Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Belgique - Page 125

  • Fatigue

    akerman,chantal,une famille à bruxelles,récit,littérature française de belgique,cinéma,famille,deuil,vie quotidienne,mère,fille,parole,culture

    « A moi aussi elle dit c’est vrai je fume trop elle le sait qu’elle fume trop à moi elle le dit clairement qu’elle fume trop et moi aussi je fume trop et je le lui dis et toutes les deux on se dit on va essayer de moins fumer tandis qu’à lui elle disait qu’elle fumait pas trop et moi je fumais dans les toilettes et maintenant je continue à fumer dans les toilettes mais je fume ailleurs aussi. Je sais que ça me fatigue mais tout me fatigue je suis de toute façon quelqu’un de fatigué sauf parfois quand je m’oublie. C’est assez rare que je m’oublie il faut des occasions des fêtes des grandes fêtes avec toute la famille réunie des fêtes comme des mariages des fêtes où l’on danse alors je m’oublie et je danse. »

     

    Chantal Akerman, Une famille à Bruxelles

  • Akerman, Bruxelles

    Chantal Akerman (1950-2015) nous a quittés il y a peu, la vie était devenue trop lourde pour la cinéaste « un peu belge mais aussi new yorkaise et parisienne » (Pascale Seys) qui « laisse un extraordinaire patrimoine de films qui ont changé l’Histoire du 7e art. » (Cinémathèque royale de Belgique) En 1998, dans Une famille à Bruxelles, moins de cent pages, elle raconte le deuil dans un « grand appartement presque vide » d’une femme « souvent en peignoir » qui vient de perdre son mari – sa mère, son père. 

    akerman,chantal,une famille à bruxelles,récit,littérature française de belgique,cinéma,famille,deuil,vie quotidienne,mère,fille,parole,culture
    Chantal Akerman au Carpenter Center for the Visual Arts à Harvard en 1998 © Evan Richman pour le New York Times 

    « Je vois », « Je ne vois pas ». Akerman note surtout des images : « cette femme » attendant le tram, au téléphone, devant la télévision, sa façon de parler, de réagir. Pour aller passer une soirée dans sa famille proche, elle s’habille, se maquille, et la gentillesse à son égard lui « fait du bien aux os ». Ses deux filles vivent loin d’elle, l’une à Ménilmontant, l’autre « presque en Amérique du Sud ». Elle sait pouvoir compter sur elles, mais « compter sur quelqu’un qui vit loin n’est pas la même chose que compter sur quelqu’un qui vit tout près. » « Elles ont leur vie. Chacun a sa vie. » Le téléphone est « un bon moyen pour rester en contact ».  

    « Sa fille de Ménilmontant n’a pas d’enfant au fond elle s’en fiche. Pas sa fille, elle. » Cette fille-là pense beaucoup, « trop », et parfois « elle se met à parler trop et trop vite », quand elle va mal. Sa mère a toujours cru que sa fille tenait d’elle, mais à présent que son mari est mort, elle voit mieux en quoi elle ressemble à son père aussi, avec sa manière de « siffloter sans faire de son », de marcher les mains croisées derrière le dos.

     

    « Elle » a quitté la Pologne pour la Belgique, et aurait bien rejoint sa cousine dans un pays chaud, mais son mari n’aimait pas la chaleur. « A ma fille de Ménilmontant je dis toujours du moment que j’entends ta voix au téléphone, ça va et j’entends alors si toi tu vas. » A l’autre fille, elle demande des nouvelles de son mari, des enfants. Puis elle repense à son mari malade qui se souciait surtout de pouvoir reconduire sa voiture. « Et maintenant je ne fais rien et encore moins que quand mon mari vivait. »

     

    Une famille à Bruxelles passe de la troisième personne à la première, c’est le soliloque d’une solitude, d’un vide à remplir. Peu de souvenirs marquants, comme ce manteau de fourrure longtemps attendu (trop cher) qu’elle aimait porter sur sa robe quand elle allait danser aux mariages. Des gestes du quotidien surtout : on fume, on se parle, on partage les gâteaux du dimanche, on se donne des nouvelles de sa santé.

     

    La mère (ou sa fille qui écrit) se rappelle les faits et gestes du père avant la maladie, puis pendant. Son soulagement mêlé d’horreur quand on lui trouvait un mot si souvent prononcé mais qu’il ne trouvait plus. Sa passion, quand il en avait eu les moyens, pour acheter des tableaux en salles de vente, que ses filles trouvaient affreux sans le lui dire. La maison où ils « se serraient » quand des parents venaient et restaient. Des souvenirs de vacances. 

    akerman,chantal,une famille à bruxelles,récit,littérature française de belgique,cinéma,famille,deuil,vie quotidienne,mère,fille,parole,culture

    « Le quotidien, c’est ce qui m’intéresse » dit Akerman à Pascale Seys dans un entretien de 2013 rediffusé le mois dernier sur Musiq3 (Le grand charivari). Ecoutez quelques minutes sa voix rauque (« Je sais pas », « Je pense pas des choses comme ça ») – c’est elle, elle qui ne dort pas sans somnifères. « J’adore votre voix » lui déclare Paul Hermant dans l’émission. Elle reconnaît qu’elle aime parler – la femme du récit ne fait au fond rien d’autre.

     

    Ses parents sont venus de Pologne en Belgique où ils sont restés. Chantal Akerman n’approfondit pas le contexte (la Shoah). Quant à elle, elle avance. Vers quoi ? « Vers la mort », comme tout le monde. Elle préfère le « faire » à l’interrogation. Pendant qu’elle tournait Nuit et jour, une dame l’a sollicitée pour une « installation » dans un musée – « mon Dieu, qu’est-ce que je fais ? » – et en travaillant sur ses bandes avec la monteuse de ses films, petit à petit, cela s’est fait.

     

    Travailler ainsi dans la liberté totale lui a plu, et dans une grande légèreté, sans les soucis budgétaires et toutes ces étapes qui alourdissent la réalisation d’un film. Le spectateur, au musée, choisit de rester ou de passer, c’est tout différent aussi. Et il faut chaque fois réinventer l’installation selon l’espace disponible. Donc elle a continué.

     

    Une autre voix que j’ai aimé reconnaître et réentendre dans Le grand charivari, c’est celle de Delphine Seyrig, qui jouait dans le fameux Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975). La réalisatrice disait : « C’est un film sur l’espace et le temps et sur la façon d’organiser sa vie pour n’avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse et l'obsession de la mort. » (Wikipedia)

     

    « Une famille à Bruxelles impose avec force ce que ses films laissaient pressentir et qu’avait confirmé son théâtre : il y a un ton, une écriture Akerman, un usage lancinant de la répétition, une sorte de platitude acceptée, une manière de faire naître l'émotion en tournant autour des sentiments sans jamais les nommer, qui finit par prendre à la gorge. » (Thierry Horguelin)

     

    « On a une seule vie » insiste Chantal Akerman. Il faut faire quelque chose, quelque chose d’autre que ce qu’on a déjà fait. Son plaisir n’était pas de se répéter mais d’essayer autre chose, de ne pas tout maîtriser. A la fin de l’émission, Pascale Seys demande si son invitée a une maxime. Quelle émotion d’entendre alors Akerman (qui vient de se donner la mort) reprendre le conseil que sa mère (décédée en 2014) lui avait donné à un moment où sa fille n’était pas bien, une phrase qu’elle continuait à se répéter depuis : « Laisse-toi vivre, Chantal, laisse-toi vivre. »

  • Regards croisés

    XL Couverture Nervia Laethem.jpg« Au final, en résistant aux sirènes des grands mouvements internationaux, à travers les échos diffractés d’inspirations anciennes ou plus récentes, ces artistes ont su focaliser le regard sur des réalités locales, modestes et humbles, et pourtant chargées d’émotions sincères et de poésie. »

    Françoise Osteaux, Nervia / Laethem-Saint-Martin, Regards croisés

     

    Catalogue Nervia / Sint-Martens-Latem, Traits d’union / Koppelteken, Racine / Lannoo, Bruxelles, Musée d'Ixelles, 2015.

  • Nervia / Laethem

    Au Musée d’Ixelles, une rencontre inédite confronte deux groupes de peintres belges du XXe siècle : « Nervia / Laethem-Saint-Martin, Traits d’union / Koppelteken » les présente côte à côte et valorise leurs points communs. Loin des avant-gardes, ces artistes prônaient dans l’entre-deux-guerres un retour à la figuration dans une perspective humaniste, la primauté du dessin sur la couleur, un ancrage régional. 

    nervia,laethem-saint-martin,traits d'union,exposition,musée d'ixelles,bruxelles,peinture,anto carte,gustave van de woestijne,portraits,paysages,spiritualité,xxe siècle,culture

    L’exposition évite le sentiment de déjà vu. Beaucoup de toiles viennent de collections privées, notamment du Fonds Léon Eeckman et le groupe Nervia, et du musée des Beaux-Arts de Gand. Léon Eeckman, courtier en assurances, les peintres Louis Buisseret et Anto Carte ont fondé Nervia en 1928 (de Nervie, entre la Sambre et lEscaut). Des artistes confirmés de Mons et de La Louvière s’y associent avec des plus jeunes. (Le principe d’exposer ici les sujets par « paires » en a écarté certains qu’on aurait aimé plus présents : Pierre Paulus et Taf Wallet, en particulier.)

     

    Pour le premier groupe de Laethem-Saint-Martin, il s’agit également d’une « colonie d’artistes » plutôt que d’une école. Installés vers 1900 dans un village (Sint-Martens-Latem) non loin de Gand, sur une courbe de la Lys, des artistes désireux de vivre à la campagne et d’y mener une vie simple auprès des paysans cherchent un art où se rejoignent contemplation et réalisme, empreint de religiosité. 

    nervia,laethem-saint-martin,traits d'union,exposition,musée d'ixelles,bruxelles,peinture,anto carte,gustave van de woestijne,portraits,paysages,spiritualité,xxe siècle,culture
    Anto Carte, Les deux aveugles, 1924, Musée des Beaux-Arts de Liège.

    « Spiritualité » montre d’abord un magnifique ensemble d’Anto Carte, sans conteste la personnalité dominante du groupe Nervia : ses villageois réunis pour le lavement des pieds (Jeudi Saint), son Fossoyeur près d’un Christ en croix, ses Pèlerins d’Emmaüs rayonnent de présence. Le rapprochement entre son Retour et Le Fils prodigue (bronze) de George Minne met en valeur le mouvement des corps et des cœurs, inscrit dans le paysage ou sculpté dans l’émotion. 

    Ce sont aussi des scènes paisibles comme le Paysage d’été d’Anto Carte où un mouton semble vouloir entrer dans le jeu d’une mère au fichu blanc avec son gamin dans un jardin en fleurs, entre deux maisons aux murs roses, et La cour de Saint-Agnès de Gustave Van de Woestyne (un des prêts du musée Van Buuren), une toile très claire et très cadrée aussi. 

    nervia,laethem-saint-martin,traits d'union,exposition,musée d'ixelles,bruxelles,peinture,anto carte,gustave van de woestijne,portraits,paysages,spiritualité,xxe siècle,culture
    Anto Carte, Maternité, 1929, gouache sur papier, collection privée

    Le thème de la « Maternité » revient souvent chez Anto Carte : une mère avec un enfant dans les bras est assise sur un muret du jardin, sa robe sombre dessine ses courbes. Dans l’arrière-plan lumineux, on découvre dans un second temps un jardinier qui les contemple, la tête et les mains appuyées sur le haut de sa bêche (on retrouve la mère et l’enfant près de deux pigeons dans des couleurs très douces sur la gouache ci-dessus). Plus loin, une mère habillée d’orange, l’enfant de blanc, un panier de fruits (détail de la toile choisie pour l’affiche) – derrière la maison passe un cavalier sur un cheval de trait, curieusement monté en amazone.

     

    J’aimerais mettre un nom sur le très beau bleu-vert-clair, ni tout à fait turquoise ni vraiment opalin, qui apparaît sur de nombreuses œuvres d’Anto Carte, et qui colore aussi bien un tronc d’arbre qu’un mur, un vêtement, et toujours lumineux. On le retrouve atténué à l’arrière-plan de Tête d’homme à l’écharpe rouge, qu’il signe dans la couleur de l’écharpe et dédie à « Maria » pour son anniversaire, en 1941. Sur l’estrade au fond de la salle, une grande toile de deux mètres sur trois, fascinante : Le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer (collection privée).

    nervia,laethem-saint-martin,traits d'union,exposition,musée d'ixelles,bruxelles,peinture,anto carte,gustave van de woestijne,portraits,paysages,spiritualité,xxe siècle,culture
    Valérius de Saedeleer, Fin d’une journée sombre à Laethem-Saint-Martin, 1907, Musée des Beaux-Arts de Gand

    « Quiétude » (des toiles plutôt intimes, des portraits d’enfants, de femmes), « Paysage », « Les grands modèles » (Bruegel), « Divergences », ce sont les autres sections de cette exposition : des regroupements thématiques et associations qui ne s’imposent pas toujours. Mais cette réserve ne doit pas faire de l’ombre à la grande qualité de la plupart des œuvres sélectionnées, au rez-de-chaussée comme à l’étage.  

    Finesse des arbres en hiver d’un Valérius de Saedeleer, frimousses de Rodolphe Strebelle (Portrait des enfants Y. Peters), visages tout en regards, intérieurs paisibles de Louis Buisseret sous l’influence du Quattrocento, terribles piétas de Servaes et de Carte, l’exposition fait la part belle à l’humain – de l’enfance à la vieillesse – et à la nature, brabançonne (Frans Depooter) ou flamande (belle aquarelle de Jacob Smits intitulée Symbole de la Campine).  

    nervia,laethem-saint-martin,traits d'union,exposition,musée d'ixelles,bruxelles,peinture,anto carte,gustave van de woestijne,portraits,paysages,spiritualité,xxe siècle,culture
    Louis Buisseret, Dans l’atelier du peintre,1928, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

    Le thème du peintre revient plusieurs fois, entre autres chez Louis Buisseret et Gustave Van de Woestyne (dans Hospitalité pour les étrangers, 1920, celui-ci s’est représenté invitant un vagabond à entrer chez lui). Le passeur d’eau (ou L’homme au roseau) d’Anto Carte, d’après le poème de Verhaeren, a servi aux affiches du groupe Nervia. 

    « L’œuvre d’art n’existe que par sa seule puissance d’évocation et d’exaltation. Elle n’atteint son but qu’en procurant à qui l’écoute ou la contemple, une joie de nature particulière » disait Louis Buisseret. Conception d’autrefois, peut-être, qui fait encore notre bonheur aujourd’hui. Jusqu’au 17 janvier 2016.

  • Ouverte sur la ville

    « Trainworld (161).JPGAu XIXe siècle, la gare est une nouvelle porte d’entrée de la ville. Elle participe au réaménagement du territoire, comme les cathédrales du Moyen Age qui reconfiguraient les paysages. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que certaines gares leur sont comparées, comme Anvers-Central.

    La gare de Schaerbeek est à l’image des gares du XIXe siècle. Celle de Bruxelles-Central représente la gare du XXe siècle tandis que la gare rénovée d’Anvers-Central et la nouvelle gare de Liège-Guillemins préfigurent le retour du chemin de fer au centre de la vie sociale et économique du pays.

    Ce sont des gares ouvertes sur la ville, des lieux d’échanges et de commerce, des points de convergence des différents modes de transport. »

     

    Catalogue Train World, Des machines et des hommes, à la découverte du monde des trains, Moulinsart, 2015.

     

    ***

     

    Un wagon sur le toit ? C'est non loin de Train World,  au Train Hostel !

     

    Prochaine destination pour François Schuiten, scénographe de Train World : l’Egypte.

     

    Schuiten aussi au Centre de la Gravure et de l'image imprimée de La Louvière. 

    (mise à jour 31/10/2015)