’on aime. Voilà qui est peut-être mal dit, mais c’est un bon avis de jardinage. »

    Mai

    « Un conseil en passant : dépouillez de leurs feuilles les branches coupées d’un seringat, elles tiendront beaucoup plus longtemps et seront d’autant plus belles. Essayez. Sans oublier d’écraser les tiges avec un marteau. »

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    « Si vous avez pris l’habitude d’avoir toujours sur vous un crayon et un carnet de notes, c’est une bonne époque pour jeter sur le papier les effets de lumière d’un soir d’été. »

    Octobre

    « Il me semble que c’est là un point très important que tous les jardiniers sensibles aux coloris d’automne devraient observer : la transparence au soleil. »  

    Vita Sackville-West, Journal de mon jardin

  • Au jardin avec Vita

    Journal de mon jardin de Vita Sackville-West (Illustrated Garden Book, 1989, traduit de l’anglais par Patrick Reumaux) est publié chez Klincksieck dans la collection De Natura Rerum, c’est un vrai livre de jardinage. De janvier à décembre, la fameuse amie-amante de Virginia Woolf raconte ses plantations et prodigue ses conseils aussi bien dans le choix des végétaux, l’arrangement d’un jardin ou l’art de planter, de tailler, d’accorder arbustes et plantes, formes et couleurs.

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    Arthur Harry Church, Aquilegia vulgaris, The National History Museum
    "Qui pourrait résister à une chose surnommée bonnet de grand-mère ou gant de bergère ? " (Vita)

    De très jolies planches anatomiques de fleurs du botaniste Arthur Harry Church et quelques aquarelles du célèbre jardin de Sissinghurst par Xavier Carteret illustrent cette chronique d’horticulture « d’une romanichelle sensible à la morsure des couleurs, à l’incendie des épines » (P. Reumaux dans la préface). « Un jardin et un mari. Elle se met en tête de faire de son jardin un chef-d’œuvre, non d’architecture – l’idée (l’idéal) de Harold, qui va le concevoir – mais une mosaïque de couleurs, une jungle asymétrique, une orgie. » (P. R.)

    Journal de mon jardin est un recueil de textes courts (deux à trois pages) qui portent tous un titre très clair, ce qui permet de retrouver facilement un sujet dans la table des matières. Ouverture et clôture hivernales donc, de « Fleurs d’hiver » (elle recommande les chimonanthes et les hamamélis) à « Après le pic de l’hiver » (quand fleurit le jasminum nudiflorum). Vita veille à ce que le jardin soit beau toute l’année, elle aime y avoir à toutes les saisons des fleurs ou du moins des rameaux à couper pour qu’ils fleurissent dans un vase – « Pour moi, une pièce sans fleurs est une pièce sans âme. Mais même un seul petit vase solitaire contenant une fleur vivante peut sauver la situation. »

    La prose de Vita Sackville-West est plaisante à lire, elle s’adresse à ses lecteurs comme à des correspondants familiers. Parfois, d’ailleurs, elle répond à une lettre, une demande de renseignements ou de conseils, comme le ferait une chroniqueuse dans un magazine de jardinage. Elle appelle les plantes par leurs petits noms et mentionne en latin la variété précise la plus satisfaisante à ses yeux, ou celle à éviter, pour des raisons qu’elle explique.

    « On m’a suppliée de dire du bien de l’églantier rouge. Je le fais volontiers, car une haie de rosiers rouillés est l’un des plus beaux ornements d’un jardin. » Elle fait d’ailleurs l’éloge des jardins « unicolores », une de ses spécialités, comme en témoigne le succès du jardin blanc de Sissinghurst auprès des visiteurs (elle le décrit). Le château et le domaine appartiennent depuis 1967 au National Trust, par décision de Harold Nicolson après la mort de son épouse en 1962.

    Le charme des roses, le feuillage de certains rosiers, leur parfum, Vita y revient souvent. Les variétés sont si nombreuses ; elle citera ses favorites. Elle aime les hellébores, les regarde, les décrit. Elle prend aussi la défense de plantes jugées ordinaires comme les lobélias, encourage à oser une pelouse de thym. Quand une fleur rare la séduit, elle veut la faire connaître aussi.

    Jardins de rocaille, jardins de dalles où l’on autorise des plantes basses « à pousser toutes seules », pergolas, serres, tous les arrangements de jardin sont abordés par cette jardinière qui disposait de tant d’espace pour essayer, changer, innover. « Faire pousser des fleurs dans les arbres ». Elle n’hésite pas à changer ce qui ne va pas, épluche les catalogues d’horticulture, rêve des effets à produire. Elle a aussi plein d’idées pour un petit jardin, propose trois plans qu’elle a en tête.

    A la fin de chaque saison, Vita Sackville-West la résume en vers – « Rêve, et imagine ». Deux leitmotivs dans ce Journal. D’abord la prodigalité : « J’aime la générosité là où je la trouve, dans les jardins ou ailleurs. Je déteste les économies de bout de chandelle et le petit côté des choses. Même le jardin le plus exigu peut être prodigue à son échelle (…) ». Ensuite l’attention à l’endroit le plus favorable au développement d’un végétal, au temps à lui laisser pour s’épanouir.

    « Il arrive de temps en temps que les jours soient émaillés d’incidents agréables, que les choses tournent merveilleusement bien au lieu de mal tourner, et il faut se rappeler ces moments rares avant qu’ils se perdent dans l’oubli. » Voilà le type d’entrée en matière (« Une après-midi de printemps ») qui illustre une autre fonction de ce Garden Book : noter la beauté d’un jour, comme cette traversée du Kent quand les pommiers commencent à fleurir, la grâce d’une fleur, l’émotion d’une vision.

    Vita partage volontiers ses erreurs, ses trucs, ses recettes, ses préférences. Ce n’est pas une aristocrate qui donne ses ordres au jardinier, elle est la jardinière, elle prépare ses propres mélanges de terreau, de tourbe et de sable, elle taille, divise, bouture… « Il y a des moments où je suis comblée par mon jardin, d’autres où je désespère. »

    Journal de mon jardin a de quoi frustrer quand on n’a pas de jardin, mais si l’on aime imaginer et rêver, il y a des pages où revenir à chaque saison pour en recueillir les vibrations. Un livre à offrir, certainement, à celles et ceux qui, comme Vita Sackville-West, sont passionnés de jardinage et amoureux des fleurs.