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  • Willy

    « Isabelle ne comprend rien aux énigmes. Elle préfère les histoires, mais elle veut bien aller au restaurant avec eux.
    Elle recouvre ses ongles d’une couche de vernis rouge.
    – Willy aimait ça, les photos… Tu connais Willy ? Willy Ronis ?
    Marie ne connaît pas. Elle écoute glisser le pinceau sur le bombé des ongles.
    – Qui tu connais en photo ?
    Personne. Doisneau, un peu, à cause des calendriers des postes dans la caravane.
    – Willy était professeur à l’école d’art d’Avignon, dit Isabelle. Il était comme toi, toujours avec son appareil photo, à traîner dans les rues.
     

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    Elle referme le flacon de vernis. Maintenant, dans la pièce, ça sent l’acétone et le dissolvant.
    – J’ai trois photos de lui. Je ne les vendrai jamais pourtant ça vaut cher aujourd’hui le travail de Willy.
    Elle sort de la cuisine, revient avec un livre qu’elle pose devant Marie. Des scènes de bistrot, des gamins, le Paris de Belleville et Ménilmontant.
    – Si tu t’intéresses à la photo, il faut absolument que tu étudies Willy. Les autres aussi bien sûr, mais Willy… »

    Claudie Gallay, L’amour est une île

  • Théâtres intimes

    Les Déferlantes de Claudie Gallay ont remporté un grand succès en 2008. L’amour est une île (2010), a pour cadre un festival d’Avignon perturbé par la grève des intermittents du spectacle – on se souvient des perturbations de l’été 2003 dans la Cité des Papes et des tensions entre le In et le Off. 

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    Odon Schnabel, le directeur du Chien-Fou, vit sur une péniche où la lucarne reste allumée depuis le départ de son grand amour : « Quand Mathilde est partie, il s’est juré ça, la laisser briller jusqu’à ce qu’elle revienne. » Cinq ans ont passé depuis, mais « la Jogar » est de retour : Mathilde Monsols joue Sur la route de Madison et les journaux en parlent.

    Sur la rive, Odon aperçoit une fille de vingt ans, trop maigre, les cheveux courts, du métal dans une lèvre, dans le sourcil et aux oreilles, et lui offre un bol de café. Arrivée de Versailles en stop, Marie découvre Avignon pour la première fois, avec toutes ses affiches, certaines barrées de peinture noire. Celle de Nuit rouge porte le nom de son frère, Paul Selliès. C’est Schnabel qui la met en scène au Chien-Fou.

    Dans son théâtre, un des plus anciens d’Avignon, Odon Schnabel a donné un rôle à sa fille Julie, même s’il doute qu’elle devienne une très grande artiste : « Sa fille aime trop la vie, elle ne s’ennuie jamais, il n’y a rien de désespéré en elle. » Jouer ou ne pas jouer ? Voilà la question qu’elle se pose avec tous les autres en ces jours de grève. Pour Odon, « être solidaires n’empêche pas de jouer », mais la discussion repart entre les techniciens et les acteurs, comme presque partout dans la ville.

    La Jogar a poussé le portail de la Grande Odile, les souvenirs l’assaillent. La sœur d’Odon, ravie de sa visite, est curieuse de sa vie d’actrice célèbre. Elles étaient amies depuis l’école, mais ne se sont plus vues depuis son départ. « Qu’est-ce que j’aurais aimé que tu te maries avec mon frère. – On n’épouse pas les hommes que l’on aime. » Mathilde ne s’est mariée avec personne, a renoncé aux enfants ; toute sa vie va au travail qui « la nourrit, sur la durée, chaque jour, chaque heure. » Elle laisse deux invitations pour le spectacle.

    L’amour est une île est un roman d’amour et de théâtre, et d’amour du théâtre. Marie a trouvé le chemin du Chien-Fou où l’on joue un texte de son frère dont elle ne sait rien, un conte philosophique, lui disent les comédiens de Nuit rouge, en grève. « Son frère ne se servait pas de l’ordinateur. C’est elle qui tapait ses textes. Il dictait. » Paul est mort il y a cinq ans, elle se souvient que juste avant, il avait envoyé un autre texte à Schnabel, un éditeur qui avait un théâtre dans le Sud, pensant que ça lui porterait chance.

    Odon lui a donné l’adresse de son amie Isabelle, qui la loge pour pas cher. Le  théâtre est toute la vie de la vieille femme qui l’accueille, dans une maison pleine de souvenirs. Elle vient de vendre une photo de Gérard Philipe prise par Agnès Varda, un tapis et une marionnette en bois – il faut bien vivre. Elle s’intéresse à Marie, lui raconte ses grands souvenirs, lui explique plein de choses, encourage la jeune femme à aller de l’avant.

    Claudie Gallay va tirer l’un après l’autre les fils qui relient ces personnages les uns aux autres, nous faire entrer peu à peu dans leurs secrets, tout en faisant battre le cœur de la ville-théâtre où les uns jouent, d’autres pas. On sort « tracter » pour avoir des spectateurs le soir dans la salle, on répète, où on déborde de trac avant le lever du rideau. Voici la première de Nuit rouge, voilà Mathilde ou la Jogar à l’hôtel, sur scène et sur les chemins de sa vie passée.

    Marie veut tout savoir de Nuit rouge, des raisons pour lesquelles Odon Schnabel a choisi cet auteur inconnu et surtout, elle veut savoir pourquoi il a tant attendu avant de répondre à l’envoi de son frère : quand Schnabel a enfin réussi à contacter leur mère par téléphone, Paul Selliès venait de mettre fin à ses jours. Marie ne cesse de se gratter la peau, d’arracher ses croûtes, d’imaginer ce qui serait arrivé si l’éditeur avait appelé son frère plus tôt, s’il lui avait dit « que ça tenait la route ».

    Dans son sac à dos, avec un appareil photo dont elle se sert pour fixer tout ce qui retient son attention, un carnet de notes de Paul : elle le donne à Odon Schnabel pour qu’il mesure lui-même l’intensité de l’attente – « Toujours pas de nouvelles d’Anamorphose. » Est-ce que c’est parce qu’il a « raté » son frère qu’il a cessé d’éditer de nouveaux livres ?

    Odon ne peut tout dire à Marie. Le sort du texte de Paul, Anamorphose, est lié à son histoire avec Mathilde, à l’amour qu’il éprouve encore pour elle. Qui est coupable ? La Jogar n’a pas de regrets : « L’amour est une île, quand on part on ne revient pas. » Entre passé et présent, entre apparences et vie intime, le roman de Claudie Gallay ouvre des passages, joue au jeu de la vérité sur la scène et dans les coulisses, agite les masques de la comédie et de la tragédie. Comme l’écrit Robert Verdussen, « Sur les planches comme dans la vie, l’histoire ne se refait pas. Jamais rien ne se réécrit. »

     

  • La dernière mode

    « La mode n’avait rien de futile pour une dame du XIXe siècle. Elle faisait partie intégrante de son identité, et les peintres aussi bien que la presse l’envisageaient sous cet angle. C’est ainsi qu’il faut comprendre cette remarque de Manet : « La dernière mode, voyez-vous, la dernière mode, pour une peinture, c’est tout à fait nécessaire, c’est le principal. » »

    Justine De Young, La mode des impressionnistes face à la presse (L’Impressionnisme et la Mode, Musée d’Orsay, Paris, 2012) 

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    Claude Monet, Camille sur un banc (The Metropolitan Museum of Art)

  • La mode à Orsay

    L’impressionnisme et la mode, a priori le sujet semble léger, choisi pour attirer les foules et en effet, il y a du monde au musée d’Orsay pour visiter cette exposition. Mais la pertinence du thème s’impose. A l’entrée, deux petites toiles, une Liseuse de Manet et une Jeune femme lisant de Renoir, un illustré à la main, amorcent ce rapprochement de l’élégance et des peintres dans les années 1860-1880, à l’époque des nouveaux grands magasins évoqués par Zola dans Au bonheur des dames. 

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    Manet, Liseuse ou La lecture de l’illustré (Chicago, The Art Institute) 

    J’ai tenté d’abord de vous rendre compte du parcours, salle par salle, puis je me suis ravisée. Mieux vaut laisser intact le plaisir de la découverte – l’exposition dure jusqu’au 20 janvier 2013. Si vous voulez en savoir davantage, le site du Musée vous en dira plus long, il vaut lui aussi la visite. La scénographie renouvelle sans cesse le dialogue entre peintures et parures. Les écrivains y ont leur part – saviez-vous que Mallarmé signait ses articles de mode Mademoiselle Satin ? 

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    La Dernière Mode. Gazette du Monde et de la Famille,
    dirigée et rédigée par Stéphane Mallarmé

    Le catalogue s’ouvre sur des photos de robes en pleine page, cela rend bien le point de vue original de cette exposition : la présentation des vêtements et des accessoires de lépoque, et la diffusion de la mode grâce aux illustrés, sujets dinspiration pour les peintres. Les objets prêtés par le Musée Galliera et le Musée des Arts décoratifs sont d’une qualité exemplaire, comme ces escarpins roses en peau et satin qu’on retrouve plus loin sur deux étonnantes natures mortes de souliers par Eva Gonzalès.

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    Eva Gonzalès, Les Chaussons blancs (The Metropolitan Museum of Art)

    Ces magnifiques robes d’époque, on les reconnaît avant même de voir les tableaux – on les a déjà vues chez Manet, Monet, Morisot, Renoir et Cie. Les impressionnistes se voulaient résolument modernes, et comment mieux dire son temps que par le vêtement ? La société du Second Empire obéit à des codes précis pour le jour ou le soir, l’été et l’hiver, la ville ou la campagne, l’opéra, le bal... Les impressionnistes vont les montrer et sen distancer. 

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     Albert Bartholomé, Dans la serre ou Mme Bartholomé

    Revues de mode et catalogues des grands magasins donnent le ton. Inattendues, ces deux toiles de Cézanne, La Conversation ou Les deux sœurs et La Promenade, présentées à côté des gravures qu’il a littéralement transposées ! Surprise aussi, un grand tableau d’Albert Bartholomé intitulé Dans la serre : la robe que porte Mme Bartholomé est présentée juste à côté, c’est étonnant de passer de l’une à l’autre. 

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    André Adolphe Eugène Disdéri, Carte de visite

    Pour leurs cartes de visite, les membres de la bonne société posaient chez le photographe dans leurs plus beaux vêtements. Tout un mur de planches photographiques de Disdéri, par séries de huit, montre des femmes, des hommes, parfois des couples, offrant leur meilleure apparence sur ces portraits destinés à véhiculer leur image. 

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    Auguste Renoir, Madame Georges Charpentier et ses enfants (The Metropolitan Museum of Art)

    De nombreux musées français, européens et étrangers ont prêté des œuvres de premier plan. Beaucoup viennent des Etats-Unis ; l’Art Institute de Chicago et le Metropolitan Museum of Art de New York collaborent à l’exposition du musée d'Orsay. Du MET, par exemple, Madame Charpentier et ses enfants de Renoir, magnifique portrait de femme et scène d’intérieur (le terre-neuve n’est pas en reste). De Chicago, Rue de Paris ; temps de pluie, signé Gustave Caillebotte, moderne à tout point de vue. 

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     James Tissot, Juillet (Seaside)

    Une découverte pour moi, l’œuvre de James Tissot, très présent bien qu’il ne soit pas impressionniste (onze oeuvres, moins tout de même que Degas, Renoir, Manet et Monet). Le prénom anglais de ce peintre français révèle son goût pour le chic mondain. Ses peintures, hommage à l’élégance, valent par le réalisme du rendu, le raffinement des détails, le soin du décor. C’est parfois figé, comme cette réunion d’hommes où l’on observe les variantes du costume masculin (Le Cercle de la rue Royale), c’est plus vivant dans La Demoiselle de magasin (La Femme à Paris, Toronto) ou ce Bal sur un bateau (Tate, Londres). C’est étourdissant dans Octobre ou Juillet (Seaside), exemple de portrait, un superbe contre-jour ! 

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    Edouard Manet, Nana (Hamburger Kunsthalle)

    Près d’une vitrine consacrée aux dessous, presque tous blancs à l’exception d’un corset de satin bleu (qu’on verra sur la mutine Nana de Manet), une grande toile de Henri Gervex, Rolla, qui a fait scandale moins par la jeune femme nue sur le lit et son amant, déjà rhabillé devant une fenêtre ouverte, que par le désordre de ses vêtements et de sa lingerie répandus sur le sol dans un joyeux abandon. 

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     Gustave Caillebotte, Portrait d’un homme (The Cleveland Museum of Art)

    Très peu de costumes masculins ont été conservés, une vitrine leur est consacrée dans la salle des dandys et des portraits d’hommes : de beaux tableaux signés Caillebotte, en particulier, ou le Portrait de Manet par Fantin-Latour (Chicago). 

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    Edouard Manet, Jeune dame en 1866 ou La femme au perroquet (The Metropolitan Museum of Art)

    C’est une des leçons de L’impressionnisme et la mode : au fur et à mesure qu’on avance, la différence entre les impressionnistes et les autres, les peintres traditionnels voire académiques, se fait de plus en plus claire, même si leurs modèles portent les mêmes atours. La femme au perroquet de Manet (MET, New York), en peignoir lâche, humant une violette, évoque les cinq sens ; le personnage s’y détache sur un fond sombre, au lieu du riche décor bourgeois. Berthe Morisot, dans ses toiles d’une lumière et d’une légèreté sidérantes, évoque l’intimité d’un intérieur avec un naturel éblouissant. L’air circule dans ses toiles avec une qualité rare, ses blancs sont magiques.

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     Berthe Morisot, L’Intérieur (Collection Diane B. Wilsey)

    A l’opéra, les bras sont obligatoirement nus, le décolleté large, la robe, de soie. Chez Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Renoir, les femmes dans leur loge ont une véritable présence, de l’expression, alors que dans Une soirée de Jean Béraud, les couleurs des toilettes féminines en contraste avec les habits noirs de leurs cavaliers ne sont que le reflet brillant d’une parade sociale. La nouvelle peinture explore la lumière, la matière et les couleurs pour elles-mêmes. 

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    Mary Cassatt, Femme au collier de perles dans une loge (Philadelphia Museum of Art)

    Les artistes de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ont réinventé le portrait, la scène de genre pour en faire des peintures modernes. Amateurs du chic parisien ou non, allez voir L’impressionnisme et la modequoi quen dise la presse française qui dénonce une entreprise grand public et une approche trop superficielle, à cause du côté parfois kitsch de la présentation, pourtant secondaire. J’y ai pris conscience, pour ma part, dun aspect de l'impressionnisme qui ne métait jamais apparu si clairement : la volonté de représenter la société de leur temps, un mode de vie, la modernité, comme lindique le titre prévu pour Chicago : « Impressionism, Fashion, and Modernity » Jy ai vu beaucoup de choses et de tableaux que je navais jamais eu loccasion dobserver. Cest gai, cest instructif, cest beau. Pourquoi bouder son plaisir ?

  • Vie privée

    « Tu n’as nul besoin d’expliquer quoi que ce soit. Pas encore. Cela perturbe les pensées face à la musique, tout ce bavardage sur la vie privée. Nous sortons tous de notre vie privée. Même les pianistes. Il te suffit de les regarder entrer en scène pour le constater. D’où viennent-ils ? te demandes-tu. De nul autre endroit que leur vie, mon garçon. Observe la démarche angoissée et hypocondriaque de Sviatoslav Richter. On le croirait persuadé d’avoir des agents du KGB dans ses talons qui s’apprêtent à le suivre jusqu’au piano. Ou prends Alfred Brendel, qui a l’air de s’être lavé les mains au robinet après un dîner savoureux et est sur le point d’aller se coucher. Et tu as bien regardé Daniel Barenboïm ? Il pénètre dans la salle de concert en donnant l’impression qu’il l’a confondue avec une cathédrale dont il serait l’évêque. Et Martha Argerich, ma chouchou ? Elle entre sur scène armée d’une force intérieure, comme si elle était préparée à apprivoiser des lions. »

    Bjørnstad, L’appel de la rivière  

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     Ketil Bjørnstad, Mœrs festival 2004
    photo Nomo/Michael Hoefner (Wikimedia commons)