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amour - Page 26

  • Le Tamaris de Sand

    C’est l’association Livres en Seyne (La Seyne-sur-mer) qui a republié Tamaris (1862), roman inspiré à George Sand par son séjour à Tamaris en 1861. Ce beau quartier sur la Corniche qui suit la baie du Lazaret et où s’arrête le bateau navette qui relie Les Sablettes de La Seyne-sur-mer à Toulon, elle l’avait choisi alors pour « se refaire une santé » dans un endroit moins cher que Nice.  

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    Corniche de Tamaris (source)

    François Trucy, qui signe la préface, précise que son bisaïeul lui avait loué pour trois mois la belle bastide rurale qu’il n’occupait que l’été. Les Trucy ne louaient que le premier étage, mais lui ont permis de disposer aussi de tout le rez-de-chaussée et laissé leur chienne pour garder la maison pendant les « interminables excursions » de George Sand « infatigable et curieuse » qui marchait, visitait, parlait aux Provençaux « chaque jour quel que soit le temps ». 

    Un jeune médecin en est le narrateur : « En mars 1860, je venais d’accompagner de Naples à Nice, en qualité de médecin, le baron de la Rive, un ami de mon père, un second père pour moi. » Comme celui-ci achève sa convalescence à Nice avant de rentrer à Paris, il décide de s’arrêter quelque temps à Toulon pour régler une petite succession pour le compte de ses parents.

     

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    Première édition de Tamaris

    Il  y a déjà séjourné et apprend avec plaisir que son ami la Florade, 28 ans, « Provençal de la tête aux pieds », une personnalité « riante », y est à présent lieutenant de vaisseau. Le terrain dont le jeune médecin a hérité et qu’il souhaite vendre se trouve à Tamaris, où il rend visite à un voisin « entre deux âges », M. Pasquali, parrain de la Florade.

     

    Lui occupe une bastide près de la plage, à l’abri du mistral, mais comme le Parisien déplore l’absence de vue, Pasquali l’emmène au sommet de la colline, à proximité d’une « maison basse assez grande et assez jolie pour le pays », d’où son visiteur peut admirer « une des plus belles marines » qu’il ait jamais vues : au nord, une colline boisée que surmonte au loin la masse du Coudon, à l’est, « des côtes ocreuses et chaudes festonnées de vieux forts », l’entrée de la petite rade de Toulon, la grande rade avec à l’horizon « les lignes indécises de la presqu’île de Giens et les masses vaporeuses des îles d’Hyères ». 

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    Villa George Sand à Tamaris, côté nord, dessin de Maurice Sand, 2 mars 1861
    Villa George Sand à Tamaris, côté sud, dessin de Maurice Sand, 14 avril 1861
    http://jcautran.free.fr/archives_familiales/forum/george_sand.html#1

    Pasquali lui parle de Mme Martin, la jeune veuve qui a loué pour la saison cette maison si bien située et de son enfant malade, à qui le climat rude et sain semble convenir. Lorsqu’elle apparaît et les invite à s’approcher, cette « beauté adorable » impressionne immédiatement le jeune homme, qui lui offre gracieusement ses services et examine Paul, huit ans, de physique délicat, mais en assez bonne forme. 

    Une certaine Mlle Roque, fille naturelle de son vieux parent dont elle hérite pour moitié, se révèle être sans ressources, ce qui complique les affaires. Elle occupe sur le terrain une « horrible masure » avec une vieille Africaine presque aveugle. De mère indienne, c’est une « très-belle femme » qui a la réputation d’être une originale. Elle reçoit le médecin dans un joli salon à l’orientale, lui confie que son père s’est suicidé, ce qui a été caché à tous. Elle veut bien vendre, mais pas quitter la bastide, n’ayant jamais vécu ailleurs. 

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    Nouvelle édition (Livres en Seyne)

    On saura bientôt que la Florade a dans la région une réputation de séducteur, qu’on l’a vu rôder près de la bastide Roque, que la douce Mme Martin, en réalité marquise d’Elmeval, a choisi la discrétion pour son séjour dans le Midi, et que le médecin en est déjà éperdument amoureux, sentiment contre lequel il lutte – « Pourquoi l’aimer, moi qui à trente ans avais su me défendre de tout ce qui pouvait me distraire de mes devoirs et entamer ma persévérance et ma raison ? »

     

    N’empêche qu’il saisit chaque occasion de revoir la marquise et, sous le couvert de son goût pour la botanique, de la rejoindre comme par hasard dans ses promenades – il veille à la réputation de la jeune veuve. Elle lui fait découvrir les beaux endroits de la région, ils s’entendent à merveille. Un jour, ils rencontrent une femme singulière, qui se dit très malade et veut être examinée, c’est la femme du brigadier qu’on surnomme « la Gênoise » et qu’on dit méchante, battant ses enfants.  

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    Le pavillon Roustan à Tamaris, ancienne maison de gardien de la villa George Sand, aujourd'hui détruite

    Bientôt le médecin, à qui chacun, chacune se confie, comprend que la Florade s’intéresse de près à toutes les jolies femmes qu’il croise sur son chemin et laisse derrière lui bien des chagrins, ne s’engageant jamais. Il finit par le soupçonner de vouloir aussi se rapprocher de la marquise, et en souffre.

     

    George Sand conte dans Tamaris une histoire romantique, mêlée à une description enthousiaste de ce coin de Provence, de son climat, de ses paysages, des gens, de l’habitat, de la flore… Les végétaux sont désignés avec précision, comme le tamarix narbonnais qui croît en abondance sur le rivage et a donné son nom au quartier : « L’arbre n’est pas beau : battu par le vent et tordu par le flot, il est bas, noueux, rampant, échevelé ; mais, au printemps, son feuillage grêle, assez semblable d’aspect à celui du cyprès, se couvre de grappes de petites fleurs d’un blanc rosé qui rappellent le port des bruyères et qui exhalent une odeur très-douce. » 

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    Cette édition a repris l’orthographe et la ponctuation de l’édition originale, comme ces traits d’union que George Sand met toujours entre « très » et l’adjectif. Au début de chaque chapitre, des cartes postales anciennes permettent de se figurer les lieux à l’époque. Si l’intrigue connaît bien des rebondissements sentimentaux, pour qui connaît un peu la région, c’est de voir évoluer les personnages à Tamaris et dans les paysages de Provence qui fait le plaisir de cette lecture.

  • Vivant

    « Nous avons pris l’habitude de passer nos fins de semaine à la campagne. Puis, pour ne pas avoir à loger dans une auberge, nous avons acheté une maisonnette à 50 kilomètres de Paris. gorz,andré,lettre à d.,histoire d'un amour,récit,lettre,amour,couple,autoportrait,reconnaissance,écriture,cultureNous faisions par tous les temps des promenades de deux heures. Tu avais une connivence contagieuse avec tout ce qui est vivant et tu m’as appris à regarder et à aimer les champs, les bois et les animaux. Ils t’écoutaient si attentivement quand tu leur parlais que j’avais l’impression qu’ils comprenaient tes paroles. Tu me découvrais la richesse de la vie et je l’aimais à travers toi – à moins que ce ne soit l’inverse (mais ça revient au même). Peu après notre emménagement dans la maisonnette, tu as adopté un chat gris tigré qui, visiblement affamé, attendait toujours devant notre porte. Nous l’avons guéri de la gale. La première fois qu’il a sauté spontanément sur mes genoux, j’ai eu le sentiment qu’il me faisait un grand honneur. »

    André Gorz, Lettre à D. Histoire d’un amour

    Valerius De Saedeleer (1867-1941), La maison de mon voisin (détail)

  • Histoire d'un amour

    Lettre à D. – Histoire d’un amour d’André Gorz (1923-2007) pourrait être le pendant masculin de L’année de la pensée magique de Joan Didion, m’étais-je dit avant d’en entamer la lecture, mais les deux livres sont très dissemblables. Le récit de l’Américaine est la chronique d’un après, seule, celui du Français celle d’un avant, ensemble. Après cinquante-huit ans de vie commune, le journaliste, essayiste et philosophe s’interroge : « Pourquoi es-tu si peu présente dans ce que j’ai écrit alors que notre union a été ce qu’il y a de plus important dans ma vie ? » 

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    Pour sa femme de quatre-vingt-deux ans, malade, il décide de « reconstituer » l’histoire de leur amour, « pour comprendre ce que j’ai vécu, ce que nous avons vécu ensemble. » Du quasi coup de foudre pour la belle Anglaise aux cheveux auburn qu’il a invitée à aller danser le 23 octobre 1947 – « Why not » avait-elle répondu – à ce printemps 2006 où il se met à lui écrire.

    C’est une lettre et surtout un retour sur soi, un autoportrait sans complaisance. Gorz se reproche d’avoir faussé l’image de sa femme dans son premier livre, Le Traître, et la dépeint ici telle qu’il l’a connue, pleine d’assurance, cultivée, critique, libre, une véritable complice. Ce qui les a rapprochés au départ, sans doute, c’était « l’expérience de l’insécurité » au point de vue familial et la conviction qui en découlait : « nous n’avions pas dans le monde une place assurée. Nous n’aurons que celle que nous nous ferions. »

    Après quelques mois de vie commune, ils envisagent de se marier : elle le désire, lui est réticent, puis c’est sa mère à lui qui s’interpose. A Lausanne, sa compagne a bientôt un cercle d’amis plus étendu que le sien, fait du théâtre, progresse en français et en peu de temps, gagne plus d’argent que lui : leçons d’anglais, secrétariat « d’une écrivain britannique devenue aveugle ». Lui écrit, jusqu’aux petites heures de la nuit, un « Essai qui devait différencier les rapports individuels avec autrui selon une hiérarchie ontologique ».

    En 1949, Gorz est embauché pour la première fois « avec un salaire normal » à Citoyens du Monde comme « secrétaire du secrétaire » à Paris, ville qu’ils découvrent ensemble, elle et lui. Le soir, il écrit, elle sait que c’est « son besoin premier » : « Ce n’est pas ce qu’il écrit qui est le but premier de l’écrivain. Son besoin premier est d’écrire. Ecrire, c’est-à-dire se faire absent du monde et de lui-même pour, éventuellement, en faire la matière d’élaborations littéraires. » En automne, ils se marient.

    Quand il se retrouve au chômage l’année suivante, elle se débrouille, enchaîne les petits boulots : « Tu étais le roc sur lequel notre couple pouvait se bâtir. » Puis il trouve enfin un travail qui lui corresponde, « la revue de la presse étrangère » pour Paris-Presse où ils ne sont que deux journalistes à « exploiter cette masse d’informations ». Alors elle l’aide pour les publications en anglais – « nous étions complémentaires ». Trente ans à « mettre à jour, étoffer, gérer la documentation », à L’Express et au Nouvel Observateur ensuite (où il signe Michel Bosquet).

    Son premier Essai enfin terminé, Gorz le soumet à Sartre et comprend malgré son accueil que ce texte ne trouvera pas d’éditeur. Mauvaise humeur, fuite en avant : « j’ai commencé à écrire une autocritique dévastatrice, qui allait devenir le début d’un nouveau livre. » D. ne montre « ni trouble ni impatience », elle lui répète : « Ta vie, c’est d’écrire. Alors écris. »

    Dîners, reportages, discussions, travail en commun, et en même temps, « une différenciation croissante de nos images respectives de nous-mêmes ». Il trouve D. plus adulte que lui, elle est de moins en moins intimidée par ses idées et les remet en question. Gorz reconnaît son besoin de « théoriser », son penchant pour « l’esthétique de l’échec et de l’anéantissement ». Il se retrouve devant une alternative : « soit vivre sans toi selon mes principes abstraits, soit me dégager de ces principes pour vivre avec toi ». André Gorz dédie Le Traître « A toi dite Kay qui, en me donnant Toi, m’as donné Je ».

    Lettre à D. (D. pour Dorine), c’est l’écriture d’une prise de conscience, d’un bilan personnel, et surtout l’expression de sa reconnaissance envers celle qu’il aime et qui lui a tant donné. Devant la maladie qui risque de les séparer, le voilà prêt enfin à vivre cette résolution prise il y a longtemps mais peu tenue : « vivre de plain-pied dans le présent, attentif avant tout à la richesse qu’est notre vie commune ». Le couple s’est suicidé en septembre 2007.

  • Promeneur

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    « Etant donné qu’apparemment rien sur terre n’est jamais détruit, mais simplement démantelé et dispersé, ne pourrait-il en être de même pour la conscience de l’individu ? Où tout cela va-t-il donc quand nous mourons, tout ce que nous avons été ? Quand je songe à ceux que nous avons aimés et perdus, je m’identifie à un promeneur errant à la tombée de la nuit dans un parc peuplé de statues sans yeux. L’air autour de moi bruisse d’absences. »

    John Banville, La lumière des étoiles mortes

  • Lumière ancienne

    Marque-pages a plusieurs fois attiré notre attention sur John Banville et quand j’ai vu La lumière des étoiles mortes (Ancient Light, 2012, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch) sur la table des nouveautés à la bibliothèque, je me suis décidée à faire connaissance avec ce romancier irlandais, né en 1945. 

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    Ce roman, couronné par le Prix Prince des Asturies 2014, est centré sur le travail de la mémoire – « Madame Mémoire est une grande et subtile hypocrite », prévient-on dès le début. Le récit s’ouvre sur une confidence : « Billy Gray était mon meilleur ami et je suis tombé amoureux de sa mère. » Voilà qui remonte à un demi-siècle : le narrateur avait alors quinze ans, elle trente-cinq.

    Ses premiers émois ? Vers ses dix-onze ans, le vent avait soulevé devant lui les jupes d’une cycliste, mais c’est la découverte des dessous de Celia Gray qui reste son souvenir le plus troublant, ce dont Alex Cleave, le narrateur, demande mentalement pardon à son épouse Lydia. Celle-ci monte dans le grenier où il écrit parce qu’on le demande au téléphone : on propose au vieux comédien un premier rôle au cinéma dans un film sur Axel Vander, un intellectuel controversé (au prénom anagramme du sien, le thème du double apparaît souvent chez Banville). 

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    Depuis la mort de Cass (dix ans plus tôt, Catherine, leur fille unique, s’est jetée du haut d’une falaise en Italie, à vingt-six ans – ils ignoraient qu’elle était enceinte), leur vie a beaucoup changé. Lydia a des crises de somnambulisme, ils dorment mal tous les deux, tiennent le coup devant les autres mais s’effondrent encore souvent dans l’intimité.

    Voilà donc les deux axes du roman : les délicieux souvenirs que garde Alex de ses rapports avec Mme Gray – inoubliable, sa première et brève vision d’elle nue, ou plutôt de son reflet fragmenté dans le miroir, aperçu du couloir où il passait – à l’insu de son ami Billy et de sa sœur Kitty, et ce défi nouveau, pour un comédien de théâtre, de jouer au cinéma avec une star, la jeune et belle Dawn Devonport. 

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    Les rendez-vous amoureux d’antan ont gravé leurs détails dans la mémoire d’Alex : le vieux break où Celia l’emmenait, la maison en ruine où ils se retrouvaient, leurs conversations. Mme Gray s’est mariée à dix-neuf ans avec un opticien dont l’adolescent est jaloux, elle ne parle pas souvent d’elle-même, sauf quand il exprime le désir de lui faire un enfant, ce qui la met en colère – elle lui confie avoir perdu le troisième enfant qu’elle portait.

    A présent un « vieux comédien grisonnant et décati, jadis idolâtré de ces dames », Alex Cleave (déjà présent dans Eclipse, un précédent roman, comme Axel Vander dans Impostures) ne cache pas son égocentrisme : « Moi et l’écran argenté maintenant, je sais que vous allez vouloir tout savoir à ce sujet. » John Banville le surprend souvent en flagrant délit de cabotinage. La « captivante » Dawn Devonport, à la fois fragile et masculine, a l’âge de sa fille suicidaire qui souffrait d’une maladie mentale ; et Dawn a perdu son père. Voilà qui va rapprocher les deux acteurs principaux pendant le tournage. 

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    Mais c’est Mme Gray qui reste « l’arbitre originel » dans les rapports du narrateur avec les femmes. Il aimerait tant savoir ce qu’elle est devenue, après le déménagement soudain qui a mis fin à leur relation, à ce splendide été qui se déploie sans cesse dans sa mémoire.

    A la recherche du temps passé, La lumière des étoiles mortes est un roman mélancolique où se mêlent passé et présent, dans le monologue intérieur d’un comédien penché sur ses souvenirs. John Banville excelle dans les descriptions et les portraits, son écriture épouse les vacillements sensuels de la mémoire entre faits et fantasmes d’un homme hanté par les femmes de sa vie. Ce roman, écrit André Clavel dans Le Temps, « a la délicatesse d’une sonate d’automne, où l’ombre gagne peu à peu ».