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Voyage - Page 6

  • Patience

    Meganck editionsfdeville-le-jour-ou-mon-pere-na-plus-eu-le-dernier-mot.jpg« Je ne lui connaissais pas cette patience. A dire vrai, je ne connais pas grand-chose de Kasper Braecke, si ce n’est sa passion pour les courses cyclistes et les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, si ce n’est son racisme, son goût de l’Allemagne, et plus récemment celui des îles subarctiques et des voyages immobiles.
    Il continue :
    – Loti se retournerait sans doute dans sa tombe. Mais bon, je crois que j’approche une certaine idée d’un vieux morutier. Je dois encore achever les peintures…
    Il pose la maquette sur la table. On trinque. Je cogne mon verre contre le sien, un peu de vin rouge tombe sur la maquette. Le pont est maculé d’une petite mare couleur sang qui se met à couler vers la cabine.
    – Désolé.
    – Ce n’est rien, William. Le voilà baptisé ! »

    Marc Meganck, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot

  • Un père détestable

    Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot, de l’écrivain bruxellois Marc Meganck, est un roman de la détestation. A quarante ans passés, William, le narrateur, y règle ses comptes avec sa famille : Kasper Braecke, un père raciste et nostalgique du nazisme, qui travaille aux espaces verts de sa commune ; Claudine Mertens, une mère qui entretient les peurs et, par crainte du chagrin, écrase les araignées du matin ; Didier, un frère aîné en tous points conforme à l’attente des parents et qui méprise son cadet.

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    Franz Gailliard (1861-1932), Marine (Ostende)

    La première partie, « Les peurs », est un tableau sans concession d’une enfance solitaire parmi les Braecke-Mertens, en banlieue bruxelloise. La tentative de suicide au gaz de la grand-mère, que le grand-père infidèle a sauvée au dernier moment, la laissant quasi sans voix et le souffle court, a peut-être contribué au climat pesant dans lequel William a grandi. Son meilleur ami mort dans un accident, il quitte les scouts, pratique le vélo ou la marche en solitaire. Un jour, il suit son père dans les bois, curieux de voir où il s’évade de plus en plus souvent, et le retrouve chez Frankie, plus qu’une amie pour Kasper. Celle-ci lui lui a rendu le goût de la lecture en lui offrant Pêcheur d’Islande.

    A 42 ans, William souffre de « tachycardie existentielle ». Son bilan ne le réjouit pas : sa liaison avec Anaïs, leurs échappées en city-trips, sont du passé. L’odeur des dimanches « poulet-frites-compote » chez ses parents lui est devenue insupportable, mais pas à son frère Didier,  le fils préféré, qui leur rend visite avec sa femme et ses fils. Après la mort de leur mère, Kasper reste dans l’appartement d’Ostende, près du port, où Claudine et lui s’étaient installés après avoir vendu la maison.

    Plongé à son tour dans le roman de Pierre Loti, le narrateur oscille entre ses souvenirs douloureux et un projet fou. Son père n’a jamais dévié de la ligne agressive à son égard, quand William a choisi des études d’archéologie, quand il a publié un premier roman où il a « sali » leur nom de famille… L’alcool, les bars, les errances nocturnes dans Bruxelles sont devenues son « voyage immobile », sa santé chancelle. Mais il s’est mis en tête de faire un voyage en bateau jusqu’en Islande avec son père détestable, dans l’espoir d’avoir enfin une vraie conversation avec lui et des réponses aux questions qu’il se pose depuis l’enfance – est-il son vrai père ?

    Malgré l’hostilité du grand frère, devant son entêtement, Kasper, septante-huit ans, finit par accepter. Ils iront en Islande au printemps, père et fils, sur les pas de Loti, d’île en île de l’Atlantique nord. Sera-ce enfin l’occasion de se rapprocher un peu ? Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot : le titre en dit long sur cette haine familiale. Marc Meganck la raconte avec réalisme et puissance dans l’expression des sentiments. La dérive personnelle de William en manque d’affection et en quête de vérité est rendue avec tant de force qu’on veut absolument savoir où elle le mènera, même si son pari est risqué.

    Marc Meganck publie régulièrement depuis les années 2000 (histoire et archéologie, essais, récits, nouvelles, polars, romans). Il a beaucoup écrit sur Bruxelles et cite ceci en premier dans ses thèmes de prédilection : « la déambulation urbaine, le voyage, le microcosme des bistrots de quartier où j’écris, où j’observe notre humanité ». Je vous recommande ce texte daté du mois dernier sur son site : « C’est beau, une ville en paix ».

    Le Carnet et Les Instants reprend les mots de Bénédicte de Loriol après sa lecture de ce roman-ci : « On espère juste qu’il ne soit pas autobiographique… Mais on est en droit d’en douter tellement il est sincèrement bouleversant ». Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot m’a emportée dans les méandres d’une histoire de famille et dans un voyage qui secoue. Un envoi des éditions Deville.

    ***

    Pour info, ce jeudi soir, Arte commence
    la diffusion d’En thérapie 2
    (déjà disponible sur le site d’Arte TV).

     

  • Breuvage

    jon kalman stefansson,la tristesse des anges,roman,littérature islandaise,apprentissage,neige,voyage,culture« Certains dorment du sommeil du juste, répond Helga tandis qu’elle écoute le café qui passe, et dont la première coulée est exclusivement réservée à Kolbeinn, si irascible avant de prendre son petit déjeuner qu’il met en déroute la plupart des vivants, et jusqu’à la vie elle-même.
    Le café passe.
    Ah, le fumet de ce noir breuvage !
    Pourquoi faut-il que nous en conservions un si net souvenir, il y a si longtemps qu’il nous a été donné d’en boire, des dizaines d’années, et pourtant ce goût et ce plaisir nous hantent encore. »

    Jón Kalman Stefánsson, La tristesse des anges

  • Les larmes des anges

    Avant de raconter dans La tristesse des anges (Harmur Englanna) ce qui arrive au gamin islandais d’Entre ciel et terre et aux autres « qui vivent à la limite du monde habitable », Jón Kalman Stefánsson donne d’abord la parole aux défunts hantés par les souvenirs alors que le sommeil les fuit. Leur « cohorte égarée entre la vie et la mort » reste à l’affût de la lumière, même vacillante.

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    Dans une tempête de neige, une nuit d’avril, un homme et deux chevaux « avancent péniblement contre le vent du nord qui est plus fort que toute chose en ce pays ». Quand ils arrivent devant une grande maison, le cheval qui porte le cavalier frappe la première marche du perron. Le gamin hébergé chez le vieux capitaine Kolbeinn, venu voir à la porte, annonce que « Jens le Postier sur un cheval de glace » demande Helga.

    Celle-ci s’étonne de ne pas le voir entrer, Jens s’excuse : le gel l’a collé au cheval. Helga et le gamin ont fort à faire pour le détacher et faire monter les marches en le soutenant à cet homme de plus de cent kilos, qui demande qu’on s’occupe des malles et des bêtes et qu’on appelle Skuli, le rédacteur. Une fois séché, rhabillé et réchauffé, le postier lui communiquera les nouvelles.

    Le gamin s’est habitué à dormir dans cette maison, seul dans une grande chambre, après avoir lu tout son saoul – « une enivrante liberté ». Tandis qu’aux baraquements des pêcheurs, Andrea est en train de lui écrire, lui craint d’être chassé : il fait la lecture à Kolbeinn, aveugle, d’Hamlet puis d’Othello, mais lit mal, sans respirer, il déçoit le capitaine qui s’est fâché. Les deux femmes de la maison, Geirbrudur et Helga, l’encouragent à s’exercer. Lui préfère les poèmes, comme ceux d’Ólöf Sigurðardóttir.

    Au magasin de Tryggvi où on l’avait envoyé, l’apparition de Ragnheidur l’a troublé. La jeune fille « posée, lointaine », à l’allure si froide, a glissé une friandise dans sa bouche puis l’a enfoncée dans la sienne. On compte sur lui aussi pour accompagner Brynjolfur à son bateau, le navire ponté de Snorri qui n’a pas encore repris la mer ; pour traduire des vers anglais en islandais, à l’aide d’un dictionnaire ; pour écrire une lettre…

    Chez Sigurdur, le médecin, Jens est réprimandé pour le retard du courrier, même si deux certificats témoignent du mauvais temps qui l’a retardé. Sigurdur cherche à l’impressionner. Jens patiente debout en pensant à Salvör, devenue fille de ferme après avoir fui son mari violent. Elle a perdu un fils, sa fille a été placée ailleurs. En douceur, Salvör et lui se sont rapprochés. Mais le médecin l’envoie remplacer un autre postier malade, loin du Village ; pour éviter les ennuis et gagner la prime promise, Jens accepte.

    « La neige tombe si dru, écrit le gamin, qu’elle relie le ciel à la terre. » Il pense à sa sœur perdue, Lilja. Il relit les lettres de sa mère qu’il comprend mieux maintenant. De son frère, il n’a aucune nouvelle. Il voudrait écrire à Andrea de quitter Pétur, mais où irait-elle et de quoi vivrait-elle ? « Les mots semblent être la seule chose que le temps n’ait pas le pouvoir de piétiner. »

    Le puissant Fridrik, le pasteur, et beaucoup d’autres critiquent le fait que Geirbrudur ne soit ni épouse ni mère. Kolbeinn lui a bien proposé le mariage, mais elle y perdrait l’autorité sur ses biens. Le vieux capitaine ne s’est jamais marié – « je lisais trop », répond-il quand le gamin s’en étonne. « Mais celui qui ne franchit pas la distance qui mène vers l’autre voit ses jours s’emplir d’un son creux. »

    Un soir où Kolbeinn ne rentre pas, Helga et le gamin vont le chercher à l’hôtel tenu par Teitur et sa femme, le « Bout du monde ». Leur fille qui a l’âge du gamin est disgracieuse mais courageuse ; elle pourrait enseigner l’anglais au gamin, suggère Helga. Celui-ci n’a d’yeux que pour Ragnheidur dont il a aperçu les épaules blanches dans la salle ; quand elle le rejoint, elle lui annonce son départ prochain pour Copenhague et l’embrasse.

    Geirbrudur a conçu tout un programme pour instruire le gamin qui s’en réjouit, c’était le vœu de ses parents. Mais d’abord, il devra accompagner Jens et l’aider, surtout dans les traversées en barque – le postier n’aime pas l’eau et le gamin s’y connaît bien. Alors commence « Le voyage », un terrible et interminable parcours dans la neige, qui occupe les deux tiers du roman.

    Un voyage dantesque, semé d’embûches et d’égarements, de fatigues extrêmes et de dangers mortels. De rares étapes sont les seules occasions de se réchauffer le corps, mais pas forcément l’âme. Les défunts ne sont pas loin. Le gamin a bien du mal à suivre le vaillant postier ami du silence alors que lui a besoin des mots pour se sentir en vie. Et partout, la tristesse des anges : « Voilà les larmes des anges, disent les Indiens au nord du Canada quand la neige tombe. »

  • Continent inconnu




    « La montagne, aujourd’hui, c’est un lieu de résistance à la globalisation. »

    « Le continent inconnu, pour moi, c’étaient les Apennins. »

    Paolo Rumiz

     

    Ecoutez, si vous voulez, Paolo Rumiz interrogé par François Busnel à La Grande Librairie (15/12/2017) à propos de La légende des montagnes qui naviguent(La vidéo dure une dizaine de minutes. Il y parle des Apennins à partir de la quatrième.)