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Littérature - Page 439

  • Feuillage du coeur

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    Xavier Mellery, L’Eglantier, 1895, Musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles © MRBAB, 2010


    Sous la cloche de cristal bleu

    De mes lasses mélancolies,

    Mes vagues douleurs abolies

    S'immobilisent peu à peu:

     

    Végétations de symboles,

    Nénuphars mornes des plaisirs,

    Palmes lentes de mes désirs,

    Mousses froides, lianes molles.

     

    Seul, un lys érige d'entre eux,

    Pâle et rigidement débile,

    Son ascension immobile

    Sur les feuillages douloureux,

     

    Et dans les lueurs qu'il épanche

    Comme une lune, peu à peu,

    Elève vers le cristal bleu

    Sa mystique prière blanche.

     

    Maeterlinck, Serres chaudes


    (cf. Le Symbolisme en Belgique, MRBA, Bruxelles)

  • Symbolistes belges

    Beaucoup de monde aux Musées Royaux des Beaux-Arts pour la grande exposition consacrée au Symbolisme en Belgique (jusqu’au 27 juin 2010). Verhaeren définit le symbole comme un « sublimé de perceptions et de sensations », non démonstratif, mais suggestif, – «  il ruine toute contingence, tout fait, tout détail : il est la plus haute expression d’art et la plus spiritualiste qui soit » (Ecrits sur Khnopff). Une affiche de Jean Delville pour le « Salon d’art idéaliste » de 1896 montre une Sphynge couronnée qui donne bien le ton : mystère, figures de l’étrange, intériorité, femmes fatales, crépuscules, l’univers symboliste est une plongée en eaux profondes, souvent noires. « Le Symbolisme est le dernier coup de queue du Romantisme expirant » (Ernest Raynaud). Plus qu’un mouvement pictural, c’est une période de complicité spirituelle entre peintres et écrivains, de 1885 à 1895 environ.

     

    Symbolisme - Wiertz, Deux jeunes filles ou la belle Rosine.jpg

    Antoine Wietz, Deux jeunes filles, ou la Belle Rosine, 1847, Musée Wiertz Ó MRBAB

      

    La sculpture est bien présente dans cette exposition, et le premier choc m’est venu du grand Dénicheur d’aigles en bronze de Jef Lambeaux : l’homme au physique puissant se défend de l’aigle furieux ; vus du sol, ses ailes, sa tête, son bec font un spectacle impressionnant. Force et mouvement ici, en contraste avec la Figure tombale de Julien Dillens, un marbre représentant une jeune fille sur un coussin, les yeux clos, assise sur ses talons – elle a lâché les fleurs qu’elle tenait dans les mains. Beaucoup d'oeuvres du sculpteur Georges Minne, mères de douleur, agenouillés silencieux.

     

    Deux jeunes filles ou La belle Rosine de Wiertz invite à méditer sur la mort : une jeune femme dénudée fait face à un squelette qui porte sur le crâne l’étiquette éponyme, « La belle Rosine ». Dans son voisinage, des femmes déchues de Rops
    (Le Vice suprême, frontispice d’un roman du « Sâr Péladan », maître spirituel de l’Ordre de la Rose+Croix ; Les Sataniques, cinq planches d’une collection privée) et de Rassenfosse, inspirées par Les fleurs du mal de Baudelaire.

     

    Degouve de Nuncques, La maison rose.jpg

    William Degouve de Nuncques, La Maison Rose, 1892, Otterlo Ó Kröller-Muller Museum

     

    L’exposition se décline en treize thématiques, présentées dans un petit guide du visiteur, à défaut de panneaux explicatifs. « L’inquiétude devant l’étrange » regroupe des paysages, dont la superbe Maison rose de Degouve de Nuncques,
    aussi nommée La maison du mystère : à gauche d’une façade rose en pleine lumière, derrière un arbre, une autre maison est plongée dans l’ombre ; seul son porche est éclairé. Magritte y a-t-il pensé en peignant L’Empire des Lumières ? Du même, on verra plus loin un bel Enfant au hibou (pastel) et Les paons, magnifique scène nocturne, dans une salle entièrement dédiée à la couleur bleue.

     

    Parmi les « Figures du Christ », sculptées ou peintes, un terrible Christ d’Odilon Redon (fusain et craie noire) aux antipodes de la lumineuse Sainte Trinité de Léon Frédéric. Sur le thème de la tentation de Saint Antoine, quel contraste aussi entre Rops, tout en provocations spectaculaires, et Khnopff, tout mystère ! Fernand Knopff, le plus connu des symbolistes belges, est omniprésent avec des œuvres célèbres : Portrait de Marguerite, Des caresses, En écoutant du Schumann, Du silence, et, moins connus, des paysages de Fosset crépusculaires.

     

    Symbolisme - Degouve de Nuncques - Les Paons.jpeg

    William Degouve de Nuncques, Les Paons, 1896, Musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles © MRBAB, 2010

     

    La lecture mène-t-elle à la folie ? C’est ce que semble signifier Une démoniaque de
    J. Middeleer : vêtue de noir, elle lève son regard névrotique au-dessus de son livre, entourée de fleurs d’anthurium. Très étrange, cette prédominance de la femme chez
    les peintres de l’angoisse, du péché, de la folie, du rêve, de la Perversité (terrible triptyque de Laermans). « Si l'archétype de la femme fatale s'échappe sans doute de la nuit des temps, son image dans la peinture occidentale est toutefois plus récente. Elle appartient à une mythologie du mal qui est le produit de la dégradation et de la transformation d'un mythe qui a fasciné l'époque romantique : le mythe satanique » écrit Sabine De la Haye (Cette femme fatale : approche d'un thème de prédilection du Symbolisme pictural belge, 2002)

     

    L’univers symboliste, proche de la littérature fin de siècle, a tout pour m’intéresser, mais je me suis sentie un peu perdue parfois dans cet inventaire (à la Prévert) du symbolisme en Belgique, faute d’un fil conducteur clair pour l’accrochage (fort critiqué dans La Tribune de l’art). Pour les visiteurs étrangers, cette exposition d’ensemble offre néanmoins un panorama représentatif des symbolistes belges (plus de deux cents œuvres). Pour qui connaît bien nos musées, il y a des découvertes à faire parmi les œuvres venant de l’étranger ou de particuliers, et c’est l’occasion aussi de faire mieux connaissance avec des artistes moins connus.

  • Art de vivre

     « Selon cette science sociale oubliée, c’est la convention qui rend l’existence intéressante comme un morceau de théâtre. Le fait de porter des bijoux pour déjeuner, de se montrer aimable et souriant, d’être attentif aux autres et de s’exprimer clairement, tout cela donne une forme délectable au temps qui passe. Aller au musée, se promener dans les jardins publics, se retrouver à la messe du dimanche, prendre le thé, parler du dernier film ou du dernier roman : autant de mornes habitudes nous rappellent l’équilibre savant d’un ancien art de vivre. Même la fameuse hypocrisie bourgeoise devient une qualité quand elle consiste à masquer ses tourments, à laisser la part d’ombre dans l’ombre, plutôt que de donner le champ libre à la sincérité et aux conflits. Voilà toute une esthétique du quotidien que nous ne connaissons plus guère, depuis que nos vertus s’appellent franchise et naturel. »

     

    Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau 

    Boudin Eugène.jpg
  • Retours à Etretat

    Son histoire commence avec ses cousines de Paris « dans une poudre de lumière,
    un après-midi d’été ».
    Années soixante. Benoît Duteurtre, petit-fils de René Coty, alors jeune catholique de province (il habite Le Havre), retrouve à Etretat, avec un sentiment de « léger décalage social », la branche parisienne de la famille dans la propriété de leur illustre aïeul, « La Ramée ». Une villa enrichie au fil du temps, avec un « joli perron de bois exotique, dont les volutes et guirlandes avaient quelque chose de chinois, revu par la IIIe République ». Les pieds dans l’eau, ce sont les souvenirs de Duteurtre et surtout une évocation personnelle de la station balnéaire si bien décrite par Maupassant, si bien peinte par Boudin puis par Monet – « cette beauté surprenante, chaque fois que je redécouvrais les falaises encadrant le théâtre maritime ».

     

    Monet Claude, Étretat, la porte d'Aval bateaux de pêche sortant du port 1918.jpg

     

    Le hasard a voulu qu’au moment où je lisais que Le Perrey, la digue aménagée qui longe sa plage, bien plus qu’une simple promenade panoramique, permet de « mesurer la portée sociale (…) autant que métaphysique » d’Etretat, Envoyé spécial y montrait Vincent Lindon, dont le grand-père, Raymond Lindon, grand juriste parisien et maire d’Etretat, avait accueilli Coty en grande pompe en 1954. Dès le dix-neuvième siècle, « avec Maupassant, Monet, Offenbach, Maurice Leblanc, Etretat tenait le haut du pavé. »

     

    Duteurtre observe les vacanciers d’Etretat, distingue les touristes des familles anciennes aux rituels soigneusement entretenus. Horaire des baignades, manières d’entrer dans l’eau (« Réflexions sur le galet » fait un très joli chapitre), art de parler « pour passer le temps, sans se départir d’une amabilité délicieusement artificielle », relations de plage ignorées à Paris. Des passages d’une drôlerie irrésistible. Les saisons d’Etretat ont leurs réjouissances, comme la  Fête de la Mer, à l’Ascension, ou la revue musicale du dernier samedi du mois d’août. L’auteur aime tout ce qui lui rappelle « une civilisation disparue qui n’a pourtant pas fini de nous occuper l’esprit avec sa peinture, sa musique et sa littérature – toute cette modernité si proche et si mystérieuse, comme une ancienne photo de famille. »

     

    L’histoire de cette famille s’organise autour du Président de la République (1953-1959) et de ses deux filles, Elisabeth et Madeleine. Celles-ci incarnent deux tendances : « un côté sérieux, respectable, solennel » pour Coty et sa fille cadette, « un versant plus fantaisiste, souriant, léger » pour sa femme Germaine et leur fille aînée. Duteurtre retrace surtout sa propre histoire à partir de ses dix ans. S’il admire les valeurs généreuses de sa mère, « l’effort, la justice, le partage », il y voit aussi « une conception légèrement faussée de l’existence, selon laquelle chacun devait vivre d’abord « pour les autres » », au détriment d’autres dimensions auxquelles il est, lui, plus sensible, « comme le sens du plaisir, le goût de l’aventure, l’esthétique, la séduction… » Il raconte son adolescence, avec ses rébellions et ses conformismes, son goût pour la musique. La succession des générations, l’évolution des manières de vivre, le sort de la maison de famille, il les regarde en observateur lucide, volontiers ironique.

     

    Exemple. En 1990, une vingtaine de descendants de René Coty se retrouvent à l’Elysée. Vague espoir déçu de rencontrer un instant le président Mitterand. « On ne voulait pas déranger ; on ne faisait que passer très discrètement, car un de nos ancêtres avait travaillé à l’Elysée pendant cinq ans. Tout cela était loin, sans importance. On venait seulement jeter un coup d’œil, surtout qu’on ne s’occupe pas de nous. » C’est à lui, « l’écrivain de la famille », qu’est confiée la rédaction d’un compte rendu dans le journal Le Havre.

     

    Le siècle avance, Etretat change, les maisons passent en d’autres mains, La Ramée aussi. Si les conventions familiales lui pèsent parfois, Duteurtre fait pourtant l’éloge de la bourgeoisie dont l’ancien art de vivre lui est cher. « Il m’a fallu des années pour comprendre que cet exécrable monde bourgeois – « grand » ou « petit » – avait curieusement engendré la plupart des artistes que j’aimais. Esprits libres, inventeurs, fantaisistes, presque tous provenaient de ce milieu parisien ou provincial étriqué ». Son attitude est tantôt critique, tantôt nostalgique : « tout ce qui disparaît me désole ». Etretat, comme le reste du monde, s’est métamorphosé. Duteurtre, qui avoue avec humour détester la foule mais se passionner pour l’humanité, y reste à jamais attaché : « rien de plus fascinant que ce mélange de beauté immuable et de transformation du monde ».

  • Espace libre

    « Il arrive qu’aucune voix ne sorte de ma voix. Je veux revenir à la lecture silencieuse de qui n’a rien à produire, aucun son à émettre, aucun micro devant lui, promenant ses yeux sur une page pour l’instruction de son esprit, sans que lui soient comptés ni les mots ni les pages. Que mon cerveau ne soit pas la chambre close où je tourne encagé, mais un espace libre, étendu, infini, verdoyant. »

    Denis Podalydès, Voix off

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