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autobiographie - Page 7

  • A travers des larmes

    Tolstoï Enfance Mère.jpg« Tant de souvenirs du passé surgissent lorsqu’on essaye de ressusciter en imagination les traits d’un être aimé qu’on voit ceux-ci confusément à travers ces souvenirs comme à travers des larmes. Ce sont… les larmes de l’imagination. Lorsque je m’efforce de me rappeler ma mère telle qu’elle était à cette époque, je vois seulement ses yeux marron, qui exprimaient toujours la même bonté et le même amour, un grain de beauté qu’elle avait sur le cou, un peu plus bas que l’endroit où bouclaient de petits cheveux, son étroit col blanc orné de broderies, sa main sèche et tendre qui me caressait si souvent, que si souvent je baisais ; mais l’expression d’ensemble m’échappe. »

    Léon Tolstoï, Enfance. Adolescence. Jeunesse

    Illustration : La mère de Tolstoï à neuf ans

  • Enfance de Tolstoï

    L’hiver arrivant, poursuivre son chemin dans la littérature russe, voilà une proposition qui me plaît. Enfance est le premier récit publié de Tolstoï, à vingt-quatre ans, après l’abandon de ses études de droit à Kazan « pour aller vivre de ses rentes dans le domaine de Iasnaïa Poliana où il est né, où il a passé son enfance, et dont il est maintenant le propriétaire », écrit  Michel Aucouturier dans la préface d’Enfance, Adolescence, Jeunesse. Il y raconte comment Léon Tolstoï (1828-1910) s’est mis à l’écriture.

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    Valentin Serov, Enfants. Sasha et Yura Serov, 1899, huile sur toile,
    Musée russe, Saint-Pétersbourg (en couverture du Folio classique)

    Le titre initial, « Quatre époques d’une évolution », a été abandonné lorsqu’il a décidé, au lieu de raconter l’histoire d’amis d’enfance, de puiser aussi dans ses propres souvenirs. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une autobiographie (il proteste quand Le Contemporain publie Enfance sous le titre « Histoire de mon enfance », un titre qu’il avait envisagé auparavant), Tolstoï met beaucoup de lui-même dans le personnage de Nikolenka (le narrateur), le petit Nicolas qui comme lui a perdu sa mère trop tôt (Tolstoï à deux ans, N. à dix ans).

    Dans de courts chapitres (chacun d’eux devant « exprimer une seule pensée ou un seul sentiment », écrit Tolstoï dans son Journal), il fait d’abord les portraits du précepteur Karl Ivanovitch, de « maman » puis de « papa », avant de raconter une journée d’été à la campagne, du réveil au coucher. Quand leur précepteur vient les réveiller dans leur chambre, son frère aîné Volodia et lui, l’enfant lui en veut et fait semblant de dormir, puis se reproche son ressentiment envers ce vieil homme si bon à leur égard.

    De sa mère adorée, il cherche à restituer le merveilleux sourire – « Il me semble que le sourire à lui seul fait ce qu’on appelle la beauté d’un visage ; si le sourire ajoute de la grâce au visage, le visage est beau : s’il ne le transforme pas, il est ordinaire, s’il l’abîme, il est laid. » Son père, il le revoit près de son bureau, s’emportant dans une discussion avec l’intendant Iakov, un serf dévoué, puis préparant une enveloppe destinée au précepteur, avant d’annoncer à ses fils leur départ avec lui pour Moscou, où ils vivront chez leur grand-mère, tandis que leurs sœurs resteront à la campagne avec leur mère.

    Ce jour-là, Karl Ivanovitch est « de très mauvaise humeur ». Si Volodia s’applique, son petit frère n’arrive pas à se concentrer et pleure à l’idée de leur proche séparation – il entend leur précepteur se plaindre au valet d’être congédié après douze ans de service assidu auprès des garçons auxquels il s’est attaché.

    Après le portrait saisissant d’un « Fou de Dieu », le pèlerin Gricha aux pieds nus hiver comme été, voici les préparatifs de la chasse et le plaisir de monter un petit cheval, même si N. envie son frère aîné, plus élégant. A la chasse s’ajoute le plaisir de « prendre le thé sur l’herbe en forêt », une « délectation ». Et voilà N. qui tombe amoureux de Katenka, une petite paysanne. Ce soir-là, son père, ému par la peine du précepteur, change d’avis : celui-ci les accompagnera à Moscou.

    Enfance raconte en fait deux épisodes marquants, le premier se terminant le lendemain, jour de la séparation, quand « tout le monde fut réuni dans le salon autour de la table ronde pour passer une dernière fois quelques minutes ensemble ». Plutôt excité par le voyage, ce n’est qu’au moment de partir que N. perçoit soudain la tristesse de sa mère et ressent un profond chagrin en se serrant contre elle.

    « Heureux, heureux temps, temps à jamais écoulé de l’enfance ! Comment ne pas aimer, ne pas chérir les souvenirs qui vous en restent ? Ces souvenirs-là rafraîchissent, élèvent mon âme et sont pour moi la source des jouissances les plus pures. » (Début du chapitre « Enfance », XVe sur XXVIII) La suite sera d’abord des plus joyeuses (la fête de sa grand-mère à Moscou) puis des plus tristes (la mort de sa mère).

    Tolstoï réussit dans Enfance à rendre les perceptions enfantines des êtres et des événements, alliant l’observation et l’introspection. Si Nikolenka n’est pas encore un « personnage », « c’est parce qu’il est un enfant, et que c’est le propre de l’enfance que d’échapper encore, dans une certaine mesure, aux déterminations qui figent la personnalité en caractère ou en type social » (Michel Aucouturier).

    Ce premier récit d’Enfance, Adolescence, Jeunesse (le quatrième devait raconter le départ pour le Caucase), outre qu’il réveille en moi certains souvenirs (surtout la visite de Iasnaïa Poliana, le domaine de Tolstoï), me rappelle d’autres lectures : Nabokov, Sarraute, Proust, forcément, ou plus récemment Carlos Llop, Amigorena, Appelfeld… Mais l’enfance est bien plus qu’un thème littéraire, n'est-ce pas ?

  • Topographie

    Ernaux Quarto.jpg« Décrire pour la première fois, sans autre règle que la précision, des rues que je n’ai jamais pensées mais seulement parcourues durant mon enfance, c’est rendre lisible la hiérarchie sociale qu’elles contenaient. Sensation, presque, de sacrilège : remplacer la topographie douce des souvenirs, toute en impressions, couleurs, images (la villa Edelin ! la glycine bleue ! les buissons de mûres du Champ-de-Courses !), par une autre aux lignes dures qui la désenchante, mais dont l’évidente vérité n’est pas discutable par la mémoire elle-même : en 52, il me suffisait de regarder les hautes façades derrière une pelouse et des allées de gravier pour savoir que leurs occupants n’étaient pas comme nous. »

    Annie Ernaux, La honte (in Ecrire la vie)

  • 12 ans, 23 ans

    Plus de vingt ans après Les armoires vides, Annie Ernaux revient dans La honte et dans L’événement sur deux expériences qui ont changé son existence. Deux clichés de son « photojournal » (Quarto) permettent d’imaginer son allure à douze ans, près de son père à Biarritz, et celle de l’étudiante « mutine » de vingt-trois ans, au Havre.

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    Ernaux emprunte à Paul Auster l’épigraphe de La honte (1997) : « Le langage n’est pas toujours la vérité. Il est notre manière d’exister dans l’univers. » Le drame est énoncé d’emblée : « Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l’après-midi. » Sa mère ne cessant de récriminer, son père tremblant de colère l’avait empoignée et la menaçait avec une serpe. La petite Annie D. (Duchesne) appelant au secours, cela s’était terminé avec des cris et des pleurs. Elle se souvient d’avoir dit à son père : « Tu vas me faire gagner malheur ». Depuis cette scène inoubliable du 15 juin 1952, elle a toujours eu peur que cette violence se répète, jusqu’à la mort de son père quinze ans après. Ce fut la fin de son enfance et le début de la honte, écrit-elle des décennies plus tard. 

    « Ce qui m’importe, c’est de retrouver les mots avec  lesquels je me pensais et pensais le monde autour. » En « ethnologue » d’elle-même, elle décrit le pays de Caux d’alors, entre Le Havre et Rouen, reconstitue la topographie de « Y. », où tout oppose la rue du Clos-des-Parts et la rue de la République. Quand elle rentrait avec sa mère à l’épicerie-mercerie-café, celle-ci disait : « On arrive au château ». Annie Ernaux rappelle leur parler, les expressions, les gestes, l’éducation (« corriger et dresser »), la surveillance générale dans le quartier : « Les conversations classaient les faits et gestes des gens. » Il fallait être « simple, franc et poli » pour « être comme tout le monde ». Elle ajoute : « Je ne connaîtrai jamais l’enchantement des métaphores, la jubilation du style. »

    De l’école privée catholique, de la religion alors « la forme de [son] existence », elle passe de son comportement d’excellente élève à ses sentiments d’envie en observant « les plus grandes », de solitude, de curiosité pour les choses sexuelles. Sa mère prend le relais à la maison. Sans être très pratiquante, elle s’habille pour l’église comme pour une sortie et par désir de distinction. Son père ne prie pas.

    Depuis la mi-juin, Annie se sent indigne, « dans la honte ». En août, un voyage touristique à Lourdes en autocar avec son père – dix jours en compagnie d’inconnus – lui permet de découvrir le luxe des chambres d’hôtel (lavabo, eau chaude) et d’autres usages. Celle qu’elle est en 1996 n’a « plus rien de commun avec la fille de la photo (de 1952), sauf cette scène du dimanche de juin qu’elle porte dans la tête et qui [lui] a fait écrire ce livre, parce qu’elle ne [l’]a jamais quittée. »

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    Dans L’événement (2000), autre récit court (une cinquantaine de pages), elle revient sur son avortement en 1963, d’une façon factuelle, très différente par rapport aux Armoires vides. D’abord l’attente vaine des règles, les nausées, le verdict du médecin, l’horreur de se retrouver enceinte. « Les mois qui ont suivi baignent dans une lumière de limbes. Je me vois dans les rues en train de marcher continuellement. » Annie Ernaux a depuis longtemps le désir d’écrire « là-dessus » et ne veut pas mourir sans l’avoir fait. Son agenda et son journal lui donnent des repères pour raconter cette expérience vécue dans la clandestinité. (La loi Veil date de 1975.)

    Elle y voit un lien confus avec son origine : l’étudiante a échappé « à l’usine et au comptoir » mais pas à « l’échec social » de la fille enceinte ou de l’alcoolique. Tout de suite, elle sait qu’elle se fera avorter. En quête d’un médecin « marron » ou d’une « faiseuse d’anges », sans aide de celui qui l’a mise enceinte,  elle en parle à un étudiant marié, qui lui donne le nom d’une étudiante passée par là, qui « a failli en crever d’ailleurs ». Les visites chez des généralistes s’avèrent inutiles – « les filles comme moi gâchaient la journée des médecins ».

    L’un d’eux, consulté après un essai infructueux de manier elle-même des aiguilles à tricoter, lui dit : « Je ne veux pas savoir où vous irez. Mais vous allez prendre de la pénicilline, huit jours avant et huit jours après. Je vous fais l’ordonnance. » Quand elle se rend chez la faiseuse d’anges « impasse Cardinet, dans le XVIIe à Paris », à trois mois, en janvier 1964, c’est « le bon moment pour le faire ». Annie Ernaux a écrit L’événement pour mettre en mots « une expérience humaine totale, de la vie et de la mort, du temps, de la morale et de l’interdit, une expérience vécue d’un bout à l’autre au travers du corps » dont elle devait rendre compte. Ce texte fait partie des « 25 livres féministes qu’il faut avoir lus » selon le journal Le Temps.

    P.-S.
    Le Monde a publié en avant-première (7/12/2022) le discours d’Annie Ernaux reçue à Stockholm le 10/12/2022. Le même jour, Pierre Assouline en a publié une critique dans sa République des livres.

  • Besoin d'exister

    nathalie skowronek,karen et moi,roman,biographie,autobiographie,littérature française,belgique,écrivain belge,karen blixen,vie de femme,écriture,culture« Je le porte en moi, ce livre que je voudrais écrire. Je voudrais raconter la vie de Karen Blixen. Cette femme me parle. Karen est ma sœur, son chemin est le mien. Je voudrais dire ses désirs, ses épreuves, son besoin d’exister. Tracer les contours de ce qui l’amène à créer. J’ai l’impression qu’en parlant d’elle j’arriverai à parler de moi. Je suis lasse, lasse de mentir. Et, comme Karen, j’ai l’espoir que l’écriture pourra me sauver. »

    Nathalie Skowronek, Karen et moi

    © Jan Goedhart, Portrait de femme écrivant, 1930