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Peinture - Page 91

  • Marchand de tableaux

    Le Portrait d’Ambroise Vollard par Renoir (1908) orne la couverture des Souvenirs d’un marchand de tableaux (1937), une somme d’anecdotes qui permet de revivre une époque où l’art était plus qu’aujourd’hui à la portée des amateurs. Si Cézanne et Renoir sont les peintres qu’il a le mieux connus, il en passe beaucoup d’autres dans ces mémoires, que termine un volumineux index.

    Vollard commence par son enfance à l’Ile de la Réunion. Surpris de voir sa tante s’inspirer de fleurs artificielles pour ses aquarelles, alors que celles du jardin sont bien plus belles, il s’en souviendra en apprenant que « les plus somptueux bouquets de Cézanne avaient été peints d’après des fleurs en papier. » Collectionneur précoce, il ramasse des galets, puis des fragments de porcelaine bleue, amoureux déjà des couleurs et de la lumière : « C’est, au coucher du soleil, un brouillard bleu tombant des hauteurs, ouate impalpable qui, en quelques instants, répand l’ombre, une ombre comme faite de ces gris argentés qui enchantent dans les toiles de Whistler. »

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    Etudiant en droit, Vollard préfère à l’étude les flâneries sur les quais, à observer dessins et gravures dans les vitrines parisiennes. Premiers achats. « 1890 ! Quelle époque bénie pour les collectionneurs ! Partout des chefs-d’œuvre et autant dire pour rien. » Attentif aux prix, il les voit grimper en passant d’une main à l’autre et comprend très vite comment faire pour enrichir ses collections et commercer, tandis que le sympathique Père Tanguy, marchand de couleurs, fait crédit aux jeunes peintres.

    Dans la galerie où il s’initie au métier de marchand de tableaux, Vollard constate la défiance du patron envers les peintures nouvelles qu’il lui conseille d’acquérir et se décide à le quitter. « Ecoutez, mon cher Vollard, nous nous quittons bons amis, n’est-ce pas ? Quand vous parlerez d’impressionnisme, je compte sur votre loyauté pour dire que je déteste ça. – Non seulement je prends l’engagement de le dire, mais, si l’occasion se présente, je l’écrirai. Je tiens ma parole. »

    A Montmartre en ces années-là, Vollard fréquente Bonnard, Lautrec, Degas et Renoir si dissemblables. En affaires, il apprend vite ce qu’il convient de dire ou de taire, comment faire monter les prix pour susciter l’intérêt de l’acheteur, comment recueillir l’information qui permet de s’emparer le premier d’œuvres possédées par des gens qui n’ont aucune idée de leur valeur. Ce qui rend ses souvenirs très vivants, ce sont toutes les conversations que le marchand rapporte : bêtises des uns, astuces des autres, propos d’artistes surtout. Renoir : « Avec toutes leurs sacrées histoires de peinture nouvelle, j’aurai mis quarante ans à découvrir que la reine des couleurs, c’est le noir ! » Manet : « Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs, ou des nuages seulement. » - « Je voudrais être comme le saint François de la nature morte ! »

    Vollard rend un bel hommage à Mary Cassatt, la plus discrète des impressionnistes, qui se dépensait sans compter pour le succès de ses camarades sans se soucier de sa propre peinture. Il nous décrit le convoi funèbre de cette artiste généreuse, suivi par le village entier de Mesnil-Beaufrêne, dans l’Oise, en 1926. On jeta des œillets et des roses sur sa tombe – qu’en aurait pensé Degas qui se montrait intransigeant à propos des fleurs qu’il ne supportait qu’au jardin, capable de quitter une table où on l’avait invité s’il s’y trouvait un bouquet ? Odilon Redon, au contraire, avait toujours des fleurs dans son atelier, malgré le dénuement. Il raconte à Vollard une visite chez un ami peintre à la Ruche : « Sur une table, il y avait des tulipes et un livre dont la reliure fatiguée témoignait qu’on le lisait souvent. Je me suis dit : « Voilà qui sonne bien ! » »

    Posant pour Cézanne, le collectionneur-marchand s’endort et s’écroule de la plate-forme préparée par le peintre : « Malheureux ! Vous avez dérangé la pose ! On doit poser comme une pomme. Est-ce que ça remue, une pomme ? » Dans l’atelier de Rodin, à qui Vollard apporte une statuette de Maillol, Bourdelle est là, poussant de réguliers « Rodein ! Le grand Rodein ! » Voyant Rodin donner forme à une boule de glaise, quelqu’un lui demande : « Illustre ami, où puisez-vous toute cette vie qui palpite dans les moindres fragments de votre œuvre ? – Dans la vie elle-même… Je fais de la vie avec la vie ! »

  • De A à Y Alechinsky

    La belle rétrospective des Musées Royaux des Beaux-Arts fermera ses portes à Bruxelles à la fin de ce mois de mars 2008. Les comptes rendus élogieux n’ont pas manqué, aussi je m’en tiendrai aux impressions que j’en retiens, à la lisière de la littérature et de la peinture.

    Les liens d’Alechinsky avec le livre ne manquent pas. Illustrateur, graveur, calligraphe, tout ce qui touche à l’écriture touche à la peinture. En témoigne sur un mur, sa grande signature à l’endroit et à l’envers, coquetterie de gaucher contrarié qu’il n’hésita pas à démontrer à la reine Paola dans le livre d’or, lorsqu’il l’accueillit à l’exposition. 

    Parmi les premières œuvres présentées, une jamais vue Gymnastique matinale (1949) donne aux silhouettes en mouvement des allures d’hiéroglyphes. Autre découverte, de curieuses sculptures-livres, céramiques blanches pour la plupart, où son pinceau a tracé des titres espiègles (j’aurais dû les noter), des mots clins d’œil dont il a le secret. « En avant, y a pas d’avance ! » écrivait-il pour Daily-Bul en 1975.

    En bas du grand escalier qui mène à l’exposition, une toile formidable accueille le visiteur, La Mer Noire (1988-1990) : une nuit d’encre ponctuée du blanc des étoiles et de la lune, au-dessus de la mer. Autour de ce noir et blanc, du rouge, du bleu, du vert, c’est le jour et la nuit. Pour notre plus grand bonheur, le peintre joue à l’infini sur ce contraste entre les bordures – ses « remarques marginales » depuis le fameux Central Park - et ce qu’elles entourent. D’une œuvre à l’autre, j’ai vu tantôt des entrelacs de livres anciens, tantôt des tapis d’inspiration orientale, tantôt des annotations tracées en commentaire.

    Les bleus d’Alechinsky, superbes : c’est la mer, c’est l’encre, c’est le ciel, l’eau, la vie. Parfois le noir profond de l’encre de Chine évoque un paysage d’estampe japonaise, Ostende-Douvres : les vagues, la nuit étoilée, le panache d’un bateau à l’horizon. Vocabulaire I et Vocabulaire II, bleu et crème, conjuguent des motifs serpentins, plumes de gilles, éruptions, fumées, grilles rondes, escaliers, feuillages, en une joyeuse énumération. Si vous ne l’avez jamais vue, entrez un jour au Théâtre de la Place des Martyrs, une immense fresque d’Alechinsky l’habite merveilleusement.

    Variations sur le rectangle, variations sur le cercle, le peintre cadre et se rit du cadre, comme le montrent bien les anciennes affiches dans le couloir d’entrée, qu’on a plaisir à regarder et à lire et à revoir en sortant. La peinture d’Alechinsky, c’est une fête. De haut en bas (la fumée d’un volcan) et De bas en haut (la chute d’eau). Toutes les couleurs y dansent, l’humour aussi.