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  • Aucun ne reviendra

    Résistante communiste française, arrêtée en même temps que son mari Georges Dudach, fusillé, Charlotte Delbo est une des 230 déportées politiques du Convoi du 24 janvier (1943) parti de Compiègne pour Auschwitz-Birkenau. La plupart y meurent, elle survit. C’est à Ravensbrück que la Croix Rouge internationale la libère en avril 1945 – une des 49 survivantes du Convoi. 

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    De retour à Paris, elle reprend son travail auprès de Louis Jouvet, mais en 1946, sa mauvaise santé l’oblige à aller se soigner en Suisse. C’est pendant ce repos forcé qu’elle écrit Aucun de nous ne reviendra. Le récit ne paraîtra qu’en 1965, vingt ans plus tard, puis en 1970-71 aux Editions de Minuit, premier tome de la trilogie Auschwitz et après, suivi d’Une connaissance inutile et de Mesure de nos jours.

    Primo Levi avait trouvé un soutien dans son « intérêt jamais démenti pour l’âme humaine, et dans la volonté non seulement de survivre (…), mais de survivre dans le but précis de raconter les choses » auxquelles les déportés avaient assisté et qu’ils avaient subies (Appendice pour Si c’est un homme, 1976). Charlotte Delbo : « Aujourd’hui,  je ne suis pas sûre que ce que j’ai écrit soit vrai. Je suis sûre que c’est véridique. »

    Eclats, fragments de vie à Auschwitz. De vie ? De survie. L’arrivée : « La gare n’est pas une gare. C’est la fin d’un rail. » Et ceux qui arrivent là « se disent qu’il aurait mieux valu ne jamais entrer ici et ne jamais savoir. » Dans Aucun de nous ne reviendra, Delbo ne donne ni explications ni repères ni chronologie. Au lecteur d’abandonner sa rive et d’essayer de « la suivre à travers les méandres du texte » (Anne Martine Parent). 

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    Affiche du Théâtre du Gymnase (2013)

    Un titre et quelques pages, ou quelques lignes, seules, des vers libres. Dialogue avec celle qui porte une étoile sur la poitrine : « « Pour nous, il n’y a pas d’espoir. » Et sa main fait un geste et son geste évoque la fumée qui monte. » Spectacle inouï des cadavres dans la neige : « Il y en a plein dans la cour. Nus. Rangés les uns contre les autres. Blancs, d’un blanc qui fait bleuté sur la neige. » Scènes interminables de l’appel, au milieu de la nuit.

    « Et maintenant je suis dans un café à écrire cette histoire – car cela devient une histoire. » Aucun nom, parfois un prénom, le plus souvent « elle » ou « elles », « nous ». En colonnes pour former des carrés de cent, dix fois dix. Celles qui manquent à l’appel. Celles que les chiens achèvent ou un coup de crosse. Celles qui luttent et celles qui agonisent.

    Malgré le gel, il faut descendre dans le marais, planter la bêche, mettre les mottes là où les porteuses s’en chargeront. « Quoi est plus près de l’éternité qu’une journée ? Quoi est plus long qu’une journée ? A quoi peut-on savoir qu’elle s’écoule ? Les mottes succèdent aux mottes, le sillon recule, les porteuses continuent leur ronde. Et les hurlements, les hurlements, les hurlements. »

    Tous les jours, des morts. L’horrible soif qui la tenaille. L’envie de se laisser aller parce qu’elle n’en peut plus, le ressort presque cassé, mais une main, une voix, un refus la remet debout, encore un jour. Elle dit les choses terribles dont elle a été le témoin : « Essayez de regarder. Essayez pour voir. »

    C’est dans La maison des morts d’Apollinaire (Alcools) que Charlotte Delbo a choisi son titre, durant la déportation, dans cette strophe :

    « Nous serions si heureux ensemble
    Sur nous l’eau se refermera
    Mais vous pleurez et vos mains tremblent
    Aucun de nous ne reviendra ».
     

    Voici ce que François Bott écrit à la mort de Charlotte Delbo, en 1985 : « Les écrivains correspondants de guerre qui avaient découvert les camps, en 1945, se posaient la question : que peut la littérature devant tant de crimes ? Charlotte trouvait la question mal formulée : elle ne se demandait pas ce que peut la littérature, mais ce qu’elle doit. Le métier d’écrivain, selon Charlotte Delbo, c’était de témoigner sur notre siècle, et sur le désespoir qui nous atteint, que nous le sachions ou non, lorsqu’on défigure un visage, quel qu’il soit. »

  • Comme toi

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    « Poétesse, sens-tu à quel point tu t’es emparée de moi, toi et ton magnifique compagnon de lecture, voici que j’écris comme toi, comme toi je descends les quelques marches menant de la phrase à l’entresol des parenthèses où les plafonds sont si bas et où ça sent les roses anciennes, qui ne cessent jamais. Marina : comme j’ai habité ta lettre. »

    Rainer Maria Rilke à Marina Tsvétaïeva, 10 mai 1926.

  • Boris Marina Rainer

    L’amour des mots et les mots de l’amour dans les lettres de deux, et même trois poètes, voilà le thème de Est-ce que tu m’aimes encore ?, la correspondance entre Marina Tsvétaïeva et Rainer Maria Rilke (traduit de l’allemand par Bernard Pautrat). Le traducteur, dans sa préface intitulée « L’amour à distance », rappelle le contexte de 1925, la « large tache rouge » de l’URSS qui s’étend sur la carte de l’Europe, l’émigration russe, « souvent dans la misère » et les circonstances qui ont fait naître cette correspondance. 

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    Marina Tsvétaïeva en 1925 / Rainer Maria Rilke en 1924

    Leonid Pasternak – peintre russe, installé à Berlin avec une partie de sa famille – avait écrit à Rilke à l’occasion de ses cinquante ans, alors en clinique à Val-Mont, en Suisse. Ils s’étaient connus à Moscou, vingt-cinq ans plus tôt. Rilke, dans sa réponse, fait l’éloge des poèmes de son fils Boris et le père s’empresse d’en faire part à celui-ci. « 35 ans, marié, un enfant », Boris Pasternak s’est pris d’amitié puis d’amour fou pour Marina Tsvétaïeva, émigrée à Paris avec sa famille (son mari Sergueï Efron dont elle a eu deux filles (la seconde, Irina, morte en URSS) et un fils). Il lui écrit lettre sur lettre. Tous deux admirent « le grand Rilke », leur « Maître ». 

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    Portrait posthume de Rilke par Leonid Pasternak, 1928

    Boris, après avoir pris connaissance de la lettre du poète à son père, écrit à Rilke pour le remercier : « Je vous dois les grandes lignes de mon caractère, la manière de mon existence spirituelle. Ce sont vos créations. » Il lui parle de poésie et aussi de Marina, « poétesse-née », priant Rilke de lui envoyer un exemplaire dédicacé des Elégies de Duino, son dernier recueil paru. 

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    De Rainer Maria Rilke à Marina Tsvétaïeva (1926)

    En mai 1926, Rilke envoie à Tsvétaïeva une lettre chaleureuse, avec ses Elégies et Sonnets à Orphée. Il promet d’autres exemplaires à l’intention de Boris Pasternak et interroge : « Pourquoi ne m’a-t-il pas été donné de vous rencontrer, Marina Ivanovna Tsvétaïeva ? D’après la lettre de Boris Pasternak il me faut croire qu’une telle rencontre nous aurait jetés tous les deux dans la plus profonde et intime joie. » 

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    La « très inflammable » Marina (dixit Bernard Pautrat) répond : « Rainer Maria Rilke ! Puis-je m’adresser à vous ainsi ? » Ce sera une très longue lettre, une succession de fragments sur ce qu’il est, lui, pour elle ; sur la poésie ; sur son propre parcours ; sur Boris Pasternak – « Le premier poète de Russie, c’est lui » – vouvoyant et tutoyant Rilke tour à tour. 

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    Boris Pasternak en 1934 (au premier Congrès des écrivains soviétiques)

    Ainsi démarre une correspondance passionnée, de part et d’autre. « Nous nous touchons. Par où ? Par des coups d’aile… » (Marina) Boris Pasternak et elle avaient projeté d’aller rendre visite à Rilke ensemble un jour. A présent le poète russe souffre de l’intimité grandissante qu’il devine entre Rilke et Marina, il se sent mis en retrait. 

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    http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/Correspondance-a-trois

    Entre ces trois grandes sensibilités, c’est « une histoire comme on les aime, triste et belle. Une histoire d’amours. » (Préface) Elle se termine avec la mort de Rilke, le 29 décembre 1926. Le 31 décembre, Marina l’annonce par lettre à Pasternak en citant les mots quelle a adressés à leur maître en poésie sur une carte postale le 7 novembre : « Cher Rainer, C’est ici que je vis. – Est-ce que tu m’aimes encore ? »

     

  • Reconstruction

    360 Tsunami 1 xylogravure.jpg« A travers la technique de la gravure, c’est par le geste que tout commence. Par la déconstruction. Dompter le bois, affronter la planche brute, celle qui laisse des échardes dans la paume, la malmener, la découper, la taillader, lui infliger les blessures de son propre cataclysme. Canaliser la barbarie du monde dans la violence du geste pour ériger un rempart à la sauvagerie. Par la reconstruction. » 

    Chris Vander Stappen, Cataclysmes climatiques
    « Tsunami » (détail) 
    © Nathalie van de Walle

     

  • Tsunami à 360°

    « Tsunami » : le mot ramène au terrible tremblement de terre en Indonésie, fin décembre 2004, et à la vague meurtrière qui a tout emporté sur son passage. « Tsunami » : une œuvre extraordinaire de Nathalie van de Walle, à voir à Gembloux jusqu’à samedi prochain. Elle y a travaillé huit ans, bouleversée par les images du chaos, du tsunami et des autres catastrophes qui mettent notre terre sens dessus dessous. 

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    Dans le cadre du Printemps des Sciences, au bel Espace Mohimont installé dans une ancienne ferme abbatiale, l’exposition « 360° Architecture du paysage »  présente des œuvres de Nathalie van de Walle, ainsi que des créations de l’atelier sorcier et du projet « Art et science 2.0 ». Une vidéo d’un paysage à 360° accueille les visiteurs dans les salles du bas, l’exposition continue à l’étage, sous la charpente. 

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    La double fresque « Tsunami », conçue d’abord pour être présentée en rond, à 360°, se présente ici, où elle est dévoilée pour la première fois dans son ensemble, en une longue courbe sous les voûtes anciennes. En entrant, on découvre d’abord, côte à côte, quinze xylogravures de 110 x 110 cm chacune, un gigantesque chaos, des scènes de destruction où reviennent certains motifs : des cabanes en bois, des pylones et des fils électriques arrachés, des arbres… Au verso de cette courbe se déploie une magnifique estampe sur papier laurier, longue de dix-sept mètres et de 120 cm de haut .

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    15 xylogravures; 110 x 110 cm, 2008-2013 © Nathalie van de Walle

    Depuis toujours fascinée par les structures (murs, villes, chantiers, échafaudages...), Nathalie van de Walle déconstruit, reconstruit, réinvente sans cesse, explore des techniques variées, comme on a pu le voir dans ses expositions depuis 1980, en Belgique et en France. « Tsunami », œuvre monumentale, coupe le souffle par l’intensité avec laquelle elle montre le monde dans ses dévastations : en Indonésie, mais aussi ailleurs, là où la terre a tremblé, où un train a déraillé (Buizingen), où des tours se sont écroulées (11 septembre)…  

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    Détail d'une xylogravure © Nathalie van de Walle

    En découvrant les xylogravures, en déchiffrant leurs motifs, ici les roues d’une voiture retournée, là les bras d’un arbre mutilé, exploration sans fin des débris, on plonge dans la tragédie, les heures sombres. Tout cela semble figé dans lhorreur, mais le temps continue à se mouvoir dans lespace. Spectateur, témoin, impossible d’être impassible. Impression de ne plus respirer, besoin de reprendre son souffle dans les clartés du ciel avant d’explorer plus avant le chaos sur terre. 

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    Estampe, 17 x 1,20 m, 2013 © Nathalie van de Walle

    Quel contraste quand on passe de l’autre côté ! Le dessin est le même, pas la technique : place au noir et blanc de l’estampe, à l’œuvre en continu, d’une force incroyable, lisse, surprenante. Ce sont les mêmes scènes de chaos sur terre, cette fois interprétées par la ligne, le trait, la pureté du dessin – « épure de la tragédie » (Chris Vander Stappen) Des deux côtés, la main de l’artiste a beaucoup œuvré, mais les gestes ont été très différents et pour le regard, l’expérience est tout autre aussi en allant du papier au bois, du bois au papier.  

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    Estampe (détail) © Nathalie van de Walle

    Autour du « Tsunami », Nathalie van de Walle expose aussi des œuvres de 2004, « paysages nuits », « paysages d’aubes » (eau-forte, collage, acrylique) d’une grande douceur. Le ciel et la terre, la ligne qui les relie, c’est leur fil conducteur. Regardez, par exemple, « Brume et paysages ». C’est comme si la paix répondait à la guerre.  

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    Brume et paysages, 2004  © Nathalie van de Walle

     

    Espace André Mohimont, Gembloux Agro-Bio Tech., avenue de la Faculté d’Agronomie, n° 5 à 5030 Gembloux (en semaine sur rendez-vous, le samedi 29 mars de 14h à 18h). Mise à jour 25/3/2014.