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la lumière des étoiles mortes

  • Promeneur

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    « Etant donné qu’apparemment rien sur terre n’est jamais détruit, mais simplement démantelé et dispersé, ne pourrait-il en être de même pour la conscience de l’individu ? Où tout cela va-t-il donc quand nous mourons, tout ce que nous avons été ? Quand je songe à ceux que nous avons aimés et perdus, je m’identifie à un promeneur errant à la tombée de la nuit dans un parc peuplé de statues sans yeux. L’air autour de moi bruisse d’absences. »

    John Banville, La lumière des étoiles mortes

  • Lumière ancienne

    Marque-pages a plusieurs fois attiré notre attention sur John Banville et quand j’ai vu La lumière des étoiles mortes (Ancient Light, 2012, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch) sur la table des nouveautés à la bibliothèque, je me suis décidée à faire connaissance avec ce romancier irlandais, né en 1945. 

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    Ce roman, couronné par le Prix Prince des Asturies 2014, est centré sur le travail de la mémoire – « Madame Mémoire est une grande et subtile hypocrite », prévient-on dès le début. Le récit s’ouvre sur une confidence : « Billy Gray était mon meilleur ami et je suis tombé amoureux de sa mère. » Voilà qui remonte à un demi-siècle : le narrateur avait alors quinze ans, elle trente-cinq.

    Ses premiers émois ? Vers ses dix-onze ans, le vent avait soulevé devant lui les jupes d’une cycliste, mais c’est la découverte des dessous de Celia Gray qui reste son souvenir le plus troublant, ce dont Alex Cleave, le narrateur, demande mentalement pardon à son épouse Lydia. Celle-ci monte dans le grenier où il écrit parce qu’on le demande au téléphone : on propose au vieux comédien un premier rôle au cinéma dans un film sur Axel Vander, un intellectuel controversé (au prénom anagramme du sien, le thème du double apparaît souvent chez Banville). 

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    Depuis la mort de Cass (dix ans plus tôt, Catherine, leur fille unique, s’est jetée du haut d’une falaise en Italie, à vingt-six ans – ils ignoraient qu’elle était enceinte), leur vie a beaucoup changé. Lydia a des crises de somnambulisme, ils dorment mal tous les deux, tiennent le coup devant les autres mais s’effondrent encore souvent dans l’intimité.

    Voilà donc les deux axes du roman : les délicieux souvenirs que garde Alex de ses rapports avec Mme Gray – inoubliable, sa première et brève vision d’elle nue, ou plutôt de son reflet fragmenté dans le miroir, aperçu du couloir où il passait – à l’insu de son ami Billy et de sa sœur Kitty, et ce défi nouveau, pour un comédien de théâtre, de jouer au cinéma avec une star, la jeune et belle Dawn Devonport. 

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    Les rendez-vous amoureux d’antan ont gravé leurs détails dans la mémoire d’Alex : le vieux break où Celia l’emmenait, la maison en ruine où ils se retrouvaient, leurs conversations. Mme Gray s’est mariée à dix-neuf ans avec un opticien dont l’adolescent est jaloux, elle ne parle pas souvent d’elle-même, sauf quand il exprime le désir de lui faire un enfant, ce qui la met en colère – elle lui confie avoir perdu le troisième enfant qu’elle portait.

    A présent un « vieux comédien grisonnant et décati, jadis idolâtré de ces dames », Alex Cleave (déjà présent dans Eclipse, un précédent roman, comme Axel Vander dans Impostures) ne cache pas son égocentrisme : « Moi et l’écran argenté maintenant, je sais que vous allez vouloir tout savoir à ce sujet. » John Banville le surprend souvent en flagrant délit de cabotinage. La « captivante » Dawn Devonport, à la fois fragile et masculine, a l’âge de sa fille suicidaire qui souffrait d’une maladie mentale ; et Dawn a perdu son père. Voilà qui va rapprocher les deux acteurs principaux pendant le tournage. 

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    Mais c’est Mme Gray qui reste « l’arbitre originel » dans les rapports du narrateur avec les femmes. Il aimerait tant savoir ce qu’elle est devenue, après le déménagement soudain qui a mis fin à leur relation, à ce splendide été qui se déploie sans cesse dans sa mémoire.

    A la recherche du temps passé, La lumière des étoiles mortes est un roman mélancolique où se mêlent passé et présent, dans le monologue intérieur d’un comédien penché sur ses souvenirs. John Banville excelle dans les descriptions et les portraits, son écriture épouse les vacillements sensuels de la mémoire entre faits et fantasmes d’un homme hanté par les femmes de sa vie. Ce roman, écrit André Clavel dans Le Temps, « a la délicatesse d’une sonate d’automne, où l’ombre gagne peu à peu ».