Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Jeunesse et paraître

Quelle distance entre le jeune Nicolas Irténiev d’Enfance. Adolescence. Jeunesse (traduit du russe par Sylvie Luneau) et le vieux Tolstoï connu pour ses engagements humanistes ! Voilà qui illustre bien l’évolution de sa personnalité, à contre-courant, comme l’a décrite Dominique Fernandez dans Avec Tolstoï.

tolstoï,enfance,roman,littérature russe,autobiographie,russie,culture,adolescence,jeunesse
Tolstoï à vingt ans (Lev Nikolayevich Tolstoy, 1848)

Avec son ami Dmitri, « le merveilleux Mitia », une rencontre racontée dans Adolescence, les échanges de « pensées vertueuses » continuent, pensées que Nicolas sait très éloignées de la vie qu’il mène en réalité, « mesquine, confuse et oisive ». A l’approche de ses seize ans, il en a pris conscience et veut désormais « appliquer ces pensées à [sa] vie ».

Les premiers signes du printemps, comme porteurs d’un message « de beauté, de bonheur, de vertu », le distraient des révisions avant les examens d’entrée à l’Université et l’attirent à la fenêtre. Il prend mille résolutions, rêve d’aimer et d’être aimé, de devenir riche et célèbre, rêves mêlés au dégoût de lui-même et au repentir.

Avant Pâques, toute la famille se confesse, en commençant par son père qui se montre très gai avec ses enfants : il a beaucoup gagné au jeu cette année-là et s’est fait faire un costume à la mode. Nicolas est heureux de se sentir lavé de ses péchés, mais, saisi de scrupules, il se rend au monastère le lendemain matin pour compléter sa confession – « pour la première fois de [sa] vie seul dans la rue ».

Malgré ses bonnes intentions, il remet sans cesse l’écriture de ses « règles de vie », peine à se concentrer sur un livre, ne tient pas en place. L’émotion du premier examen à l’Université est surtout liée au plaisir d’être en habit pour la première fois et de porter des vêtements « dernier cri et de la meilleure qualité ». Quelle déception de ne pas attirer l’attention au milieu de centaines de jeunes gens en uniforme ou en habit ! Nicolas reçoit la meilleure note en histoire et aussi en mathématiques, sur un point qu’il ne maîtrisait pas, mais que Dmitri venait juste de lui expliquer. En latin, ce ne sera pas brillant mais « passable ».

« Je suis une grande personne » : un magnifique uniforme, de l’argent, un cocher, un cheval bai et un « drojki » à sa disposition font le bonheur de Nicolas qui se réjouit d’être sur le même pied que son frère Volodia et l’imite en faisant quelques achats futiles. Nicolas et Dmitri se rendent dans le bel appartement de Doubkov, l’ami de Volodia, avant de dîner tous ensemble au restaurant en l’honneur de Nicolas, qui s’enivre et se comporte stupidement.

Dès le lendemain, le jeune étudiant a des devoirs à remplir : faire des visites (son père lui en a fait la liste), en particulier au riche prince Ivan Ivanovitch. Il vient d’apprendre qu’il fait partie de ses héritiers et cela le met mal à l’aise. Obsédé par l’impression qu’il donne en société, il joue un rôle et observe les comportements. Puis il se rend quelques jours dans la famille de Dmitri, à la campagne, averti par son ami des caractères de sa mère, de sa tante, de sa sœur Varenka et de la « petite rousse », une « demoiselle entre deux âges » qui vit avec eux et dont Dmitri fait grand cas, ce qui inquiète sa mère.

Nicolas, qui pense beaucoup à l’amour, fait connaissance avec les Nekhlioudov et retombe dans ses travers : tantôt discutant avec les dames, tantôt silencieux, tantôt se ridiculisant à paraître intelligent et original, à mentir même. Il essaie de comprendre l’amour de Dmitri pour la petite femme qu’il trouve quelconque, s’interroge sur ses propres sentiments envers Sonia, son amour d’enfance qu’il a revue, et envers Varenka, qui lui plaît aussi.

Chez lui, les filles sont méprisées, comme si on ne pouvait discuter avec elles de quoi que ce soit. Mais elles jouent du piano, et Nicolas s’y met aussi, après la visite d’un voisin passionné de musique – serait-ce « un moyen de charmer les jeunes filles » ? Il lit des romans français et se retrouve dans les personnages, veut être « passionné ».

Une notion l’obsède. Il classe les gens en « comme il faut » et « pas comme il faut ». Ses critères ? Bien prononcer le français, des ongles impeccables, « l’art de saluer, de danser et de faire la conversation », un air « d’ennui distingué et méprisant ». S’y ajoutent des codes d’élégance vestimentaire. Alors que Nicolas se sait inapte à remplir ces conditions, le « comme il faut » l’obsède et il envie aux autres, à son frère, leur aisance en toutes circonstances.

Quel contraste avec le récit d’une journée dehors à la campagne dans le chapitre XXXII, « Jeunesse » – un chapitre dont Tolstoï était « particulièrement content » (Sylvie Luneau), – à contempler la nature et à se sentir envahi par la même « force vitale », si heureux près des vieux bouleaux ! Puis ce sera le remariage inattendu de son père, l’université, les affaires de cœur, les plaisirs mondains : le jeune Nicolas se disperse, au risque de perdre sa voie.

Commentaires

  • On voit tellement les photos de Tolstoï âgé et très barbu, qu'une photo de lui jeune surprend tout-à-coup. Difficile de deviner le parcours de vie qui sera le sien à partir du tout jeune homme qu'il était.

  • C'est vrai que ce Tolstoï jeune rompt avec son image habituelle, comme les considérations du jeune Nicolas dans ces trois récits.

  • Bonjour Tania, je suis un peu décalée, pas du tout dans Tolstoï, mais on m'a offert il y a 3 semaines Femme fleuve d'Anaïs Barbeau Lavalette (auteur québécois de La femme qui fuit) Je ne pense pas qu'on trouve ce livre en France, peut- être en Belgique? Très belle écriture poétique. Superbe. Mais cela nous éloigne de la littérature russe. Merci!

  • Il me semble avoir entendu parler de ce livre, Anne, sur le thème du désir féminin. Dans "Jeunesse", Tolstoï commence à parler du désir masculin, avec pudeur. Autres temps...

  • Très en avance le vieux Tolstoï en ce qui concerne les serfs de sa propriété qu'il veut affranchir, ce qui provoque la suspicion et la colère des intéressés qui croient à un piège mais très misogyne jusqu'au dégoût de la sexualité (pour des raisons religieuses) - donc dégoût de la femme - responsable de l'avilissement de l'homme.

  • C'est cela. Tolstoï n'était pas un saint, mais l'œuvre est magistrale.

  • Oh, je note ce titre, je ne connais pas la jeunesse de Tolstoï et donc la genèse de son œuvre, sa recherche de la vérité a-t-elle commencé dès ce moment ? Douce journée Tania. brigitte

  • "Souvenirs" évoque une autobiographie, ce que ces récits ne sont pas, mais l'inspiration autobiographique ne fait pas de doute.
    Oui, cette quête de la vérité est précoce chez Tolstoï, bien que sa jeunesse soit fort éloignée de ses principes futurs. Bonne après-midi, Brigitte.

Écrire un commentaire

Optionnel